Carl Zimmer – Planète de virus (en français)

Notes d’émission de l’épisode #251

The orinigal english version of this interview is here.

virus 833x1228Merci à Stéphanie, Julie et Johan pour la transcription/traduction de l’interview et merci à Pascal pour le voice-over !

Alan (A) : nous avons la chance de recevoir un invité exceptionnel en direct des Etats-Unis. Le journaliste scientifique Carl Zimmer est des nôtres ce soir et nous allons parler de virus. C’est l’épisode 251 (c’est un nombre premier) pour le 1er mars 2016. Bonsoir et bienvenue !

A : Carl, pour commencer, David va vous présenter à nos auditeurs francophones.

David (D) : Carl, pour cette interview J’ai lu votre bio et votre page wikipedia pour récupérer quelques informations à propos de votre carrière et des livres que vous avez pu écrire. J’aimerais partager ce que j’ai découvert avec le public. Arrêtez-moi si je dis une bêtise. Wikipedia révèle que vous avez obtenu votre licence d’Anglais à l’Université de Yale avant de travailler pour le magazine Discover à la fin des années 80. D’abord comme relecteur-correcteur puis comme rédacteur en chef adjoint.Je n’en reviens toujours pas, quand j’observe la qualité de votre production et plus spécifiquement le livre dont nous allons parlé aujourd’hui, que vous n’ayez pas de formation scientifique ! En effet, chers auditeurs, Il est important de mentionner que Carl Zimmer n’est pas un invité ordinaire. Chroniqueur au New-York Times (pas si mal quand même), on le retrouve aussi sur des émission radio comme Radiolab (je sais qu’Alan et Pierre adorent ce podcast) et certain de ses livres ont été largement acclamés par la critique : “Soul Made Flesh – a history of Neuroscience” a été par exemple nommé parmi les 100 meilleurs ouvrages par le New York Times Book Review. “Science Ink: Tattoos of the Science Obsessed” a aussi été mis en avant par des média grand public comme le Huffington Post, Der Spiegel, ou encore le Guardian. En tant que journaliste, les articles de Carl Zimmer, qu’ils aient été dans Discover, le New York times ou sur son blog, The Loom, qui est maintenant hébergé sur la plateforme du National Geographic, ont été reconnus comme faisant partie des meilleurs écrits scientifiques américains dans diverses anthologies. Carl a aussi gagné le prix de l’Association Américaine de l’Avancement du Journalisme Scientifique  trois fois pour certains de ses articles. A présent vous devriez être capable de comprendre certaines des raisons qui font qu’avoir Mr Carl Zimmer avec nous ce soir est un grand honneur et que nous heureux de pouvoir parler de son livre : Une planète de Virus.

A : Merci David. Trêves d’introductions. Carl, pour qu’on s’immerge dans le livre, est-ce que vous voulez bien nous en lire les premières lignes à haute voix ?

Carl Zimmer (CZ) : Bien sûr ! Le livre porte sur les virus, même si ce n’est pas évident dans l’intro. J’essaie de montrer qu’on trouve des virus partout sur Terre, alors j’ai opté pour un lieu assez extrême.

Voici comment ça commence :

Au Mexique, à quatre-vingts kilomètres au sud-est de la ville de Chihuahua, se trouve la Sierra de Naica, une chaîne de montagnes désolée. En 2000, des mineurs se sont engouffrés dans un réseau de grottes sous ces montagnes. Parvenus à une profondeur de trois cents mètres, ils se sont retrouvés dans un lieu qui semblait appartenir à un autre monde. Ils se tenaient dans une salle d’une dizaine de mètres de large et de vingt-sept mètres de long. Le plafond, les murs et le sol étaient couverts de cristaux de gypse lisses et translucides. Beaucoup de grottes contiennent des cristaux, mais pas comme ceux de Naica. Les cristaux y atteignent onze mètres de long et pèsent jusqu’à cinquante-cinq tonnes. Des cristaux de ce genre, on ne les porte pas autour du cou, on les escalade.

A : Magnifique ! Cela aura permis à nos auditeurs de se faire une idée de votre style. Précis. Efficace. Et pourtant, vous parvenez à construire des histoires inoubliables en partant de simples faits. En moins d’une centaine de pages, vous racontez l’histoire de l’évolution des virus, de notre compréhension des virus (ou plutôt de notre manque de compréhension), vous couvrez la grippe, le papillomavirus humain (à l’origine de cancers du col de l’utérus et de lapins à cornes), vous parlez des phages, des virus marins (un truc de dingue !), des rétrovirus endogène, du VIH, d’Ebola, de la variole, des virus géants et de plein d’autres choses. Vous vous attaquez même à la définition de la vie elle-même ! Nous essayons tous ici d’être de bons vulgarisateurs scientifiques mais je dois avouer que nous avons encore du boulot !  M’enfin… Le livre commence avec l’histoire de notre compréhension de ce que sont les virus. Des siècles durant, on ne les connaissait que via les symptômes qu’ils nous infligeaient. Ça ne fait pas longtemps qu’on les connaît véritablement.

CZ : Oui, donc, les virus ont rendu les gens malades depuis qu’il y a des gens, et même avant. Mais on ne savait pas trop ce qui les rendait malades. On trouvait des manières de gérer les virus comme, par exemple, en évitant les contaminations. Les malades de la variole étaient isolés du reste de la population. Puis, des vaccins furent même développés avant qu’on ne sache ce qu’étaient les virus. Ce n’est qu’à la fin des années 1800 que des chercheurs ont voulu comprendre pourquoi certains plants de tabac tombaient malades. Ils pensaient que c’était dû à une bactérie. Ils ont mixé les feuilles jusqu’à obtenir un fluide. Et quand ils passaient ce fluide dans un filtre si fin qu’il ne laissait pas passer les bactéries, il en sortait un liquide si clair qu’il avait l’air d’être pur. Mais il pouvait toujours contaminer d’autres plants de tabac. C’est alors qu’on appela cette mystérieuse substance “virus”.

A : le mot “virus”, qui a un double sens…

CZ : oui, il peut vouloir dire à la fois poison ou graine. J’adore cette double signification, car les virus sont un peu comme des graines ; des coques en protéine qui contiennent des gènes qui peuvent faire de nouveaux virus. Mais pour nous, ils sont toxiques.

A : c’est en 1923, je crois qu’un virologue britannique a déclaré qu’il est impossible de définir leur nature. Et quelques années plus tard, le New York times titrait que la distinction entre mort et vie a perdu quelque peu de sa validité  

CZ :  oui, car en fait, les scientifiques avaient découvert les virus ! Ils ont démontré que quelque chose d’incroyablement petit pouvait véhiculer des maladies, sans voir ce que c’était car les microscopes n’étaient pas assez puissants. Alors certains chercheurs, le chimiste Wendell Stanley en particulier, se sont dit : “peut-être qu’on peut cristalliser les virus ? Peut-être alors qu’on les verra ?”. De la même façon que l’on cristallise le sel à partir de l’eau salée. Et il a réussi à le faire à partir de ces virus qui infectaient les plants de tabac. Et il a pu en effet créer des cristaux de virus et c’était étrange, car on pouvait stocker ces cristaux pendant des mois puis les reprendre, les réhydrater, et ils pouvaient à nouveau causer la maladie. Les gens étaient vraiment perplexes : “c’est quoi ces trucs ? Ils sont vivants ou pas ?”. Et je crois qu’on débat toujours de ça aujourd’hui.

