Les méthodes de construction des instruments

Billet diffusé dans le cadre de la soirée Radio-Dessinée “Instruments scientifiques : cathédrales du XXIe siècle ?“, au CERN le 23 août 2014 


Avant de considérer les instruments scientifiques comme des cathédrales (ou pas), il y a une étape préalable qui me semble primordiale : leur construction. On n’a pas toujours affaire à des ouvrages extraordinaires lorsqu’il s’agit d’instruments scientifiques. Je me suis donc intéressée à celui qu’on avait là, sous nos pieds, le tunnel du CERN. Et il se trouve que sa construction est déjà en soi exceptionnelle, notamment en termes de dimension et de précision.

Le tunnel du LEP

A l’origine, le tunnel a été construit pour héberger le LEP. L’idée commence à germer dans les années 70, en 81 le projet est validé. On lance un appel d’offre, plusieurs entreprises répondent et en 83 le projet est attribué à EUROLEP (groupement d’entreprises française, suisse, allemande, espagnole, et italienne) pour la partie tunnel classique. Il y a une zone un peu différente à creuser (j’y reviendrai), sous le Jura qui a été attribuée à une autre entreprise spécialisée, GLLC.

Avec ses 26.66km le tunnel du CERN est le … 6ème plus long tunnel du monde, toutes catégories confondues ! A noter que c’est quand même le plus long tunnel qui ne sert pas au passage de voitures ou de trains mais à la recherche scientifique… En plus de ses dimensions impressionnantes, il possède une particularité géométrique : c’est un anneau, enfin presque, en tout cas il n’a pas d’extrémité. Et ça, ça le rend assez unique (par rapport aux autres tunnels de cette ampleur), parce qu’habituellement, quand on fait ce type de construction, on préfère qu’il y ait une entrée d’un côté et une sortie de l’autre.

Bon ok, on a donc un tunnel aux dimensions impressionnantes, mais ça, ça n’implique pas nécessairement que ça ait été compliqué à construire.

Avant de commencer les travaux, il a fallu déterminer le tracé. La majorité du tunnel se trouve en France (notamment en raison de la différence de réglementation entre les 2 pays ; en Suisse il aurait fallu faire un référendum si on avait voulu sortir des terrains appartenant déjà au CERN).

La seconde étape pour réaliser ce projet d’ampleur, a été d’analyser la nature du sol, (c’est d’ailleurs une donnée qui est indispensable avant le démarrage de tous les chantiers). Sur 90% du tunnel, on avait un bon sol. De la molasse, une roche ni trop dure ni trop molle, idéale pour creuser un tunnel. Bon, cette molasse se trouve sous une couche de sable d’épaisseur plus ou moins variable et dans laquelle on peut trouver des nappes phréatiques (j’y reviendrai), mais dans l’ensemble on était pas trop mal. Il est quand même resté 3km sous la chaîne du Jura, qu’on n’a pas pu éviter. Et là on a du calcaire, avec des failles géologiques, c’est pas franchement idéal, mais avec une entreprise spécialisée, ça se fait.

Maintenant, il faut s’attaquer au phasage des travaux. Comme le sondage de terrain, cette étape est absolument primordiale.

Les ouvrages à construire peuvent être répartis en 2 types :

  • Les puits d’accès, 18 en tout (puits pour les machines, les expériences et le personnel)
  • Les tunnels.

Un phasage avait été prévu afin d’optimiser le délai des travaux.

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Vous voyez au-dessus un schéma du tunnel.  On voit des petits carrés (numérotés de 1 à 8) qui représentent les différents points d’entrées (les puits mentionnés plus haut, chaque entrée pouvant accueillir plusieurs types de puits !)

La première étape, a bien sûr été de construire les puits d’accès, pour pouvoir amener les machines et les hommes qui devaient travailler dans le futur tunnel.

On a donc creusé des trous pouvant aller de 30m (un immeuble de 11 étages) à 150m (55 étages !)

Tunnelier
Tunnelier

Les accès sont créés, on peut attaquer le tunnel. Pour ça, on utilise des engins qu’on appelle, tunneliers (c’est assez transparent comme mot). Faits sur mesure… L’objectif était d’utiliser deux tunneliers partant du puits 8 (donc à peu près au milieu, 3 tronçons à faire vers la gauche, 4 à droite). Le premier travaille du point 8 au point 3, le second du point 8 au point 4. C’est simple, logique.

