Dossier – Evolution vs créationnisme 2/3 – Les arguments fallacieux des opposants à la théorie de l’évolution

Dossier de l’épisode #40.

Internet est devenu le principal outil d’information mais, revers de la médaille, c’est devenu aussi le terrain numéro 1 pour faire de  la propagande. Et si on devait organiser un concours de propagande, les créationnistes seraient certainement sur le podium.

Chacun est libre de croire en ce qui lui plait, mais à partir du moment où l’on s’en prend à un corps de métier, que sont les scientifiques et particulièrement les paléontologues ou biologistes, en allant jusqu’à les traiter d’escrocs, je pense alors qu’il y a un danger et donc un combat à mener.

La méthode créationniste est toujours la même: Il s’agit de jouer sur l’ignorance des gens. Car bien évidemment, la science n’intéresse pas forcément tout le monde, et donc de nombreuses personnes  sont vulnérables. Aussi, lorsqu’une une personne entend une information qui va dans le sens de ses convictions, celle-ci va la considérer comme une vérité, sans même faire l’effort de vérifier par elle-même.

Je vais donc essayer de passer quelques exemples d’attaques créationnistes contre la théorie de l’évolution le plus souvent entendues, et en expliquer les incohérences. Ça ne révolutionnera pas le monde, mais si cela pouvait, au minimum, faire réfléchir certains sur les moyens employés par des personnages comme Harun Yahya (quand on pense qu’il a été condamné pour extorsion, port d’arme, et pédophilie, ça devrait déjà faire réfléchir…) ce serait déjà un bon point.

1. “Les fossiles d’espèces de “transition” n’existent pas”

C’est un grand classique! Il est vrai que l’on peut être en droit de demander des fossiles d’espèces montrant des caractères intermédiaires entre espèces ou groupes d’espèces.

Mais cela n’est qu’un “à priori”, car il y a un point important à stipuler ici: le processus de fossilisation est un événement très rare! (et encore plus rare si l’animal ne possède pas de partie dure) En effet pour qu’un organisme soit fossilisé, il doit se trouver dans des conditions très particulières comme notamment être rapidement enseveli ou être dans un endroit privé d’oxygène. Pour donner un exemple, le site fossilifère (ou lagerstätte dans le jargon de paléontologie) de Burgess (dans les montagnes rocheuses du Canada, et datant d’environ 530 millions d’années, époque que l’on nomme Cambrien) aurait été formé suite à un mouvement de terrain sous-marin qui aurait enseveli de nombreux animaux permettant ainsi leur fossilisation.

Aparté sur Burgess : Ce site, découvert en 1909 par Charles Doolittle Walcott, est l’une des découvertes majeures de l’histoire de la paléontologie. D’abord parce qu’il s’agit de l’une des premières faunes métazoaires dont on possède les parties molles, mais aussi parce qu’elle a permis de renverser une idée, de révolutionner notre vision de l’évolution de la vie.

En effet dans un premier temps, juste après sa découverte, les premières interprétations réalisées essayaient de placer certains animaux, de force (appelé « méthode du chausse-pied » par Gould), dans les embranchements connus aujourd’hui (un embranchement correspond à un « plan de construction »). C’est seulement en 1970, lors d’une révision de cette faune menée par un groupe de chercheur de l’université de Cambridge, que le réel message transmis par cette découverte a pu être compris : Ces animaux que l’on essayait de placer maladroitement dans des phylums connus, appartenait en réalité à des phylums distincts et disparus aujourd’hui. (Phylum = embranchement =Plan de construction. Ex : Chordé (le notre), Arthropodes (insectes et crustacés, organisés en segment), Cnidaires (méduses, anémones, coraux), échinodermes (étoile de mer, oursins), Mollusques, Brachiopodes, etc. il en resterait 34 différents aujourd’hui)