A : Oui, et ce n’est qu’à la fin des années 30 qu’on a pu commencer à les voir vraiment.

CZ : Oui, c’est exact, on a finalement inventés des microscopes, les microscopes électroniques, assez puissants pour permettre aux scientifiques de grossir suffisament pour voir ces objets. Car ils sont des centaines de fois plus petits qu’une bactérie. En fait, les scientifiques ont pu observer des virus infectant une bactérie, qu’ils ont appelés des phages. Et ils ont finalement pu comprendre que ces virus étaient très petits mais pas invisibles, qu’ils étaient de minuscules entités qui pouvaient envahir nos cellules et les forcer à créer d’autres virus.

A : Karim, on a déjà des questions dans la chatroom ?

Karim (K) : alors pour le moment, on a une seule question de Haeckel je crois, qui demande si la découvertes des prions suit la même histoire.

CZ : Oui c’est une question intéressante. Les prions sont juste des protéines qui sont déformées et qui peuvent attraper d’autres protéines et les déformer à leur tour. Ce changement de forme peut en quelque sorte se répandre dans un type particulier de protéines. Et ils peuvent provoquer des maladies, comme la maladie de la vache folle et d’autres. Et il y a certainement eu des débats sur certaines de ces maladies, les chercheurs ne pouvant pas identifier si elle étaient causées par une bactérie ou un virus. Et finalement, Stanley Prusiner, de l’université de Californie à San Francisco, a réussi à isoler ce qu’il a appelé les “prions”, un type particulier de protéines qui se créent     de cette façon. Donc oui, il y a un parralèle intéressant avec cette histoire.

K : Merci

A : Merci beaucoup. Passons à notre premier virus. Pouvez vous nous parler un petit peu du rhinovirus ?

CZ : Alors le rhinovirus, en anglais on l’appelle “a cold” et à cause de mon mauvais français, je ne me souviens plus comment on dit ça en français.

A : Un rhume

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CZ : Rhume oui. Alors, le rhume ou “the cold”, c’est un virus que l’on a tous attrapé. Pour la plupart d’entre nous, ça ne nous rend pas particulièrement malade, mais tout de même pendant quelques jours. En fait, on a des sources mentionnant des rhumes vieilles de plusieurs milliers d’années, dès les plus vieux écrits sur la médecine. Et bien ce n’est qu’au début du XXe siècle que des scientifiques ont réussi à montrer que ces rhumes étaient dus à un type particulier de virus. Il y a un chercheur qui a pris le mucus de son assistant malade et de ses étudiants, l’a filtré, et qui a réussi à transmettre le rhume à d’autres personnes ! C’était le genre de tests nécessaires pour prouver que c’était bien un virus qui donnait le rhume.

A : Ouais je me rappèle ce passage du livre, c’est vraiment dégoutant… Walter Kruze, en Allemagne. Fait intéressant, vous mentionnez que ce virus, enfin le rhume appelé “resh” en… je sais pas trop quelle langue, était déjà mentionné il y a 3500 ans dans le Papyrus d’Ebers.  

CZ : Exact.

A : En fait c’est une vraie plaie depuis… toujours ! Et c’est seulement maintenant que nous avons découvert ce que c’est et nous n’avons toujours pas de remède, n’est-ce pas ?

CZ: Non, on n’en a pas. Il y a des études qui suggèrent que le zinc pourrait réduire la durée d’un rhume, mais ce n’est pas vraiment un remède. Et il n’y a vraiment aucun moyen de s’en prémunir. Et en fait, il y a beaucoup de débat sur ce que nous devrions faire à propos du rhume. Beaucoup de gens disent : “Écoutez, le rhume c’est pas si grave dans l’ensemble” et il y a même des études qui indiqueraient qu’attraper un rhume enfant pourrait aider notre système immunitaire. D’un autre côté, certaines personnes commencent à montrer que le rhume pourrait faire plus de dégâts que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Effectivement la plupart d’entre nous attrapent un rhume, et ça nous fatigue pendant deux ou trois jours et puis c’est tout. Mais en fait, il apparait que le rhume peut parfois causer des infections respiratoires et peut déclencher d’autres infections, reliées à l’asthme par exemple. Donc on devrait peut être le prendre plus au sérieux. On commence seulement à reconnaitre ces rhinovirus car on peut maintenant regarder les séquences génétiques et en fait les chercheurs les découvrent maintenant dans différentes situations où ils ne les attendaient   pas. Notre combat contre le rhume continue, après des millénaires.

A: Dans le livre vous dites que si on savait comment s’en débarrasser, ce ne serait pas forcément une bonne idée.

CZ :Oui c’est exact. En fait, il se peut qu’avoir un rhume soit un peu comme être exposé à une bactérie, ou à la poussière ou autre. C’est un moyen d’entraîner le système immunitaire, pour qu’il soit plus efficace pour repérer les pathogènes sans entraîner de réaction excessive. On ne veut pas que le système immunitaire réagisse à des éléments inoffensifs, car sinon on pourrait peut-être développer des allergies ou un trouble immunitaire, par exemple. Il existe des études qui présentent des résultats intrigants dans ce sens. Je ne dirais pas que ça montre de manière certaine qu’avoir un rhume est une bonne chose, mais c’est intéressant de se poser la question.

A : Oui, la conclusion du chapitre est que nous ne devrions peut-être pas voir les rhinovirus comme des ennemis historiques, mais plutôt comme de vieux tuteurs ?

CZ : Oui, on ne voit les virus que comme des ennemis, or que je pense qu’il faut vraiment qu’on élargisse notre point de vue à ce sujet. Vous savez, les virus peuvent avoir des rôles différents, il y a des virus qui sont juste mauvais, uniquement mauvais. Mais, il y en a d’autres qui peuvent être inoffensifs, voire, croyez-le ou non, bénéfiques ! Il faut prendre en compte tous ces éléments.

A : Ok, Karim, des questions pour Carl sur le rhinovirus?

K : Pas vraiment le rhinovirus, mais j’ai quelques questions

A : Vas-y

K : La première : lors de vos recherches pour “Science Ink”, avez-vous croisé des tatouages cools de virus ? Et si oui, pouvez-vous nous donner des exemples ?ps251_d385a19785031d82a58eefeacde5ea9f.jpg

CZ : [en riant] Vous faites référence au livre que j’ai écrit et qui s’appelle : “Science Ink : Tattoos of the Science Obsessed”. J’ai découvert que beaucoup de scientifiques avaient des tatouages et qu’ils ne les partageaient avec persone, et je les ai donc contraints à me les montrer. Celui qui me vient à l’esprit est un tatouage d’un de ces virus appelés phages qui infectent les bactéries. II y a justement certains phages qui sont parfait pour cela car ils ressemblent beaucoup à des robots de combat bizarres sortis du film Matrix : ils ont des formes plutôt hexagonales avec des sortes de jambes pointues attachées. Ils atterrissent sur les cellules, percent un trou comme avec une seringue et y envoient leurs gènes. Ils sont vraiment étranges mais donc oui, j’ai plus d’un tatouage de phages dans ma collection.

