#psSortDuPlacard – L’évolution des représentations LGBT au cinéma

La chronique d’Antoine démarre à 1:27:08.
» Ecoute sur Soundcloud

Billet présenté dans le cadre de l’event #psSortDuPlacard le 27 juin 2015


La représentation filmique de la diversité sexuelle est un sujet d’une importance capitale, surtout lorsqu’on prend en compte l’impact cognitif et affectif des films sur la vie de leurs spectateurs, notamment à l’enfance et à l’adolescence, lorsque se construisent les orientations sexuelles et les identités de genre. S’il y a bien un aspect récurrent dans les témoignages des personnes ayant grandi et s’étant découvertes homosexuelles avant les années 1990, c’est le fait d’avoir éprouvé, devant l’absence de références autres que négatives et caricaturales à leur situation de vie dans le cinéma et les grands médias, un sentiment de solitude, d’invisibilité et d’auto-dénigrement souvent préjudiciable.

La question de l’évolution des représentations homosexuelles au cinéma reste une question immense et complexe, impossible à balayer en cinq minutes si l’on veut prendre en compte toutes les époques et toutes les cinématographies. C’est pourquoi je n’évoquerai ici que le cinéma hollywoodien. D’abord parce qu’il est le cinéma le plus largement diffusé et, par conséquent, le plus hégémonique et influent en termes culturels. Ensuite parce qu’il synthétise à merveille l’évolution des mœurs aux Etats-Unis et en Occident, et qu’il nous permet donc d’observer et de mettre en perspective cette évolution, à travers ses incarnations filmiques destinées à peupler l’imaginaire du plus grand nombre.

On peut ainsi dire que, depuis plus d’un siècle, Hollywood contribue à dessiner, dans l’imaginaire collectif, un ethos amoureux et sexuel ; c’est-à-dire un monde d’existants et d’invisibles, de possibles et d’impossibles, de relations souhaitables et prohibées, de façons valorisantes et de façons inconvenantes de vivre l’amour et la sexualité. Cette vision propagée par les films grands publics a pu évoluer significativement, mais elle s’est, la plupart du temps, accordée avec la construction culturelle au long cours, dans nos sociétés, de l’hétérosexualité monogame bourgeoise comme système relationnel dominant.

L’industrie du spectacle hollywoodienne n’a pas inventé cette norme, mais elle l’a reflétée et propagée avec une puissance de frappe sans commune mesure, en la mettant en valeur de façon poussée, et surtout en la faisant exister de façon quasi-hégémonique, en reléguant à l’invisibilité, à la déviance ou à la menace, toutes les expressions d’affects et les modalités de vivre-ensemble qui ne cadraient pas avec cette norme.

Au sein de ce système idéologique-spectaculaire, les personnages explicitement homosexuels ou sexuellement ambigus apparaissent néanmoins, même si c’est de façon subliminale. Au cours du XXe siècle, ils sont le plus souvent présentés de façon à susciter le rire moqueur (les représentations caricaturales du stéréotype de la « folle » efféminée dans certaines comédies des années 20 à 40), la pitié (l’adolescent ou l’adulte homosexuel représenté comme un être en souffrance, un désaxé, un « malade » à traiter, dans certains classiques des années 50 comme Thé et sympathie de Vincente Minnelli), voire l’effroi (les représentations d’homosexuels comme des pervers ou des criminels dans des films plus contemporains comme Cruising ou Le Silence des agneaux).

Deux étapes cruciales de l’histoire d’Hollywood peuvent être mentionnées : l’établissement au début des années 30 du fameux code Hays, code de bienséance fondé sur la morale religieuse puritaine, qui va mettre un frein à certaines représentations filmiques de l’ambiguïté du désir et de la sexualité humaine, encore abordés dans la période qui le précédait (comme par exemple Marlene Dietrich embrassant une femme dans Morocco, en 1931) ; la désuétude de ce même code, avec la révolution culturelle et sexuelle des années 60, qui va permettre d’aborder plus frontalement dans les films le thème de l’homosexualité.