La vie métazoaire n’a donc pas commencé comme on le pensait, par quelques organismes multicellulaires qui auraient progressivement donné les différents groupes et embranchement. En réalité, à cette période, que l’on a appelé « explosion du Cambrien », la vie a en quelque sorte testée une multitude d’expérience de vie. Si la vie n’était pas très diversifiée (peu d’espèces différentes) elle était en revanche très disparate (de nombreux embranchements différents).  La plupart ont disparu rapidement, ceux qui ont subsisté ont alors pu se diversifier pour donner des nombreuses espèces différentes, que l’on regroupe en genre, famille, classe ordre, etc.  Pour en savoir plus, et tout connaitre du Schiste de Burgess et de ses interprétations, un conseil de lecture : « La vie est belle » de Stephen Jay Gould. Vous pourrez alors faire connaissance avec la première terreur des mers « l’Anomalocaris », avec « Opabinia » et ses 5 yeux, ou encore un animal au nom évocateur : « Hallucigénia »

Il est impossible de donner un chiffre pour représenter la proportion de corps qui donneront un fossile, mais celui-ci est absolument minuscule (imaginez aujourd’hui le nombre d’animaux qui disparaissent sans laisser la moindre trace car ils n’ont pu se retrouver dans des conditions de fossilisation, étant dévoré par toute sorte de prédateurs charognards et bactéries!) Par conséquent, pour qu’une espèce nous laisse des traces fossiles, il vaut mieux qu’elle ait existé pendant une longue période, et engendré une population élevée. Or par définition, une “espèce de transition” n’existe qu’en un lieu géographique restreint et sur un période vraiment très courte. Le fait de ne retrouver que très peu de fossiles de ces formes intermédiaires est donc, contrairement à ce que veulent faire croire les créationnistes, une bonne chose pour la théorie de l’évolution! C’est le contraire qui nous aurait embarrassés.

Toutefois, des fossiles d’espèces que l’on qualifiera de formes intermédiaires existent. Par exemples les espèces de l’ordre des thérapsidés, ancêtres des mammifères et descendants des reptiles, qui possèdent des caractères de ces 2 groupes.
Des fossiles d’espèces appartenant à la famille des équidés, montrent la disparition progressive des 2e et 4e doigts (les 1 e et 5 e doigts ayant disparu déjà auparavant, il ne reste plus que le 3e doigt qui forme le sabot), ou encore la lignée des cétacés de pakicetus et ambulocetus à la baleine.

Références pour ce point :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fossile

http://fr.wikipedia.org/wiki/Schistes_de_Burgess

http://www.cepheides.fr/article-16828284.html (résumé succinct du livre de SJ Gould)

http://www.cosmovisions.com/equidesPaleontologie.htm (voir le schéma de l’évolution de certains os et dents)

– Documentaire diffusé sur la chaine Arte : « La baleine à quatre pattes »

2. “La théorie de l’évolution n’est qu’une théorie”

Alors celui-là, il me dresse les cheveux sur la tête et me fait bondir! Parce que tout le monde est capable d’ouvrir un dictionnaire et de vérifier ce que signifie le mot “théorie” en science, ça prend 3 minutes, cela éviterai ainsi de le confondre avec le mot “hypothèse”.

En Science une théorie est une modélisation qui nous permet de décrire, d’expliquer et de prévoir.

De plus lorsque l’on dit “théorie de l’évolution” ce n’est pas l’évolution qui est théorique, mais il faut plutôt comprendre la locution comme “modélisation des mécanismes de l’évolution”.

Faisons déjà la distinction entre « l’évolution » et « la théorie de l’évolution ». L’évolution est un fait  (Définition scientifique de Gould du mot fait :  “confirmé à un degré tel qu’il serait pervers de refuser d’y souscrire provisoirement”) Les êtres évoluent (ou plutôt comme préféré le dire Darwin pour éviter toute fausse idée de direction d’un moins bien vers le mieux, les êtres vivants se reproduisent avec des modifications). L’évolution n’est donc pas une théorie. Ce qui est une théorie, c’est « la théorie de l’évolution ». C’est elle qui est réfutable. De même la gravitation est un constat que l’on ne peut nier, mais ce qui est discutable et réfutable, c’est la théorie de la gravitation.

