Antibiotiques versus bactéries !

Dossier de Franck dans l’épisode #76.

 

Virus
Bactéries
Champignons
Et autres eucaryotes…
Cette liste noire est celle de nos derniers prédateurs, et parasites 🙂 Cette liste n’a pas du tout de valeur concernant la classification du vivant, pour ça je vous renvois à ce dossier : L’arbre du vivant.
Alors, bien sûr, de temps à autre un requin bouffe un surfeur (celui-ci est impressionnant), mais ça n’est pas le sujet 🙂

Outre les requins, on pourrait rajouter à ces catégories les prions également, mais ceux-ci ne sont absolument pas des espèces vivantes, donc je n’en parlerais pas. C’est une catégorie très anecdotique, responsable notamment de la maladie de Creuzfeldt-Jacob, ou maladie de la vache folle, qui n’est pas notre sujet.  Quant la question de l’appartenance des virus au monde vivant, des objections philosophiques existent également, mais nous ferons comme si, pour ce dossier 😀

Voilà donc nos prédateurs : virus, bactéries, champignons et eucaryotes. Chacun de ces catégories possède des caractéristiques biologiques très différentes qui influent sur nos moyens de défenses. Mais en première ligne, notre première arme, c’est le système immunitaire. Ce système, hyper complexe, a beaucoup évolué depuis les origines de la vie, pour s’adapter à toute forme d’intrusion hostile dans notre organisme. Le système immunitaire est un sujet passionnant, sur lequel je ferai volontiers un dossier, mais qui n’est pas le sujet d’aujourd’hui. Aujourd’hui, j’aimerai vous parler de nos moyens pour pallier à ses insuffisances. Mais avant, je vais vous présenter rapidement les différentes catégories auxquelles appartiennent nos adversaires.

Les virus

Les virus, par exemple, sont des germes microscopiques, de composition vraiment minimaliste. Les seuls éléments qu’on retrouve dans tous les virus, et parfois on ne retrouve que ceux là, sont :
1) une enveloppe
2) un génome
C’est vraiment minimaliste, nan ?.
Et leur information génétique est réduite pareillement : le virus de l’hépatite B, qui infecte 300 millions de personnes sur la planète, a un génome qui tient sur le recto d’une feuille de papier (3200 caractères). Avouez que la formule est assez efficace.
Le secret de cette simplicité est que pour tout ce qui manque au virus, comme par exemple des enzymes, qui permettent de catalyser des réactions chimiques, permettant de fabriquer ses propres constituants, ou des récepteurs, qui permettent d’interagir avec l’environnement, et donc d’y capter des nutriments, par exemple, ils utilisent le matériel de la cellule infectée. Plus besoin de s’occuper de quoi que ce soit, on prend sur place !
Et cela rend les virus également très difficile à atteindre. En effet, pour être efficaces, nos médicaments ont besoin de cibles. Lorsque l’adversaire possède des enzymes ou des récepteurs, on peut fabriquer des molécules qui vont s’y accrocher pour les bloquer, et engendrer des dégâts à la cible.. Mais dans le cas des virus donc, très peu de cibles : le virus utilise les infrastructures de la cellule pour proliférer, si on les cible, on attaque nos propres cellules. Voilà pourquoi on dispose de très peu de médicaments contre les virus.

Et le Tamiflu ?

On a vu que les virus contenaient très peu de matériel, une enveloppe et un génome au minimum. Fort heureusement, souvent, à ce strict minimum, ils rajoutent quelques babioles qui leurs sont bien utiles, et qu’on peut cibler pour les détruire.
Le virus de la grippe, par exemple, possède une neuraminidase : c’est le N de H5N1 🙂 Cette neuraminidase lui sert à faire le ménage quand il veut sortir de la cellule qu’il a infecté, en détruisant les molécules entourant la cellule. Bien, bah, le Tamiflu, ou oseltamivir, pour la molécule, bloque cette neuraminidase. C’est un inhibiteur de neuraminidase 😀
Si vous voulez vérifier, voici un lien vers la fiche technique de l’oseltamivir sur le site de L’Afssaps ! Ce site de l’afssaps est excellent si vous voulez éviter d’aller sur doctissimo quand vous cherchez des infos sur un médicament !
En fait, on a en tout et pour tout 3 molécules dirigées contre le virus de la grippe. Heureusement que ce virus est dangereux principalement parce qu’il favorise les co-infections, dues à d’autres germes que nous pouvons, eux combattre.

