XXIe siècle, le défi alimentaire 1/2 – Le problème

Dossier écrit de l’épisode #66.

Pour ce dossier en deux épisodes, je vous propose le plan suivant: Aujourd’hui, nous allons

  • Poser le décor du défi alimentaire
  • Survoler l’histoire de l’alimentation humaine du néolithique à nos jours
  • Voir les contributions de la science à la sécurité alimentaire d’aujourd’hui
  • Explorer les limites du modèle d’agriculture actuel
  • Et enfin se faire une idée de ce que l’avenir proche nous réserve

La semaine prochaine, nous examinerons les solutions

  • Nous explorerons la piste du bio comme alternative à l’agriculture hyper-intensive d’aujourd’hui
  • Et nous verrons quelles pistes la science propose et quelles sont les vraies solutions

Avant de commencer, je souhaite adresser un chaleureux remerciement à Jorj X Mc Kie et Xavier Agnès qui m’ont fourni des tonnes de matériel pour la préparation de ce dossier.

La problématique

Sans vouloir être alarmiste, nous devons faire face à un problème plutôt sérieux si nous voulons enfin nourrir tout le monde sur notre petite planète. En effet, nous serions 7 milliards d’individus sur la planète depuis le 31 octobre 2011. Sur ces 7 milliards, la FAO (L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estimait en 2010 à quelque 925 millions, le nombre de personnes souffrant encore de malnutrition. C’est un progrès par rapport au 1,023 milliard en 2009, mais il y a encore du boulot! (Pour l’anecdote, la FAO ne publie pas de chiffre pour 2011 car elle est en train de revoir sa méthodologie d’évaluation de la faim dans le monde, à la demande du Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale. Alors, comme d’habitude, attention aux chiffres qui circulent sur Internet et dans la presse. Les chiffres pour 2011 et 2012 ont de bonnes chances d’être totalement spéculatifs!) Le problème, donc, c’est qu’aujourd’hui, nous n’arrivons déjà pas à nourrir tout le monde, alors que les demandes des pays émergents grimpent sans cesse et que nous abusons déjà allègrement des ressources à disposition.

La transition alimentaire

Notre ami Jorj McKie, que j’ai eu la chance de rencontrer récemment à Paris, a eu la bonne idée de me brancher sur une vidéo très inspirante. Il s’agit d’un cycle de cours sur la gastronomie moléculaire organisé par Hervé This à AgroParisTech. Hervé This a invité un certain Pierre Combris, Directeur de recherche sur les comportements alimentaires à l’Institut National (Français) de la Recherche Agronomique (l’INRA) qui y parlait des différents modèles alimentaires en fonction des revenus. En gros, l’idée est assez simple: on observe la même tendance partout: quand on est pauvre, on bouffe des patates. C’est abordable et ça tient bien l’estomac. Surtout quand on est en permanent déficit de calories. Mais dès qu’on peut s’offrir mieux, on va systématiquement commencer à varier son alimentation et y introduire des aliments moins rentables en termes de nutrition et d’environnement. La première illustration montre les calories par personne et par jour consommées en France entre 1780 et 1980. Au départ, la population était, en moyenne, clairement sous-alimentée, avec un régime à moins de 2000 kcal par jour (la FAO en recommande environ 3000) alors que les besoins étaient sans doute beaucoup plus grands qu’aujourd’hui. On voit que la courbe grimpe progressivement jusqu’à culminer dans les années 1920 et fléchir légèrement après cela sans doute grâce à la généralisation de l’électricité, du chauffage, des transports en commun (je spécule un peu sur ce point, je ne suis pas allé vérifier si toutes les dates coïncidaient). Mais ce qui est intéressant, ce sont les 3 autres courbes du tableau: l’apport calorique issu des céréales et féculents (qui constituaient la majorité de l’apport calorique en 1780) monte en parallèle avec celle des calories totales pendant un siècle. Et dès que la ration moyenne de 3’000 kcal par jour est atteinte, les tendances changent. La courbe des céréales baisse et la courbe des produits animaux, fruits et légumes augmente. Idem pour la courbe des graisses et des sucres. Elle monte aussi au fur et à mesure que la courbe des céréales descend. Pierre Combris: la structure des apports énergétiques (France)   Le tableau suivant, pour la France, toujours, pendant la même période, montre que si la part des protéines reste à peu près stable dans le temps (dans les 11-12%), la part des glucides (c’est à dire les sucres et les sucres lents comme les farines et les pommes de terre) se casse complètement la figure (passant de plus de 70% aux XVIIIe et XIX siècles à moins de 50% en 2000), tandis que la part des lipides (c’est à dire les matières grasses) augmente dans les mêmes proportions. Pierre Combris: la structure des apports énergétiques (France)   Je vous passe les détails de ses explications. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite vivement à consulter la vidéo du cours. Ce qui est vraiment fascinant, c’est qu’on découvre que tous les pays développés sont passés par ces mêmes tendances jusqu’à ce que le ratio entre les différents types d’apports ne se stabilise. Et on observe exactement la même tendance partout. Y compris, au Brésil, en Inde et en Chine. Le pouvoir d’achat augmente et on aspire à d’autres types d’alimentation. L’illustration ci-dessous montre les courbes de la Chine de 1960 à 2000. En gros, en 2000, les courbes en étaient au même point que les courbes françaises de 1920, c’est dire s’il y a de la marge. Et en termes d’exploitation des ressources, ça risque de faire mal, car, pour rappel, la Chine, c’est grand! Pierre Combris: la structure des apports énergétiques (Chine) Pierre Combris: la structure des apports énergétiques (Monde)

