Dans le cerveau

Dossier présenté par Clara Moreau dans l’épisode #152.

Avec les avancées techniques, nous avons vu s’accroitre ces dernières années les méthodes de visualisation cérébrale ce qui nous permet de comprendre de mieux en mieux cette tête si complexe…Mais concrètement on fait comment ?

Pour commencer, le truc classique que tout le monde connait : l’IRM. Donc c’est quoi ? (à part une grosse machine blanche en tube qui fait plein de bruit et vous sort une jolie photo de votre cerveau). Alors, 2 minutes d’explication de physique (mais pas plus car ce n’est pas ma spécialité) : cela signifie Imagerie par Résonance Magnétique et c’est basé sur des modifications magnétiques des atomes de votre cerveau.

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L’image IRM est ainsi obtenue en localisant les molécules d’eau contenues dans les tissus biologiques. Pour vous l’expliquer en 3 étapes :

  • En temps normal, les éléments hydrogène sont orientés aléatoirement.
  • Quand on les soumet à un champ magnétique intense, donc ici le gros tube (aimant supraconducteur), leur moment magnétique s’alignent et sont mis en oscillation.
  • Puis pendant la phase nommée de « relaxation », ils libèrent leur énergie (signal électromagnétique mesurable), et c’est dépendant de la densité des tissus.

Cela permet de visualiser avec une grande précision spatiale le cerveau et en particulier de contraster la matière grise de la matière blanche, et c’est ce qui va être utilisé dans la détection de tumeur par exemple. Il s’agit d’un IRM anatomique, c’est-à-dire que l’on veut juste voir s’il y a un problème du style dégénérescence (dans Alzheimer par exemple : atrophie temporale médiale) – mal formation ou autre : on veut rentrer dans la boite crânienne sans l’ouvrir. La recherche actuelle utilise cependant significativement plus de l’IRM fonctionnel, machine permettant de voir le cerveau en action : de visualiser des activations de régions cérébrales pendant une tâche.

Du coup on peut prendre l’exemple d’une étude de neurosciences cognitives sur la prise de conscience…thème épineux. On va ici avoir besoin de l’IRM fonctionnel pour étudier une propagation des aires sensorielles au cortex fronto-pariétal (ce n’est bien sûr pas aussi simple, je vous introduis juste les choses pour le moment).

Pour l’étudier il faut commencer par se questionner sur le paradigme à utiliser : « comment différencier un traitement conscient d’un traitement non-conscient ? ». L’un des plus couramment employé est le Masquage subliminal. Pour vous en donner un exemple concret de l’ensemble:

Vous êtes couché dans le tube, avec un casque pour le bruit (l’IRM est très bruyant, l’ensemble du dispositif se trouve dans une chambre blindée), des coussins pour que vous ne bougiez pas d’un millimètre, et surtout rien de magnétique sur vous (attention aux dents en plomb ou aux tatouages). Vous êtes de plus relié via des écouteurs aux expérimentateurs (qui sont en dehors de la pièce) et vous avez dans une main une pompe si jamais v657px-MRI-Philipsous avez un problème grave. Et selon le type d’étude vous avez dans l’autre main un boiter avec des boutons pour répondre aux questions posées (car le réseau du langage bruite le signal cérébral, on essaye d’éviter toutes les activations autres que l’objet de notre étude : c’est également pour cela que tout ce qui est moteur est au maximum censuré, jusqu’aux clignements, seule est tolérée la pression des doigts qui répondent).

