Interview CIGEO avec Guillaume et Annabelle

 

Dossier écrit de l’épisode #182 de podcast Science, où nous recevions Guillaume et Annabelle de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

 

Alan (A) : Pour réaliser cette émission, nous avons avec nous Annabelle Quenet et Guillaume Cochard de l’ANDRA. Ils sont à Paris. Bonsoir tous les deux, bienvenue.

Guillaume Cochard (GC) : Bonsoir

A : On devait avoir Irène à Santa Barbara mais on arrive pas à l’entendre, elle va peut être nous rejoindre en cours de route. On a Robin à Paris.

Robin : salut (d’un air enjoué)

A : Robin qui sourit à la radio

Robin : Non, parce que j’arrivais plus à atteindre le mute du micro

A : Et puis moi-même, Alan, en direct de Lausanne. Nico est excusé, il est dans un train. Il s’en veut beaucoup, mais c’est la vie. Trêve d’introduction, passons à l’interview d’Annabelle et Guillaume. Rebonjour, merci d’avoir accepté notre invitation.

Annabelle Quenet (AQ) : Merci à vous

GC : Merci

A : Pour commencer, qu’est ce que l’ANDRA ?

AQ : L’ANDRA est un établissement public qui est chargé de mettre en sécurité de façon définitive tous les déchets radioactifs sur le sol français. Ces déchets sont produits par l’industrie, la recherche, par la médecine (puisqu’il y a de nombreux traitements qui utilisent la radioactivité), par la défense, mais évidement en grande partie par la production d’électricité d’origine nucléaire. Qu’est ce que c’est ces déchets ? La plupart sont issues du démantèlement ou de l’exploitation des installations : des tenues, des outils, des gants, des ferrailles, des gravats. Parfois, des objets de la vie courante comme les réveils ou des paratonnerres qui sont radioactifs et que l’ANDRA récupère. Et tout ça, c’est 90% de l’ensemble des déchets qui sont stockés dans des centres gérés par l’ANDRA dans la Manche et dans l’Aube.

GC : Pour compléter et pour parler des 10% des déchets radioactifs restants : il s’agit des déchets les plus radioactifs, les plus dangereux. Des déchets avec des durées de vie de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’années. Ces déchets-là ne peuvent pas être gérés en surface et c’est pour ça que l’ANDRA prépare un projet de stockage à 500m de profondeur, le projet CIGEO qui, s’il est autorisé, pourrait être implanté, à la limite de la Meuse et de la Haute Marne, d’ici quelques années. Il s’agit là des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, c’est à dire les déchets issus du combustible usé. Une autre partie des déchets pourrait être mise à faible profondeur,

A : On reviendra en détail sur les différents types de déchets. J’ai une question qui me démange. Je sais qu’elle vous gonfle, mais du coup je vous la pose d’emblée. Vous êtes pour ou contre le nucléaire ?

AQ : Alors, c’est la question qui tue. On a chacun notre opinion et d’ailleurs Guillaume et moi n’avons pas la même. Effectivement, la question nous gonfle car on nous ramène toujours à ça alors que ce n’est pas forcément le problème. De toute façon qu’on soit pour ou contre, effectivement les déchets ils existent, qu’on les ait choisis ou pas, ils sont là et il faut en faire quelque chose car c’est nos déchets et notre responsabilité de nous en occuper et de ne pas reporter le problème sur ceux qui viendront après, sur les générations futures. Finalement, on n’a pas à se positionner en tant qu’ANDRA, ce n’est pas notre sujet.

A : Même son de cloche du côté de Guillaume ?

GC : Tout à fait. Je suis d’accord avec Annabelle, bien que sur le fond du dossier on ait des opinions différentes. Nous, l’ANDRA, c’est gérer les déchets. Voilà. Ils ont été produits, c’est un héritage. Quels que soit les choix énergétiques faits par la France, il faudra les gérer et on a pas à se prononcer sur les différents scénarios.

A : On peut donc ne pas être pour ou contre. Ça fait plaisir. Ça me fait particulièrement plaisir. Je crois qu’Irène nous a rejoint. Bonjour Irène.

Irène : Salut ! Bonsoir !

A : Ça fait 60 ans que les premiers réacteurs nucléaires à usage civil sont en exploitation. Sauf erreur, 1957 en France. On estime qu’on a déjà produit entre 200 mille et 300 mille tonnes de déchets au niveau mondial. J’ai trouvé ça dans le documentaire Into Eternity. De ce que je comprends, c’est maintenant qu’on commence à chercher des solutions de stockage à long terme. Juste pour savoir, on en a fait quoi de ces déchets jusqu’à maintenant ? Elles sont où ces 200 à 300 mille tonnes ?

