Théorème du sandwich au jambon, bretzel et découpes en tous genre… Un repas ordinaire chez les matheux

Billet diffusé dans le cadre de la soirée Radio-Dessinée “Une expérience presque parfaite”, à Lyon le 15 juin 2013


Évidemment, pour un repas de matheux, quelques mets s’imposent d’eux-mêmes : donuts, naturellement, qui ont le bon goût d’être de genre 1, c’est à dire avec un trou, comme la tasse à café, mais surtout pas comme le bol ou l’assiette, qui eux sont des sphères, de genre 0. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus que ces objets sont de la même famille (enfin d’un certain point de vue), prenez un ballon, et dégonflez-le. Vous pourrez bien sûr lui donner la forme d’un bol…

… voire d’une assiette en tirant très fort, mais certainement pas d’une chambre à air, ou alors il faudra sortir les ciseaux. La tasse a café, en revanche, n’a que très peu de différence avec la bouée : pour vous en rendre compte, dégonflez un ballon sauteur à poignée…

La ressemblance saute aux yeux !
Une fois dégonflé, on pourra à loisir faire une partie “tasse” pour le café, tandis que la poignée se transforme en anse… Les bretzels ont eux trois trous !

Et certaines fougasses encore plus…

Le beignet a également l’intérêt de pouvoir se couper en deux parties qui restent attachées l’une à l’autre, Georges Hart a même donné le mode d’emploi en photo et vidéo. Cela pose quelques problèmes pour le griller, mais c’est hyper classe.

On peut même en faire un ruban de Mobius.

Au menu également, des concombres, des carottes, pour obtenir des “coniques” : cercles, ellipses, et même morceaux de paraboles ou d’hyperbole selon que l’on coupe plus ou moins en biais. Le pain de mie est également apprécié : en s’y prenant bien, on peut obtenir un certain nombre de tranches en forme d’hexagones réguliers… La pastèque en revanche n’a aucun intérêt de ce côté : quelle que soit la façon dont on coupe, on ne peut obtenir que des disques, c’est nul. Mais si l’on s’intéresse aux “géométries non-euclidiennes”, qui se passent sur des mondes non-plats, c’est intéressant. Notamment pour tracer un triangle à trois angles droits. Et les chips sont toujours appréciées pour admirer l’autre géométrie possible : la géométrie hyperbolique (cf mon dossier sur les théorèmes de Gödel).

N’oublions pas des choux de toutes sortes pour avoir des fractales, un ananas pour son lien avec le nombre d’or, un sandwich jambon/gruyère, des gâteaux, et des pizzas, bien sûr, vous verrez pourquoi. En tous cas, on ne risque pas de mourir de faim.

Passons à table ! Gros problème : comme beaucoup, votre table a 4 pieds. Or chacun sait que si trois points sont toujours dans le même plan, et qu’une table ou un tabouret à trois pieds sont donc obligatoirement stables, ce n’est plus le cas pour 4 pieds. Il arrive ainsi très souvent qu’une table à 4 pieds soit bancale. Qu’à cela ne tienne ! On sait prouver mathématiquement un résultat très pratique : si les pieds de la table se trouvent aux sommets d’un carré, il suffit de tourner la table autour de son centre. Avant d’avoir fait un quart de tour, il est absolument certain qu’on arrivera à une position “stable”, c’est à dire dans laquelle les 4 pieds toucheront le sol… Qui a dit que les matheux n’avaient pas l’esprit pratique ? Vous pouvez l’essayer, ça marche à tous les coups.

Attaquons par le sandwich jambon fromage . Nous rencontrons un gros problème : deux personnes sont intéressées. Damn ! Va-t-il être possible de partager ce sandwich en deux parties équitables, c’est à dire avec autant de pain, de jambon et de fromage des deux côtés ? Rassurez-vous, le théorème Stone-Tukey, aussi appelé “théorème du sandwich au jambon“, nous affirme qu'”étant données n parties Lebesgue-mesurables et de mesures finies d’un espace euclidien de dimension n, il existe au moins un hyperplan affine divisant chaque partie en deux sous-ensembles de mesures égales” (je vous sens rassurés).