Bon, tout ça c’était pour vous expliquer pourquoi on avait du mal à cibler les virus : ils ont peu d’éléments caractéristiques qu’on peut attaquer, car ils utilisent le matériel de nos cellules, qu’on ne peut pas attaquer, sinon on se ferait du mal à nous-même !
Le virus de la grippe n’a que 2 types de récepteurs différents à sa surface, le H et le N, indiqués dans son petit nom :). Nos cellules en ont, au bas mot, plusieurs centaines, et les lymphocytes, nos globules blancs en chefs, disposent de plus de 10 000 0000 de récepteurs différents pour choper tout ce qui se balade dans la circulation. Aucun de nos lymphocytes n’a les 10 000 000 de récepteurs a lui seul, il serait tiraillé de toute part, mais c’est pour vous montrer à quel point 2 types de récepteurs différents, c’est rien du tout.

Champignons, et autres eucaryotes

Les autres membres de la liste étaient : bactéries, champignons et eucaryotes. Comme je vais revenir par la suite sur les bactéries, je vais brièvement vous parler des champignons et des parasites eucaryotes qui nous infectent.
Les champignons sont donc encore des prédateurs pour l’homme, dans certaines circonstances : dans les cas sévères d’immunodépression, en cas de chimiothérapie très agressive ou de contamination par le vih, notre circulation sanguine peut se voir gagnée par des champignons microscopiques tels que Candida albicans, ou Aspergillus, qui se propagent initialement dans la bouche par exemple, dans le vagin, parfois même dans l’oreille, on parle d’otomycoses. Ces champignons ont besoin d’humidité et de matière organique pour se développer, et ils trouvent sur nous tout ce dont ils ont besoin.
Les eucaryotes sont des espèces vivantes possédant un noyau. Parmi elles, Certains de nos prédateurs, qui sont également des animaux, comme nous, ils peuvent être très gros. Ce sont généralement des vers, mais il y a également des formes unicellulaires (comme le paludisme par exemple qui est un petit animal unicellulaire appellé plasmodie). Quand on parle de parasites, il est inévitable de montrer des choses vraiment gores :
Ici des ascaris intestinaux!
J’ai pas vraiment envie de m’attarder sur ces parasites, même si il y aurait beaucoup de choses à dire, il faudrait faire un dossier dessus, éventuellement  ! Pour, eux, pas de problème non plus, on a des molécules qui fonctionnent bien. Allez un dernier, pour la route :
Vous avez reconnus ces petites horreurs, Pediculus humanus, le poux !

Je disais que le virus de la grippe était surtout dangereux par les co-infections qu’il convoyait : en effet, quand on étudie un virus, on regarde un paramètre appellé l’effet cytopathogène : il s’agit de voir si le virus tue les cellules qu’il infecte.
Souvent, ça n’est pas le cas, le virus ne fait que se multiplier dans les cellules, en les laissant en vie. Dans le cas de la grippe, l’effet cytopathogène est très faible. Quel est le problème dans ce cas ? On pourrait laisser le virus gambader en paix et tout irait bien dans le meilleur des mondes ?
C’est ce qu’on fait pour certains virus, comme le cytomegalovirus. Environ la moitié de la population est porteuse de ce virus, et on ne fait rien. Pourquoi, parce qu’il sait se faire discret. Il ne se réplique quasiment pas, et n’infecte que certains types cellulaires. Bref, c’est un hôte courtois, ce cytomegalovirus. Le virus de la grippe quant à lui, est beaucoup plus lourd. S’il ne tue pas nos cellules, il les désorganise, et surtout, il génére une importante réaction immunitaire à son égard, qui fatigue nos globules blancs.
Ces deux effets conjoints vont avoir un effet potentiellement dramatique, car notre appareil respiratoire est alors affaibli, à la merci des premiers venus. Si le virus de la grippe n’est pas trop méchant, il y a en revanche tout un tas d’indésirables qui n’attendent qu’une chose, qu’on leur laisse une fenêtre de tir pour venir proliférer : les bactéries.

Bactéries

Finalement, elles ont beau être relativement anciennes, je crois bien que ce sont elles qui nous donnent le plus de mal, et c’est sur elles que je vais m’attarder le plus.
Vous le savez surement déjà, notre bouche, notre nez, notre gorge, contiennent une quantité énorme de bactéries. Certaines, la plupart, sont absolument inoffensives, et d’autres le sont beaucoup moins. Tout ce petit monde cohabite gentiment, avec l’aimable tolérance de l’hôte, à savoir nous. On parle de flore commensale. Pourquoi notre organisme tolère que tout ce petit monde squatte ? D’abord, parce que ça serait vraiment fatiguant de virer toutes les bactéries qui se pointent, ça serait peut-être possible, comme dans le cas de l’oeil par exemple, là on fait le ménage, avec un succès relatif, mais faut que ça reste propre. Donc le tube digestif, par exemple, est rempli de bactéries commensales. Certaines nous sont mêmes devenues indispensables !