L’eau virtuelle

Pourquoi ça va faire mal si les Chinois se mettent à manger comme nous? D’abord parce qu’il faut en moyenne, toujours selon Pierre Combris, 7 kcal d’origine végétale pour produire 1 kcal d’origine animale. Une manière de voir la chose, serait de se dire qu’il faut 7 fois plus d’énergie pour produire un kilo de viande ou de poisson que pour produire un kilo de patates. Une autre explication, peut-être plus évocatrice, est la notion d’eau virtuelle. C’est un concept très intéressant qui associe aux biens de consommation la quantité d’eau nécessaire à leur fabrication. Voici quelques exemples piqués sur Wikipédia:

La production d’un kg de : utilise un volume d’eau de :
Lait 790 l
Blé 1 160 l
Riz 1 400 l
Porc 4 600 l
Bœuf 13 500 l

Un habitant des États-Unis, au régime alimentaire riche en viande, consommerait 5 400 litres d’eau virtuelle par jour, alors qu’un végétarien n’en utiliserait que 2 600 litres.

Cet article de Wikipédia reprend les chiffres d’un rapport de 2004 du Conseil Mondial de l’Eau  qui indique en outre les ratios suivants:

La production d’un kg de : utilise un volume d’eau de :
Volaille 4 100 l
Œufs 2 700 l

On pourrait se dire qu’après tout, on s’en fout, de l’eau, il y en a assez. En fait pas du tout. D’ailleurs, demain 22 mars 2012, c’est la Journée mondiale de l’eau et le thème de cette année, c’est justement “La planète a soif car le monde a faim”. Bruno Parmentier, directeur de l’Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers, dans son livre “Nourrir l’humanité“, nous dit ceci (je me permets de citer, j’espère ne pas avoir de soucis de copyright… C’est pour la bonne cause ;))

(…) On peut mourir de soif dans de nombreuses régions, et l’on meurt de plus en plus de faim faute d’eau pour pratiquer l’agriculture (…) Si l’eau salée abonde, l’eau douce manque. Elle ne représente en fait que 2.5% des ressources en eau de la planète, dont les deux tiers sont figés dans les glaciers et les neiges éternelles. Au total, l’eau réellement disponible dans les nappes souterraines, les mers intérieures, les lacs et les rivières et qui n’est «ni salée ni gelée» ne représente même pas 1% des réserves de la planète. Pour l’agriculteur, cette eau douce, que l’on croyait très abondante, commence à devenir une denrée de plus en plus rare, en regard des phénomènes de réchauffement de la planète et de croissance de la population mondiale. Les réserves mondiales d’eau douce liquide s’élevaient à 16 800 m3 par personne et par an en 1950. Elles atteignent aujourd’hui 6 800 m3 et devraient tomber à 4 800 m3 en 2025. En fait, 3 milliards de personne ne disposeront que de 1 700 m3 par an (seuil d’alerte pour l’ONU), car cette eau douce est très inégalement répartie sur la planète (…)

Avec ces éclairages, pour ma part, je trouve cette notion d’eau virtuelle nettement moins virtuelle. Et en attendant que je finisse complètement végétarien, je n’hésiterai plus jamais au resto entre bœuf (13’500 l) et poulet (4’100 l)!