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AQ : En fait, les déchets dont parle Into Eternity, c’est une petite partie des déchets. C’est les déchets issus de la production du combustible. D’autres types de déchets, des années 50 à 80 ont été immergés. On les mettait tout simplement dans la mer, jusqu’à ce qu’il y ait un moratoire international sur cette solution. Aujourd’hui, les déchets de surface, sont stockés dans les centres dont je parlais tout à l’heure (gérés par l’ANDRA dans la Manche et dans l’Aube). Les déchets les plus radioactifs dont parle Into Eternity et dont on va parler pas mal ce soir –déchets de haute activité et à vie longue– sont entreposés en toute sécurité dans des entrepôts. Pour la France, c’est l’usine AREVA la Hague, en l’attente d’une solution définitive. Cette solution définitive pour les déchets de haute activité sur laquelle travaille la France mais aussi la plupart des pays qui sont confrontés à cette problématique, c’est le stockage profond. Certains appellent ça “enfouissement” mais nous n’utilisons pas ce terme là car on le trouve un peu réducteur par rapport à l’ambition industrielle que se donne le projet. Le principe de ce stockage profond, que l’on va développer, est de les mettre dans une couche géologique profonde de manière à assurer le confinement de la radioactivité sur des échelles de temps très longue. Pour répondre à ta question, pour le moment les déchets les plus radioactifs sont entreposés en l’attente d’une solution définitive.

GC : J’aimerai bien compléter la réponse d’Annabelle et présenter une vue d’ensemble des déchets français. Dans Into Eternity, on parle de 200 à 300 mille tonnes de déchets issues du combustible usé, mais en fait en France, en tout, on a actuellement, 1.3 millions de mètres cube de déchets radioactifs. Il est intéressant de voir quels sont ces déchets.

Classification des déchets radioactifs français en fonction de leur mode de gestion. Source : Andra
Classification des déchets radioactifs français en fonction de leur mode de gestion. Source : ANDRA

Les déchets radioactifs en France sont classés selon deux grands critères (voir tableau). Le premier, c’est leur niveau d’activité. Plus ils sont radioactifs, plus ils montent dans l’échelle. Et le deuxième, c’est leur durée de vie. Tous les déchets radioactifs ont une période de demi vie, c’est-à-dire la durée au bout de laquelle la radioactivité a été divisée par deux. On séparent les déchets entre ceux qui ont une période de moins 31 ans et ceux qui ont une période de plus de 31 ans. Les moins de 31 ans, on les appelle les “vies courtes” et les autres les “vies longues”. Après, avec l’autre critère, on plusieurs catégories : ceux qui sont des très faible activité, de faible activité, de moyenne activité, de haute activité. Ceux dont on parle dans Into Eternity sont les déchets de moyenne activité à vie longue les déchets de haute activité. Ça m’amène à deux autres points : la répartition de ce déchets et en fonction de leur niveau d’activité.

Gauche : Répartition, à fin 2010, du volume par type de déchets radioactifs produits en France. Droite : Répartition, à fin 2010, du niveau de radioactivité par type de déchets radioactifs produits en France. On distingue 4 niveaux d'activités différentes –haute activité (HA), moyenne activité (MA), faible activité (FA) et très faible activité (TFA) – et deux durées de vie –vie longue (VL) et vie courte (VC).
Répartition, à fin 2010, du volume (à gauche) et du niveau de radioactivité (à droite) par type de déchets radioactifs produits en France. On distingue 4 niveaux d’activité différents –haute activité (HA), moyenne activité (MA), faible activité (FA) et très faible activité (TFA) – et deux durées de vie –vie longue (VL) et vie courte (VC). Source : ANDRA.

 

Sur le camembert de gauche, on voit la répartition du volume par type de déchets radioactifs. On voit que l’essentiel des déchets radioactifs (~97% en volume) sont des déchets de très faible ou de faible activité ou de moyenne activité à vie courte. Les déchets dont on parle dans Into Eternity –les plus problématiques– c’est-à-dire les déchets de haute activité (en bleu sur le camembert) et de moyenne activité à vie longue (en gris) ne représentent que 3.2% du volume. Ils représentent un très faible pourcentage en volume. Si l’on regarde l’autre camembert à droite, qui représente l’activité par type de déchets, on voit que 96% de la radioactivité est concentré dans les déchets les plus radioactifs et 4% dans les déchets de moyenne activité à vie longue. On voit que les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue représentent un très faible volume (environ 3%) mais la quasi-totalité de la radioactivité (plus de 99.9%). Donc pour 97 % des déchets en volume, il y a déjà des centre de stockage et des solutions industrielles en surface qui s’occupent de ces déchets en France, qui ne représente que 0.1% de la radioactivité. Les recherches portent sur les 3% en volume occupé par les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue : des solutions sont à l’étude pour ce petit volume qui a une très grosse activité.