Et l’appareil respiratoire ?
C’est pareil, avec les 10 000 litres d’air que l’on respire chaque jour, on chope également plein de bactéries en suspension. Mais là attention, on fait un peu plus gaffe quand même. Si notre nez et notre gorge sont pleins de bactéries, à partir du larynx, plus on descend dans les bronches, moins y en a, et quand on descend vraiment dans les plus petites bronchioles, aux fins fonds de nos poumons, y a plus rien. Aucune bactérie, c’est un quartier de très haute sécurité!

La raisons est que l’épithélium, (l’épithélium, c’est le nom savant donné pour une surface extérieure, le contraire étant endothélium, une surface intérieur, comme la surface à l’intérieur de nos vaisseaux sanguins, qui sont des endothéliums), l’épithélium respiratoire est bourré de petits pièges gentils à bactérie : cils, mucus collant, anticorps et enzyme destructrices. Je dis gentil, parce-que les vrais bouledogues, les macrophages, cellules destructrices de bactéries, sont tout au fond des poumons, dans les alvéoles pulmonaires, là où c’est censé être devenu stérile, et ou la paroi vers l’intérieur des poumons est la plus fragile.
Donc, si ces systèmes de défense sont désorganisés, par la présence d’un virus de la grippe par exemple, les bactéries, tolérées dans la partie supérieure de l’arbre respiratoire : bouche, nasopharynx, pharynx, vont commencer à se faire de plus en plus envahissantes, et descendre dans les bronches. C’est alors une bronchite, qui n’est pas trop grave en soi, car les bactéries ne franchissent pas l’épithélium et restent cantonnées à la “surface” intérieure des poumons.
Si parmi elles se cachent une méchante, le mot scientifique pour méchante, c’est virulente, donc si parmi elles se cache une bactérie virulente, celle-ci va être capable, par divers moyens, qu’on appelle des facteurs de virulence, de franchir la barrière épithéliale (la frontière formée par l’épithélium), et d’aller coloniser toutes les cellules du poumons, dont, entre autre les cellules des vaisseaux sanguins, ce qui équivaut à une dissémination dans tout l’organisme… Lorsque la bactérie franchit la barrière épithéliale, on parle de pneumonie, et autant vous dire que l’heure n’est pas à la rigolade si on en arrive jusque là.

Les antibiotiques

Mais rassurez-vous, la cavalerie rapplique. Récapitulons, tout commence par une grippe. A ce moment, quand on est à la place du malade, on ne ressent que des signes habituels d’activation du système immunitaire : fièvre modérée, fatigue, douleurs musculaires. Ces signes font partie de notre réponse normale à l’infection : ils vont avoir pour effet qu’on va rester au chaud sous la couette : au chaud parce que la fièvre est associée à une sensation de froid, et sous la couette, parce qu’on est fatigué. Donc ça fait les affaires de l’organisme qui n’a plus à lutter contre le froid et l’exercice, il peut consacrer toutes son énergie à lutter contre le petit virus indésirable.
Mais, comme je vous l’ai décrit, bientôt une bronchite arrive : elle correspond à la réaction générique de nos bronches. C’est la réaction inflammatoire. On tousse, on produit des glaires pour évacuer l’intrus, quel qu’il soit, hors des bronches.

Si vous allez voir le médecin à ce stade, il fera rapidement le diagnostic d’une grippe, et si vous êtes une personne pas trop fragile, c’est à dire pas un nourrisson, une personne âgée, ou une personne avec d’autres maladies plus graves associées, il vous prescrira quelques amuse-bouche, comme du paracétamol et un sirop pour la toux, et vous dira de vous reposer. Et il aura raison.
Mais quelle question principale se sera-t-il posée intérieurement ? Il se demandera :  Y a-t-il bronchite, ou pneumonie ? La différence est majeure, car si les bactéries ont franchi le rubicon de la barrière épithéliale, il faut intervenir sans plus attendre, et dégainer les antibiotiques.

Les antibiotiques

Les antibiotiques ont fait de nombreuses apparitions précoces dans l’histoire de la médecine, mais leur utilisation massive est très récente, datant de moins d’un siècle.

C’est à Fleming, un scientifique écossais, que l’histoire a attribué la paternité de la découverte du premier d’entre eux : la pénicilline. Pour la petite histoire, cette découverte s’est faite par hasard en 1928: Fleming est parti en vacances, et en revenant, il a remarqué que ses cultures bactériennes avaient été contaminées par un champignon du genre Penicillium. D’abord, ça l’a mis en colère. Ensuite, il a remarqué que les champignons avaient empêchés la croissance des bactéries à leurs alentours. Il a analysé le contenu de ses culture, et a isolé un composé qui permettait d’empêcher à certaines bactéries de se multiplier… Quelques années plus tard, le premier antibiotique sortait!

