Dossier – L’odyssée du terme “évolution”

Dossier présenté dans l’épisode #56.

Attention au contre-sens!

Le terme “évolution” est un mot qui porte à confusion.

En effet, l’utilisation qui en a été faite dans le passé est responsable aujourd’hui de nombreuses erreurs d’interprétation. Beaucoup de personnes confondent évolution et progrès et n’imaginent donc pas l’évolution comme une suite de changements, mais comme un accroissement de l’intelligence menant, bien sûr, jusqu’à l’homme.

Les plus grands évolutionnistes du XIXe siècle, que sont Darwin, Lamarck et Haeckel n’ont pas utilisé ce mot dans l’édition originale de leurs œuvres.

Charles DarwinJean-Baptiste LamarckErnst Haeckel

Darwin parlait de “descendance avec modification”, Lamarck de “transformisme” et Haeckel préférait “théorie des transmutations”.

2 raisons ont fait que Darwin n’a pas utilisé ce mot pour exposer sa théorie:

“évolution” chez les préformationnistes

Tout d’abord ce terme avait déjà un sens technique en biologie qui s’appliquait à une théorie embryologique totalement inconciliable avec les idées de Darwin.

En 1744, le biologiste allemand Albrecht von Haller l’avait utilisé pour désigner une théorie selon laquelle les embryons se développeraient à partir d’homoncules (c’est à dire de minuscules bébés miniatures) contenus dans le sperme où les ovaires. Les tenants de cette théorie étaient les préformationnistes. (eux-même divisés en ovistes et spermistes, tout dépend s’ils plaçaient cet homoncule dans les ovaires ou les testicules) Le principe de cette théorie amenait à une régression à l’infini, puisque les homoncules, possédaient eux-mêmes des homoncules, qui possédaient des homoncules, etc. Toute l’humanité devait donc être contenue dans les ovaires d’Ève ou les testicules d’Adam, emboîtées comme des poupées russes. (cette théorie peut nous paraitre aujourd’hui ridicule, mais les choses doivent être jugées dans leur contexte)

 

Albrecht von Haller
Albrecht von Haller

Haller avait donc choisi le mot “évolution” pour décrire sa théorie, car ce terme vient du latin evolvere qui signifie “dérouler”, exprimant alors l’idée d’un déballage d’une structure déjà existante sous une forme compacte.

L’évolution de Haller n’a donc rien à voir avec l’idée de “descendance avec modifications” de Darwin et est même en contradiction, car comment alors la sélection naturelle pourrait-elle avoir un rôle à jouer si toute l’histoire de la race humaine se trouve préemballée dans les ovaires d’Ève?

 

Évolution # progrès

Ensuite Darwin employait très rarement ce mot, car il laisse sous-entendre une notion de progrès et c’est ce qu’il voulait bannir. Darwin disait qu’il s’interdisait d’employer les qualificatifs “supérieur” ou “inférieur” lorsqu’il décrit la structure des organismes.

Pouvons-nous prétendre que nous sommes supérieurs à l’amibe, qui est aussi bien adaptée à son environnement que nous le sommes au nôtre?

Il l’utilise en conclusion de son livre: “N’y a-t-il pas de la grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses diverses potentialités d’abord recelées dans un petit nombre de formes, voire une seule; puis tandis que notre planète continuait ses révolutions, obéissant à la loi immuable de la gravitation, à partir d’un si humble commencement, d’innombrables formes toujours belles et plus merveilleuses n’ont cessé d’évoluer et, aujourd’hui encore, évoluent”

Mais ici, Darwin l’utilise dans son sens courant, et veut opposer le caractère mouvant de la transformation organique au caractère statique des lois physiques telles que la gravitation.

 

Darwin évita donc de recourir au mot “évolution” d’une part parce que son sens technique heurtait ses convictions, et d’autre part parce que son sens courant était inséparable de la notion de progrès.

 

Mais alors pourquoi “évolution”?

La question qui en découle alors est “Comment se fait-il que ce terme est employé aujourd’hui dans un sens technique différent de celui de Haller?”

Voici l’explication: Vers 1859, la théorie de Haller était à l’abandon, le mot “évolution” allait donc pouvoir resservir.Et  grâce à Herbert Spencer, un philosophe anglais dont la réputation de l’époque rivalisait avec celle de Darwin, ce mot allait faire son entrée dans la langue anglaise en tant que synonyme de “descendance avec modification”

Il a toujours employé le terme pour décrire les transformations organiques dans son ouvrage célèbre , Principes de biologie. Ensuite il ne considérait pas le progrès comme une propriété intrinsèque de la matière, mais comme le résultat d’une sorte de “collaboration” entre des principes internes et externes.

Ses points de vue s’adaptaient bien aux idées des savants évolutionnistes anglais de l’époque qui avaient tendance à confondre changement organique et progrès organique. La majorité d’entre-eux pensaient que le changement organique conduisait inévitablement à un accroissement de la complexité, et s’approprièrent alors la formulation de Spencer.

L’ironie du sort est que Darwin était presque seul à soutenir que le changement organique à pour unique résultat d’améliorer l’adaptation des organismes à leur environnement, et n’est pas conforme avec une idée abstraite de progrès ou d’augmentation de la complexité.

Les scientifiques évolutionnistes ont abandonné depuis longtemps l’idée de progrès dans l’évolution, mais cette confusion persiste encore malheureusement de nos jours, chez les non-initiés

Cette confusion a même été à l’origine des abus de ce qu’on appelait le darwinisme social, dont Darwin se méfiait beaucoup.

Cette théorie, aujourd’hui discréditée, classait les groupes humains et les cultures en fonction de leur supposé niveau d’évolution. Évidemment les Européens se classaient au sommet et les habitants de leurs colonies en bas.

Cette arrogance se retrouve aujourd’hui encore dans notre tendance à vouloir dominer le million d’espèces qui vivent sur Terre, sous le prétexte que l’on serait supérieur…

 

source: Darwin et les grandes énigmes de la vie – Stephen Jay Gould

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