L’homme résulte d’un processus d’évolution à partir d’ancêtres qui ressemblaient à des singes. Qu’il l’ait fait en fonction de l’explication de Darwin, ou d’un autre mécanisme qui reste à découvrir, cela ne change rien au fait qu’il y a eu évolution.

Enfin inutile de vous dire que les scientifiques ont autre chose à faire que de travailler avec des modèles faux, donc s’il existait ne serait-ce qu’une preuve montrant que la théorie de l’évolution est fausse, on en entendrait plus parler aujourd’hui. Je ne dis pas qu’il est impossible qu’on en trouve une un jour (autant faudrait-il qu’elle remette complètement en cause le fondement même de la théorie de l’évolution, qui est que les êtres évoluent en étant façonnés par la sélection naturelle), j’affirme simplement qu’à l’heure actuelle il en existe aucune.

3.  Les contrefaçons

J’entends souvent les créationnistes accuser les évolutionnistes de contrefaçons, en citant quelques exemples, ayant réellement existé pour la plupart, mais avec une vérité déformé. Je vais prendre l’exemple de l’homme de Piltdown: Les créationnismes braillent cet exemple en accusant les évolutionnistes d’avoir voulu escroquer le monde en faisant croire qu’ils avaient retrouvé le crâne d’une espèce moitié homme, moitié Orang-outang.

Pourtant si l’on se penche sur cette histoire, on s’aperçoit que la personne ayant découvert, en 1912, ces ossements été avocat amateur d’archéologie (donc quelqu’un de passionné, mais pas vraiment formé aux méthodes scientifiques) on s’aperçoit également que certains évolutionnistes étaient pour la plupart très sceptiques (surtout les chercheurs américains et français),  d’autant plus qu’ils ne pouvaient pas avoir accès à l’original, mais seulement à un moulage. Et en 1912, pas de possibilité pour dater ces ossements, et donc de vérifier leur authenticité. Ainsi à l’époque croire ou ne pas croire en cette découverte était subjectif, ou une question de confiance envers les protagonistes de l’histoire.

Ce n’est que quand ils ont été en mesure de le faire, que les scientifiques évolutionnistes (et non pas les créationnistes), ont pu prouver qu’il s’agissait d’une supercherie, mettant tout le monde d’accord.

On entend également parfois parler de l’Homme du Nebraska (il y a rarement plus d’explication que cela, ça ne va généralement pas plus loin que « Oui euh…les scientifiques avec leurs supercheries comme l’Homme du Nebraska »)

Mais voyons la véritable histoire : Un géologue amateur avait transmis à Henry Fairfield Osborn pour analyse, une molaire retrouver en Amérique du Sud

Osborn trouvait qu’elle ressemblait à une molaire de primate, mais ajouta qu’il ne pouvait pas être affirmatif tant cet indice était maigre et décida donc de se rendre sur place pour approfondir les recherches, comme tout bon scientifique qui se respecte aurait fait.

Entre temps la presse anglaise, qui est ce qu’elle est, s’était un peu enflammée et publia, de façon totalement arbitraire le fameux dessin de l’Homme du Nebraska à qui devait appartenir cette molaire.

D’après les dire même d’Osborn, ce dessin n’avait aucune valeur scientifique et n’était que fruit de l’imagination des journalistes.

Osborn entreprit de plus amples recherches en se rendant en Amérique du Sud et arriva à la conclusion que cette dent avait appartenu à une espèce de pécari (les molaires de pécari et de primates sont quasiment identiques)

Il n’y a donc eu aucune supercherie, mais un travail scientifique exemplaire.

Références sur ce point :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Homme_de_Piltdown

http://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/piltdown.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Homme_du_Nebraska

4. L’argument de complexité

C’est un argument souvent avancé. Mais est-ce réellement un argument ? N’est-ce pas plutôt révélateur d’un orgueil démesuré qui consisterait à dire : « C’est bien trop complexe pour moi, donc ça ne peut pas être naturel » ?

Donc personnellement, je considère cela comme un faux argument sur le fait que l’on ne peut pas prétendre être en mesure de tout comprendre des interactions moléculaires.