J’ai bien résumé l’histoire, en réalité c’est une histoire très compliqué mais assez amusante sur les rivalités entre anglais et américains, sur fond de deuxième guerre mondiale, un petit peu comme la paternité du VIH que les américains ont essayé de nous piquer. Plus d’infos par ici!

Mais alors, qu’est-ce-que la pénicilline, et comment fonctionne-t-elle ?

Les bactéries sont des organismes qui ressemblent beaucoup à chacune de nos cellules. La principale différence est qu’elles ne possèdent pas de noyau, alors que nos cellules possèdent quasiment toutes un noyau. On dit que les bactéries sont des procaryotes, alors que nos cellules, et donc nous, sommes des eucaryotes. C’est une distinction assez fondamentale dans le monde du vivant : les procaryotes, et les eucaryotes. Une autre différence importante entre les bactéries et nos cellules est que les première ont une membrane beaucoup plus épaisse que celle de nos cellules. Les bactéries, qui sont des êtres unicellulaires confrontés à un milieu extérieur hostile, ont besoin d’un gros, gros, manteau, en comparaison à nos cellules qui sont finalement dans des conditions environnementales toujours relativement calmes et controlées.

D’ailleurs, les mots le montrent bien, dans le cas de nos cellules, on parle de membrane cellulaire, ou membrane plasmique, alors que pour les bactéries, on parle de paroi bactérienne. Pour construire cette paroi, les bactéries sont relativement embêtées, car en réalité, elles disposent d’une membrane, comme la notre, et à l’extérieur de celle ci, elles rajoutent une couche, beaucoup plus épaisse d’éléments protecteurs, qui forment la paroi. Elles sont embêtées car cette paroi est composée d’énormes molécules, ce sont des polymères (répétitions de pleins de petites molécules identiques), très longues, et ces molécules ne peuvent pas sortir par la première membrane cellulaire, elles sont beaucoup trop grosses. Comment faire donc ? La solution trouvée par la bactérie est de faire sortir les petites briques élémentaires des polymères, les monomères, pour ensuite les assembler à l’extérieur, en faisant sortir les enzymes nécessaires. J’ai deux images pour vous aider à vous représenter les choses : les maquettes de bateaux dans les bouteilles en verre, pour contourner le problème du goulot, on rentre les pièces, puis on les assemble à l’intérieur, et 2ème image l’assemblage de la station spatiale internationale en orbite : on envoie d’abord les éléments un par un, puis on assemble dans l’espace, car tout envoyer d’un coup serait trop cher, et plus difficile.
Bref, donc, la bactérie fait sortir les petites briques, d’une part, et les enzymes necessaires à l’assemblage d’autre part, pour construire sa paroi. Je vous passe le nom des composants de la paroi, il n’a pas grande importance, en revanche, savez-vous comment sont appellées les enzymes utilisées pour assembler les briques de la paroi ? On les appelle les PLP, ou Protéines Liant la Pénicilline.

Voilà, vous avez compris, la pénicilline se lie à ces enzymes, et empêche leur fonctionnement. La bactérie est incapable de synthétiser sa paroi, et de l’entretenir, ce qui est indispensable à sa survie. La pénicilline a un effet bactéricide : elle tue les bactéries.

Les résistances aux antibiotiques

Donc, les pénicillines, les, parce qu’il y en a plusieurs apparentées :), les pénicillines tuent les bactéries. Toutes les bactéries ? Non, loin de là.

Vous souvenez-vous de la manière dont on les a découvertes ? Les pénicillines étaient présentes dans le milieu de culture du Dr Fleming, contaminé par le champignon du genre Penicillium. En fait, les pénicillines sont synthétisées par les champignons, dans le but d’empêcher les bactéries de venir digérer leurs nutriments : oui, les champignons et certaines bactéries occupent la même niche écologique : la fermentation des sucres.
Donc les champignons et les bactéries sont en guerre pour les susucres, depuis, disons, des millions d’années pour être gentil, et les pénicillines sont l’arme ultime développée par les champignons pour renvoyer les bactéries dans les abîmes insondables d’où elles proviennent 🙂

A noter qu’on aurait apprécié que les bactéries aient la gentillesse de nous synthétiser également des composés anti-champignons, dits anti-fongiques, pour qu’on puisse leur piquer, comme les pénicillines ! Mais non ! Quelle vulgarité ces bactéries 🙂 D’ailleurs, ironiquement, la plupart des composés antifongiques dont on dispose nous sont fournis par les champignons eux-mêmes qui ont en revanche le bon goût de s’en mettre plein la poire entre eux de ce coté-là. Quand il s’agit de susucre, y a plus de famille qui tienne, c’est chacun pour soit 😀

Enfin tout ça pour dire que si les bactéries n’ont pas la civilité de nous avoir préparé des comp

osés antifongiques au fil de l’évolution, elles ont même l’outrecuidance d’avoir trouvé des moyens de résister aux pénicillines… Et force est de reconnaître que le contraire aurait été étonnant, depuis le temps qu’elles y sont confrontées.