Et il n’y a pas que l’eau!

Dans le même ordre d’idée, j’ai déniché dans le rapport Agrimonde qu’il faut par exemple aux Etats-Unis, 2700 kcal d’énergie fossile pour produire 100 kcal de porc et 1600 kcal pour produire 100 kcal de bœuf, car un cochon, forcément, ça ne passe pas sa journée à brouter de l’herbe, ce qui ne simplifie pas les calculs… Bref… Manger des quantités gigantesques de viande commence à nous poser un énorme problème. Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Rapide survol historique

On peut dire que notre modèle actuel de production date de la révolution néolithique. A cette époque, plusieurs populations, en différents lieux du globe, sont passées, à peu près simultanément, d’une vie de chasseurs-cueilleurs nomades à une vie plus sédentarisée et agricole. C’est à ce moment-là qu’on a progressivement commencé à domestiquer certaines espèces végétales et animales. Selon Marcel Mazoyer, économiste et agronome, professeur émérite à Agro Paris-Tech, ancien expert auprès de la FAO, à cette époque – il y a environ 10’000 ans, donc –  la population humaine mondiale comptait 5 millions d’individus. C’était les balbutiements de l’agriculture. Le modèle a été couronné de succès puisque 5’000 ans plus tard, on dénombrait quelque 50-60 millions d’individus. On était quelque 200-250 millions au début de notre ère. 500 millions au Moyen-Âge et… 1 milliard en 1800 quand la révolution industrielle battait son plein en Angleterre. L’économiste britannique Thomas Malthus soutenait que l’agriculture ne pourrait jamais nourrir une population en croissance exponentielle. Evolution graphique depuis le néolithique, graphique piqué sur http://www.manicore.com/On s’est malgré tout débrouillés pour être 2 milliards en 1925, 6 milliards en 2000, 7 milliards aujourd’hui. Enfin, ça, donc, c’est le compte des humains vivant aujourd’hui… A ce sujet, vous avez sans doute déjà entendu circuler un mème selon lequel 75% des humains ayant jamais vécu sur Terre vivraient maintenant. Eh bien, selon le Population Reference Bureau, c’est tout à fait faux. L’une dans l’autre, nous aurions été, en tout et pour tout, depuis 50’000 ans 108’000’000 d’homo sapiens à vivre sur Terre. 7 milliards sur 108 milliards, ça ne faut pas 75% mais… 6.5%!) Je digresse, je digresse…. Depuis 1945, indique encore Mazoyer, on est bien dans une croissance exponentielle au niveau mondial. Le modèle de croissance anglais du début du XIXe, s’est étendu à toute la planète. La production agricole a augmenté un peu plus vite encore que l’augmentation de la population. Mazoyer, toujours, dans une conférence passionnante du 5 novembre dernier, dont notre ami Xavier Agnès a partagé la vidéo, indique qu’il n’y aura jamais plus de monde sur la planète que l’agriculture ne saura en nourrir et il précise  encore que ce parcours n’a pas été synomyme de sécurité alimentaire pour tout le monde: à chaque crise sociale et politique grave, correspond, par corrélation, une période de crise alimentaire. Par exemple, au XIXe siècle en Europe, suivant les lieux, la population avait doublé, triplé, voire quadruplé au cours des 3 siècles précédents relativement prospères et marqués par une révolution agricole médiévale extraordinaire. On s’est retrouvé, dans la moitié Nord de l’Europe en situation de surpopulation rurale relative avec une surexploitation des ressources disponibles. De grandes crises sociales ont suivi, puis un effondrement de la production et de la population, des troubles sociaux extraordinaires, et une réorganisation politique qui a mis un bon siècle à se réaliser avant que la Renaissance ne propose de nouveaux modèles pour repartir de l’avant, finalement, aux XVIII, XIX et XXe siècles. Ce qui m’intrigue dans cette énumération, c’est qu’on soit passés de 2 milliards en 1925 à 6 milliards en 2000. On était déjà 2 milliards, ce qui était complètement improbable un siècle plus tôt et on a réussi à tripler la population. C’est complètement fou quand on y pense. Le phénomène trouve racine dans plusieurs explications: la baisse de la mortalité infantile, la baisse de la mortalité tout court par des mesures d’hygiène appropriées (comme la possibilité de boire de l’eau sans se faire empoisonner par exemple…), l’augmentation de l’espérance de vie. La relative paix dans les pays riches depuis la sortie de la seconde guerre mondiale, les progrès inouïs de la médecine et notamment le miracle des antibiotiques, mais bon, si l’agriculture n’avait pas suivi, tout le monde serait mort de faim. Selon Bruno Parmentier, dans son livre “Nourrir l’humanité” que j’évoquais plus haut, les rendements moyens mondiaux des cultures de maïs, de riz et de blé ont presque triplé entre 1950 et 2000. Alors qu’est-ce qui a donné à ce point-là tort à Malthus?

