Cellules souches – un pas vers l’immortalité?

Dossier de Héléne dans l’épisode #69.

Souvent présentées comme l’avenir de la médecine, les cellules souches sont déjà au cœur de certaines thérapies. Si elles sont sources d’espoir pour bon nombre de personnes, l’utilisation d’embryons surnuméraires humains pose des questions éthiques. Pour pouvoir répondre à ces questions, il est important de bien comprendre ce que sont les cellules souches, quels sont leurs pouvoirs et leurs limites.

Mais avant d’entrer dans le cœur du sujet, je vais faire un tour rapide autour de la biologie de la cellule. Je ne parlerai ici que des cellules des êtres pluricellulaires et plus particulièrement des animaux. Bien qu’ayant chacune un rôle bien défini, presque toutes les cellules d’un être vivant contiennent une copie intégrale du génome de cet individu dans leur noyau.

Quelques bases de biologie cellulaire

La division cellulaire

La division cellulaire se passe en deux grandes phases : l’interphase et la mitose. Durant l’interphase, la cellule croît et se prépare à la division qui a lieu durant la mitose. L’interphase est elle-même découpée en plusieurs périodes :

  • La première appelée G1 est le moment où la cellule croît et fonctionne selon sa « programmation » (synthèse de protéines, communication avec les cellules environnantes…)
  • La deuxième est la phase S; c’est au cours de celle-ci que l’ADN est dupliqué. C’est à ce moment-là que les chromosomes prennent la forme de X dans laquelle on les représente régulièrement. Ils sont en fait composés de 2 chromatides reliées entre elles par le centromère.
  • La troisième et dernière phase est la phase G2: la cellule se prépare à se diviser en finissant de croître.

Durant les phases G1 et G2, il existe des points de non-retour enclenchant le passage à la phase suivante. Il existe également une phase de repos G0.  C’est la seule phase durant laquelle la cellule remplit ses fonctions au sein de l’organisme. La plupart de nos cellules sont donc en phase G0.

La régulation du cycle cellulaire est fine et dépendante de nombreux facteurs dont la présence suffisante de nutriments, l’absence de poisons et la présence de facteurs de croissance. Les cellules ont également besoin d’un point d’ancrage. Cela empêche une croissance trop importante de leur nombre.

La mitose est plus courte mais également divisée en 4 phase (prophase, métaphase, anaphase, télophase) durant lesquelles les chromatides s’alignent, se séparent et intègrent un nouveau noyau. De cette façon, chaque cellule fille obtient une copie du génome de l’individu.

Durant la mitose, l’ADN est compacté au maximum, c’est d’ailleurs le seul moment où l’on peut observer les chromosomes. L’ADN est enroulé autour de protéines histones puis enroulé sur lui-même plusieurs fois. A ce niveau de  compression, aucun gène n’est exprimé.

Les différents types de cellules (formes, fonctions)

Il existe une grande variété de types de cellules qui diffèrent dans leurs formes et leurs fonctions. Ainsi les neurones présentent des ramifications (axones) qui peuvent être très longues (quasiment la taille de l’individu pour les cellules des nerfs des pieds), tandis que les cellules adipeuses sont rondes et composées en grande partie d’une gouttelette de graisse. La forme d’une cellule est dépendante de sa fonction.

Selon sa fonction, chaque cellule exprimera les gènes nécessaires à son fonctionnement et à sa fonction : protéines liées à la production d’énergie, protéines permettant la production d’hormones pour les cellules endocrines, production de neurotransmetteurs par les neurones…

Les différents types de cellules sont plus ou moins capables de se diviser. Ainsi les cellules épithéliales (de la peau, de la paroi intestinale) se divisent fréquemment.  Les cellules hépatiques sont capables de se diviser mais ne le font qu’en cas de nécessité, en particulier de lésion. Les cellules les plus spécialisées telles que les neurones, les fibres musculaires sont incapable de se diviser.

Au niveau du noyau, la différenciation implique une condensation des zones de l’ADN inutiles à la cellule et une décondensation des zones nécessaires à son bon fonctionnement. On observe également chez les vertébrés, une forte méthylation de zone de l’ADN (ajout d’un groupement CH3) pour inactiver les gènes.

