Dossier: la preuve scientifique

 

Dossier de l’épisode #1.

J’espère que les dossiers – que nous allons essayer de produire chaque semaine et qui seront reproduits en intégralité ici – deviendront rapidement l’une des marques de fabrique de Podcastscience. Le but est de décortiquer un des grands thèmes de la science et de le présenter de la manière la plus simple et digeste possible en essayant de ne pas trop le déformer.

Comment choisir les sujets ? Je vois deux options : soit nous attaquer aux sujets qui nous inspirent et que nous avons envie de partager (j’ai d’ailleurs déjà un ou deux dossiers déjà prêts en réserve : l’un sur l’ADN mitochondrial et l’autre sur l’effet Placebo), soit, et ce serait encore mieux, en demandant à nos auditeurs de nous souffler les sujets. En fait, un futur auditeur, Ben, de Niptech Podcast, m’a déjà un demandé un sujet sur la théorie des cordes. Et c’est là qu’on mesure à quel point la vulgarisation scientifique est un exercice difficile… Le sujet est drôlement costaud et je n’ai pas encore trouvé le bon angle pour le présenter, alors, Ben, désolé, ce sera pour plus tard.

Pour aujourd’hui, je vous propose une petite réflexion sur la notion de preuve scientifique.

Véritable mantra, on dirait que la preuve scientifique, à certains égards, est la nouvelle religion. La preuve scientifique a l’air d’être devenue l’argument publicitaire ultime pour vendre pâtes dentifrice, gélules amincissantes et autres poudres à lessive. La preuve scientifique a le dernier mot dans les tribunaux du monde entier. Et pourtant… La preuve scientifique n’existe pas !

La preuve mathématique (ou théorème) est imparable, inévitable, infalsifiable : quelle que soit l’époque, la culture,  le contexte, dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse sera toujours égal à la somme des carrés des cathètes. Toujours. Partout.

Mais la preuve scientifique ? La loi universelle de la gravitation, formulée par Newton au XVIIe siècle, pourtant valide, permettant de comprendre enfin pourquoi les choses tombent, le pourquoi et le comment des marées, les interactions entre les astres, eh bien cette loi a priori « universelle » n’expliquait pas des minuscules anomalies dans l’orbite de Mercure (la planète la plus proche du soleil). La théorie de la relativité générale, d’Albert Einstein, quant à elle explique non seulement la gravité (en se basant sur une approche complètement différente) mais elle permet aussi de prédire et d’expliquer les variations de l’orbite de  Mercure. La preuve scientifique de Newton a donc été supplantée par celle d’Einstein !

D’ailleurs, si la théorie d’Einstein reste la théorie de référence en astrophysique, on sait aujourd’hui qu’elle n’explique pas tout non plus et qu’elle sera certainement remise en question elle aussi tôt ou tard.

Alors si une théorie prouvée peut être remise en question par une autre théorie deux siècles plus tard, peut-on vraiment parler de preuve ?  Pour ma part, je pense que non. Contrairement aux religions, il n’y pas de vérité en science. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la démarche scientifique. Son moteur est le doute, pas la certitude. Il s’agit de questions plus que de réponses.

Une théorie scientifique passe par de nombreux états : au départ, c’est juste une idée, une hypothèse. Puis, si des observations systématiques viennent confirmer cette hypothèse, au point de pouvoir prédire les résultats de l’expérience, elle est érigée au rang de théorie acceptée par la communauté scientifique. Et c’est tout. Elle peut être remise en question à tout moment, c’est toute la beauté de la chose ! Si d’autres observations viennent invalider ou nuancer la théorie (ce qui est possible à tout moment, particulièrement à cause de l’évolution des moyens technologiques qui permettent de conduire les observations), eh bien, l’ancienne théorie est remplacée par une nouvelle comme pour la gravitation et la relativité générale. Bien sûr, la nouvelle théorie doit avoir respecté la rigueur imposée par la démarche avant de remplacer l’ancienne. Il ne suffit pas de venir dire, comme les créationnistes, qu’on ne croit pas à la théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle pour remettre en cause l’évolution. Il faudrait que cette nouvelle théorie soit vérifiée systématiquement et qu’on puisse en prédire les résultats, ce qui est exactement le cas pour la théorie de Darwin.