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Comme ça arrive souvent, ça ne s’est pas passé comme prévu. Pour créer les puits d’accès au niveau du point 8, il fallait traverser une nappe phréatique, avec laquelle on ne pouvait absolument pas interagir. Il existe plusieurs techniques pour traverser une nappe. Une que je trouve intéressante, c’est la technique de la congélation. On creuse jusqu’à presque atteindre la nappe phréatique. On insère alors alors des tubes dans lesquels on fait circuler un liquide refroidissant. Une fois que l’eau est gelée, on découpe le bloc par lequel le puits doit passer et on traverse la nappe dans des conditions sèches !

Cette intervention a demandé beaucoup d’argent mais surtout beaucoup de temps, ce qui a compromis l’avancement des tunneliers (il y avait en plus au même moment une grève des ouvriers) !

Si vous avez suivi, on a retardé la mise à disposition du puits 8, qui était le point de départ de nos 2 tunneliers !

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En conséquence, le phasage a été revu et un peu moins optimisé comme on peut le voir sur le schéma ! Le tunnelier 1 a fait la portion 1-2, puis 6-4. Le tunnelier 2 a fait 8-6 et là… le chantier avait vraiment pris trop de retard, aux grands maux les grands remèdes, on a mis un 3ème tunnelier pour boucler les parties 8-1 et 2-3. C’est un peu plus désordonné vous ne trouvez pas ? Et puis pensez qu’à chaque fois, au lieu de tracer tout droit, on a fait ressortir les tunneliers pour les faire redescendre vers leur nouveau point de départ… Pas terrible…

Finalement côté Jura, ça s’est plutôt, bien passé. Une petite fuite, quelques travaux de renforts pour l’étanchéité mais rien de bien problématique.

Que dire d’autre ? Un autre point très intéressant sur la construction, c’est la précision avec laquelle on a dû bâtir le tunnel. Quand il s’agit d’infrastructures routières ou ferroviaires, le tracé est important, mais si on s’écarte de quelques dizaines de centimètres, c’est pas forcément catastrophique. Dans le cas du LEP, on ne pouvait pas s’écarter de plus de quelques centimètres de la trajectoire prévue. Pour ça, on a utilisé, probablement pour la première fois en Europe, le système de navigation NAVSTAR (le GPS en fait) en complément des techniques utilisés habituellement pour servir de guidage. Il a ensuite fallu reporter au niveau du tunnel (donc à environ 100m sous la surface du sol naturel). Et pour ça, on ne peut pas utiliser un fil à plomb ! Il faut tenir compte de la courbure de la terre ! Le résultat, est qu’au terme de la construction, l’écart maximum par rapport à la trajectoire prévue est de seulement 8cm, sur des tronçons de plus de 3km ! Beau travail…

Le tunnel, c’est l’enveloppe, c’est pas ça qui est réellement utile ; ce qui compte pour le CERN, c’est ce qu’on a mis dedans, et là encore on a relevé de sacrés défis. Je ne pourrai pas détailler les différentes étapes de mise en place pour le LEP puis le démantèlement pour le LHC. Il y a quand même une chose que je voulais aborder, c’est la mise en place des éléments pour CMS. On a dû faire descendre par les puits 15 pièces allant de 250t à 1920t ! 1920t, pour vous donner une idée, c’est le poids de 5 Boeing 747 au décollage ! C’est énorme. On a à cette occasion encore fabriqué une grue portique sur mesure !

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Finalement, avant de pouvoir réaliser les avancées incroyables qui ont été faites au CERN, il a déjà fallu réaliser un ouvrage vraiment exceptionnel en termes de construction. Les techniques utilisées, l’ampleur du chantier, le coût, le temps record qu’il a fallu pour le construire en font un objet digne des cathédrales en matière de construction !

Sources :
LEP – The Lord of the Collider Rings at CERN 1980-2000: The Making, Operation and Legacy of the World’s Largest Scientific Instrument,  H. Schopper, http://www.amazon.fr/LEP-1980-2000-Operation-Scientific-Instrument/dp/3540893008
Mise en place de CMS :

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