Mais autre point important : cette complexité ne date pas d’hier, et a eu besoin de près de 4 milliards d’années pour se mettre en place. Et chaque chose complexe n’est en fait que la somme de petites choses simples. A chaque étape on ne repart pas de zéro, mais d’un système biologique qui a fait ses preuves.

Cela rejoint l’argument classique du Boeing qui se formerait au hasard lors d’une tempête sur une décharge publique. Mais cette analogie n’a rien a voir avec la réalité de l’évolution, car ni l’homme, ni aucun animal, ni aucune cellule qui existent aujourd’hui, ne s’est formée subitement du jour au lendemain sur un immense coup de hasard, je le répète, tout cela résulte de près de 4 milliards d’années d’évolution. Et même les traces de vie les plus anciennes que l’on retrouve ne correspondent pas à l’étape 0 ou 1 de la vie. L’émergence de la vie a dû se faire par un continuum d’évolution à partir de premières réactions chimiques cycliques et couplées avec des réactions fournissant de l’énergie, comme par exemple une réaction d’oxydo-réduction, et formant alors un métabolisme primordial. Mais on rentre là dans le cadre de l’Abiogenèse, ce qui pourrait presque faire le sujet d’un autre podcast

À ce sujet, il faut savoir par exemple que dans l’eau, les lipides simples s’assemblent spontanément en vésicules qui peuvent croitre (lors d’ajout d’acide gras) puis se diviser en deux vésicules filles. Et cela tombe plutôt bien car justement, les compartiments cellulaires sont faits de complexes lipidiques. (Pour en savoir plus, voir le dossier du magazine « Pour la Science » de Juillet 2008, un numéro spécial intitulé « Où est né la vie »)

Et lorsque l’on parle en millions d’années, l’accumulation de petites transformations permet d’obtenir au final des transformations radicales.

Pour faire un parallèle avec la géologie et le mouvement des plaques tectoniques, qui est indécelable sensoriellement à notre échelle de temps, imaginez qu’il y a 60 millions d’années encore, l’Inde était une île et à la place de la chaine de l’Himalaya, se trouvaient des plages.

Petit à petit, centimètre par centimètre l’Inde s’est rapproché de l’Asie en ramenant tous les sédiments marins (ce qui répond à un argument créationniste quelque fois entendu, qui trouvaient étonnant qu’il y ait des fossiles d’animaux marins dans les montagnes) et former un peu plus tard la chaine de montagnes la plus haute du monde (qui n’a d’ailleurs pas fini sa croissance)

5. La complexité irréductible

Celui-ci est un argument récent, qui nous vient tout droit des partisans de l’Intelligent Design, et particulièrement de son chef de proue, Michael Behe, membre de la droite évangéliste américaine. C’est un peu une variante de l’argument précédent.

Voici comme il définit un système de complexité irréductible : « Un système composé de plusieurs parties en interaction, qui contribuent chacune à sa fonction élémentaire, et dont l’absence d’une quelconque de ces parties empêche le fonctionnement du système ». On constate qu’il raisonne comme si les parties avaient été assemblé par quelqu’un.

Un exemple souvent donné est celui de l’œil des vertébrés, qui semble trop complexe pour être le fruit du hasard. Je vous avouerai que je ne comprends pas trop bien en quoi un organe complexe comme l’œil des vertébrés  ne peut pas provenir d’un processus évolutif. De simples cellules photosensibles constituent déjà un œil primitif. A partir de ces cellules différentes améliorations peuvent intervenir, comme de simple changement topologique de ces cellules pour une meilleure détection des rayons lumineux, ou une meilleure protection, ou encore la possibilité de bouger ce système de cellules photosensibles.

On n’obtient pas un œil d’un coup de baguette magique, comme déjà dit précédemment  chaque étape ne vient pas de rien, mais est conditionnée par l’étape précédente, les formes qui persistent à travers la descendance sont des formes fonctionnelles et stables. Au fil des générations, les variations créées sont transmises ou non, tout dépend du fait si cette variation permet à l’individu de vivre assez longtemps pour se reproduire et transmettre ses gènes.