Donc vous l’aurez compris, les pénicillines ne sont pas actives sur toutes les bactéries. La pénicilline G, benzylpénicilline, qui est la première de toutes les pénicillines commercialisées a un spectre d’action limité à certaines bactéries.

D’abord, certaines bactéries ont une paroi un petit peu plus complexe que cette que je vous ai décrite précédemment, à savoir, une membrane comme celle de nos cellules, on l’appelle membrane plasmique, recouverte par une couche épaisse, le protéoglycane.

Voilà finalement je ne vous aurais pas fait grâce du nom de cette paroi 😀 Les bactéries qui ont cette structure de paroi : membrane plasmique + protéoglycane sont dites GRAM +. Là cette appellation, si vous voulez retenir un truc important dans ce dossier, c’est cette notion de Gram + et, on va y venir, gram -. C’est fondamental en bactériologie. C’est comme la différence entre les plantes et les animaux, presque : Gram+ et Gram-.
Et ça s’appelle Gram parce-que c’est le nom du chercheur qui a mis au point la méthode permettant de révéler cette distinction. L’autre groupe de bactéries, les GRAM – donc, a une architecture plus complexe à savoir : une membrane plasmique, un protéoglycane, pour l’instant c’est comme les GRAM +, et l’ensemble recouvert par une troisième membrane, appellée membrane externe, et qui ressemble à la première, ou membrane plasmique.

Donc je récapitule, les bactéries GRAM + ont une membrane plasmique, recouverte par le protéoglycane. Les bactéries GRAM – ont une membrane plasmique, le protéoglycane, et une troisième couche, la membrane externe.
Notez bien que certaines bactéries ne sont ni Gram +, ni Gram -, mais elles sont un peu rares, et donc on va les laisser tranquille pour cette émission. C’est le cas par exemple du bacille de Koch responsable de la tuberculose. Lui il a une paroi encore plus épaisse que tout le monde, c’est un vrai tank. Enfin bref, je m’égare.

La pénicilline G agit donc en bloquant les enzymes de synthèse du protéoglycane, vous vous souvenez ? A priori, elles devraient agir sur les Gram + et les gram -, puisque les deux catégories ont cette couche de protéoglycane !
Raté, les Gram négatives sont résistantes naturellement : pourquoi ? La raison est toute simple : la troisième couche, la membrane externe qu’elles possèdent en plus des gram +, bloque l’accès de la pénicilline G au peptidoglycane.

Sacré avantage pour les Gram – !

Mais pour ce qui est de la résistance aux pénicillines, on va voir que les Gram + ne sont pas en reste, et ont trouvé, bien avant notre arrivée dans la bataille, des mécanismes pour échapper à ces pénicillines.

Les pénicillines ne sont pas stables, c’est la leur moindre défaut. Ce sont des composés chimiques un peu improbables avec notamment un cycle à 4 côtés, un carré en fait, dans leur structure.

Petit apparté pour éclaircir ce que je viens de dire, une structure cyclique en chimie, c’est le contraire d’une structure linéaire. Les atomes qui constituent le cycle sont liés ensemble pour former un cycle, comme des enfants qui se donnent la main en faisant la ronde.
Ces structures cycliques en chimie sont très fréquentes, mais les cycles sont stables lorsqu’ils ont 5 sommets minimum, en-dessous, ça devient un peu instable. Pour simplifier, on pourrait dire que les sommets des cycles sont constitués par les noyaux, et les cotés du cycle sont formés par les électrons. Et quand le nombre de sommet diminue, l’angle entre les cotés diminue également, donc les électrons se rapprochent, et vous savez que les électrons n’aiment pas se rapprocher. Donc voilà, quand on rapproche trop les électrons, le cycle se casse !

Fin de l’apparté, donc les pénicillines, avec leur cycle à 4 cotés, appelé cycle béta-lactame, sont très instables. Et les bactéries Gram + ont trouvé une parade grâce à cette propriété : elles synthétisent une enzyme qui permet de détruire les pénicillines, c’est très facile, puisque le cycle bétalactame est très fragile !
Cette enzyme s’appelle une bétalactamase, et en la secrétant autour d’elle, la bactérie détruit toute forme de pénicilline G qui oserait s’approcher. Voilà de quoi être tranquille ^^
Pour résumer, voir si vous vous souvenez de tout, la pénicilline bloque la synthèse du protéoglycane bactérien, constituant essentiel de la paroi, en agissant sur les PLP, protéines liant la pénicilline, responsables de sa synthèse. Cependant les bactéries à Gram négatif possèdent une membrane externe qui les protège contre l’action des pénicillines, et certaines bactéries gram positif possède une enzyme appellé bétalactamase qui les protège également en détruisant le fragile cycle bétalactame des pénicillines.
Voilà, plus ou moins, l’état des lieux à notre arrivée dans la bataille entre champignons et bactéries.
La plupart des bactéries gram + ne possèdent pas de bétalactamase, car fabriquer une enzyme coûte de l’énergie à la bactérie, et finalement, il y a plein d’endroits où on est pas embété avec ces histoires de pénicilline.

