#psSortDuPlacard – Gènes & Homosexualité

La chronique de Thomas démarre à 28:01.
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Billet présenté dans le cadre de l’event #psSortDuPlacard le 27 juin 2015. Une version augmentée du billet est disponible sur le blog de Thomas Menace Théoriste. Bonne lecture !


Homosexualité et génétique

Les intervenants précédents vous ont montré que le sexe est une invention de la nature beaucoup moi simple que nous avons tendance à le croire intuitivement. Il faut donc se méfier de ce que nous croyons savoir à ce sujet.

On m’a invité à vous parler de génétique et d’homosexualité. On va se demander s’il existe oui ou non, des déterminants génétiques à l’orientation sexuelle

Sur ce sujet il y a plusieurs questions qui se posent. Je vais en poser quatre, volontairement naïves.

1 — Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

2 — En dehors des gènes, qu’est-ce qui pourrait en être la cause ?

3 — Si c’est bien un gène, comment se maintient-il au fil des générations ?

4 — Si c’est un gène, encore une fois, doit-on craindre des idées eugénistes ?

Et je vais tenter de vous montrer qu’il faut se placer dans une  perspective évolutive pour apporter des éléments de réponse à ces questions. Pour cela il faut comprendre tout de suite que l’échelle à laquelle l’évolution fonctionne, ce n’est pas l’individu, c’est la population, le pool génétique à l’intérieur duquel se réalise le brassage des formules génétiques qui sont ensuite passées au crible de la sélection naturelle.

 

Première question : Y a-t-il un gène de l’homosexualité ?

C’est une question naïve, parce que personne ne se demande s’il existe un gène de l’hétérosexualité ou de la bisexualité, ou de la préférence pour les petites brunes ou les grands roux. Et pourtant nos gènes étant la feuille de route à partir de laquelle s’échafaude notre corps dans lequel sont inscrits nos instincts, forcément il existe in fine une population de gènes impliqués dans la modulation de tous ces comportements sexués.

Les études scientifiques qui cherchent à comprendre comment la génétique influence la sexualité ont mis en évidence ces dernières décennies un certain nombre de zones sur nos chromosomes (8 en particulier) qui sont fortement corrélées avec l’orientation sexuelle. Cela veut donc dire que NON, il n’y a pas 1 gène de l’homosexualité, mais OUI, le terrain génétique a un rôle dans l’homosexualité.

On ne sait pas encore dans le détail quelle chaine d’évènements relie à une extrémité le terrain génétique et à l’autre le comportement de l’individu, mais dorénavant, c’est établi : il existe des déterminants génétiques, et l’orientation sexuelle n’est donc pas un choix ni le résultat d’une influence sociale.

 

Dessin réalisé à la volée pendant la présentation de Thomas
Dessin réalisé à la volée pendant la présentation de Thomas

Question 2 : En dehors des gènes qu’est-ce qui pourrait être la cause de l’homosexualité ?

Le phénotype, c’est-à-dire l’ensemble des caractères visibles de l’organisme, est le résultat de l’interaction du génome avec son environnement, et donc l’homosexualité pourrait très bien être le résultat d’une influence environnementale au cours du développement.

Comme l’expliquait Irène dans l’épisode 185, les hormones et l’environnement maternel prénatal sont des suspects que la science surveille de près.  Et ainsi, on sait que l’ordre de naissance peut jouer un rôle. Les chances ou les risques d’être homosexuel pour un homme donné augmentent de 33% pour chaque frère plus âgé que lui né de la même mère. La différence se joue au niveau de l’environnement maternel, et sans doute en relation avec le système immunitaire de la mère (Blanchard 20011). Ce fait est d’ailleurs très intéressant parce qu’il a été montré que les mères des hommes homosexuels ont tendance à avoir plus d’enfants que les autres, mais c’est aussi le cas de leurs tantes2.  Du coup l’hypothèse génétique est renforcée3. Et on en arrive à la troisième question, celle qui me semble la plus intéressante.

 

Question 3 : Comment une formule génétique produisant un individu homosexuel peut-elle se fixer dans la population ?

Si les homos ne peuvent pas se reproduire, les gènes qui rendent ceux qui les portent homos devraient disparaitre, non ? Eh bien c’est là qu’il faut prendre du recul et cesser de penser à l’échelle des individus. On observe dans la nature, chez plus de 1500 espèces à ce jour des comportements homosexuels. C’est donc un caractère qui est largement distribué chez les animaux. Et donc, par définition, il n’est pas contre-nature.

Pour expliquer cette large présence, nous avons deux possibilités : ou bien c’est une convergence évolutive et l’homosexualité est apparue séparément chez toutes ces espèces, ou bien c’est un trait ancestral qui s’est maintenu dans toutes ces lignées depuis plusieurs dizaines ou centaines de millions d’années.