K : Excellent, merci ! On a le temps pour une autre question ?

Pierre (P) : Je voudrais juste ajouter qu’une de mes collègues de boulot apparait dans le

bouquin, elle a une espèce de papillon fait avec des becs de pinsons de Darwin.

CZ : Ah oui !

A : Je m’en souviens !

P : Elle vous passe le bonjour !

ps251_68632480b421b54674d4c591fe862e35.jpgCZ : C’est un tatouage magnifique.

P : Effectivement.

A : Karim, une autre question ?

K : Oui, une question d’Alex qui demande si les virus peuvent être strictement définis comme des parasites ?

CZ : Hum, pour la plupart oui c’est ce que je dirais. Enfin je ne sais pas, c’est une question compliquée. Quand on y pense, c’est un réel défi de faire rentrer facilement les virus dans une catégorie. On peut difficilement considérer le virus de la grippe autrement que comme un parasite par exemple. C’est quelque chose qui prospère aux dépends de son hôte, et donc c’est presque exactement la définition d’un parasite. Mais il y a également d’autres virus qui ont en fait des relations bénéfiques avec leurs hôtes. Par exemple ces virus qui portent des gènes de résistance aux antibiotiques. Quand ce genre de virus infecte les bactéries qui vivent en nous, ces bactéries vont survivre lorsque nous prendrons des antibiotiques, grâce aux gènes qui lui ont été apportés par ces virus. Là il ne s’agit pas d’un parasite. Il y a un large spectre de relations possibles entre les virus et leurs hôtes ou les autres espèces. Nous avons des virus qui sont des parasites de bactéries dans nos intestins, ils pourraient en fait être bénéfiques pour nous car ils préserveraient l’équilibre de la flore intestinale, donc pour nous il ne s’agirait pas de parasites, peut-être que nous sommes contents de les avoir pour rester en bonne santé. Une réponse à cette question est plus difficile à donner qu’il n’y parait.

K : Bien, merci. Il y a déjà des réponses qui ont été données pour d’autres questions, certaines personnes demandent si les virus   peuvent être utiles pour les humains ?

CZ : Oui les virus peuvent être utiles de plusieurs manières pour les humains, aussi bien en terme physiques ou médicaux mais nous utilisons également des virus pour beaucoup d’usages : les virus sont une ressource importante.

K : D’accord merci.

P : Quelqu’un demande s’ils peuvent être considérée comme des sortes de symbiotes  

CZ : Et bien j’imagine que ça dépend de comment vous définissez un symbiote. Si on parle de choses qui ont une relation mutuellement bénéfique avec leur hôte, alors parfois c’est le cas. Pour certaines espèces de virus, pour certains hôtes, cela peut en effet être bénéfique, ils peuvent amener des gènes bénéfiques etc. Parfois c’est quelque chose de plus soumis à condition, parfois les virus ont une attitude envers leur hôte qui est :“nous pouvons être amis, jusqu’à ce que les choses tournent mal, auquel cas je ne veux rien avoir à faire avec toi”. Les virus peuvent envahir une cellule et s’y installer calmement sans causer de dégâts. Mais si la cellule subit un stress, le virus peut le détecter et déclencher ses gènes, se reproduire, déchirer la cellule et s’échapper. La cellule meurt et le virus en sort parce que ce n’était plus un bon endroit où être.

A : Merci. Le temps file et j’aimerais passer au chapitre suivant. Nous n’allons pas rentrer dans le détail de chaque chapitre mais je pense que ça vaut la peine de passer une minute sur la grippe. Qu’est-ce qui la rend si particulière ? Peut-être que vous pouvez d’abord nous dire d’où elle vient ? Quelle est son origine ?

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CZ : Oui, donc les virus de la grippe ont une   origine particulière, ils viennent des oiseaux, particulièrement des oiseaux aquatiques sauvages. Une grande diversité de virus grippaux vivent dans les intestins des oiseaux, et pour la plupart ils sont inoffensifs. Régulièrement de nouvelles grippes aviaires sautent dans notre espèce. Elles s’adaptent à la diffusion entre humains et au lieu d’être des virus intestinaux, elles deviennent des virus respiratoires et nous les diffusons en éternuant, en ayant le virus sur nos mains, en touchant des surfaces etc.. Nous sommes constamment en train de recevoir des virus de ce réservoir réapprovisionné en permanence. Ce qui est différent de la manière dont les autres virus sont produits.

A : Au cours de l’histoire elle a été très meurtière n’est-ce pas ? Vous mentionnez l’épidémie de 1918 au cours de laquelle un demi milliard de personnes ont été infectées et on estime qu’elle en a tué 50 millions.

CZ : Oui, c’était peut-être plus qu’un demi milliard, c’est difficile de savoir précisément combien de personnes ont été infvaqui est incroyable c’est qu’elle s’est propagée dans le monde entier, jusqu’aux village les plus reculés d’Alaska, en une épidémie mondiale et plutôt catastrophique.

A : OK, Karim, il y a des questions ?

K : Il y a une question qui est je pense au coeur du livre, les virus sont-ils ou non vivants ?

CZ : On me pose cette question tout le temps, mais je ressens toujours ceci : avant que je réponde à cette question, je pense que la personne qui la pose doit me dire ce qu’est la vie. Définissez-moi la vie, parce que si vous regardez la définition de la vie, il y en a des centaines qui “circulent” en quelque sorte entre scientifiques. Il n’y a pas de définition clairement acceptée de la vie. Les gens vont dire “les êtres vivants ont cette liste de qualités” et ils rassemblent une liste arbitraire, qui change en fonction d’à qui vous vous adressez. Donc c’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que les termes sont controversés. Il y a certainement des caractéristiques des êtres vivants que la plupart des virus n’ont pas. Peut-être que la chose principale est que nos cellules ont des petites usines, appelées ribosomes, pour construire les protéines à partir de “blocs de construction”. Nos cellules peuvent grandir, construire de nouvelles protéines, construire leurs propres gènes, les virus ne peuvent pas faire ça, ils n’en ont pas la capacité. Donc si c’est votre définition, oui je dirais qu’ils ne sont pas complètement vivants. Pour autant il y a certains virus qui semblent être très proches de faire ces choses, ils sont appelés virus géants (mimivirus). Ils ont tellement l’air presque vivants que les gens ne sont pas sûrs qu’il s’agisse de virus, ça devient troublant. Je pense que nous avons tendance à penser la vie de façon binaire, mais je pense qu’en terme de biologie il y a en fait un continuum,  je ne sais pas comment l’appeler, des  systèmes biologiques, des systèmes vivants, du simple virus aux formes complètements vivantes, comme nous. Je pense qu’il est plus difficile qu’on ne le croit de tracer une ligne et de dire “de ce côté-ci les choses sont vivantes, de celui-ci elles ne le sont pas”.  

