Les hormones sexuelles – L’orientation sexuelle

La première partie, largement indépendante, du dossier hormones d’Irène parle de la pillule.

Ce dossier a été présenté par Irène dans l’épisode #185.

Les hormones sexuelles (II) : rôle des hormones dans l’orientation sexuelle

Pourquoi y a-t-il des différences sexuelles dans les comportements humains ? Par exemple, pourquoi certaines filles qualifiées de ” garçons manqués ” préfèrent-elles jouer avec des garçons ou avec des jouets de garçons ? De même que certains garçons adorent se maquiller et mettre des robes.  Comme très récemment le fameux chanteur Conchita Wurst.  Et pour aller plus loin, pourquoi certains individus diffèrent-ils dans leurs orientations sexuelles, certains étant attirés par des partenaires de sexe opposé, tandis que d’autres le sont par ceux du même sexe, ou les deux?

Pour démarrer la discussion, on peut s’appuyer sur les travaux du chercheur Jacques Balthazart qui, à l’occasion de la parution de son livre “Biologie de l’homosexualité” affirme : On naît homosexuel, on ne choisit pas de l’être. Et il explique :

“Une partie des facteurs de l’homosexualité est génétique, c’est la partie que l’on connaît le moins bien”, a-t-il expliqué. “On a beaucoup plus de données sur la partie hormonale de ces facteurs. Il y a enfin une partie immunologique, une réaction immunitaire développée par la mère contre l’embryon de sexe mâle” qui affecterait les préférences sexuelles, soutient-il. 

Voyons un peu plus en détails ce qu’il en est :

-Les études épidémiologiques ont encore du mal à donner des chiffres, apparemment 3 à 4 % d’hommes et 1 à 2 % de femmes sont homosexuels.  Perso, je pense que c’est beaucoup plus, et je crois que les chiffres augmenteront avec le niveau de tolérance et d’acceptation, de compréhension et la reconnaissance de l’homosexualité comme une norme.

-Ce qui est essentiel à savoir, c’est que les études psychologiques ne mettent pas en évidence de facteur parental (ce n’est pas à cause de papa ou de maman et de leur attitude vis à vis de leur enfants, et je pense que vraiment c’est un point fondamental)  (Bell et al. 1981 Sexual preference: its development in men and women.  Bloomington, Indiana University Press). Et il y a beaucoup de recherche à ce sujet.

On parle souvent du père absent. Mais il y a des millions de mères célibataires et l’absence du père n’induit aucune augmentation de l’incidence de l’homosexualité.

Il y a aussi des sociétés traditionnelles, en Malaisie ou en Micronésie par exemple, où les relations homosexuelles sont imposées aux adolescents avant le mariage.  Là non plus, on ne constate pas d’incidence particulière de l’homosexualité à l’âge adulte. Pas plus que chez les garçons ayant eu des pratiques homosexuelles pendant l’adolescence du temps où l’école n’était pas mixte. 

-Les hommes qui ont des frères plus agés ont plus de chances d’être homosexuels (Blanchard, 2008. Review and theory of handeness, birth order and homosexuality in men.  Laterality, 12, 51-70).  Plus 30% de chance par frère plus agé. C’est significatif et un fait, ce n’est pas un concept.  Même si la raison n’est pas claire, certains comme Jacques Balthazar cité plus tôt pensent à une réaction immunitaire de la maman dirigée contre les composants mâles des foetus.  A chaque grossesse, la maman produirait des anticorps qui s’opposeraient au dévelopement du cerveau masculin.  Cette théorie est consistante avec le fait que les frères doivent être nés de la même maman, qu’il n’y a pas d’effet dans les  fratries de frères adoptés (Bogaert, 2006, Biological vs non biological older brothers and men sexual orientation.  PNAS, 103, 10771, 10774).

Mais cela suggère aussi une transmission par voie matriarcale. Trois études indépendantes indiquent l’existence d’une liaison entre la transmission de l’homosexualité masculine et des marqueurs situés sur une région bien précise du chromosome X.

-Chez les animaux, chez plusieurs centaines d’espèces on a vu au moins occasionellement des relations homosexuelles : grizzlys, gorilles, singes, flamands roses, béliers, dauphins, hérissons….