Dessin réalisé à la volée par Diti pendant la présentation d'Antoine
Dessin réalisé à la volée par Diti pendant la présentation d’Antoine

D’abord dans les fictions culpabilisantes violemment homophobes des années 60 (La Rumeur de William Wyler, Advise & Consent d’Otto Preminger), où les personnages homosexuels sont caractérisés par la haine d’eux-mêmes et le désespoir, au point de ne jamais terminer le film autrement que par un suicide ; ensuite dans des films plus « positifs » dans les années 70 (par exemple Boys in the Band de William Friedkin), associant l’homosexualité à d’autres modes de vie alternatifs (milieu artistique, consommation de drogues, etc.) et n’échappant pas toujours à l’approche en termes de folklore communautaire.

Pour voir le premier film tourné par Hollywood et mettant en scène une romance homosexuelle au moyen des stratégies de représentation traditionnellement adoptées pour dépeindre les histoires d’amour hétéros mainstream, il faudra attendre les années 1980, et Making Love d’Arthur Hillier. Et encore, les producteurs ont-ils à l’époque jugé utile d’avertir leur audience de cette particularité par un écriteau placé en début de film.

Dessin réalisé à la volée par Karim pendant la présentation d'Antoine
Dessin réalisé à la volée par Karim pendant la présentation d’Antoine

Cela ouvre la voie à la période actuelle, où les personnages désignés comme gays, certes toujours minoritaires, sont quand même plus présents à l’écran, parfois dans la fonction un peu secondaire des people next-door biens sous tous rapports servant de faire-valoir aux héros, parfois propulsés eux-mêmes comme héros rationnels et positifs de fictions à oscars brandissant haut l’étendard de la tolérance, comme Philadelphia ou Brokeback Mountain.

Si la période des années 90 et 2000 est plus rassurante de ce point de vue, il ne faut pas voir ces films comme le symbole d’une soudaine “homophilie” à Hollywood, mais plutôt comme l’incarnation pragmatique d’une industrie cinématographique soucieuse de ses intérêts économiques, qui a toujours su s’adapter aux goûts du public et à l’évolution des mentalités, même si c’est avec un certain retard par rapport à la société qu’elle dépeint. (Mais il est connu que l’argent et le pouvoir rendent conservateurs, or Hollywood est dirigé par des hommes hétérosexuels qui ont de l’argent et du pouvoir.)

Cela étant, même aux époques les plus conservatrices de son histoire, Hollywood a pu, ponctuellement, fournir à l’imaginaire collectif des éléments pour négocier avec cette norme hétérosexuelle dominante, voire pour la subvertir. Les codes imposés du spectacle familial n’empêchent pas la mise en place d’un jeu subtil de reconnaissance et d’appréciation entre les artistes qui conçoivent des messages sous-jacents dans leurs films, et une partie de leur audience « entraînée » à décrypter les symboles et les procédés de mise en scène employés à cette fin (c’est ainsi qu’Hitchcock, dans des films comme Rebecca ou La Corde, a pu proposer d’étonnantes représentations « cachées » de l’homosexualité masculine comme féminine).

Il en est de même pour certaines célébrations déguisées de l’ambiguïté sexuelle déguisées en comédies grand public, comme Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, ainsi que de certaines formes particulièrement romantiques d’expression de l’amitié entre hommes (Top Gun) ou entre femmes (Thelma & Louise) dans des films ne traitant pas directement de l’homosexualité (mais laissant facilement la porte ouverte dans l’imaginaire du spectateur).

On peut donc dire pour conclure que les représentations de l’homosexualité dans le cinéma hollywoodien ont majoritairement épousé les contours d’une idéologie dominante violemment puritaine et hétéro-normée, tout en préservant des possibilités de lecture multiples, des espaces de négociation pour que chaque spectateur puisse accueillir, devant les films, des questionnements intimes sur la complexité et l’ambivalence de la sexualité humaine.

Dessin réalisé à la volée par Mél pendant la présentation d'Antoine
Dessin réalisé à la volée par Mél pendant la présentation d’Antoine


Derniers épisodes