Bon ! Donc voilà, vous êtes bien installé dans la machine, l’expérience va pouvoir commencer. Il faut que le chercheur ait codé une expérience, cette dernière va vous être projetée devant vos yeux via un écran d’ordinateur (en fait un système de miroir qui vous montre l’écran de l’ordi, ce dernier étant derrière vous, protégé). Donc, dans notre étude sur la conscience vous allez typiquement avoir un défilement d’écrans: écran 1 = point de fixation pour centrer votre attention ; écran 2 = blanc très court ; écran 3 : stimulus « amorce » plus ou moins subliminal, c’est-à-dire un stimulus qui va influencer ou pas (selon s’il est perçu consciemment), la réponse que vous allez fournir à l’écran d’après : exemple avec un visage en colère. Donc pour cela l’expérimentateur fait varier le temps de présentation et le type de stimulus ; écran 4=blanc très court ; écran 5= stimulus « cible », celui-ci étant présenté plus longuement : visage neutre, sur lequel vous avez une tâche à faire : juger son expression émotionnelle. Vous enchainez ainsi des blocs d’essais avec des pauses par exemple toutes les 20 minutes (où on vous parle, vous avez le droit de cligner et de bouger un tout petit peu les jambes). Puis l’expérience se termine par un IRM anatomique (c’est la même machine) pour établir un modèle de votre tête et recaler les données d’activation enregistrées (car si on se cale sur des normes standards on aura forcement des décalages). Donc là vous fermez les yeux et vous attendez qu’on vienne vous libérer.

Donc tout ça c’était pour vous décrire concrètement une situation d’étude de neurosciences cognitives en IRMf, mais qu’est ce que cette machine enregistre ?

Et bien il s’agit du signal BOLD ou plutôt Blood Oxygenation Level Dependant. Le principe est relativement simple : le cerveau pour fonctionner a besoin d’oxygène, et lorsque qu’il réalise une tâche, les régions concernées s’activent et nécessitent un afflux de dioxygène (02), alors véhiculé par le sang (= l’oxyhémoglobine). Ce traceur endogène est dit « diamagnétique », c’est à dire qu’il ne génère pas de modification du champ magnétique local. Quand il arrive à la zone concernée (donc de base l’aire visuelle ici puisque vous regardez l’écran), il libère le carburant demandé (l’O2) et se nomme la « désoxyhémoglobine ». Elle a la propriété d’être paramagnétique, et c’est ce qui est mesuré par la machine.

Dans notre expérience, que trouve-t-on ? Les signatures de la conscience sont à l’heure actuelle toujours en discussion (débat autour de « comment vraiment la mesurer ») mais ce qui fait relativement consensus nous dit :

  • Une activation princeps dans l’aire sensorielle correspondante, donc ici c’est de la vision : activation du cortex visuel primaire V1, qui se trouve en arrière du cerveau.
  • Un traitement de capacité limitée et sériel.
  • Il y a un réseau sous-cortical (avec l’amygdale par exemple) qui permet de traiter les informations de manière inconsciente.
  • versus une propagation de l’activation en fronto-pariétal : signature de la conscience, vous avez perçu l’amorce. Elle nécessite une connectivité longue distance avec des nœuds centraux, et un couplage de l’activité de régions éloignées, mais ce dernier point s’étudie plus avec des techniques ayant une meilleure fiabilité temporelle de mesure.

En effet, l’IRMf est une technique formidable mais il faut avouer qu’elle a des points faibles, en particulier pour ce qui est de la résolution temporelle (1 à 6 s). Ce qui est donc fréquemment fait est une étude en EEG ou MEG en complémentarité (électroencéphalographie – magnétoencéphalographie), ces 2 techniques ayant une très bonne résolution temporelle (1ms) mais une faible résolution spatiale (supérieur à 6mm, l’IRM en ayant une de 3 mm).

eeg_meg

Pour vous parler un peu de l’EEG, il s’agit d’une technique beaucoup moins couteuse, beaucoup plus précise au niveau temporel, bien moins encombrante, mais elle a du mal à enregistrer des signaux profonds sous-corticaux. Pour vous expliquer un peu son principe de fonctionnement, il faut avoir bien compris le fait que le cerveau fonctionne complémentairement via 2 moyens : moléculaire (la communication synaptique via les neurotransmetteurs, c’est à ce niveau que les drogues agissent) ; et électrique (propagation via potentiel d’action le long des axones, ou plutôt les bras des neurones). L’eeg mesure ce 2nd point par l’intermédiaire de capteurs (électrodes de surface posées sur le cuir chevelu) qui enregistrent des potentiels électriques avec un ordre de grandeur de quelques microvolts. Il est dès lors très sensible aux artefacts musculaires comme une nouvelle fois les clignements des yeux qui font perdre de nombreux essais bruités…(il arrive même qu’il chope le rythme cardiaque).