Le rôle de la science dans tout ça…

On pourrait parler de plusieurs apports de la science dans les technologies agricoles: des techniques de sélection des semences à la mécanisation en passant par l’amélioration des moyens de communication… Les contributions sont nombreuses. Mais selon le journaliste scientifique britannique Fred Pearce (que vous pouvez entendre dans un récent épisode de l’excellent Science Weekly, podcast scientifique hebdomadaire du Guardian), si nous ne devions en retenir qu’une seule, ce serait incontestablement le procédé de Haber-Bosch mis au point par Fritz Haber au début du XXe siècle. La moitié de la population actuelle ne pourrait pas être nourrie sans ce procédé. Fritz Haber sur Wikipédia Fritz Haber était un chimiste allemand très ambitieux au tournant du XXe siècle. Juif allemand en période d’antisémitisme, il voulait prouver son dévouement à la patrie de manière spectaculaire. En 1880, il a décidé de nourrir l’Allemagne qui, d’une guerre à l’autre, était menacée de famine. Accessoirement, il y avait environ 1.5 milliard d’êtres humains vivant sur Terre à ce moment-là et on craignait la famine généralisée si le moindre rouage venait à se gripper. Dans les petits milieux renseignés, on savait précisément de quoi on avait besoin. D’un seul élément. L’azote. C’est un composant essentiel des acides aminés et des protéines. Quand on plante une graine dans la terre, si elle se met à pousser, c’est parce qu’elle arrive à extraire l’azote de son environnement pour bâtir les parois de ses cellules. Pas d’azote, pas de vie. Bien sûr, on trouve sans le procédé de Haber-Bosch de l’azote exploitable en agriculture, dans le purin par exemple ou la guano.  Mais à l’époque, on n’en trouvait simplement pas assez. L’Espagne et le Pérou sont entrés en guerre pour le guano des îles Chincha comme on entre aujourd’hui en guerre pour le pétrole. Carl Bosch sur Wikipédia Le pire, c’est que l’azote est un élément extrêmement fréquent dans la nature. 80% de l’air qui nous entoure est fait d’azote, c’est dire si cette situation de rareté est absurde. Mais le problème, c’est que l’azote sous forme gazeuse ne peut être exploité par les plantes pour leur croissance. Il faut une pression gigantesque pour détacher les atomes d’azote les uns des autres et les lier, par exemple, à des atomes d’hydrogène. Lorsqu’on y parvient, on obtient de l’ammoniac, que  les plantes savent utiliser pour leur croissance. Et c’est précisément ce que Fritz Haber a réussi à faire. Aujourd’hui, 100 millions de tonnes d’ammoniac sont produits selon son procédé et si nous pouvons tous bouffer ou presque, c’est incontestablement grâce à lui. (Le procédé s’appelle Haber-Bosch et pas juste Haber, du nom de Carl Bosch, l’ingénieur qui a permis son industrialisation.) Cela vaut la peine de s’arrêter deux minutes sur Fritz Haber. Si d’un côté il a permis de nourrir des milliards de personnes, dont vous et moi, et qu’on a envie de lui dire merci, on n’a pas forcément envie de le serrer dans nos bras non plus. Au moment où il recevait son Prix Nobel en 1918 pour son fameux procédé, il était également poursuivi par les autorités américaines pour crimes de guerre. En effet, son invention lui a également permis de mettre au point les premiers gaz de combat, le chlore gazeux en l’occurrence. Et on sait qu’il prenait plaisir à regarder mourir les jeunes soldats d’en face, qui se noyaient littéralement sous ses yeux en respirant le gaz qu’il avait mis au point. Il supervisait personnellement les agonies et s’en réjouissait, au nom des victoires de la patrie. Bref… Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à écouter l’épisode du 9 janvier dernier du formidable podcast Radiolab, qui traite justement de cet insoluble dilemme éthique. Mais revenons à nos moutons… Si tout le monde il est beau tout le monde (ou presque) il est nourri grâce au génial procédé de l’infâme Fritz, alors où est le problème? Ou plutôt les problèmes? Car j’en vois au moins quatre: Le premier problème, c’est que tout le monde n’est pas nourri justement. Le deuxième, c’est que l’agriculture actuelle n’est pas durable: nous ne pourrons pas continuer comme cela éternellement, il y a des limites à l’intensification et il semble que nous les avons allègrement dépassées. Le troisième, c’est qu’il n’y a plus de nouvelles surfaces disponibles pour l’agriculture, il y a aussi des limites à l’expansion. Enfin, le dernier c’est que la demande va croissant alors que les filières sont déjà saturées. En sortant de la pauvreté, les Indiens et les Chinois ont des aspirations alimentaires proches des nôtres, ce qui est totalement légitime, mais  qui va nécessiter soit de nouveaux miracles technologiques soit une révision fondamentale de nos régimes alimentaires. On l’a vu, l’impact environnemental de la consommation de viande plutôt que de pommes de terres est juste énorme. Nous verrons la semaine prochaine quelles pourraient être les solutions à cette équation a prioriimpossible, mais aujourd’hui, j’aimerais que l’on creuse un peu l’un des aspects que je viens d’énumérer: l’agriculture actuelle n’est pas durable. En quoi n’est-elle pas durable?