 

Robin : Juste une question : pourquoi mettre une limite à 31 ans pour la différence entre vie longue et vie courte ?

 

GC : Dans nos centres de stockage, on considère qu’en dessous de 3 siècles, on est dans des périodes courtes. 3 siècles, pour un déchet qui a une période de 31 ans, c’est environ 10 périodes. Au bout de 10 périodes, la radioactivité a été divisée par 2, puis par 2, … par 2 puissance 10 en tout (ce qui fait 1024). On considère alors qu’on passe en dessous de la radioactivité naturelle. On considère que 3 siècles (environ 10 périodes de 31 ans), c’est une vie courte.

 

A : Revenons un petit peu à l’ANDRA. Ça a été créé en France après l’adoption de la loi Bataille en 1991 pour trouver des solutions à ce problème de stockage sur le long terme. J’en déduis qu’il n’y avait pas de solutions avant. Annabelle, tu disais qu’on jetait simplement les déchets à la mer ? C’est tout ce qu’on faisait ?

 

AQ : Ça dépend encore une fois de la catégorie de déchets. Les déchets qui étaient immergés, c’était ceux de faible et moyenne activité à vie courte. Pour les déchets à vie longue, on avait commencé à réfléchir au stockage profond assez tôt. En 1991, après plusieurs essais infructueux, la loi Bataille a donné missions à l’ANDRA notamment de trouver des trouver des territoires candidats. Il y a eu cette première loi en 1991. Tout ce que fait l’ANDRA est sous le contrôle du parlement. Il y a une seconde loi en 2006 qui a choisi entre plusieurs pistes le stockage profond et qui a aussi élargi les missions de l’ANDRA. Parmi elles, l’assainissement des sites orphelins pollués par la radioactivité. Par exemple les anciens laboratoires de Marie Curie. Je parlais tout à l’heure des objets de la vie courante comme les réveils au radium. Suite à la découverte de la radioactivité par Marie Curie. Il y a eu ces années folles du radium et il y a eu une industrie du radium qui s’est développée. Aujourd’hui, on a donc non seulement des objets, mais aussi des sites pollués par la radioactivité. Ils sont orphelins car il n’y a plus de propriétaires identifiés. Depuis 2006, c’est l’ANDRA qui a la charge d’aller dépolluer ces sites et le budget pour. Effectivement pour revenir aux recherches sur le stockage profond, elles ont commencé dès le lancement du programme nucléaire français. Il y a eu plusieurs tentatives dans les années 80. En 91, la loi Bataille crée l’ANDRA et lui demande d’explorer plusieurs voies de recherche (on va y revenir). Et en 2006, le parlement fait le choix du stockage profond après ces 15 années de recherche et mandate l’ANDRA pour développer le projet CIGEO (encore sujet à autorisation) entre la Meuse et la Haute Marne.

 

A : CIGEO, c’est donc l’acronyme pour centre industriel de stockage géologique.

 

AQ : C’est ça.

 

A : C’est une galerie souterraine située à 500m de profondeur, où on teste grandeur nature toute sorte de solutions ?

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GC : Pas tout a fait. CIGEO, c’est un projet, ça n’existe pas réellement, c’est sur le papier. Ce dont tu parles c’est un laboratoire souterrain, qui a été creusé à la frontière de la Meuse et de la Haute Marne

A: Mais qui sera sur le même site que CIGEO ?

GC : Ils ne seront pas très loin. CIGEO, s’il est autorisé, ne serait pas une prolongation de ce laboratoire. Ce serait un autre site, construit pas très loin, dans la même roche, mais distinct.

A : D’accord. Comment a t on choisis ce site ?