 

Mais l’eeg manque encore de précision et reste à un niveau très cortical (sauf si on utilise l’électrocorticographie) donc si on en a les moyens financiers, on se tourne vers la MEG (ou plutôt la magnétoencéphalographie). Il s’agit d’un dispositif composé d’environ 250 capteurs supraconducteurs qui captent un champ magnétique induit par les courants extrêmement faibles générés par les neurones (de l’ordre de 10-13 Tesla). Pour schématiser vous êtes dans une chambre blindée avec une immense chasse d’eau remplie d’hélium au dessus de votre tête et vous devez bosser tranquillement sur la tâche pendant une heure.

Ces approches temporelles peuvent ainsi nous apporter des données précieuses supplémentaires et complémentaires à l’IRMf, à savoir ici, le fait que la conscience est :

  • un phénomène abrupte en « tout ou rien », et non un continuum,
  • tardif (traitement automatique, besoin d’atteindre le niveau frontal pour vraiment être conscience)

Sinon il y a un autre truc dont vous avez peut-être du entendre parler car ça fait souvent réagir… : les opérations à crâne ouvert avec le patient éveillé. Donc concrètement qu’est-ce que c’est et comment ça se passe ? Il s’agit d’une opération type d’ablation de tumeur et du coup le neurochirurgien veut s’assurer en live que l’endroit où il est correspond bien à ce qu’il avait prévu pour minimiser les séquelles que l’on attend habituellement et frénétiquement de constater en post-op. Concrètement on anesthésie et endort le patient pour lui ouvrir le cerveau. Une fois tout bien en place (les enveloppes méningées retirées, les électrodes implantées), on réveille le patient avec le maximum de « caches » autour de lui pour ne pas l’effrayer (il a été mis au courant avant bien sûr) et une jolie infirmière devant lui est censée lui faire faire les tâches demandées par le neurochirurgien. Cela se nomme la TDCS, ou Transcranial Direct-Current Stimulation. Pour vous donner des exemples, on retrouve fréquemment : du calcul (tester la capacité d’abstraction et de manipulation d’entités diffuses) si on touche à l’avant du cerveau donc le préfrontal; si on touche au cortex moteur on peut lui faire  bouger les doigts; si on est dans le temporal et par exemple la zone de reconnaissance (gyrus fusiforme) on peut lui demander de nommer des visages connus via présentations de photos ; ou encore tout basiquement le faire parler si on est dans la zone du langage (aire de Broca) . Bref, on veut s’assurer que l’opération n’altère pas les capacités cognitives du patient.

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Comme vous pouvez vous en doutez, les chercheurs en neurosciences s’incrustent au maximum dans ce type d’opération (via accord du patient) pour enregistrer l’activité électrique d’une zone pendant une tâche définie au préalable. Alors comment ça se passe : ces chercheurs ont par exemple un temps accordé de 10 minutes (défini auparavant, selon l’opération, sa gravité, l’accord du patient) pour faire faire des tâches à crane ouvert avec enregistrement via électrodes implantées dans telle structure cérébrale selon l’étude qu’ils mènent. En 2005, des chercheurs américains ont par exemple enregistré l’activité de neurones dans l’hippocampe, et ont présenté des visages connus au patient éveillé. Ils ont alors montré que certains neurones ne répondaient (= ne déchargeaient) qu’à Jennifer Aniston. Cette même équipe a également essayé avec un portrait de l’actrice : ça a marché ; avec le nom écrit de l’actrice : ça a également marché. Avant l’expérience on leur demande quand même leur personnage, lieu, plat, et al, préférés, sinon on n’y arrivera jamais. Bref, les références de l’étude seront mises sur le site (notion de neurone grand-mère).