A : Je voudrais passer au chapitre suivant qui est à propos du Virus du Papillome Humain, VPH ou HPV, qui peut faire pousser des cornes sur les lapins, c’est une histoire incroyable, et provoquer des cancers du col de l’utérus chez l’humain, ou les faire ressembler à des arbres. Pouvez-vous nous parler de ce virus ?

CZ : Bien sûr. Le HPV est un des virus les mieux connus à présent, en partie je pense parce que sa menace est si bien évaluée. Les femmes infectées par certaines souches de HPV risquent de développer des cancers du col de l’utérus. Les hommes risquent également de développer des cancers avec ce virus. Ce qui se passe c’est que le virus pénètre les cellules et là il peut accélérer leur réplication elles perdent le contrôle et deviennent des tumeurs malignes. Le rythme de leur croissance devient très dangereux. La façon dont ils ont été découverts est assez incroyable, c’était dans le début des années 1900 aux Etats-Unis, les gens parlaient de ces lapins auxquels il poussait des cornes et ça semblait être de la mythologie, mais de temps en temps des gens trouvaient ces lapins ! Un chercheur à l’université de Rockefeller, Richard Shope, dans les années 30, a demandé à un ami de chasser ces lapins et de lui envoyer les corps. Il a étudiés leurs cornes et a réalisé qu’elles ressemblaient à des sortes de tumeurs. Quand il les a étudiées de plus près il a été capable d’isoler des virus de ces cornes, et il a pu utiliser ces virus pour faire pousser des “cornes” à d’autres lapins. Les virus du papillome sont trouvés sur pratiquement tous les mammifères terrestres. Le HPV nous infècte particulièrement, il s’agit en fait d’un réel succès en terme de virologie, car nous avons un moyen d’éliminer des cancers, un très grand nombre de cancers, parce qu’il y a un vaccin efficace contre le HPV. Si vous vaccinez les gens contre le HPV, ils n’auront pas ce type de cancer. Il s’agit d’un cancer qui affecte des milliers de personnes chaque année. C’est un type de cancer qu’on peut tout simplement éliminer, et vous ne pouvez pas dire ça à propos d’autres types de cancer. Les résultats du vaccin contre le HPV sont en train d’être connus, des données à long terme qui montrent que le vaccin est réellement en train de diminuer le taux de contamination par les souches qui provoquent le cancer, aux Etats-Unis du moins.

A : Karim des questions ?

K : Pas à propos des lapins je le crains.

A : Mais beaucoup de commentaires à ce sujet dans la chatroom.

P : Vous n’avez pas parlé du mythe du jackalope et du lien entre le lapin d’amérique et ce mythe.

CZ : Oui effectivement, les gens appelaient jackalope, ces lapins avec des cornes; jeu de mot entre jack rabbit, le lièvre, et antilope. Je me rappelle que quand j’étais jeune, j’étais allé dans le Wyoming et le Montana et parfois dans des restaurants, vous pouvez apercevoir des trophées de jackalopes, qui sont en fait comme des lapins avec des cornes d’antilope collées. Et vous pouvez acheter des cartes postales avec ces jackalopes. J’avais alors supposé que c’était un mythe que les gens de l’ouest américain avait inventé pour faire peur à ceux de l’est, mais il se trouve qu’il y a un fond de vérité. Il y a vraiment des lapins à cornes.

P : Je viens de poster une image de Reagan portant un trophée de jackalope.

A : Et il y a une autre image dans la chatroom. J’allais sauter la question mais puisqu’on en parle, pouvez-vous nous parler de Dede, le garçon indonésien des années 80 ?

CZ : Alors en plus du cancer du col de l’utérus, le HPV, dans d’autres situations, peut provoquer des excroissances des cellules de la peau et ça peut causer des verrues ou d’autres tumeurs pré-cancereuses. Une des raisons c’est que les cellules tentent de devancer le système immunitaire. Celui-ci peut maitriser ces virus et la plupart d’entre nous attrape l’HPV au niveau cutané, mais c’est plutôt inoffensif. Ce ne sont pas les mêmes souches qui causent le cancer du col de l’utérus. Mais il y avait cet homme qui avait sans doute une déficience de son système immunitaire car sa peau réagissait à chaque fois qu’elle entrait en contact avec le HPV. Cela provoquait une croissance très rapides des cellules cutanées. C’est horrible, sa peau ressemblait à de l’écorce. Ces tumeurs apparaissaient sur ses bras et d’autres parties de son corps. Des docteurs le trouvèrent dans un freak show itinerant et il fut opéré lourdement pour retirer ces excroissances. Il redevint normal mais les excroissances revenaient rapidement car le HPV est partout et est très difficile à éviter. Donc il le ré-attrapait inévitablement et sans système immunitaire adapté, il est juste redevenu cet homme arbre à nouveau.

A : C’est terrible… Passons au chapitre suivant, à propos de phages, incroyables petites choses. Vous en avez déjà parlé, pourraient-elles être une solution à la montée des résistances aux antibiotiques ?

CZ : Oui alors le terme phage désigne tout virus qui s’attaque à une bactérie. Il y en a énormément, tout simplement car il y a énormément de bactéries. Les plus abondants sont les phages des océans, car les océans sont immenses et remplis de bactéries. Des chercheurs ont tenté d’estimer leur nombre et sont arrivés à 10^31 (un 1 avec 31 zero derriere). Ca fait beaucoup de virus, et les virus sont donc la forme de vie, si l’on peut les appeler ainsi, la plus répandue sur la planète. Il y a plein de bonnes raisons d’étudier les phages. L’une d’elle est qu’il y a des phages qui infectent spécifiquement les bactéries qui nous infectent. Et donc si vous avez une plaie infectée par une bactérie, il est possible d’utiliser les phages pour soigner cette infection. Cette “thérapie par les phages” fut inventée en France, il y a un siècle et s’est bien établie avant d’être remplacée par les antiobitiques. Et maintenant que les antibiotiques commencent à nous faire défaut et que l’on voit apparaitre des résistances aux antibiotiques, les chercheurs se tournent de plus en plus vers les phages, en regardant s’ils peuvent réintroduire des phages efficaces contre les infections.

A : Vous avez mentionné les virus des océans et je voudrais y revenir. J’ai découvert quelque chose d’incroyable dans votre livre : si vous respirez 10 fois, l’une de ces respirations est due à un virus.

CZ : Oui c’est vraiment dingue, certains virus phages des océans infectent spécifiquement les bactéries qui produisent pas mal de notre oxygène. Ces virus portent sur eux certains des gènes de la photosynthèse. En gros, ils infectent la bactérie et remplacent les gènes de la photosynthèse de l’hôte par les leurs. Ils font cela car cela rend les hôtes meilleurs pour produire les éléments nécessaires pour produire d’autres virus. Ils adaptent en quelque sorte la photosynthèse pour leurs besoins et dans le processus, les cellules utilisent du dioxyde de carbone et produisent de l’oxygène. Nous respirons de l’oxygène qui vient dans un grand nombre de cas de ces bactéries infectées. Nous pouvons littéralement remercier les virus pour l’air que nous respirons !