GC : Attends pour compléter la réponse d’Annabelle sur la loi de 91, je voulais revenir dessus. L’idée de cette loi c’était d’explorer 3 pistes. On avait confié à l’ANDRA et au CEA 3 pistes à explorer pendant 15 ans. La première, c’est le stockage profond : mettre les déchets dans une roche stable capable de retenir la radioactivité pendant 1 million d’années sans intervention humaine. La deuxième piste, étudiée par le CEA, c’est l’entreposage longue durée : construire des bâtiments capables de tenir 2 ou 3 siècles et de les reconstruire régulièrement. La troisième piste, toujours étudiée par le CEA, c’est la séparation-transmutation : réduire la dangerosité de ces déchets. Après ces 15 ans de recherche, les résultats ont été évalués et ces évaluations ont montré que c’était le stockage profond qui était techniquement faisable, car les deux autres pistes étaient bien plus compliquées. Pour l’entreposage longue durée, le fait de construire de bâtiments d’une durée de vie de 3 siècles n’était pas garanti et il y a un risque trop fort de rupture sociétale pour la reconstruction et l’entretien. Quant à la séparation-transmutation, il y avait deux problèmes. Le premier c’est que ça ne marche que pour une partie des déchets de haute activité, donc ça ne règle pas le problème. Le deuxième, c’est qu’il faut construire des installations nucléaires nouvelles pour faire de la séparation-transmutation, qui vont générer de nouveaux déchets, qui ne sont eux pas transmutables. Après ces 15 années, en 2005-2006, il y a eu un débat public, à la suite duquel le parlement a choisi la première solution (le stockage profond). C’est comme ça qu’on en est arrivé là.

A : D’accord, super intéressant, merci. Je reviens à ma question du coup. Après avoir choisi le stockage profond, il a fallu trouver un site. Comment a t on choisis le site ?

GC : Pour le site, il y a eu plusieurs communes candidates dans lesquelles ont été effectuées des investigations géologiques : on cherchait une roche stable. On a trouvé, à la frontière de la Meuse et de la Haute Marne, une roche qui est stable depuis 140 millions d’années. Les autres critères, c’est que cette roche soit suffisamment épaisse (elle fait 130 m d’épaisseur) et qu’elle soit suffisamment profonde : dans ce cas, c’est 500m. 500m, c’est bien car ça peut protéger de phénomènes comme la prochaine ère de glaciation qui va geler le sol sur plusieurs mètres et ce n’est pas trop profond non plus. C’était les 3 critères : stabilité, épaisseur et profondeur de la roche. Il a donc été décidé de construire à la frontière de la Meuse et de la Haute Marne un laboratoire souterrain pour effectuer des recherches.

A : Et la population, c’était pas un critère ? Si vous aviez trouvé le terrain idéal sous Paris ?

GC : A bah là je pense que ça aurait été niet. Je vois mal les engins de chantiers s’installer à Notre Dame évidement. Il ne fallait pas qu’il y ait une zone urbaine trop importante.

AQ : Pour compléter, il y avait des aspects géologiques, qui étaient indispensables, mais aussi un critère de volontariat des communes. Il y a eu des appels à candidatures et des réponses dans la Vienne, dans le Gard. Pas forcément dans l’argile d’ailleurs. C’est ce qu’on a sur le site Meuse-Haute Marne, mais on avait envisagé le granit. Au-delà de la géologie, l’aspect sociétal compte énormément. Il faut qu’il y ait un dialogue et un soutien local. Depuis les années 90, il y a eu un dialogue au niveau local et l’on est soutenu au niveau régional, départemental, communal… Ces critères étaient au moins aussi importants que les critères géologiques.

A: Très bien. Le laboratoire sur le site de Bure, combien de personnes y travaillent et qu’est ce qu’elles y font ?

GC: On appelle ça le centre de Meuse-Haute Marne. Il y a un laboratoire situé à -500m, un espace technologique, une écothèque, des installations de surveillance de l’environnement, … En tout sur ce centre, on a environ 350 personnes qui travaillent et habitent dans la région. Au niveau du laboratoire, il y a du creusement, de la sécurité, de l’étude de la roche. En dehors du laboratoire, il y a de l’étude de l’environnement en surface et des tests d’ingénierie. Voilà les métiers exercés au centre de Meuse-Haute Marne.

A : Ok. Pour CIGEO, vous parliez d’une attente d’autorisation. On n’est pas encore sûr que la solution, ou le site soient acceptés ?