Une petite remarque à propos de l’œil, celui-ci ressemble justement à un organe « cuisiné » par l’évolution, plutôt qu’à une conception intelligente. En effet celui-ci n’est pas vraiment parfait, puisque au milieu de notre rétine passe le nerf optique, celui-ci étant « câblé » du mauvais côté de la rétine. Nous avons donc tous dans notre champ visuel, une zone appelée « point aveugle » (ou tâche de Mariotte), une zone rétinienne dépourvue de cellules photosensibles. Et si un « architecte » était à l’origine de cet œil, pourquoi aurait-il laissé un bug pareil ? Pourquoi n’a-t-il pas réalisé un œil parfait ?

Nous ne nous en rendons pas compte, car notre cerveau complète de lui-même cette lacune, de part son expérience (si tout est blanc autour de ce point, alors le cerveau l’interprètera comme blanc), il fait en quelque sorte une retouche d’image.

Mais comme dans la nature rien n’est parfait, il est possible de « tromper » notre cerveau pour ainsi mettre en évidence l’existence de ce point (voir lien en dessous pour expérience). C’est assez surprenant. Lorsque l’on place un point noir pile poil sur notre point aveugle, celui-ci disparait (car ce point noir se retrouve alors sur la zone non-photosensible, le cerveau ne perçoit plus le fait qu’il y a un point noir, et se base sur ce qu’il perçoit autour, c’est-à-dire du blanc, pour combler le point aveugle)

Encore plus révélateur, est de faire l’expérience avec une ligne épaisse entrecoupée d’une zone où la ligne est effacée. Si l’on place la zone d’effacement sur le point aveugle, notre cerveau ne « sait » alors pas qu’il y a une zone d’effacement. Notre cerveau qui ne reçoit donc pas l’information de la zone d’effacement, puisque celle-ci se trouve masquée par notre point aveugle, va alors compléter la ligne, puisque par expérience, une ligne droite est continue.

Référence de ce point :

Expérience du point aveugle : http://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/experience_jaune06.htm (pour y accéder à partir de la page d’accueil : choisir le thème « les détecteurs sensoriels », et dans la colonne à gauche, choisir le lien marqué « le point aveugle ». Autre façon, taper sur Google « capsule expérience le point aveugle »)

6. « Certaines espèces n’ont pas évolué »

Alors tout d’abord première remarque, dire que « certaines » espèces n’ont pas évolué, c’est indirectement admettre que d’autres l’ont fait…

Mais oui, cela est indéniable, certaines espèces n’ont effectivement pas évolué depuis leur apparition (ou plus précisément ont très peu évolué). Mais en quoi cela doit-il remettre en cause la théorie de l’évolution (voire l’évolution elle-même) ? Il n’a jamais été dit que les êtres vivants devaient forcément évoluer et cela en toute circonstance.

Et le comble de l’absurdité chez les arguments créationnistes, c’est que parfois, ils se servent d’extraits de livres ou de citations de scientifiques évolutionnistes, bien évidemment sorties de leur contexte, pour appuyer leurs arguments (ce qui prouvent qu’ils n’ont vraiment pas compris ce que l’auteur tenter d’expliquer)

Dans le cas de cet argument, on peut trouver par exemple un extrait de Stephen Jay Gould (pas de bol pour les créationnistes, car je connais très bien les idées de cet auteur) qui dit :

« L’extrême rareté des formes de transition est le secret de fabrique de la paléontologie… L’historique de la plupart des espèces fossiles comprend deux caractéristiques allant à l’encontre du gradualisme :

  1. La plupart des espèces ne démontrent aucun changement de direction tout au long de leur durée sur terre. Dans le registre fossile, leur apparence est à peu près la même à leur disparition ; les changements morphologique sont habituellement limités et sans direction
  2. L’apparition soudaine. Peu importe la zone locale, les espèces n’apparaissent pas graduellement, à la suite de la transformation constante de leurs ancêtres ; elles apparaissent plutôt d’un coup et « complètement formées »

Donc effectivement Stephen Jay Gould écrit cela. Mais il faut bien poser le contexte : Il est question ici de sa théorie des équilibres ponctués.