A : C’est incroyable cette histoire !

CZ : Oui !

A : On trouve une autre histoire dans le chapitre « Nos parasites intérieurs », où nous apprenons que les mammifères peuvent remercier les virus pour l’existence d’un placenta ?

CZ : Dans cette partie je parle de certains virus qui sont devenu une partie de notre génome, qui sont vraiment passé dans notre ADN, se sont fondus en nous. Ça fait un moment que ces virus me fascinent et que je  suis toutes les recherches qui en parlent. Des chercheurs ont trouvés que dans plusieurs cas, leur ADN, transmis depuis des millénaires, a été capté à travers l’évolution pour faire des choses pour nous. Dans le placenta par exemple, des cellules utilisent un gène d’origine virale pour produire une protéine qui permet de créer un lien entre elles, et entre ces cellules et le placenta. C’est essentiel, et quand des chercheurs désactivent ce gène viral chez une souris, le placenta ne se fait pas et les embryons meurent. C’est un exemple frappant de la façon dont nous avons co-opté les virus. Ironiquement, nous utilisons aussi leur gènes pour combattre d’autres virus. Aussi étrange que ça peut paraître, nous sommes en partie des virus.

A : Oui, on a officiellement sidéré la chatroom [Rire]. Karim, des questions ?

K : Non, mais effectivement les gens sont épatés de voir à quel point les virus sont importants. J’ai une question si possible : pensez vous que la phagothérapie sera utilisée dans le futur ?

CZ : En fait, elle l’est déjà en ce moment, de manière confidentielle. Il y a des test en Belgique je crois. Un test important porte sur les victimes de brûlures. Les chercheurs développent des moyens pour les utiliser lorsque les antibiotiques ne fonctionnent plus. Pour les grands brûlés, vous n’avez pas envie de donner des tonnes et des tonnes d’antibiotiques à une personne si vulnérable. Et donc dans ce cas, les phages peuvent être une bonne alternative. Mais est ce que la phagothérapie est vraiment sûre ? Vous ne pouvez pas juste piocher n’importe quel phage pour une infection, un virus va peut être infecter une seule espèce, ou même une seule souche. Et si vous n’avez pas la bonne combinaison, ça ne va pas marcher.

K : Merci

A : Il y a un chapitre qui traite du VIH, mais je ne pense pas qu’on ait le temps, donc j’invite les auditeurs à aller lire votre livre, en anglais ou en français, pour découvrir ces histoires incroyables. Vous parlez aussi de la mondialisation du virus du Nil occidental, et de comment il est devenu américain. On va pas rentrer dans le détail non plus, mais en fait on assiste au même genre de phénomènes avec le virus Zika non ? Zika ?

CZ : On peut maintenant suivre ces virus d’une façon qui n’était pas possible dans les décennies ou les siècles précédents. Ce que nous voyons, c’est que certains virus apparaissent dans une partie du monde et puis tôt ou tard dans une autre. C’est assez remarquable de les voir se déplacer. Le virus Zika a été trouvé en Ouganda je crois au milieu du XXe siècle et pas vraiment ailleurs avant les 20 dernières années. Puis il a commencé à apparaître dans des endroits comme la Polynésie et l’année dernière dans les Amériques, au Brésil, et il se répand maintenant très rapidement dans d’autres parties du continent. C’est un schéma que l’on voit apparaître encore et encore. Le virus du Nil occidental était limité à l’Afrique et à l’Asie il y a encore 10 ans. Puis on l’a découvert à New York. On a su qu’il était là parce que les oiseaux mourraient, il touche les hommes et les oiseaux. Les oiseaux du zoo du Bronx et aux alentours mourraient et les chercheurs ont trouvé le virus en eux. En plein New York ! Probablement porté par des moustiques venant d’autres parties du monde. Et ça a suffit pour provoquer sa dispersion dans tout le pays [?][Je comprend pas ce que c’est que le shout out][Je pense pas, j’hésite entre shout out et shoot out même] et le virus du Nil Occidental fait maintenant partie de la vie des américains. On ne va pas s’en débarrasser ! Des gens en meurent tous les ans et on doit juste se résigner. Et Zika va suivre le même schéma à moins que l’on trouve un vaccin et que l’on mène une campagne intensive de vaccination et contre les moustiques qui le portent. Le chikungunya est un autre exemple. Malheureusement, on voit de plus en plus d’exemples de ces virus apparaître partout dans le monde.


A : En parlant de trucs terrifiants, vous avez aussi un chapitre dédié à Ebola. On ne va pas développer ici. Il y a également un chapitre sur la variole, j’aimerais qu’on s’y attarde un peu plus longtemps. Je suppose que les gens de mon âge ou plus jeunes seront aussi choqués en lisant ce chapitre. Je suis né au début des années 70 en Suisse et jusqu’à ce que je lise cette histoire, je n’avais jamais compris à quel point la variole avait été meurtrière pendant les milliers d’années qui nous ont précédé et à quel point c’est incroyable qu’on ait réussi à l’éradiquer (et pourtant réussi à séquencer son génome). C’est une histoire magnifique, qui en plus représente bien l’intérêt des vaccins. Pouvez-vous nous parler de la variole en 5 minutes ?

CZ : Oui certainement, je peux vous parler des points clés. L’histoire de la variole est vraiment incroyable. On a du mal à y croire car aujourd’hui ça n’existe plus. C’était peut-être le pire virus de tous, et on l’a vaincu. Héhé. Et ça, ça devrait nous confiance pour essayer d’en combattre d’autres. La transmission se faisait de personne à personne. Elle causait d’horribles scarifications, et la maladie était terriblement mortelle. Une part importante des gens infectés en mourraient. Il y a une estimation, en Europe, et en Europe seulement, entre 1400 et 1800, la variole a tué chaque siècle 500 millions de personnes. C’est un peu inimaginable. Mais les gens avaient développé des techniques pour se protéger qui ressemblaient un peu à la vaccination. En fait, ça a probablement commencé en Chine, puis ramené en Europe. Edward Jenner, au 18ème siècle, a fait des progrès pour traiter la maladie en découvrant une souche de virus qui protégeait contre la variole, sans être très dangereux en soi. Mais ce n’est que dans les années 50-60 qu’on a vraiment commencé à parler d’éradiquer le virus complètement et que les campagnes d’éradication ont commencé. Finalement en 1977 en Ethiopie, on a eu le dernier cas de variole contracté de manière naturelle. On garde toujours le virus de la variole quelque part. A ce que j’en sais, ce n’est que dans 2 laboratoires, un aux Etats-unis et un en Russie. Et c’est tout. Maintenant, on a un débat sur : est-ce qu’il faut se débarrasser de tout ou le garder pour des études qui pourraient nous donner des idées.

A : Vous avez réussi, en moins de 5 minutes. Vous êtes épatant ! Merci beaucoup. Karim, des questions ?

