ALICE – Un voyage vers l’origine de l’univers

Billet diffusé dans le cadre de la soirée Radio-Dessinée “Instruments scientifiques : cathédrales du XXIe siècle ?“, au CERN le 23 août 2014 


 

Alan : De quoi la matière est-elle faite ?

Despina Hatzifotiadou : C’est connu que la matière ordinaire est constituée d’atomes, dont chacun secompose d’un noyau entouré d’un nuage d’électrons. Le noyau est un assemblage de protons et de neutrons, qui eux-mêmes sont constitués de quarks.  Les quarks sont liés par une force connue sous le nom d’interaction forte ; cette force est véhiculée par une particule appelée gluon.

 

A : Oulah, ça va vite… Pour rappel, le gluon, c’est donc le vecteur de l’interaction forte, comme le photon est le vecteur de la force électro-magnétique. Et donc l’interaction forte, c’est cette force qui lie les quarks entre eux à l’intérieur des protons et des neutrons. Elle fait également autre chose ?

D.H. : L’interaction forte lie également les protons et les neutrons pour former les noyaux atomiques.

Un quark ne peut pas être observé isolé : les quarks sont irrémédiablement liés par les gluons et enfermés pour toujours dans les protons et les neutrons. Ce phénomène est connu sous le nom de confinement. Le mécanisme à l’origine du confinement reste inconnu.

 

A : Donc les pauvres quarks sont coincés à l’intérieur des protons et des neutrons pour le restant de leurs jours… Bon, au moins, ils ne s’ennuient pas, il y en a toujours plusieurs, n’est-ce pas?

D.H. : Les protons et les neutrons sont composés de trois quarks, mais en additionnant la masse des trois quarks, on obtient … à peine 1 % de la masse du proton ou du neutron.

 

A : Oui mais alors, à quoi sont dû les 99 % de la masse manquante ?

D.H. : Le même mécanisme qui confine les quarks au sein des protons et des neutrons serait également à l’origine de la quasi totalité de la masse de la matière ordinaire.

 

A : Le mécanisme inconnu…

D.H. : La théorie actuelle de l’interaction forte (appelée chromodynamique quantique) prévoit que, à très hautes températures ou à très hautes densités, les quarks et les gluons ne devraient plus être confinés. Au contraire, ils devraient exister librement dans un nouvel état de la matière et de gluons.

 

A : On parle de quelles températures ?

D.H. : Cette transition devrait s’initier lorsque la température de la matière dépasse une valeur critique estimée à environ 2000 milliards de degrés… Environ 100 000 fois plus élevée que la température régnant au cœur du Soleil ! De telles températures n’existent plus dans la nature depuis la naissance de l’Univers.  Nous pensons que pendant quelques millionièmes de seconde après le Big Bang, la température dépassait la valeur critique, et que l’état de l’Univers tout entier était celui du plasma de quarks et de gluons.

 

A : Oui mais alors… Comment fait-on pour étudier un tel scénario de manière expérimentale ?

D.H. : Il faut recréer ces conditions extrêmes en laboratoire.  C’est exactement cela, le but de l’expérience ALICE. En réalisant des collisions frontales de noyaux lourds accélérés par le LHC, nous pensons pouvoir créer dans un minuscule volume de la taille d’un noyau atomique, une goutte de cette matière primordiale pendant un bref instant suffisamment long toutefois pour observer sa transformation en matière ordinaire.

 

A : Et quel genre de noyaux envoie-t-on au crash-test ?

D.H. : L’ isotope utilisé est le plomb 208 avec 82 protons et 126 neutrons dans son noyau ; on enlève tous les 82 électrons et on finit par avoir des noyaux des plomb nus. En utilisant toute la chaîne d’accélérateurs du CERN (le synchrotron à protons, le supersynchrotron à protons et le LHC, le grand collisioneur de hadrons), on les accélère jusqu’a une vitesse très proche de celle de la lumière.

 

A : Et alors… Que se passe-t-il au moment de la collision ?

D.H. : Quand deux noyaux entrent en collision frontale, la température extrême résultante libère les quarks et les gluons. Quarks et gluons entrent eux-mêmes en collision les uns avec les autres créant un environnement en équilibre thermique: le plasma de quarks et de gluons.

Le plasma se dilate et se refroidit à environ 2 millions de millions de degrés, température à laquelle les quarks condensent pour former de la matière ordinaire, à peine 10-23 secondes après le début de la collision.

Des milliers de nouvelles particules sont créées.  On entoure donc le point de collisions avec des couches de détecteurs, qui servent à capturer ces produits des collisions.

 

A : Et donc, on bâti une cathédrale souterraine pour observer le phénomène ?

D.H. : Installé à 56 mètres sous la terre, ALICE est un détecteur gigantesque et extrêmement complexe ; ALICE pèse 10’000 tonnes, et mesure 16 m de hauteur sur 26 m de longueur, Il est composé de 18 sous-détecteurs, dont la plupart sont installés dans un grand aimant solénoïdal qui a la forme d’un octogone.

 

A : Ah oui… Ce fameux engin qui a l’air sorti tout droit d’un film de science-fiction (photo http://home.web.cern.ch/sites/home.web.cern.ch/files/styles/medium/public/image/update-for_the_public/2013/04/alice.jpg?itok=1RPBd1vP )

Et que font les détecteurs, exactement ?

D.H. : Les détecteurs identifient les dizaines de milliers de particules produites dans chaque collision et mesurent leur énergie ainsi que des points le long de leur trajectoire dans le champ magnétique.

La détection des particules donne des signaux électroniques produits par les quelques millions de canaux de tous les détecteurs de ALICE; des systèmes ultra-miniaturisés sont utilisés  pour leur traitement et leur digitalisation et des centaines d’ordinateurs pour leur enregistrement.  Ensuite, pour l’analyse des données, une distribution mondiale des ressources informatiques est utilisée (GRID).

 

A : Le GRID, c’est donc ce réseau d’ordinateur d’une puissance phénoménale, qui compte plusieurs centaines de milliers de milliers de processeurs répartis dans 34 pays. Je suppose qu’il faut au moins cela pour analyser les données observées par les détecteurs d’ALICE…

Combien de personnes travaillent sur sur le projet ?

D.H. : ALICE compte plus de 1200 collaborateurs, dont environ 350 doctorants, qui viennent de 132 instituts de physique répartis dans 36 pays à travers le monde.
A : Et on a trouvé quelque chose à ce jour ? Je veux dire… On a répondu ou on est sur le point de répondre à la question de l’origine de la masse ?

 

Pour retrouver Despina Hatzifotiadou :

http://aliceinfo.cern.ch/Public/Welcome.html

http://alicematters.web.cern.ch/

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