Ce qui m’intéresse et me passionne dans la démarche scientifique, c’est justement la simplicité et la modestie de l’approche. On s’attaque aux problèmes les uns après les autres, tout petit bout par tout petit bout, en toute humilité. Tout papier scientifique est soumis à une revue critique par des pairs avant publication, afin de limiter au maximum les risques de dérive. Toute affirmation ou prise de position doit être supportée par des travaux antérieurs eux-mêmes revus par des spécialistes avant publication. Bref, la science fait tout ce qu’elle peut pour constituer sa formidable somme de savoir tout en évitant les biais et raccourcis existant dans d’autres disciplines. Et même s’il y a des dérives de temps en temps, la science prend en compte les faiblesses humaines (le découragement, l’optimisme, l’hyper-généralisation, la paresse, l’asservissement au pouvoir, l’envie d’avoir raison, le besoin de reconnaissance, le besoin de se démarquer) et prévoit dans sa démarche même des garde-fous qui la rendent aussi intègre que possible en soumettant notamment toute hypothèse à une pensée hyper-critique (on sait d’emblée que c’est comme cela qu’elle sera révisée de toute façon). Et dans cet esprit là, si tout peut toujours être remis en question, on ne peut pas en aucun cas parler de preuve !

Alors, à part les publicitaires… Qui parle de preuve scientifique aujourd’hui ? Pas grand monde à vrai dire. En tout cas pas les scientifiques… Tapez « preuve scientifique » dans google, pour voir… Le résultat est surprenant. Il y a de tout, sauf une définition. Même pas d’article dans Wikipédia en version française !

A part les publicitaires, donc, ce sont essentiellement les médias qui parlent de preuve scientifique, par simplification. La justice également, lorsqu’elle commissionne des experts. Mais je pense que c’est encore un abus de langage. Même pour une « preuve » de paternité par analyse ADN ! Tout ce que permet la démarche, c’est d’exclure certaines hypothèses : on peut être sûr à 100% que Maurice n’est pas le père de Benjamin. Mais la démarche peut conclure à une très forte probabilité de filiation, supérieure à 99%, entre Pierre et Benjamin. Même dans ce cas-là, la notion de « preuve scientifique » est un raccourci de langage. Une notion plus juste serait « probabilité statistique extrêmement élevée », qui pourrait toujours être invalidée par une probabilité statistique encore plus élevée…

J’entends parfois dire autour de moi que la science est arrogante, qu’elle seule prétend détenir la vérité. De la part de personnes qui ne sont pas concernées directement par la science mais qui y sont exposées à travers les médias ou la médecine. Le but de ce dossier était de réhabiliter cette pauvre science, souvent malmenée, qui, au fond, n’est qu’une démarche, sans doute la meilleure que l’humanité ait trouvée jusqu’ici, pour capitaliser au fil des générations les sommes de connaissances qu’on ne pourrait pas acquérir en une seule vie. Pas besoin de repartir de zéro à chaque nouvelle hypothèse, on peut s’appuyer sur les travaux existants. Bref, il y a des scientifiques arrogants, ça ne fait aucun doute. Des médecins qui se croient omniscients et vous font bien sentir que vous n’y connaissez rien. Mais, cela n’est pas de la science. Juste de la bêtise humaine. Notions à ne pas confondre, et Mathieu et moi-même allons nous y atteler au fil des numéros du Podcast !

Autres lectures ayant inspiré cet article :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Introduction_%C3%A0_la_relativit%C3%A9_g%C3%A9n%C3%A9rale

http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie

http://en.wikipedia.org/wiki/Scientific_evidence

http://en.wikipedia.org/wiki/Scientific_evidence_%28law%29

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