Les impacts environnementaux du modèle actuel

Certains impacts environnementaux de l’agriculture sont dus à son expansion (lorsque, par exemple, on remplace des écosystèmes naturels par des champs de céréales ou des pâtures), et d’autres impacts sont liés à son intensification (lorsque les terrains agricoles sont gérés de manière plus productive, via des méthodes d’irrigation, des engrais, des biocides et la mécanisation).

L’expansion

L’expansion agricole a des impacts sérieux sur les écosystèmes, la biodiversité, les émissions carbone et la qualité des sols. De fait, au niveau planétaire, l’agriculture a déjà converti 70% des prairies, 50% de la savanne, 45% de la forêt tempérée décidue  (c’est à dire du biome tempéré peuplé de très grands arbres aux feuilles caduques. Ce type de biome est aujourd’hui localisé principalement en Asie de l’Est, dans une grande partie de l’Europe, et en Amérique du Nord). L’agriculture aujourd’hui poursuit principalement son expansion dans les tropiques, où on estime que 80% des nouvelles terres cultivées remplacent des forêts, ce qui est plutôt inquiétant dans la mesure où les forêts tropicales constituent un riche réservoir de biodiversité et d’écosystèmes-clé. La destruction des forêts tropicales est aussi une source importante d’émission de gaz à effets de serre et on estime que cela produit quelque 1.1 x 1015 grammes de carbone par année, soit 12% des émissions de CO2 par l’homme (ou émissions anthropogéniques).