Après avoir compris comment fonctionnait les pénicillines, on a également découvert comment certaines bactéries avaient trouvé le moyen de se prémunir contre elles, avec ces bétalactamases. Et c’est là que l’homme a commencé à mettre son petit grain de sel…

Les chimistes ont cherché à synthétiser une molécule qui résistait à ces bétalactamases, et, assez rapidement, ils ont trouvé : la méticilline. Quel est le principe de cette résistance aux bétalactamases ?
En fait, en rajoutant une chaîne très longue et très encombrante à la pénicilline G originelle, on bloquait l’accès de la bétalactamase à la pénicilline, et la bétalactamase perdait son efficacité tandis que la pénicilline, en l’occurence la méticilline, la retrouvait ! C’est comme quand on mettait du chewing-gum dans la serrure de la salle où on allait avoir un contrôle de maths. Encore que pour que l’exemple colle parfaitement, il aurait fallu pouvoir mettre le chewing-gum sur la clé. Dans cette exemple, la bétalactamase serait la serrure, et la clé serait la pénicilline. On rajoute un gros chewing-gum, et le tour est joué, la clé ne rentre plus dans la serrure 😀

L’homme venait de faire son entrée dans la bataille. C’était en 1959, avec la découverte de la méticilline. On appelle les molécules dérivées de cette méticilline, les pénicillines M, logique non ?

Une autre des améliorations que l’homme a apporté à la pénicilline est la faculté d’aller s’attaquer aux bactéries Gram -, qui, on l’a vu tout à l’heure, semblaient protégées grâce à leur membrane externe.
En fait, cette membrane externe est porée à de nombreux endroits, pour laisser passer l’eau et la bidoche les constituants dont la bactérie à besoin pour survivre. En 1961, les chimistes ont réussi à synthétiser une nouvelle pénicilline qui pouvait se frayer un chemin à travers la membrane externe des bactéries gram -, pour aller bloquer la synthèse de leur protéoglycane. C’était l’ampicilline, chef de file des pénicillines A. Vous connaissez l’amoxicilline ? bah c’est la p’tite p’tite p’tite fillote de l’ampicilline, une pénicilline A. Son nom commercial, le Clamoxyl®.
Avec la méticilline, chef de file des pénicillines M, qui pouvait s’attaquer à toutes les bactéries gram positives, même celles qui ont une bétalactamase, et l’ampicilline, chef de file des pénicillines A, qui pouvait s’attaquer aux bactéries gram négatives, on semblait être en mesure de neutraliser n’importe quelle bactérie ! Mais rapidement on a déchanté.

Staphylococcus Aureus, une bactérie gram positive a développé une résistance, par un nouveau mécanisme, à la méticilline, à peine 2 ans après la découverte de celle-ci. Tout le monde était un peu surpris par la coriacité de ces bactéries, et c’était loin d’être fini. On lui a donné un nom du coup, Staphylococcus Aureus Résistant à la Méticilline, où SARM. C’est un peu une star, chez les bactéries, un genre de Vercingétorix, quoi.
En fait, tout simplement, elle modifiait ses PLP. Les enzymes de fabrication de la paroi : bah elle en changeait, et du coup, les pénicillines ne les retrouvaient plus 🙁

Quant aux bactéries gram négatives, idem, on s’est aperçu qu’elles étaient également productrices de bétalactamases. Et les pénicillines A ne sont pas protégées contre les bétalactamases, par une grosse chaîne encombrante, comme les pénicillines M …
On ne peut pas rajouter de grosses chaînes encombrantes aux pénicillines A pour les rendre inaccessibles, car si on le faisait, elles ne pourraient plus passer par les pores de la membrane externe des bactéries gram -. Ca se complique, hein ?

Dans les deux cas, on tombait sur un os. Pour les PLP qui changent, on est coincé, y a rien à faire, par contre, pour les bétalactamases des Gram – …

On a trouvé une autre solution : on crée un leure à bétalactamases. En ajoutant aux pénicillines A une petite molécule qui a beaucoup d’affinitié pour les bétalactamases, on occupe celles-ci pendant que la pénicilline A peut aller faire son boulot en bloquant les PLP, et on a gagné ! Cette petite molécule qui inhibe les bétalactamases, c’est par exemple l’acide clavulanique, sorti au début des années 1980, ou bien, le tazobactam, sorti au début des années 1990. Ces deux molécules appartiennent à la famille des inhibiteurs de bétalactamases. Grâce à eux, les pénicillines A retrouvent leur activité sur les bactéries Gram négatives, et positives.