K : Une question de vocabulaire. Variole se dit smallpox en anglais, mais est-ce qu’il y a une bigpox ?

CZ : [Rire] Pas que je sache, non. Il ya des virus géants dont je parle dans le livre. Ces virus sont aussi gros que des bactéries. Des centaines de fois plus gros que les virus dont on vient de parler avec parfois plusieurs milliers de gènes, ce qui est fou, car les virus ont généralement 10 gènes, voire moins. Mais non je n’ai jamais entendu parler de bigpox. La variole (smallpox) est déjà suffisamment mauvaise !

K : Je voulais aussi vous demander. Vous avez dit que le virus était gardé dans un coffre. Quelle est votre position ? Vous pensez qu’il vaut mieux le détruire ou continuer la recherche dessus ?

CZ : Je pense que les deux camps ont présenté de très bons arguments. Je suis en revanche un peu méfiant sur le fait que l’éradication soit permanente. Et d’ailleurs, on pourrait même penser que l’éradication n’est pas possible. Par exemple, on n’est pas sûrs que tous les stocks de variole soient connus : il est possible que certaines personnes en gardent quelque part et pourraient les libérer. On ne peut juste pas savoir. Une autre chose, c’est qu’on connait le génome de la variole. On connait les séquences de gènes qui composent la variole. A notre époque, en connaissant ça, on peut faire le virus. Avec la biologie synthétique, je pense que la variole ne pourra jamais être éradiquée. On ne sait pas encore tout sur la variole, et on pourrait apprendre des choses sur les virus apparentés, qui seront peut être la cause de la prochaine grande épidémie, alors bon… J’ai tendance à dire : ne l’éradiquons pas.

A : Ok merci beaucoup. Vous venez de parler des virus géants. Je crois que Pierre a une question en lien avec l’actualité ? Pierre ?

P : Oui effectivement. Je viens de tomber sur votre article évoquant la découverte très récente dans un virus géant d’un système du type CRISPR. Je me demandais si vous pouviez expliquer en quelques mots en quoi consiste la découverte, mais aussi quelles précautions vous prenez lorsque vous écrivez sur les découvertes si récentes et des sujets aussi chauds

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Des virus virophages dits “Sputnik” infecte un virus géant dit “mimivirus”

CZ : Ok. J’ai parlé des virus géants dans Planète de virus. Mais la science avance tellement rapidement sur les virus géants  qu’il y a des éléments qu’on ne peut relater qu’en complément. Vous parlez d’un article que j’ai écrit juste hier sur le site STAT. J’y relate une découverte troublante : il y a des virus géants qui peuvent être infectés par leurs propres virus. Croyez-le ou non, il y a des virus de virus. On a les virus géants qui infectent les protozoaires, et on a aussi d’autres virus, appelés virophages, qui infectent ces virus géants. Les scientifiques ont trouvé que certains virophages pouvaient infecter certains virus géants mais pas des souches très proches de ces virus. Ils se sont donc demandés “que se passe-t-il ? Ca devrait être possible.” Les virus géants semblent avoir une sorte de système de défense contre les virophages. C’est déjà très étrange de voir que les virus peuvent avoir leurs propres virus, mais c’est encore plus bizarre de penser qu’ils ont leur propre système immunitaire. Suite à ces études sur les virus, les scientifiques pensent que les virus géants sont capables de capturer des petits bouts d’ADN de virophages et de les utiliser pour simplement les reconnaitre quand ils les contaminent et enfin d’utiliser des enzymes pour les couper en morceaux. Si c’est le cas, c’est très similaire à ce qui se passe avec CRISPR qui est un système immunitaire que les bactéries utilisent pour combattre les virus. CRISPR a donné de très bons résultats ces dernières années car les scientifiques l’ont utilisé pour modifier les gènes et c’est très puissant, très rapide, très précis, très peu cher et ça ouvre des tas d’opportunités excitantes et effrayantes. S’il s’avère que les virus géants ont une espèce de CRISPR à eux, qui sait où ça pourrait mener pour d’autres applications de modifications. On n’en sait vraiment rien ! Vous avez posé une bonne question sur ce qui se passe quand quelque chose comme ça arrive. Un nouveau papier sort avec des découvertes étonnantes. Il faut être méfiant car il se peut très bien que ça s’avère ne pas être vrai. Peut-être que dans un, deux ou trois ans, les scientifiques qui vont essayer de suivre ce sujet vont se rendre compte que celui qui a fait la première découverte s’est trompé. Je pense qu’il faut simplement garder ça en tête pendant qu’on écrit sur le sujet et en discuter avec des experts extérieurs, des gens qui peuvent être un peu sceptiques et essayer d’intégrer ces voix dans vos rapports quand c’est possible. C’est une idée formidable, on va attendre et voir dans les années qui viennent si ça se confirme après un examen minutieux.

P : C’est ce que vous avez fait quand vous avez contacté Jennifer Doudna, pour cette histoire en particulier, pour avoir son opinion sur le sujet ?

CZ : Oui, j’ai contacté Jennifer Doudna, de Berkeley qui est une experte de CRISPR, j’ai parlé à 2-3 virologistes également, pour avoir leur sentiment sur le sujet. Déjà, les gens reconnaissent que les auteurs de cette nouvelle étude sont LES experts mondiaux des virus géants, ce sont eux qui les ont découverts. Didier Raoult et d’autres en France sont vraiment pionniers dans ce domaine et s’ils publient un papier, il faut l’étudier attentivement. Ca ne veut pas dire qu’ils ne se trompent pas, mais ça vaut quelque chose.

A : Merci infiniment. Le temps passe, on va boucler ce qui concerne le livre. Il y a une dernière question que je voulais vous poser : en fait, c’est juste une question de temps avant que la prochaine épidémie nous frappe, c’est ça ?

CZ : Malheureusement oui. C’est ce qui est en train de se passer en ce moment avec Zika par exemple. Ca arrive tout le temps, il y a juste une question d’échelle.

Parfois, il s’avère que les virus ne sont pas spécialement énormes. Comme par exemple, le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, dont je parle dans le livre. On ne veut pas l’attraper, ça peut être mortel, mais pour le moment il est très limité et se propage dans les hôpitaux et pas forcément à l’extérieur, donc ce n’est pas comme la grippe. Mais oui, on va avoir de plus en plus de cas comme ça, et certains d’entre pourraient être très mauvais. Je ne peux pas dire lequel sera le prochain, ça pourrait être une épidémie de grippe, ça pourrait être une nouvelle souche de grippe aviaire qui se propage très vite et soit en plus relativement mortel. Il y a pas mal de chose qu’on peut faire pour être prêt pour ces cas, c’est bien, mais c’est aussi frustrant car on se rend compte qu’on ne fait pas tout ce qu’on pourrait faire. Dans le cas d’Ebola par exemple, comment se fait-il que nous n’avions pas de vaccins prêts ? On avait déjà de bons résultats sur des vaccins contre Ebola il y a des années ! Mais les chercheurs n’ont pas réussi à faire en sorte que tout le monde se mette d’accord et fasse réellement des recherches dessus. Il faut qu’on soit mieux préparés pour la prochaine vague de virus.