-Enfin, il est important de noter que l’homosexualité n’est pas un trait familial (Bailey, 2003, A therapist guide to the genetics of human sexual orientation, Sexual and Relationship therapy, 18, 1468-1479), il n’y a pas de familles d’homosexuel(lle)s.  Par contre et cela nuance, des vrais jumeaux ont un peu plus de chance d’être homosexuels que des faux jumeaux.  Mais l’orientation sexuelle est tellement différente dans les paires de vrais jumeaux que l’on sait que le facteur génétique n’est pas prédominant.  Par ailleurs, une étude itialienne montre que les hommes homosexuels ont plus de gens homosexuels dans la famille de leur mère que de leur père.  Il y aurait donc un matériel génétique transmis par les mères, responsable en partie de l’orientation sexuelle (Camperio Ciani A, Cermelli P, Zanzotto G (2008) Sexually Antagonistic Selection in Human Male Homosexuality. PLoS ONE 3(6): e2282. doi:10.1371/journal.pone.0002282)

Mais en fait, il semblerait que le facteur le plus important soit bien hormonal.  Pour rappel,  les hormones androgènes sont les hormones mâles, dont la plus importante est la testostérone.  On les trouve aussi chez les femelles, mais en quantité bien moindre.

Des manipulations sur des animaux (rats, moutons) ont permis d’induire des inversions sexuelles.  Autrement dit, on sait qu’exposer des animaux femelles à la testostérone au cours du développement précoce, à un moment bien établi de la gestation, induit un comportement mâle chez l’adulte ; à l’inverse, inhiber la production de cette hormone lors du développement du mâle conduit à un comportement plus féminin.

Chez l’homme on sait maintenant qu’il y a une période critique (entre 2 et 5 mois après la conception), pendant laquelle les taux d’hormones ont un effet critique sur l’orientation sexuelle.  Ainsi si un foetus mâle est exposé à un taux de testostérone relativement haut (bas), le garçon sera attiré par les hommes (femmes).  Si un foetus femelle est exposé à un taux de testostérone relativement haut (bas), la fille sera attirée par les garçons.

La plupart des femmes exposées au cours du développement prénatal à des taux de testostérone élevés montrent une attirance accrue envers des partenaires de même sexe

En médecine, on sait que des fillettes exposées à des taux d’hormones mâles anormalement élevés au cours de leur vie intra-utérine en raison de désordres génétiques tels que l’Hyperplasie Congénitale Surrénalienne (CAH), (hyperproduction de la glande surrénalienne, sur le rein, d’origine génétique) ont plus d’attirance pour les jouets traditionnels de garçon, petites voitures et armes, que pour les poupées. Elles sont aussi attirées par des activités de garçon, et jouent préférentiellement avec eux.  De plus, ces changements d’orientation sexuelle semblent corrélés à la sévérité du ” CAH “, suggérant une relation dose-réponse. 

Des études ont montré aussi que les mères de fillettes très ” féminines ” présentent des taux de testostérone plus faibles durant la grossesse que celles de filles très “garçons”.

Une preuve majeure du rôle essentiel de l’imprégnation androgénique précoce sur le comportement humain provient d’études portant sur les jeux des enfants mais aussi de singes.  Les primates non humains montrent des préférences similaires à celles des humains en ce qui concerne les jouets à caractère sexuellement orienté, suggérant que les choix préférentiels des filles et des garçons font partie de notre patrimoine ancestral.

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Des singes vervets au contact de jouets à caractère sexué . Gauche : femelle avec une poupée Droite : mâle avec un camion

Adapté de Alexander & Hines, Evolution and Human Behavior (2002) 23: 467-479

Ces recherches corrélant le choix des jouets par l’enfant en fonction de l’exposition prénatale à la testostérone remettent donc en cause la notion selon laquelle l’attirance pour les jouets dits “de garçon” ou “de fille” dépend de l’éducation et du contexte social.  

-Le biologiste Simon LeVay, lui même homosexuel, s’est attaqué au problème de la différence de cerveau entre les hétéro et homosexuels (Levay, 1991, A difference in hypothalamic srtucture between heterosexual and homosexual men.  Science, 253, 1034-1037) et a en effet découvert des différences de structure.

De fait, on connaît maintenant beaucoup de différences physiologiques entre les homosexuels et les hétérosexuels : différence de structure de l’oreille interne, des empreintes digitales (pour la plupart des gens il y en a plus à droite qu’à gauche et ceci est encore plus prononcé chez les homosexuels), certaines aires du cerveau ont des structures différentes, il y a plus de gauchers chez les hommes homosexuels, longueurs relatives des doigts…  Les hommes homosexuels ont les mêmes capacités à résonner en 3 D que les femmes hétérosexuelles (à peu près nulles pour moi par exemple).

A propos de l’oreille interne : Il s’agit plus précisément des émissions dites otoacoustiques (EOA).

On a découvert que l’oreille interne, en plus de sa fonction auditive, émet des sons sous forme de clics à peine audibles. Or les femmes, dès l’enfance, en produisent plus que les hommes et en plus grande amplitude. C’est vrai aussi des femelles chez d’autres mammifères. On pense que la faiblesse des EOA chez les mâles est le résultat de l’exposition aux androgènes pendant la vie fœtale et ceci a été clairement démontré chez diverses espèces animales.