L’intensification

L’intensification a augmenté de manière spectaculaire au cours des dernières décennies. De manière bien plus importante encore que l’expansion. C’est elle qui est responsable de l’augmentation incroyable des rendements. Au cours des seules 50 dernières années, les surfaces cultivables irriguées ont doublé et l’usage d’engrais a augmenté de 500% (plus de 800% pour le seul azote). L’intensification est également responsable de la dégradation de l’eau potable dans de nombreuses régions, et d’une augmentation globale de la pollution. Ici, ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que 70% de l’eau douce exploitée par l’homme l’est à des fins agricoles et dédiée à l’irrigation des cultures. L’utilisation d’engrais, l’application de fumier et la culture de légumineuses (qui acidifient la terre en y fixant l’azote) ont complètement bouleversé les cycles globaux de l’azote et du phospore, avec des conséquences terribles sur la qualité de l’eau, sur les écosystèmes aquatiques et les pêcheries marines. Enfin, aussi bien l’expansion que l’intensification contribuent de manière importante au réchauffement climatique. L’agriculture est responsable de 30 à 35% des émissions de gaz à effet de serre, essentiellement en raison de 1) la déforestation tropicale, 2) des émissions de méthane par le bétail et la culture du riz et 3) par les émissions de protoxyde d’azote émanant des terres fertilisées. Il y aurait pas mal de choses à dire encore sur la surpêche, par exemple, l’utilisation des pesticides ou encore les élevages hyper intensifs, comme les élevages de crevettes qui détruisent tout, très durablement, sur leur passage, ou pire encore, de la demande croissante en biocarburants qui met directement en concurrence les  4×4 américains avec les estomacs mexicains… Mais bon, on ne peut pas parler de tout et le tableau est assez noir comme ça. Mon intention n’était pas de donner dans l’alarmisme, on va essayer de se calmer un peu 😉 Si, tiens, à la réflexion… Quand même un mot sur les pesticides issu d’un rapport d’expertise intitulé “Pesticides, agriculture et environnement. Réduire l’utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux” rédigé en 2005 par un collectif d’experts de l’INRA et du Cemagref, renommé Irsteadepuis lors.

Année 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Evolution 2001/2004
Herbicides 42 462 30 845 32 121 28 780 24 510 26 102 -19%
Fongicides dont cuivre et soufre 63 021 31 628 52 834 31 360 54 130 31 692 44 444 22 382 39 317 20 973 37 174 18 755 -31% -41%
Insecticides 3 612 3 103 2 488 2 316 2 223 2 469 -1%
Divers 11 407 7 911 10 896 8 009 8 480 10 360 -5%
Total (hors cuivre et soufre) 88 874 63 333 67 943 61 167 53 557 57 350 -16%
Total 120 502 94 693 99 635 83 549 74 530 76 105 -24%

En résumé: 24% de réduction de l’utilisation des pesticides en 5 ans sans baisse de rendements. Voilà enfin une bonne nouvelle 🙂 Mieux, le rapport parle également de l’expérience danoise: ce pays a commencé à réduire son usage de pesticides en 1986 déjà. Après 20 ans, l’opération est un succès: diminution de 50% de l’utilisation des pesticides sans baisse de rendements. Comme quoi des politiques d’encouragement cohérentes peuvent parfois faire des miracles!

Et 9 milliards d’humains?

Je me suis demandé d’où pouvait bien sortir ce chiffre de 9 milliards d’humains en 2050… C’est le département des affaires économiques et sociales de l’ONU qui l’a produit. La plupart des analystes et prospectivistes ont travaillé avec la révision de 2006 du rapport. Le rapport a été encore révisé en 2010 et  rendu public en  2011.  Il s’appuie sur deux scénarios:

  1. La variante haute par une fécondité qui n’est supérieure que d’ « un demi-enfant » à celle de la variante moyenne. Cette variante aboutit à une population mondiale de 10,6 milliards en 2050 et 15,8 milliards en 2100.
  2. La variante basse aboutit, elle, à une population mondiale de 8,1 milliards en 2050, mais qui déclinerait ensuite jusqu’à 6.2 milliards en 2100.

La projection utilisée est la variante intermédiaire ou moyenne qui table sur 9 milliards d’habitants sur Terre en 2050. Ça pourrait être plus, ça pourrait être moins. Je ne crois pas qu’on ait pris en compte par exemple un risque de nouvelle épidémie par exemple (le rapport est un gros pavé et j’ai eu la flemme 😉 )… Si une bonne âme se dévoue, je suis preneur 🙂 Enfin… Quel que soit le scénario, il est indéniable que nous sommes de plus en plus nombreux sur la planète et qu’il va falloir trouver des solutions, rapidement pour nourrir tout le monde de manière intelligente et durable. C’est ce que nous verrons la semaine prochaine. Il y a beaucoup de bonnes idées, et des moins bonnes aussi. Nous parlerons bio, agriculture intégrée et verrons ce que proposent les scientifiques.

Suite du dossier ici: Le défi alimentaire 2/2

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