La mort cellulaire et les télomères

Contrairement aux bactéries, les eucaryotes ont des chromosomes non-circulaires. À leurs extrémités, on trouve les télomères. Il s’agit de zones hautement répétitives dont l’un des brins est  plus long que l’autre et se replie sur lui-même. Cela indique la fin normale du chromosome et évite à la cellule de vouloir réparer l’ADN en le collant à un autre chromosome. Les télomères renforcent également l’extrémité de la molécule  d’ADN empêchant les deux brins de se détacher.

Mais, l’ADN polymérase (l’enzyme dupliquant l’ADN) est incapable de copier l’ADN jusqu’au bout. Ainsi à chaque mitose, les télomères se raccourcissent. Cependant, il existe une enzyme qui permet de synthétiser de l’ADN télomérique : la télomérase. Cette enzyme est présente et active dans les cellules germinales et les cellules cancéreuses. Sa faible activité dans les autres cellules les  limite à une quarantaine de divisions. Une cellule sans télomère n’est pas viable et se suicide.

En effet, les cellules peuvent se suicider. Cette capacité est importante chez un être multicellulaire car cela permet une régulation de la population de cellules et une destruction des cellules « défectueuses ». Cette mort programmée ou apoptose se met en place lors d’atteintes graves du génome ou lors de la réception d’un message externe à la cellule. Lors de l’apoptose, la cellule se désagrège après avoir coupé son ADN en morceaux. Elle attire à elle les phagocytes qui absorberont ses restes.

Les cellules cancéreuses

Les seules cellules qui ne peuvent pas entrer en apoptose sont les cellules cancéreuses. Lorsqu’on étudie leur génome, on observe de très fortes modifications génétiques (mutations, translocations – déplacement d’un fragment de chromosomes sur un autre) qui vont inactiver les systèmes de réparation de l’ADN et activer les systèmes de prolifération cellulaire. Les cellules cancéreuses vont alors se diviser rapidement et envahir le corps du malade, empêchant les organes vitaux de fonctionner. Cela entraîne la mort de la personne. Tant qu’elles ont des nutriments, les cellules cancéreuses sont immortelles: elles se divisent à l’infini. Caractéristique qu’elles ont en commun avec les cellules souches.

Les cellules souches

Les différentes cellules souches

Une cellule souche est une cellule capable de se diviser à l’identique et de se différencier en plusieurs types de cellules. Il existe plusieurs types de cellules souches qui ne peuvent pas (ou plus) se différencier en certains types cellulaires.

  • Les cellules souches totipotentes : de toti « tout » et poti « pouvoir ». Il s’agit des cellules permettant le développement d’un individu complet (embryon et annexes embryonnaires – placenta, cordon ombilical). Il s’agit chez l’homme de la cellule-œuf jusqu’au stade morula (2 à 8 cellules). C’est uniquement à ce stade que sont possibles le clonage reproductif  (cas des vrai jumeaux) ou l’absorption d’embryon (c’est ce qu’on a vu avec les singes chimères dans l’actualité scientifique de la semaine dernière).
  • Les cellules souches pluripotentes : ce sont toujours des cellules embryonnaires mais elles ne peuvent pas créer les annexes embryonnaires et donc un individu complet in-vivo. Elles proviennent de la masse cellulaire interne du blastocyste (40 cellules max.)
  • Les cellules souches multipotentes : on les trouve chez l’embryon et chez l’adulte. Ces cellules ont commencé à se différencier, elles ne peuvent donner que certains types de cellules. Ce sont des cellules déterminées. Par exemple, les cellules hématopoïétiques donnent les globules rouges, les plaquettes, les lymphocytes et les macrophages. On retrouve ces cellules dans la moelle [update]épinière osseuse[/update] et dans le sang de cordon.
  • Les cellules souches unipotentes : Elles ne donnent qu’un seul type de cellule mais elles s’auto-renouvellent. C’est le cas des cellules épithéliales (peau, intestins), du foie ou des testicules. Elles permettent en particulier une régénération lors d’une lésion. A l’opposé, le cœur ou le pancréas ne referment pas de cellules souches. Il leur est impossible de se régénérer.
  • Les cellules souches induites (iPES) : Ce sont des cellules souches pluripotentes obtenues à partir de cellules différenciées. Cette dédifférenciation se fait par l’injection de 4 gènes via un vecteur viral. La technique a été mise en place par le Pr Shinya Yamanaka en 2007. Avec 2 gènes de plus, Jean-Marc Lemaitre et son équipe ont réussi en novembre dernier à rajeunir une cellule sénescente de la peau à revenir des cellules souches pluripotentes. L’intérêt de cette technique est d’obtenir des cellules souches équivalentes à des cellules souches embryonnaires sans détruire un embryon et ayant le même génome que le patient.