Dans un cas comme dans l’autre on se retrouve devant l‘énigme d’un caractère qui rend de facto stérile et qui est pourtant conservé par l’évolution au fil des générations. C’est étonnant, mais pas tant que ça, et les fourmis ouvrières, ou bien les termites ou encore les abeilles pourraient nous dire que c’est un peu ce qu’elles vivent au quotidien : chacune d’entre elle est stérile, et pourtant leur espèce est florissante.

Caractère ancestral ou convergence évolutive, dans un cas comme dans l’autre on est en présence d’un équilibre dynamique dans la distribution des compositions génétiques au sein des populations. Voici comment il fonctionne en théorie : si un ensemble de déterminants génétiques rendent des femmes plus fertiles,  alors ces déterminants, disons des gènes pour aller vite, vont avoir tendance à se fixer dans la population au fil du temps. Si ces versions de gènes, quand ils sont présents tous ensembles dans le corps d’un individu le rendent homosexuels, alors à l’inverse ils auront tendance à disparaitre.  Ces deux tendances antagonistes, si leurs forces ne sont pas totalement déséquilibrées vont aboutir à un équilibre : la proportion finale de ces gènes dans la population sera celle qui permet leur transmission avec un taux suffisamment bas pour ne pas produire trop d’individus stériles (car homos) et suffisamment haut pour rendre les femelles plus fertiles.

Pourquoi un tel équilibre est-il favorisé ? Parce que c’est celui qui garantit la maximisation de la transmission des gènes dont nous parlons. Pour aller plus loin, je vous renvoie vers le livre de Richard Dawkins Le gène égoïste.

 

Question 4 : Doit-on craindre un eugénisme ?

Dans l’absolu, on peut imaginer que soient mis au point des tests qui permettent de dire aux parents si leur enfant est porteur des marqueurs génétiques corrélés à l’homosexualité. Et dans un monde ou l’homophobie est toujours tenace, cela laisse imaginer des cas d’interruption de grossesse en vue d’éviter de mettre au monde un petit homosexuel… Mais il y a plusieurs raisons pour penser que cela ne se produira pas.

— D’abord l’orientation sexuelle n’est pas binaire, et l’échelle de Kinsey nous explique qu’il y a un continuum entre homo et hétéro en passant par cinquante nuances de gris… au moins.

— Ensuite on a vu que l’environnement prénatal avait une influence, et par conséquent le génome seul ne pourra sans doute jamais suffire à prédire l’orientation du futur adulte.

Cela fait deux bonnes raisons scientifiques de ne pas chercher à réaliser ce genre de test : ils seront inefficaces. Encore faut-il que les gens soient sensibles aux arguments scientifiques…

— Il y a une troisième raison. Une raison éthique. Notre société devra décider tôt ou tard si les parents ont le droit de « choisir » les caractéristiques de leurs enfants comme un produit sur un catalogue de cuisine aménagée. Rationnellement on doit répondre non, pour tout un tas de raisons. Et j’aimerais citer encore une fois l’évolution, qui nous a appris que la meilleure des stratégies est toujours de laisser au maximum de formules génétiques la chance de faire leurs preuves au contact du monde.

C’est pourquoi une société dirigée par la raison et non par l’idéologie ne peut pas sombrer dans l’eugénisme. Et c’est pour cela qu’il faut laisser aux chercheurs le droit d’étudier ces questions et de comprendre ce qui fait que nous sommes qui nous sommes. L’homophobie n’est jamais le produit de la connaissance, elle est le produit de l’ignorance.

Références

1 Blanchard R. 2001. Fraternal Birth Order and the Maternal Immune Hypothesis of Male Homosexuality. Hormones and Behavior 40, 105–114. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0018506X01916812

2 Iemmola F. & Ciani A.C. 2009. New Evidence of Genetic Factors Influencing Sexual Orientation in Men: Female Fecundity Increase in the Maternal Line. Archives of Sexual Behavior 38, 393-399. http://link.springer.com/article/10.1007/s10508-008-9381-6

3 Une étude sur la drosophile qui vient de sortir montre un phénomène assez similaire à celui observé chez l’homme. Les lignées produisant des mâles avec des comportements homosexuels produisent également des femelles plus fertiles que les autres. http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/282/1809/20150429 Hoskins et al. 2015 A test of genetic models for the evolutionary maintenance of same-sex sexual behaviour

 

Dessin réalisé à la volée par Sef pendant la présentation de Thomas
Dessin réalisé à la volée par Sef pendant la présentation de Thomas

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