Donc je viens de vous décrire une technique d’électrophysiologie, fréquemment faite chez l’animal d’ailleurs (beaucoup moins contraignant que chez l’humain comme vous vous en doutez). D’ailleurs maintenant il y a pas mal de souris de labo qui sont en bluetooth, c’est-à-dire qu’on leur implante des électrodes dans les zones que l’on veut étudier lorsqu’elles sont anesthésiées, on les fixe et on referme leur cerveau (je ne vous l’ai pas dit toute à l’heure mais l’intérieur du cerveau n’a pas de récepteur sensoriel, pas d’arrivée de fibres nociceptives, donc on ne sent rien lorsqu’on nous trifouille la tête, on anesthésie uniquement pour ouvrir). Du coup nos petites souris ont des chapeaux de clown sur la tête (en gros les bouts des électrodes qui dépassent sont liés via une sorte de pâte pour ne pas qu’elles s’accrochent dans leur cage, ce qui donne cet aspect de chapeau). On peut leur faire faire des tâches, elles restent implantées comme ça aussi longtemps que nécessaire (quand tout est fini, on vérifie quand même post-mortem qu’il n’y a pas eu d’infection et que l’électrode était à l’endroit exact, dans la bonne structure à étudier).

Et sinon ce qui se fait également chez l’homme dans ce domaine est la Deep Brain Stimulation (stimulation intracrânienne profonde) qui permet pour les maladies pharmaco-résistantes (telle l’épilepsie et Parkinson) une tentative de traitement. Donc en fait, on fait comme nos souris en bluetooth chez l’humain, on implante des électrodes avec des boîtiers (intracrâniens) pour que les patients s’envoient eux-mêmes leur décharge. Pour vous donner un exemple, cela est utilisé dans l’épilepsie avec des stimulations de 100 à 200 Hz de structures thalamiques (profond), ce qui a produit une réduction significative de la fréquence des crises (on cible les foyers épileptogènes).

Pour finir, a été mis au point récemment à Stanford l’approche via optogénétique (optique-génétique) c’est à dire une stimulation via la lumière ! Comment est-ce possible ? Cette méthode se base sur une protéine qui s’active via la lumière bleue (en l’occurrence la channelrhodopsine). On modifie génétiquement tel type de neurone (pyramidale, interneurones, etc.) pour qu’il exprime cette protéine, et on introduit une fibre optique dans la zone à stimuler. Dès lors on cible exactement notre population de neurones et on envoie, non pas de l’électricité, mais de la lumière bleue, et seuls les neurones qui ont exprimé la protéine répondront (même si on en a éclairé beaucoup plus) ! Bref, c’est cool et du coup ça ouvre de nombreuses perspectives en neurosciences mais aussi bien évidemment en biologie dure….

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Bon, pour récapituler on a de quoi faire pour étudier le cerveau. En bref :

  • IRMf = bonne résolution spatiale, résolution temporelle pourrie, on enregistre le signal BOLD ;
  • EEG-MEG = résolution spatiale très faible avec des difficultés pour enregistrer en profondeur du cerveau, mais très bonne résolution temporelle, Meg très coûteuse (capte signal électrique versus magnétique);
  • Electrophysiologie = plus souvent effectuée chez l’animal in vivo ou sur coupe, échelle du neurone donc plus ciblée que précédemment
  • TDCS : pendant opération à crâne ouvert.
  • Stimulation profonde dans les cas de pathologie (boîtier)
  • Optogénétique : on couple optique et génétique.

 

Vous pouvez retrouver la quote de Clara et le reste de l’épisode 152 dans les Notes d’émission

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