Comme le dit SJ Gould, sa théorie ne réfute pas Darwin (personnage qu’il admire d’ailleurs), mais le complète.

Gould s’oppose à l’idée que l’évolution n’est faite que d’un gradualisme lent, mais ne rejette pas le gradualisme pour autant, car dans certaines périodes, l’évolution est effectivement graduelle (Par exemple, l’évolution des équidés à partir d’Eohippus ou Hyracoterium)

Mais dans des cas le registre fossile montre que l’évolution est très rapide et se fait par saut, c’est du moins l’impression que l’on a en l’observant. Une interprétation à cela me semble assez simple et assez logique  :

Ces cas particuliers où l’évolution se fait très rapidement sont les périodes qui suivent les extinctions massives. L’histoire du vivant est ponctuée de 5 grandes extinctions massives (et d’autres un peu moins massives). Le registre fossile montre que chaque période d’extinction massive a été suivi d’une période de radiation (c’est-à-dire de diversification des espèces) massive et rapide.

En effet après une période d’extinction massive, de nombreux écosystèmes sont vidés et donc de nombreuses places sont laissées vacantes. Pour prendre un cas concret, prenons le cas de la radiation des mammifères après l’extinction des dinosaures (appelée extinction K-T ou crétacé-Tertiaire). Les mammifères ont coexisté avec les dinosaures (ils sont apparus peu de temps après les premiers reptiles), mais sous forme de petits animaux nocturnes. Le « pouvoir » étant alors aux mains de reptiles géants, les écosystèmes étant équilibrés, difficile pour un petit mammifère de changer de mode de vie ou de croitre en taille (ce qui assure leur survie, c’est justement qu’ils sont petits et vivent enfouis dans des terriers. Difficile pour un animal ayant la taille d’une vache de se creuser un petit trou pour se mettre à l’abri).

Mais la disparition des dinosaures et autres animaux géants terrestres, change la donne. Les mammifères ont pu alors coloniser des milieux et avoir accès à des modes de vie qu’ils ne pouvaient espérer avant (comme par exemple grimper aux arbres…). Qui dit changement d’environnement et de mode de vie, dit modification du filtre naturel qui conditionne la sélection des individus. D’ailleurs pendant un temps il n’y a plus vraiment de filtre, car plus vraiment de prédateur. Donc toute modification physiologique à sa chance. Pendant cette période la diversification est par conséquent rapide jusqu’à que les écosystèmes se remplissent et qu’une nouvelle compétition, une nouvelle hiérarchie, et donc un nouvel équilibre s’installe. (Pour faire une analogie, si l’on devait comparée l’évolution au mouvement d’un ressort : tant que l’on ne touche pas le ressort, celui-ci ne bouge pas, ou très peu selon les conditions environnementales, s’il y a du vent par exemple. Mais si on le tire, si on le sort de son équilibre et qu’on le lâche, il va alors osciller fortement autour de son point d’équilibre, mais va tendre petit à petit de nouveau vers une position d’équilibre)

Cette diversification rapide (qui dure quand même une bonne dizaine de millions d’années !)  n’apparait pas dans les registres fossiles, car la fenêtre est trop petite. C’est la raison pour laquelle on ne voit pas d’évolution graduelle dans ces cas précis.

Une fois cet équilibre atteint, les espèces ne vont quasiment plus évoluer (puisqu’un filtre naturel conditionne la sélection, et ce filtre reste constant lors d’un équilibre d’un écosystème).

Il y a eu des points de divergences au sein de la communauté scientifique (comme chaque fois qu’il y a des idées nouvelles), dont les créationnistes détournent les objections pour faire croire que les scientifiques ponctualistes remettent en cause les fondements de l’évolution.