Cette association pénicilline A + inhibiteur de bétalactamase est un des antibiotiques les plus prescrit. En molécule, cela donne amoxicilline + acide clavulanique. C’est l’Augmentin®, vous connaissez non ?

Ensemble, ces deux molécules restent actives sur la grande majorité des germes auxquels nous sommes confrontés. Je vous ai dit que l’acide clavulanique a été découvert il y a une trentaine d’année, et il marche toujours, mais je vous tromperai si je ne vous en parlais pas, toutes les études sont formelles, les résistances progressent. Et les journalistes ne se privent pas pour en parler.

Bientôt plus d’antibiotiques ?

Qu’en est-il vraiment ?

Il y a beaucoup d’études alarmistes sur l’évolution des résistances aux antibiotiques, et grosso modo, cela représenterai un travail monstre d’en faire le bilan. Cependant, on peut dire avec pas mal de certitude, que globalement, le pourcentage de bactéries isolées de certains prélèvements (sang, pus, etc), augmente assez lentement, d’années en années.
Mais cette augmentation n’est pas inexorable : les politiques de santé publique destinées à faire baisser les résistances sont généralement utiles, et lorsqu’on arrète d’utiliser une molécule à tout bout de champ, le pourcentage de résistance diminue au sein de la population bactérienne.

Un peu de sélection naturelle

Pourquoi ?
La réponse est très simple : sélection naturelle !

Vous vous souvenez, la sélection naturelle, c’est trois principes : variation, adaptation, et hérédité. Ici, la variation est la présence au sein de la population d’un mécanisme de résistance. Certaines bactéries l’ont, d’autre pas. Ensuite, l’adaptation : cette variation permet, dans les écosystèmes un peu hostiles où les antibiotiques sont fréquents, à la bactérie possédant le gène de résistance de survivre mieux et se reproduire mieux que celles ne l’ayant pas. Et enfin, hérédité, la bactérie transmet ce gène à sa descendance : moralité : la fréquence du gène de résistance augmente au sein de la population bactérienne, si la population est soumise à l’antibiotique.

A contrario, dans un environnement où l’antibiotique n’est pas présent, posséder le gène de résistance n’apporte aucun avantage adaptatif, voire un désavantage. Et c’est pour ça que quand on arrête d’utiliser une molécule, le taux de résistance redescend.

Ce mécanisme est aussi responsable de ce qu’on appelle l’effet barrière de la flore commensale.  L’un des avantages à héberger gracieusement tout plein de bactéries sur nous, c’est qu’elles nous protégent également contre des bactéries éventuellement plus virulentes, en les empêchant tout simplement d’occuper le terrain, et en les soumettant à la sélection naturelle !

Et empiler des enzymes de résistance aux antibiotiques n’est pas un atout pour s’imposer au milieu des bactéries, au contraire, c’est plutôt un caractère négatif, tant que la population bactérienne n’est pas au contact des antibiotiques en question ! Voilà pourquoi lorsqu’on utilise moins, et à bon escient, une molécule antibiotique, les bactéries qui possèdent des enzymes de résistance à cette bactérie vont voir leur nombre progressivement diminuer au sein d’une population. On se sert de la guerre que se font les bactéries entre elles pour préserver nos armes… Diviser pour mieux régner !

Donc il y a deux règles qui se dégagent de ces principes de biologie :
1) en utilisant le moins possible une molécule antibiotique, on diminue la fréquence des mutants : ” les antibiotiques, c’est pas automatique”
2) Deuxième idée importante: les mécanismes de résistances émergent plus facilement lorsque les populations sont soumis à des doses faibles, pendant de courte durée. De cette manière, la résistance peut émerger progressivement, et les bactéries “ont le temps” de trouver des mécanismes qui fonctionnent. Alors que si on soumet directement une population à une grosse dose d’antibiotique pendant une longue durée, tout les bactéries cassent leur pipe et personne ne résiste. C’est pour cela qu’il est important de poursuivre les traitements jusqu’au bout, même si on va mieux : pour bien toutes les bactéries jusqu’à la dernière qui seraient en train de commencer à tenter de résister à l’antibiotique.