Autrement dit, votre sandwich peut avoir la forme la plus pourrie qui soit, le jambon peut être replié dans tous les sens, vous pouvez même remplacer le fromage par des morceaux de cornichons de toutes tailles, il existera toujours une (et une seule) façon de le couper en deux de façon équitable. On peut même prendre un sandwich jambon, fromage et cornichon, pourvu qu’il soit de dimension 4. En fait, ce sera possible pour un sandwich de dimension n avec n ingrédients.

Plutôt que de tenter une démonstration générale bien trop compliquée, je vais tenter de vous donner une idée de démonstration pour le sandwich SNCF, autrement dit le sandwich de dimension 2, avec deux ingrédients : du pain, et du jambon.

Prenez une direction de coupe, n’importe laquelle. Il existe nécessairement un endroit où on peut couper le pain en deux parties égales en suivant cette direction; il suffit pour s’en convaincre de faire passer le couteau au-dessus du pain en le gardant toujours dans la même direction. Une fois qu’on a repéré cet endroit, de deux choses l’une : soit le jambon est également coupé en deux parts égales, et on est content, soit ce n’est pas le cas. Alors il y a plus de jambon d’un côté du couteau que de l’autre. L’idée est de dire que si on tourne progressivement le couteau, en le déplaçant en même temps toujours à l’endroit où le pain est coupé en deux parties égales, la différence entre les quantités des deux morceaux de jambon obtenus à chaque fois va varier de façon continue. Or une fois que l’on a effectué un tour complet, cette différence est exactement l’opposée de celle observée au début. On est donc passé de plus de jambon d’un côté de la lame à plus de jambon de l’autre côté de la lame. Le théorème des valeurs intermédiaires et le bon sens nous disent donc qu’à un moment donné, il y avait autant de jambon des deux côtés…

Après tous ces efforts, un petit réconfort : Allons-y pour le gâteau. À propos gâteau, le “cake number” vous permet de savoir combien au plus vous pouvez obtenir de parts en n coups de couteaux. Le début de la suite est facile à trouver : on commence par couper en 2, puis en 4, en coupant chacune des parts obtenues en deux. Si c’est une tarte, on ne pourra pas faire mieux que 7 parts au coup suivant : en coupant en deux 3 des 4 parts déjà existantes. Mais si c’est un gâteau, on peut le couper horizontalement, de façon à encore couper chacune des parts en 2, et obtenir ainsi 8 parts. C’est la fois suivante que l’on n’y parviendra pas, et que l’on ne pourra pas faire mieux que 15 parts. Pour la suite, une formule existe…

3 parts, obélix!

Mais ces parts sont loin d’être équitables. Et si tout le monde connaît la fameuse méthode “je coupe, tu choisis“, qui en principe permet de ne léser personne lors d’un partage de gâteaux, dès que l’on est 3 ou plus, ça se complique ! Je renvoie pour ce sujet à une note d’El JJ, qui m’a salement coupé l’herbe sous le pied : je pensais faire mon intervention là-dessus avant de me rendre compte que c’était le sujet de sa dernière note !… Le même El JJ avait d’ailleurs également traité le grave problème de la pizza, résolu très récemment : quand les découpes de parts de pizza ne sont pas centrées, et que les deux personnes qui se la partagent mangent une part sur deux, qui en aura le plus ?

Pour finir, je pose donc à El JJ et à toutes les personnes intéressées un nouveau problème, sur lequel je n’ai rien trouvé (j’ai peut être mal cherché) et qui était le sujet de recherche d’un groupe de lycéens que j’encadrais cette année en atelier “maths en jeans“. Il s’agit d’une version un tout petit peu plus compliquée du “je coupe tu choisis” : la personne qui coupe a le droit de faire autant de parts qu’elle veut. Puis l’autre choisit une première part où il veut, et les deux protagonistes mangent ensuite une part chacun leur tour, en la choisissant de part et d’autre de l’ouverture. Voici les résultats auxquels les élèves sont arrivés : avec un nombre pair de parts, celui qui découpe ne peut pas espérer mieux que la moitié. Avec un nombre inférieur ou égal à 7 part, même chose. Mais il existe au moins un découpage à 15 parts qui permet à celui qui découpe d’en avoir plus que celui qui choisit en premier. Avis aux amateurs…

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