AQ : CIGEO aujourd’hui n’est pas autorisé. Il y a un processus très long. On travaille dessus depuis les années 90. Aujourd’hui, on en est travail sur le dépôt de la demande d’autorisation de création, qui doit intervenir en 2017, qui va être instruite notamment par l’autorité de sécurité nucléaire qui donnera son avis. Il doit y avoir aussi le vote d’une loi. Le parlement doit aussi voter une loi sur la réversibilité qui est une notion importante sur laquelle on va revenir. Au final, l’autorisation pourrait intervenir aux environs de 2020, pour une première arrivée des colis, dans le cadre d’une phase industrielle pilote, de test en grandeur réelle, aux alentours de 2025. Aujourd’hui, on a juste un laboratoire et le site de stockage en tant que tel sera construit à quelques kilomètres du laboratoire, où l’on est en train de faire des essais sur la roche, sur le creusement aujourd’hui. Le laboratoire est d’ailleurs visitable et l’on invite les gens à venir s’ils sont intéressés (info visite ici).

A : J’ai eu la chance d’aller visiter, ça vaut le détour. C’est assez impressionnant, ne serait ce que pour l’ascenseur : descendre 500m sous Terre, c’est juste épatant.

Irène : Waouh ! Moi j’adorerais.

A : Voilà vous avez une première inscrite.

Irène : Je me demandais, comment se place la France par rapport aux autres nations sur ces questions ? Est ce qu’on a un rôle pilote ou est on en retard ?

AQ : Il y a une collaboration internationale effectivement. La plupart des pays qui ont une forte problématique nucléaire réfléchissent au stockage profond pour les déchets à vie longue. Les pays ne sont pas tous au même stade. Le trio de tête, c’est la France, la Suède et la Finlande. Mais la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne (qui même si elle a décidé de sortir du nucléaire, a relancé le processus de recherche de sites). Dans aucun pays ça ne se fait facilement, mais à différents niveaux, ils y réfléchissent tous, car cette solution fait assez consensus.

A : Pour revenir au laboratoire souterrain, on y test quoi exactement ? Un tunnel, c’est un tunnel, non ? Il y en a vraiment différents types ?

GC: En fait, au début, le laboratoire souterrain, qui s’est installé dans cette roche de type Callovo-Oxfordien (un type d’argile), était là pour caractériser ces argiles. Il fallait très bien connaitre la roche. Puis ensuite, il a fallu étudier les perturbations subies par la roche quand on creuse un tunnel ou une galerie, ou quand on y met des déchets chauds (une des propriétés de déchets de haute activité, c’est qu’ils sont chauds). Comment cette argile va se déformer lors du creusement ? Comment les différents matériaux que l’on va mettre dedans pendant la construction (béton, verre, fer) vont interagir avec cet argile. On met des capteurs dans la roche et on fait des expériences sur plusieurs années. Pour voir les résultats au cours de plusieurs milliers d’années, on effectue des simulations. Le but de toutes études sur la roche, c’est de limiter au maximum l’endommagement de cette roche pendant la construction. On regarde aussi des méthodes industrielles, de creusement, de soutènement.

A : D’accord. CIGEO sera donc un grand trou ? On rempli, on ferme, et on est bon pour 1 million d’années ?

AQ : C’est un peu plus qu’un grand trou. C’est un projet industriel assez innovant. Tu as visité le laboratoire et tu as bien vu que ce n’était pas juste un grand trou.

A : Absolument…

AQ : C’est un projet industriel assez innovant par les échelles de temps mises en jeu. Il doit confiner la radioactivité sur des périodes de centaines de milliers d’années, mais l’exploitation industrielle va durer en elle-même 120 ans, ce qui est énorme. On va remplir les déchets de manière très progressive pendant 120 ans. CIGEO est prévu pour tous les déchets nucléaires depuis le début  jusqu’à la fin de vie du parc nucléaire actuel. Y compris pour des installations qui ne sont pas encore en fonctionnement, comme l’EPR de Flamanville ou ITER. On va les remplir pendant une grosse centaine d’années. Il y a aussi la question de la réversibilité, qui est une demande très forte de la société (et du coup du parlement). Pendant toute sa durée d’exploitation, CIGEO devait être réversible. On doit avoir la capacité de revenir en arrière, de changer d’avis si on découvre d’autres technologies, et de pouvoir retirer les colis. Il y a aussi la question du contrôle que va avoir la société sur le projet et sur sa fermeture. A quel rythme on ferme ? Qui décide de fermer ? Pour cela, dans la réversibilité, il faut aussi prévoir l’aspect des rendez-vous avec la société, avec le parlement, pour se poser les bonnes questions : on arrête, on continue, plus vite, moins vite, etc. ? La réversibilité c’est à la fois la capacité technique de retirer les colis, mais aussi tous ces aspects de gouvernance notamment sur les questions de fermeture qui sont très importants.

A : De ce que je comprends, entre le moment où on commence à remplir et le moment où c’est plein, il se passe 120 ans, pendant lesquelles on pourra remettre en question le projet. Par contre, dans 120 ans, s’il est rempli, une fois qu’on a tourné la clef, c’est fini ?