Antibiotiques d’élevage

C’est une des raisons pour laquelle l’utilisation d’antibiotique dans l’élevage fait grincer des dents. Plus de la moitié des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux d’élevage ! Et autant vous dire que si on prive une maman d’antibiotique quand son bébé va pas bien, c’est difficile de lui faire accepter qu’on les distribue à la pelle aux veaux, vaches, cochons, poulets, de par le monde ^^

Aux Etats-Unis, par exemple, les antibiotiques sont même utilisés comme facteurs de croissance : en diminuant la flore commensale, ils améliorent l’absorption des nutriments par les animaux d’élevage, ce qui augmente les revenus de l’éleveur, qui peut ainsi faire des économies sur la ration alimentaire de l’animal.
En Europe, les règles sont un peu plus strictes : on n’utilise aucun antibiotique utilisé également chez l’homme pour soigner ou prévenir les infections chez les animaux. Et l’utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance est interdite.

De cette manière, vue que les bactéries qui infectent l’homme et les animaux d’élevage ne sont pas toujours les mêmes, et que les antibiotiques ne sont pas les mêmes du tout, on limite l’impact sur l’évolution des résistances. Mais ces mesures sont insuffisantes, et on a montré que les résistances développées par les bactéries d’animaux d’élevage, pouvaient par différents mécanismes, augmenter les résistances des bactéries humaines aux antibiotiques.

La question est donc loin d’être résolu… C’est plus une question de société qu’une question scientifique, je crois…

Mais revenons-en à l’émergence des résistances chez les bactéries humaines

La tendance globale reste à l’augmentation des résistances.

Rassurez-vous, cette augmentation est lente, d’une part, et d’autre part, plus ou moins controllée. L’une des stratégies utilisée à l’échelon public pour lutter contre les bactéries et d’”user” toujours les mêmes molécules : les recommandations conseillent toujours d’utiliser les molécules les plus simples et les moins évoluées.
De cette manière, les résistances peuvent éventuellement progresser, mais quelque part, on s’en fiche, car on fait exprès de se garder sous les coudes des molécules dont on se sert jamais, et qui ont, elles une efficacité foudroyante sur les germes qui deviendraient trop gênants. La plupart du temps, on a pas besoin de se servir de ces molécules, car l’immunité naturelle et les antibiotiques de première ligne suffise à venir à bout de la bactérie. Et de ce fait, les résistances n’apparaissent pas.

L’exemple parfait est celui des carbapénèmes : c’est une famille de molécule dont les résistances sont rarissimes en France, parce-qu’on utilise la molécule à bon escient. En revanche, les résistances importées sont rares, mais existent. Parce-que si on utilise la molécule à tout bout de champ, inévitablement des résistances émergent.

http://cid.oxfordjournals.org/content/42/5/657.long

Voici un rapport paru dans le Clinical Infectious Diseases Oxford Journal. Ce rapport présente une liste des bactéries qui risquent de poser des problèmes dans les années à venir, en résistant à nos antibiotiques les plus performants : parmi elles, ce bon vieux SARM, vous vous souvenez ? Il avait surpris tout le monde en devenant résistant à la trouvaille des chimistes, les pénicillines M, pour bloquer ses bétalactamase, à peine 2 ans après leur découverte. Bah il nous donne encore du fil à retordre…

Bref, ce rapport nous permet de comprendre le noeud du problème, qui est avant tout économique. En fait, les antibiotiques dont nous disposons, et je ne vous ai décrit qu’un bout de la principale famille, suffisent largement à traiter les bactéries du commun des mortels.

Le problème est statistique. Tant que nos antibiotiques existants suffiront à combattre l’immense majorité des bactéries, comme c’est le cas actuellement, les grands laboratoires n’auront aucun intérêt à développer de nouvelles molécules, qui coûtent très chères à développer, et qui finalement ne rapportent pas grand chose, puisque la politique serait de s’en servir le moins possible… Et c’est le cas actuellement, les molécules en cours de développement sont rares. Et c’est la raison pour laquelle les médecins ne cessent de tirer la sonette d’alarme !

Evidemment, les souches nosocomiales, constamment confrontées aux antibiotiques dans les unités de soins intensifs finissent par empiler les mécanismes de résistances et, il arrive que des souches deviennent totorésistantes, c’est à dire, résistantes à tout. Mais les laboratoires ne développent pas de nouvelles molécules pour des cas sporadiques. C’est cynique, mais finalement, ça se comprend. Une des solutions serait de permettre aux laboratoires de faire entrer le coût de la recherche dans le prix des médicaments qu’ils commercialisent. Mais là, ça couterait très cher, et deviendrait une charge très lourde pour les caisses d’assurance maladie. Le prix des boîtes peut atteindre facilement plusieurs milliers de dollars, lorsque le laboratoire doit répercuter le coût de la recherche…  La question est plus une question de société, qu’une question scientifique, à mes yeux…

Pour finir et pour conclure, vous vous souvenez du SARM ? Bon, bah pour s’en débarasser, on utilise un antibiotique qui s’appelle la vancomycine. Et vous savez depuis combien de temps on utilise cette antibiotique ? Depuis 1956, et ça continue de marcher, malgré une utilisation intensive dans l’élevage, en plus !

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