A : C’est un bon message, merci. Karim, des questions ?

K : Non, je crois que les gens sont toujours impressionnés et essaient de digérer le truc du virus du virus.

A : Ok. En ce qui concerne le livre, j’invite vraiment chaudement nos auditeurs à le lire. Soit en anglais “A planet of viruses” dont la deuxième édition est disponible partout. Et à partir du 11 mars, il est aussi disponible en français sous le titre “Planète de virus”. Je ne sais pas si je l’ai précisé mais les traducteurs ont fait un boulot fabuleux. Maintenant, je vais laisser la parole à David et Pierre qui vont poser quelques questions supplémentaires, pas à propos du livre mais sur vous, votre vie et plus particulièrement vos écrits. David ?

D: J’aimerais revenir sur votre parcours académique. Ne faut-il pas être un scientifique pour comprendre et communiquer sur la science ?

CZ : J’espère que non, parce que je ne suis pas un scientifique ! Donc si c’était le cas, je serais sans emploi. Sérieusement, il est certain qu’être un scientifique donne pas mal de notions sur comment marche la science et ça donne beaucoup d’expertise dans un domaine particulier, mais je ne pense pas que ça empêche les autres personnes de s’y intéresser ou d’écrire sur la science. Je dirais que les non-scientifiques doivent reconnaître que ça peut être compliqué et qu’il faut du temps pour comprendre. C’est vraiment très facile d’étudier les choses en partant avec de fausses hypothèses. Il est certain qu’en tant que non scientifique je me remets sans cesse en question, je vérifier plusieurs fois pour m’assurer que j’ai bien compris. C’est bien et c’est intéressant de voir où j’ai fait des erreurs et d’apprendre de ça. Je n’aime pas… Je préfère m’en apercevoir avant que mes papiers soient publiés plutôt qu’après.

A : C’est un bon conseil ! David tu avais une autre question je crois ?

D: Dans l’avant-propos, on peut lire que le contenu du livre était initialement prévu pour des essais dans le cadre du projet “world of viruses”. Pourriez-vous nous parler un peu de cette initiative ? Est-ce de cette manière que le livre a vu le jour ?

CZ : Exact, donc c’était un projet éducatif organisé par des personnes de l’université du Nebraska. Ils font pas mal de projets éducatifs différents sur l’évolution et d’autres sujets et ils sont entrés en contact avec moi. Dans un premier temps je devais juste écrire quelques essais sur les virus, juste pour les présenter aux étudiants. J’ai commencé à les écrire et j’ai réalisé que j’avais presque accidentellement écrit un livre. La maison d’édition de l’université de chicago s’y est intéressée et donc j’ai repris et retravaillé tous les essais pour créer une unité et les assembler pour en faire un livre. C’est un des éléments qui est ressorti de ce projet. Ils ont fait d’autres choses vous savez : des BD des programmes radio, des tas de posters, plein de choses intéressantes et différentes. Ca a été très sympa de bosser avec eux et de voir les gens se servir des virus dans des formes de création différentes.

A : Pierre, tu avais aussi quelques questions   ?

P : Oui effectivement, si on a encore un peu de temps j’aimerais que vous nous parliez un peu plus de vos différents travaux et de votre expérience en termes de vulgarisation scientifique. Pour beaucoup, nous compris, vous arrivez à très bien équilibrer le fait de relater des faits, raconter une histoire et présenter des opinions. Selon vous, quels sont les principaux progrès qui vous ont permis d’atteindre cet équilibre ?

CZ : Dans mon cas, je ne peux pas dire que tout a été consciemment réfléchi, mais, vous savez, j’ai travaillé 10 ans pour le magazine Discover, j’y ai été rédacteur en chef pendant 4 ans et ça a vraiment été ma formation dans le journalisme scientifique, comprendre comment le faire. Commencer par être celui qui vérifie les données, puis écrire de courts articles… et apprendre de rédacteurs et de journalistes très talentueux. Depuis, j’écris seul à temps plein et j’aime vraiment atteindre un bon équilibre entre plusieurs types d’écriture. Déjà par intérêt personnel. Je pense que je m’ennuierais un peu si j’ecrivais tout le temps le même type de chose. Donc quand j’ai fini un livre, ce que j’aime faire habituellement, c’est commencer à travailler sur quelque chose de très très court. J’aime beaucoup ça, pouvoir écrire quelque chose, le faire très rapidement puis avancer à partir de là. C’est un processus continu, régler finement mon emploi du temps et ma journée, regarder ce que j’ai déjà écrit et essayer de comprendre comment je vais avancer à partir de là dans une direction différente.

P : Vous avez testé pas mal de média : les blogs, les journaux et magazines (NY Times, National Geographic, Time Scientific American, Science, et Popular Science), les podcasts (Radiolab, Fresh Air, Meet the Scientist and This American Life) et recemment la vidéo avec STAT. Maintenant que vous avez un peu tout testé : quels sont les avantages et inconvénients de chaque média ? Est-ce qu’il y en a un que vous préférez et est-ce que vous pensez qu’il y a un passage possible de l’un à l’autre ?

CZ : Je travaille actuellement sur un livre et j’aime vraiment pouvoir travailler un jour entier voire plusieurs jours uniquement sur un gros projet spécifique. Pour le côté créatif, c’est vraiment satisfaisant. Mais aujourd’hui le domaine des livres devient un domaine un peu saturé. Ce n’est pas une mauvaise chose mais le fait est qu’aujourd’hui les gens lisent et écoutent et regardent la science de pleins de manières différentes et même si j’aime écrire un livre papier à l’ancienne, je veux quand même être capable d’explorer d’autres moyens. La vidéo pour STAT que j’ai faite est quelque chose de complètement nouveau pour moi mais je pense que si on a de la chance, on essaie de nouvelles choses en travaillant avec des gens qui savent ce qu’ils font, et donc on ne peut pas se tromper. Dans mon cas, je travaille avec un producteur, Matthew Orr, qui a 10 ans d’expérience dans la video, et qui travaille dans des endroits comme le NY times. En gros, ce que nous faisons, lui et moi, c’est nous pointer dans des laboratoires, où des gens font des choses très intéressantes, comme de la rééductation après un AVC,  hacker des microbiomes, ou je ne sais quoi. En quelque sorte on prend le pouvoir et on leur demande de nous montrer ce qu’ils font et de nous raconter leur histoire. Matt filme tout le temps et cherche de belles images pour illustrer ce dont on est en train de parler. C’est un challenge complètement différent ici, il faut arriver à résumer en 5 minutes ce que des gens étudient depuis des années, et ce n’est pas toujours facile.

P : Ok. J’ai encore le temps pour quelques questions ?

CZ : Oui bien sûr, encore quelques minutes.

P : Dans la blogosphère, à un moment vous avez changé de plateforme (vous avez commencé par Discover puis Phenomena pour le National Geographic). Est-ce que vous pouvez nous dire quelle votre opinion pour ces plate-formes de blogs et comment elles ont évolué, ce qu’elles offrent aux blogueurs etc ?