Mais s’ils avaient pris soin d’étudier la question, ils auraient alors remarqué que la théorie des équilibres ponctués ne remet en cause ni :

-le fait qu’il y ait évolution du monde vivant

-l’ascendance commune

-l’apparition d’espèces par spéciation

-et surtout la sélection naturelle

Au bout du compte il s’agit simplement d’un exemple de point de discussion sur un des mécanismes évolutifs, et non une remise en question de la théorie. Et je pense même personnellement que, comme cela arrive souvent en science lorsqu’il y a 2 points de vue différents, qu’il s’agit là de 2 visions d’un même principe : Le vivant est en interaction avec son environnement, et évolue donc sensiblement à la même vitesse que celui-ci.

D’ailleurs un exemple tout récent illustre ce propos : C’est l’évolution du lézard nommé Podarcis Sicula, qui a été introduit sur une île Croate au nom imprononçable. En seulement une trentaine d’années, ce lézard qui a donc vu son environnement changer du jour au lendemain s’est modifié de façon très significative : il a grandi, sa mâchoire est devenue plus puissante et a changé de régime alimentaire (il était insectivore et est devenue herbivore, avec des modifications au niveau des intestins (apparition de valves caecales)

Enfin dernier point sur cette théorie des équilibres ponctués : Elle explique également la rareté des fossiles d’espèces de transition (mais cela rejoint le point que je notais quand je disais que par définition une espèce de transition n’a que peu d’individu, pendant une courte période, ce qui diminue fortement les chances de laisser des traces).

Néanmoins comme le stipule Stephen Jay Gould, d’une façon générale ce sont surtout les fossiles de transition entre les espèces, échelon le plus bas de la classification du monde vivant, qui sont rares. Les espèces intermédiaires entre groupes plus vastes (par exemple entre reptiles et mammifères, ou entre dinosaures et oiseaux) sont au contraire nombreuses

Et je cite donc Gould à ce sujet, il dit (extrait de « Quand les poules auront des dents » – Évolution : Fait et théorie:

“Puisque nous avons proposé des équilibres ponctués pour expliquer les tendances évolutives, il est irritant d’être sans cesse cité par les créationnistes – à dessein ou par stupidité, je l’ignore – comme affirmant que les fossiles ne comportent pas de formes de transition. Celles-ci manquent habituellement au niveau des espèces, mais elles abondent entre groupes plus vastes”

Référence pour ce point :

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quilibre_ponctu%C3%A9

http://fr.wikipedia.org/wiki/Podarcis_sicula

– http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_de_l%27%C3%A9volution#Un_exemple_d.27.C3.A9volution_.C3.A0_.C3.A9chelle_de_temps_humaine_:_Podarcis_sicula

7. Pour conclure

La liste est encore longue, et d’autres arguments existent, qui frisent souvent le ridicule, comme par exemple « Si l’homme descend du singe, pourquoi existe-t-il encore des singes ». Ce qui est aussi ridicule que de dire « Si les Québécois descendent des Français, pourquoi existe-t-il encore des Français ? »
Ou encore (et là on touche le fond) : « Depuis que l’homme essaie de voler et nage, pourquoi ne lui a-t-il pas poussé des ailes ou des nageoires ? » (véridique !)

On plonge là dans l’abysse de l’absurde, mais cela est révélateur d’une certaine idée reçue, malheureusement courante, qui consiste à croire qu’il y a évolution selon la nécessité.

Parfois certains sont près à faire un consensus et à admettre qu’effectivement, il y aurait des petites variations, une micro-évolution à l’intérieur d’une espèce, mais pas pour autant de macro-évolution. Cela me fait revenir à l’analogie de la tectonique des plaques, et les micro-mouvement de l’Inde, qui au final ont transformé une plage en chaine montagneuse. A noter d’ailleurs que la théorie de l’évolution de Darwin et l’idée d’un mouvement des continents émergent à peu près à la même époque, une époque où l’on comprenait à peine que la Terre était vieille… Très vieille ! A l’échelle des temps géologiques, la somme de ce que nous appelons micro-changements, donne au final des changements radicaux. Et c’est peut-être cela qu’ont du mal à se représenter les créationnistes, cette échelle de temps gigantesque devant notre petite durée de vie insignifiante.

 

 

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