Un indice probant vient d’études sur l’hyène. Dans cette espèce, les femelles sont fortement masculinisées par les androgènes in utero et immédiatement après la naissance, au point que leurs structures génitales sont à première vue semblables à celles des mâles. Le clitoris est tellement hypertrophié qu’on le prend pour un pénis. Et, dans cette espèce, l’amplitude des EOA n’est pas plus grande chez les femelles que chez les mâles ; elle est même légèrement inférieure.

De plus, si on traite une mère en gestation avec des antiandrogènes, les petits présentent une amplitude des EOA supérieure à la normale. Le même résultat s’observe chez le mouton. Or on a découvert que les femmes lesbiennes ou bisexuelles ont des EOA masculinisés, suggérant qu’elles ont été exposées à une concentration anormalement élevée de testostérone pendant leur vie embryonnaire. C’est également le cas des femmes qui ont vécu in utero avec un frère jumeau et ont donc été potentiellement exposées à un taux légèrement plus élevé de testostérone.

Aussi de nombreuses maladies cérébrales montrent des différences sexuelles marquées, par exemple l’autisme, la schizophrénie et la maladie d’Alzheimer sont des maladies dont souffrent plus les hommes que les femmes. Beaucoup de ces maladies ont été associées avec une modification de l’équilibre de certains neuromédiateurs. Ces disparités sexuelles suggèrent un rôle important pour les hormones gonadiques dans l’origine de ces maladies. De faibles taux d’oestrogènes sont associés à un risque accru de schizophrénie. 

Il existe aussi des arguments évolutifs.  Selon Jacques Balthazar (je cite):

“Il y a une continuité évolutive des espèces: en effet l’aire préoptique dans le cerveau existe chez l’homme comme chez tous les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons.  Or le rétablissement d’un comportement sexuel chez le mâle castré en lui implantant de la testostérone dans cette aire a été réalisé chez toutes les espèces d’oiseaux et de mammifères que l’on a étudiées.

Le fait que l’on puisse manipuler l’orientation sexuelle d’animaux de notre famille, les mammifères, en intervenant sur l’aire préoptique, est un argument clé, parce que l’orientation sexuelle est un caractère sexuellement différencié qui joue un rôle crucial dans le succès reproductif d’une espèce. Je vois mal, comme certains le disent, que dans l’évolution de la lignée humaine ce contrôle aurait pu se perdre au profit de l’éducation, beaucoup plus labile et aléatoire. “

Comment ça marche ?

Initialement, les embryons sont bipotentiels en ce qui concerne le sexe mais c’est l’information portée par le chromosome Y qui déclenche l’activation des testicules fœtaux ; à 8 semaines de gestation, ils produisent de la testostérone, à des taux similaires à ceux du mâle adulte. Par contre, les ovaires fœtaux ne produisent que peu de testostérone. Il en résulte une différence sexuelle marquée dans le taux de testostérone au cours de la gestation dans l’espèce humaine.  La présence, dans le cerveau en développement, de récepteurs à la testostérone et autres hormones mâles, permet aux hormones de modeler le développement du cerveau, orientant le comportement ultérieur tout au long de la vie. Ces effets sur les comportements semblent dépendants de la testostérone et de ses dérivés qui contrôlent les processus basiques de développement du cerveau chez les rongeurs, mais aussi chez les humains (R. Churaa et col, « Organizational effects of fetal testosterone on humancorpus callosum size and asymmetry Lindsay », Psychoneuroendocrinology, vol. 35, no 1, 2009, p. 123) permettant ainsi à certains neurones de vivre ou de mourir, déterminant leurs connexions et la nature de leur identité neurochimique.

Ainsi au cours de la petite enfance on pense que les hormones “organisent” le cerveau. Les mâles sont exposés à des niveaux élevés de testostérone secrétée par leurs testicules et qui montrent plusieurs pics : au début de la vie embryonnaire, juste après la naissance et à nouveau à la puberté. Les femelles, au contraire, se développent en l’absence de ces niveaux élevés de testostérone.

Dès lors que la phase d’organisation péri-natale est achevée, le sexe cérébral est fixé définitivement et requiert simplement à la puberté les deux hormones sexuelles appropriées pour activer le comportement correspondant.

Si la composante biologique est forte, comment peut-on l’expliquer, du point de vue de la théorie de l’évolution ?

Il existe plusieurs hypothèses. Le vrai sujet est l’homosexualité exclusive. Comment expliquer que l’évolution, qui vise à maximiser la reproduction, ait permis son apparition et sa persistance ? Il faut d’abord observer que ce n’est pas le propre de l’homme. Il existe au moins une espèce chez qui elle existe de manière incontestée : le mouton des montagnes Rocheuses. Il faut donc admettre qu’il y a un avantage caché associé.