AQ : Effectivement, le principe, c’est de trouver une solution définitive. L’idée c’est de ne pas nécessiter d’intervention humaine : on ne peut pas garantir que dans 10’000 ans, dans 20’000 ans, nos descendants auront encore les capacités financières, techniques ou humaines d’entretenir la sécurité des entreposages. Le projet a pour vocation d’être définitif. Si les générations futures, dans 120 ans, décident que c’est bon et qu’on a toutes les informations qu’on voulait. On se doute bien, ne serait ce qu’au niveau de la demande de la société, qu’il y aura une certaine surveillance et un essai de maintien de la mémoire.

A : Comment est ce qu’on va faire pour acheminer les déchets, ou les colis, comme tu appelles ça ?

GC : Les déchets sont dans des colis en fait. On va les acheminer sur CIGEO principalement par le train. Les déchets seraient conditionnés dans des emballages de transport, ils passeraient par un bâtiment de transit en arrivant à CIGEO, puis ils seraient descendus dans le stockage souterrain, via une grande descenderie (une sorte de funiculaire de 5 km de long et qui arrive au fond).

Vue d'artiste de ce à quoi pourrait ressembler CIGEO. Source : ANDRA
Vue d’artiste de ce à quoi pourrait ressembler CIGEO. Source : ANDRA

Sur cette vue d’artiste, on peut voir deux zones en surface. Une première zone où arrivent les colis de déchets et un grand tunnel qui descend. Au sous-sol, on voit des galeries. Une partie est pour les déchets de haute activité et une autre pour les déchets de moyenne activité à vie longue. A la verticale de ces galeries, il y a des installations de surface. Cette seconde zone sert au creusement. Cette vue d’artiste n’existera jamais comme ça, puisqu’on creusera au fur et à mesure des besoins et les galeries seront rebouchées au fur et à mesure. On a donc des installations en surface qui sont là pour le creusement et d’autres qui sont là pour l’arrivée et la descente des colis.

A : Et le transport en train des colis, c’est sans risque ?

GC : Régulièrement en France, des déchets sont transportés par voie ferrée. On en voit souvent arriver au terminal de Valognes dans la Manche. Il y a aussi des déchets qui viennent de l’étranger. Ceux qui viennent d’Allemagne sont appelés trains castors. Historiquement, il y a dû y avoir un accident, mais les colis sont faits pour résister à des chocs importants et il n’y a jamais eu d’impact sur l’homme ou l’environnement à cause de transport de déchets radioactifs par le train.

A : On va revenir sur cette question de durée. On parle de durée d’un million d’années, c’est des durées absolument inconcevables à l’échelle humaine. Homo-Sapiens ne sévit sur la planète que depuis 200’000 ans environ, ça fait 10’000 qu’on a cessé d’être des chasseurs cueilleurs, ça fait que depuis quelques dizaines d’années qu’on a de l’eau courante, de l’eau chaude, de l’électricité… Même avec les meilleures simulations, comment être certain que la solution tiendra 1 million d’années ?

GC : Tu as raison, cette échelle de temps nous dépasse totalement, nous autres êtres humains. Mais une partie des êtres humains s’appellent les géologues et ils voient les choses différemment de nous autres. Pour eux, 1 million d’années, ce n’est pas si long, au regard de la roche dans laquelle seront installés ces déchets, qui elle a une stabilité géologique depuis 140 millions d’années. La roche s’est créée, en Meuse Haute Marne, c’était une zone tropicale, avec des océans (on retrouve des fossiles) et la planète était totalement différentes. Comme tu dis, Homo-Sapiens n’est arrivé que très récemment, mais la roche était là depuis longtemps. En 140 millions d’années, elle n’a pas bougé. Le besoin de sureté, il est d’un million d’années et à partir du moment où ça ne bouge pas pendant au moins cette durée, c’est bon. Comment être sûr ? Il faut faire confiance, mais il y a eu 20 ans de recherche où des géologues ont travaillé dans cette roche et leur conclusions ont été évaluées internationalement –à l’ANDRA, on ne travaille pas tout seul dans notre coin, d’autres pays sont confrontés au même problématiques– et ces travaux font consensus dans la communauté des géologues : cette roche sera stable sur cette période.

