21 grammes, le poids de l’âme?



Version vidéo par Draw Me Why

 


Le poids de l'âme... Source Wikipédia

Billet publié dans le cadre de la semaine thématique sur la mort du C@fé des Sciences

Vous avez sûrement entendu parler de l’histoire de ce médecin qui avait mis au point un protocole destiné à peser des personnes pile au moment de leur mort pour voir si l’âme avait un poids?

Peut-être au détour de la lecture d’un best-seller de Dan Brown, ou du film “21 grammes” ou encore en discutant avec quelqu’un qui vous affirme que l’âme existe, qu’elle a un poids, que cela est “scientifiquement prouvé”…

L’âme pèserait donc 21 grammes… Le poids de l’essence-même de votre individualité, le poids de ce qui rend chacun de nous unique…

Alors, info ou intox?  Les deux mon capitaine!

Un médecin a bel et bien mis au point un protocole pour se livrer à cette charmante expérience. Par contre, les conclusions méritent d’être examinées de plus près avant qu’on s’emballe. Voyons un peu l’expérience:

Le Dr. Duncan MacDougall, de Haverhill, Massachusetts, avait cette idée en tête: pour faire passer le concept d’âme du royaume de la croyance à celui du savoir, il fallait une preuve. Si on pouvait démontrer par une expérience que l’âme existe et qu’elle s’échappe du corps au moment de la mort, il n’y aurait plus à tergiverser… Mais mettre d’une manière ou d’une autre des personnes mourantes sur une balance pile au moment de leur mort, ce n’est pas chose évidente… Et bien sûr, à moins de forcer le destin, impossible de prévoir le moment pile de leur mort… En 1907, MacDougall a donc l’idée d’installer dans son bureau un lit d’hôpital transformé en balance, précise à deux dixièmes d’onces (un once valant 28.3495 grammes, 2/10, ça nous donne une précision de ±5.66 grammes). Et il y installe successivement 4 personnes souffrant de tuberculose, une de diabète, et une autre personne mourante sans cause spécifiée.

Il a mesuré tous leurs changements de poids, très méticuleusement, en essayant de prendre en compte tous les facteurs physiologiques possibles.

Extrait (traduit) de son article “The Soul: Hypothesis Concerning Soul Substance Together with Experimental Evidence of The Existence of Such Substance.”

Le confort du patient était assuré de toutes les manières possibles, quand bien même il était pratiquement moribond lorsqu’il fut placé sur le lit. Il perdait du poids lentement, au rythme d’une once par heure (38.3495 grammes, donc), en raison de l’évaporation d’humidité par la respiration et l’évaporation de sueur.

Cela a duré trois heures et quarante minutes durant lesquelles je n’ai pas quitté des yeux le balancier. Il expira soudain. Le balancier toucha subitement le bas sans remonter, dans un grand bruit. La perte était de ¾ d’once précisément (un peu plus de 21 grammes).

Cette perte de poids ne pouvait pas être due à une évaporation d’humidité pulmonaire ou de transpiration, puisqu’on avait établi que celles-ci se produisaient au rythme d’un soixantième d’once par minute. Tandis que cette perte-ci était soudaine et large; trois quarts d’once en quelques secondes seulement. Les intestins ne se sont pas vidés et même si cela avait été le cas, leur contenu se serait déversé sur le lit et auraient été pesés quand même (…)

Ne restait plus qu’à explorer un dernier canal pour expliquer cette subite perte de poids: l’expiration de l’air résiduel contenu dans les poumons. Je grimpai donc sur le lit et mon collègue remit la balance à zéro. Forcer l’inspiration et l’expiration n’eut aucun effet sur la balance. Dans ce cas, nous avons une perte de poids de ¾ d’once inexplicable. S’agit-il de la substance de l’âme? Comme l’expliquerions-nous autrement?

MacDougall répéta le même protocole sur 15 chiens – supposés ne pas être dotés d’âme – et ne constata aucune perte de poids. Il publia donc gaillardement des extraits choisis de son expérience en page 5 du New York Times du 11 mars 1907 (pdf).

CQFD? Pas tout à fait…

Entre autres problèmes que nous allons voir tout de suite, notre cher Dr MacDougall n’a pas été tout à fait honnête dans sa manière de choisir les extraits. En effet… 6 cas, c’est déjà un échantillon beaucoup trop petit pour tenter de dégager une quelconque généralité, mais quand, en plus on omet allègrement 5 des 6 résultats, ça ne veut plus rien dire du tout! Eh oui… MacDougall a un peu oublié d’indiquer qu’un seul des six cas testés lui a permis d’obtenir les résultats escomptés! Deux résultats furent exclus en raison de “difficultés techniques”. Un autre des patients perdit temporairement ¾ d’once avant de les reprendre, comme si son âme était subitement revenue 😉 Deux autres patients ont perdu du poids au moment de la mort et en ont reperdu après coup… Du coup, il n’a pas utilisé les 6 résultats, mais juste un. Ce n’est pas un vilain biais de sélection, ça?

Accessoirement, le peu de représentativité de l’échantillon et la dissimulation des résultats ne sont pas les seuls problèmes. Hormis les problèmes de précision des instruments de mesure, franchement moyens, il y a un problème plus fondamental: comme l’a très bien expliqué Marco dans son billet sur la définition de la mort, il n’est tout simplement pas possible de situer avec précision le moment de la mort. Parle-t-on de mort clinique, cérébrale, légale…?

Dernière petite réflexion amusante dénichée dans le livre de Dr Karl dont je me suis inspiré ici… En admettant que l’âme monte au ciel, cela signifie qu’elle est plus légère que l’air environnant et donc d’une densité nettement inférieure au corps dont elle s’échappe… Débarrassé de cet attribut plus léger que l’air, le corps devrait subitement devenir plus lourd, pas plus léger. Faites l’expérience avec des ballons gonflé à l’hélium pour vous en convaincre: votre poids sur la balance augmente légèrement lorsque vous les lâchez!

Bref… Ces mesures de l’âme ne font juste pas le poids face au exigences de rigueur de toute démarche scientifique qui se respecte. Je me demande si MacDougall a emmené ses “oublis” au paradis?

L'âme pèse 21 grammes, illustration de Gilda Von, 12 ans

Sources:

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