Une hypothèse est celle d’une hypersexualité des femmes appariées. Une étude récente montre que les mères, les grands-mères, les tantes ou cousines d’hommes homosexuels ont plus d’enfants que celles des hétérosexuels. Une autre hypothèse est que les homosexuels, dans les conditions difficiles de notre histoire évolutive, ont aidé leurs parents proches à assurer la survie de leurs enfants. Dans les deux hypothèses, la sélection favorise les gènes qui prédisposent à l’homosexualité.

Notons enfin qu’il y a des chercheurs qui réfutent absolument ces données et affirmations.  Je pense notamment à la très célèbre et médiatisée Catherine Vidal, docteur en neurologie, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, dont les travaux de recherche ont notemment porté sur le rôle du cortex cérébral sur la mémoire, et qui a reçu en 2006 le Prix de l’Académie des sciences morales et politiques, qui en féministe convaincue réfute l’origine biologique du sexe du cerveau, et y voit au contraire les conséquences de pressions sociale et familiale, qui agissent dès la gestation sur le fœtus.  Il y a aussi beaucoup de récupération politique, comme on a pu le voir en début d’année avec la ‘théorie des genres’ qui a crée des débats un peu violents au sujet de l’école.  Cette théorie est une sorte d’ersatz, créée par la droite catholique française, qui s’inspirait des ‘gender studies’ des Etats Unis,  mais en les déformant.  Il s’agissait au départ d’enseigner et de questionner l’égalité des sexes, mais certains ont vu rouge et ont construit des affabulations autour de ce projet.

Pour finir sur une note sympathique, je voulais vous parler de : 

L’indice de Manning

Les recherches ont montré que la longueur de l’index est directement influencée par la quantité d’estrogènes chez le fœtus humain, tandis que la longueur de l’annulaire serait influencée par la testostérone. Outre le niveau d’exposition à l’une et l’autre de ces hormones, on a constaté que l’annulaire renferme davantage de récepteurs à la testostérone, ce qui suggère que plus ces récepteurs reçoivent des concentrations élevées de testostérone, plus ce doigt se développe au cours de l’embryogenèse. Ainsi, en raison de cette relation entre l’exposition aux stéroïdes sexuels et la longueur de l’index et de l’annulaire, la recherche sur le rapport 2D:4D ne se résume pas à une lecture des lignes de la main comme une diseuse de bonne aventure !

Le rapport serait en moyenne d’environ 1 pour les femmes, et de 0,96 pour les hommes.

Donc la longueur de ces deux doigts serait un indice renseignant sur le degré d’exposition aux hormones sexuelles au stade fœtal, ce qui pourrait expliquer un certain nombre de différences de comportements. On sait que l’exposition à ces stéroïdes influe sur divers aspects morphologiques, par exemple la symétrie du visage, et que les variations de ce degré d’exposition sont également liées à des différences comportementales et de personnalité.

Les résultats montrent que contrairement aux idées reçues, la taille des doigts en soi n’indique rien sur la taille du pénis. 

En conclusion,  avoir de grands doigts ou de petits doigts ne permet pas de prédire la taille du sexe. Par contre, c’est le rapport entre la taille de l’index et de l’annulaire qui peut fournir certaines informations sur la longueur du pénis.  Ainsi plus un homme a un index court par rapport à son annulaire plus il a tendance a avoir un long pénis.

Et puis si cela vous amuse ou vous intrigue ou vous inspire, sachez aussi que la distance ano-génitale est aussi une mesure utilisée pour traduire le taux de certaines hormones auxquelles l’individu a été exposé pendant la grossesse, ou peut-être dans la prime enfance.

Je vous laisse à vos mètres de couturier…

Références

-Exploring psychology, David Meyers,  Worth Publishers

-Endocrinologie,  J Hazard et L.  Perlemuter.  Ed Masson

-Wikipédia 

-Salazar-Martinez E, Romano-Riquer P, Yanez-Marquez E, Longnecker MP, Hernandez-Avila M., « Anogenital distance in human male and female newborns: a descriptive, cross-sectional study », Environ Health, vol. 3, no 1, 2004, p. 8

–  « Fonction de reproduction, différences entre espèces : organes génitaux externes » [archive] in: Reproduction et environnement, Inserm, 2011

http://www.psycho-ressources.com/bibli/femmes-et-hommes.html

Quotes

“In itself, homosexuality is as limiting as heterosexuality: the ideal should be to be capable of loving a woman or a man; either, a human being, without feeling fear, restraint, or obligation.” 

Simone de Beauvoir

“If Lacan presumes that female homosexuality issues from a disappointed heterosexuality, as observation is said to show, could it not be equally clear to the observer that heterosexuality issues from a disappointed homosexuality?” 

Judith Butler 

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