CZ : A ce propos, il y a un nouveau livre qui s’appelle : “Science blogging : The Essential guide”. Il a été publié par la maison d’édition de l’université de Yale et il y a un chapitre qui parle de l’histoire des blogs. Je suppose que je fais partie des vieux, qui ont commencé à blogger à l’ère du Jurassique. En fait j’ai commencé tout seul, sur mon site, avec un logiciel très primitif. Puis un réseau de blog appelé “Courant” [??] m’a demandé si je voulais blogger avec eux, ensuite j’ai été invité à participer à un réseau de blogs plus important appelé “Science Blogs”.

Ensuite j’ai rejoins le magazine Discovery, puis National Geographic. Le fait de blogger était très excitant. Et ça l’est toujours, mais au début voir au milieu des années 2000, où il n’y avait rien d’équivalent, où on pouvait écrire exactement ce qu’on voulait, de la manière qu’on voulait, on pouvait intégrer des vidéos etc. et tout simplement expérimenter. On pouvait répondre rapidement aux lecteurs. Et aujourd’hui, il y a tellement de choses qu’on considère comme acquises dans les média de science qui en réalité ont été découvertes pour la première fois grâce aux blogs de science. Pour l’instant, je prends un peu de recul par rapport au blog car je suis en train d’écrire ce livre et j’ai aussi tout ce qui se passe sur STAT et j’ai une rubrique pour le NY times, et j’ai des fois l’impression que ma tête va exploser. Mais j’y retournerai. Je pense toujours qu’il y a certaines choses qu’on peut faire en bloguant qui sont simplement impossibles avec d’autres formats.

A : Très rapidement, questions réponses pour tes dernières questions Pierre.

P : OK, donc les 2 dernières questions. A certains moments, vous avez activement plaidé pour une nouvelle manière de faire de la science, notamment suite au désastre de la fausse découverte de bactéries à l’arsenic. Est-ce que vous pensez que c’est un travail pour quelqu’un comme vous, qui a un regard extérieur sur comment on fait de la science et comment elle est perçue ?

CZ : Eh bien, ce qui s’est passé à ce moment-là, c’est que le magazine Science a publié une étude faites par des scientifiques très réputés et financés par la NASA qui prétendaient avoir trouvé un nouveau genre de vie qui pouvait vivre de l’arsenic qui était utilisé pour construire leur ADN. Ca aurait été incroyable si ça avait été vrai, mais ça ne l’était probablement pas. Je ne dirais pas vraiment que j’ai plaidé dans ce sens, mais j’ai écrit  sur comment la communauté scientifique avait reçu cette info et tout le battage qui en a suivi, sur le fait qu’il y avait beaucoup de sceptiques à ce sujet, et que beaucoup de personnes pensaient que ça montrait que le système de diffusion de l’information scientifique était très imparfait en se focalisant autour du fait que les journaux sont réputés et que ça ne marche tout simplement pas.  J’ai écrit sur ce qui se passe après la publication, le peer-review une fois que les papiers sont sortis, les gens doivent y penser. Je ne dirais pas que j’ai plaidé mais que j’ai présenté les grandes tendances dans la communauté scientifiques dont une qui est en train de prendre de l’importance.

P : Ok pour terminer … ?

A : Oui Pierre, une dernière.

P : Vous avez eu du mal à expliquer votre affection et enthousiasme pour les parasites à Jad Abumrad et Robert Krulwich sur Radiolab. Je suis un fan des parasites et je me suis toujours demandé si cette discussion sur Radiolab avait été préparé ou si elle était sincère. Est-ce que vous pensez que vous avez contribué efficacement à l’embellissement des parasites ?

CZ : Je pense qu’à Radiolab, Robert Krulwich et Jad Abumrad pensent que c’est leur job de représenter l’opinion que beaucoup de gens ont, par exemple sur les parasites, on a le sentiment que ça fait peur et que c’est bizarre et ils ne veulent pas en entendre parler, c’est juste mauvais. Et c’est à des personnes comme moi de les persuader que non, vraiment vous devriez y réfléchir, parce que la nature est étonnante et surprenante et belle, même si parfois c’est de manière sinistre, mais c’est toujours mieux que ce qu’on aurait pu supposer au premier abord. Et si j’arrive à les persuader en direct, avec un peu de chance, certains auditeurs peuvent également changer d’avis sur comment le monde marche.

A : Donc on ne sait pas vraiment si c’était mis en scène mais ça nous va je suppose.

CZ : [Rire] Ils ne m’ont pas envoyé de scénario. Nous nous sommes assis et ils ont commencé à me titiller… C’était marrant.

P : Ca a bien marché !  

A : Oui ! Karim, des questions dans la chatroom ?

K : Oui, une nouvelle question d’Alex. Vous avez dit que vous travailliez sur un livre sur l’hérédité. Vous avez déjà des idées pour de prochains livres ?

CZ : [Rire] Non. Uniquement parce que je dois d’abord terminer celui que je suis en train d’écrire avant de penser à écrire un autre livre. De toute évidence, c’est un sujet très vaste donc toute mon énergie mentale disponible est monopolisé sur ce livre. Quand ce sera terminé, je penserai au prochain. Pour l’instant je suis en plein dans celui-là.

A :Un projet à la fois je suppose.

CZ : Exactement.

A : Ok. C’est le moment de la quote. Carl, Vous avez fait vos devoirs ? Vous en avez trouvé une dans l’intervalle ?

CZ : Il y a quelque chose que j’ai écrit pour le National Geographic à propos de la main. J’essayais de parler de l’importance de la main humaine dans notre évolution, notre histoire etc. J’ai écrit :

La main c’est l’endroit où le monde rencontre l’esprit.

A : Magnifique. Ca nous laisse de quoi méditer pour la semaine prochaine. Merveilleux, merci beaucoup.

CZ :Merci

A : Rappelez nous où on peut vous trouver sur l’internet mondial ?

CZ : Mon site web carlzimmer.com, carl avec un C. J’ai aussi un twitter @carlzimmer.

A : Super. Et bien sûr, on peut trouver planète de virus dans toutes les bonnes librairies et dans 10 jours exactement, le livre sera aussi disponible en français. Je ne sais pas si je l’ai précisé mais la traduction est excellente. Et bien il est temps de se dire au revoir. La semaine prochaine, mardi 8 mars, un épisode roue libre, avec Emile on bande, une équipe de sociologues qui parle au grand public par le biais de bd. Les épisodes roue libre sont nos format test, et on va essayer, comme à notre habitude de nouvelles choses, spécialement sur le storytelling. Et on est désolés pour ceux qui écoutent en anglais, on revient au français la semaine prochaine. Personne n’est parfait. Que vous ayez aimé ou pas, faites-le savoir par n’importe quel moyen viral. Aimez-nous sur Facebook, twitter, soundcloud, sur tout l’internet mondial. Un immense merci à Carl Zimmer et un gros bisou à toute l’équipe, et à Karim, David et Pierre en particulier.

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