Possibilité de recherche et thérapeutique et les problèmes

L’intérêt thérapeutique principal des cellules souches est de créer des organes ou des tissus à partir d’une cellule. Ces organes pourraient alors être transplantés chez un patient sans avoir recours à un donneur d’organes. Ce genre de régénération est déjà à la base de culture de peau dans le cas des grands brûlés ou la greffe de moelle osseuse dans des cas de maladie du sang.  Dans le premier cas, des cellules de la peau du patient sont mises en culture pour favoriser leurs divisions et ainsi créer plus rapidement des tissus pour aider la cicatrisation. Pour la greffe de moelle osseuse, l’idée est d’implanter des cellules hématopoïétiques saines qui permettraient la production de cellules sanguines saines par l’organisme du malade. De plus, dans le cas des cellules souches induites, les organes ainsi obtenus seraient totalement compatibles et cela éviterait le rejet de la greffe.

Il serait également possible de faire de la toxicologie prédictive. L’idée est de tester la toxicité des certaines molécules sur des lignées cellulaires in vitro mais également l’efficacité et l’innocuité des molécules thérapeutiques. L’idée est d’ainsi limiter les tests sur les animaux.

Les cellules souches embryonnaires permettent de mieux connaître le développement humain, en particulier le développement de certaines maladies génétiques, et de trouver des molécules capables de restaurer un développement normal. De plus en comprenant mieux les mécanismes liés au renouvellement des cellules souches, les chercheurs pourraient mieux comprendre les mécanismes moléculaires à l’origine des tumeurs.

Mais récemment les espoirs thérapeutiques des cellules souches ont été mis à mal. Tout d’abord par trois articles publiés en mars dernier dans Nature regroupés sous le titre de “Cellules souches : la face sombre”. Les cellules souches induites pourraient induire des cancers. En effet, la reprogrammation cellulaire induirait un risque plus élevé que la normale de créer des cellules cancéreuses. Cette technique entraineraît des anomalies génétiques multiples. L’intérêt thérapeutique de ces cellules se retrouve ainsi réduit.

Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, le 14 novembre 2011, le laboratoire Geron annonçait l’arrêt de ses essais cliniques sur l’utilisation de cellules souches embryonnaires pour soigner des personnes ayant eu un traumatisme au niveau de la moelle épinière. Si les raisons évoquées sont de l’ordre financier, certains penchent pour un manque de résultats.

Cela démontre que la thérapie cellulaire n’est pas pour tout de suite et qu’on connaît encore mal tous les processus de régulation de la prolifération et de la différenciation cellulaire. Si théoriquement ces cellules peuvent guérir de nombreuses maladies et traumatismes, leur usage est encore réduit à quelques types de traitements.

Restent de nombreuses questions éthiques importantes liées à l’utilisation de cellules souches en particulier embryonnaires. C’est pour cela qu’il est important d’évaluer les potentiels et les risques de ces recherches et de ces thérapies. D’autant plus que les cadres de ces recherches ne sont pas uniquement fixés par les financements mais également par les lois telles que la loi bioéthique régulièrement révisée.  Il est important que ces questions soient débattues par la société pour éviter une impression de savants fous.

 

Sources :

Pour les bases :

Sur les cellules souches :

Et en anglais :

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