A : C’est assez convaincant, je n’avais pas pensé aux géologues… Et la signalétique ? Il faut penser aux générations suivantes, mais il y aura sans doute une rupture de la chaine culturelle ? Peut être que dans un million d’années, l’espèce intelligente dominante sur Terre ne sera pas l’être humain, mais je sais pas moi… le poulpe ! Comment est ce qu’on fait pour signaler la dangerosité du lieu ? Et s’assurer que ce soit compris par…

AQ : … le poulpe de demain ?

A : Oui, par exemple.

AQ : Toute la question est de savoir, quel intérêt aura le poulpe, à cette époque là, d’aller creuser à 500m de profondeur. Il y a peu de chance qu’il fasse ça le week end pour s’amuser, ou en tout cas s’il a les capacités de le faire pour s’amuser, il a aussi les capacités de faire des investigations avant et de se dire “Tiens, il se passe quelque chose : je vais aller regarder ce qui se passe avant de creuser”. Cette question, plus sérieusement, est celle de la mémoire, au centre du documentaire Into Eternity, que j’invite tout le monde à découvrir. C’est une question sur laquelle il n’y a pas d’urgence à trouver une solutions définitive : ce serait très prétentieux de notre part d’affirmer savoir comment garder la mémoire sur 1 million d’années (“il faut tel marqueur de surface, telle langue, etc..”). On ne peut pas avoir cette prétention. Mais si on fait CIGEO, c’est pour ne pas nécessiter d’intervention humaine. On n’a pas besoin de la mémoire, d’un point de vue de la sûreté.

Prototype de disque en saphir d’une durée de vie estimé à un million d’années sur lequel sont “imprimées” des milliers de pages d’informations (lisibles à l’œil et/ou avec des systèmes grossissants). Source : ANDRA

Par contre effectivement, c’est une vrai demande de la part de nos évaluateurs : pour autoriser CIGEO, l’autorité de sureté nucléaire demande à ce qu’on soit capables de garder la mémoire sur 500 ans. On pense que raisonnablement c’est bon, en analysant ce qu’on a pu faire par le passé. On veut essayer de garder la mémoire au-delà de cette échelle là. Plusieurs pistes sont étudiées allant de l’art à l’archéologie des paysages en passant par différents marqueurs pour réfléchir à la possibilité de combiner ces positions. Il y a 3 grands types de questions. D’abord, le support physique. Dans les centres de surface, on met toutes les données sur du papier permanent, avec de l’encre permanente, car on sait que les supports numériques ont une durée de vie finie : on n’est plus capable de lire nos mémoires d’études que l’on a mis sur disquettes à l’époque. Il y a aussi une start-up qui a développé un disque en saphir. On sait que ce disque dure 1 million d’année. La seconde question, c’est qu’est ce qu’on écrit. Quel système de communication on utilise ? Quelle langue ? On s’est rendu compte que le Latin était toujours enseigné aujourd’hui mais ne bougeait plus, à l’inverse du français. Le français qu’on utilise aujourd’hui ne sera plus compris par personne dans quelques centaines d’années : il évolue très vite. Pourquoi pas ne pas utiliser les langues mortes ? C’est une piste. La troisième question, c’est “à qui on transmet cette mémoire ? Qui en est le gardien ?” Un système étatique, les institutions ou encore les riverains ? On s’est rendu compte que certains aborigènes d’Australie avaient perpétué des traditions orales depuis 10’000 ans. C’est aussi une piste. Il y a aussi la question des marqueurs en surface. Faut-il laisser quelque chose ? Une pyramide, une stèle, une œuvre d’art ? Ou au contraire rien du tout ? Ces pistes sont étudiées par l’ANDRA mais aussi par d’autres groupes internationaux : ces questions sont discutées lors de colloques. On étudie ce cocktail de solutions. On essaie aujourd’hui de travailler plus modestement avec des riverains autour de nos centres pour justement que cette mémoire soit aussi réappropriée par les communautés locales, de générations en générations. Voilà grosso-modo quelques pistes sur cette question qui est très vaste

A : Effectivement. Guillaume tu voulais ajouter quelque chose ?

GC : On nous demande souvent : A quoi ça sert de faire un disque en Saphir avec des données numérique on ne saura pas le lire dans 30 ou 40 ans ? En réalité c’est un disque optique. On peut lire les informations soit à l’œil, soit avec une loupe ou un microscope.

A : Comment est-ce que l’ANDRA en général et le projet CIGEO en particulier sont financés ?

AQ : Pour CIGEO, ce sont les producteurs de déchets (c’est le principe pollueur payeur qui s’applique) : AREVA, EDF et le CEA qui versent une taxe reversée ensuite à l’ANDRA. On a aussi quelques contrats commerciaux pour récupérer les déchets dans les laboratoires de recherche ou dans les hôpitaux. Pour la mission de service publique d’assainissement des sites orphelins, il y a une subvention de l’état.

A : Ce n’est pas un peu problématique le fait que vous soyez indirectement financés par l’industrie du nucléaire.

AQ : Indirectement oui, mais ce ne sont pas les producteurs de déchets qui nous versent l’argent. Ça passe par une taxe, qui est versée à l’autorité de sureté nucléaire, qui est reversé à l’ANDRA. Le principe français est clair : l’établissement en charge des déchets est déconnectée des producteurs. On est financé de manière indirecte, mais les missions de l’ANDRA sont distinctes de celles des producteurs de déchets.

A : Ça ne vous pose jamais de problèmes en terme de communication ?

AQ : Non, sincèrement, ça ne pose pas vraiment de problème. On a un positionnement assez clair. Je ne dis pas que ça pose jamais de problème par ailleurs : il y a eu beaucoup de polémiques sur les questions des coûts de CIGEO. Les producteurs des déchets qui sont ceux qui in fine, vont payer le stockage ont plutôt tendance à tirer dans leur sens, ce qui se comprend. Ça peut arriver qu’il y ait des tensions, mais pas vraiment en terme de communications.

A : En général, la communication passe bien ? On comprend bien votre message ?

AQ : Déjà il faudrait qu’on l’entende ! Moi, la problématique des déchets radioactifs avant de voir une offre pour la com’ de l’ANDRA, je n’en avait jamais entendu parler et je ne m’y étais d’ailleurs jamais intéressé. Or, c’est un sujet qui nous concerne tous, ne serait-ce que parce qu’on utilise tous de l’électricité. La communication sur ces questions, faire prendre conscience de cette problématique, créer un débat, est une de nos missions et c’est très bien que des émissions comme celle-ci se fassent. Ces problèmes ne sont pas noirs ou blancs, ils posent tout un tas de questions. Il faut toucher et faire participer au débat un public plus large que les traditionnels “pro” et “anti” nucléaires.

CG : Une petite remarque. On fait régulièrement des enquêtes CREDOC [centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie] et une enquête a montré que 2/3 des personnes interrogées pensaient qu’un téléphone portable usagé constituait un déchet radioactif. C’est là qu’on voit qu’il y a du chemin à faire. La radioactivité c’est quelque chose d’assez compliqué. On a monté une exposition qui s’appelle La radioactivité de Homer à Oppenheimer au palais de la Découverte jusqu’en juin dernier mais qui va continuer à circuler. Cette exposition explique ce qu’est la radioactivité. On comprend que c’est quelque chose qui décroit dans le temps, qui est dangereux, mais dont on peut se protéger et il y a plus de rationalité qui se met dans le débat. Il faut que les gens s’approprient le sujet et le comprenne.

Affiche de l’exposition “De Homer à Oppenheimer” sur la radioactivité organisée au Palais de la Découverte.

A : En parlant de débat public, on a plein de questions dans la chatroom.

Nabla: quel est le meilleur matériau connu pour enrober les déchets, au niveau durabilité ?

Robin ajoute : en s’en fichant complètement du prix. Du diamant ?

CG : Ça je ne sais pas pour les matériaux un peu chers. Ce qui est sûr c’est qu’en France, les déchets de haute activité sont mis dans des matrices de verre. La durabilité du verre, c’est plusieurs milliers d’années, mais l’enjeu n’est pas sur la durée du colis, mais au niveau de la roche. Le projet CIGEO est envisagé dans une argile. Il y a de l’eau qui circule dans cette argile, très lentement (quelques centimètres par milliers d’années). L’objectif de cette roche sera de ralentir la dispersion des radionucléides. Ceux-ci finiraient par migrer à la surface, mais leur radioactivité aura suffisamment diminuer entre temps, pour qu’elle soit inférieure à la radioactivité naturellement présente à la surface. C’est une sorte de course de lenteur. Entre la lenteur de la décroissance radioactive et la lenteur de la dispersion des radionucléides. On ne cherche pas un matériau absolu, une prison ultime pour les radionucléides, on cherche à retenir suffisamment longtemps les radionucléides pour que leur activité ait diminué et ne présente plus de risques.

Y.v.e.s: Quand on investira à nouveau dans l’ingénierie nucléaire, on pourra enfin transmuter les noyaux à demi-vie longue en déchets plus facilement gérables (environ 50 ans)

CG : J’ai en partie abordé la question de la transmutation quand on a parlé de la loi de 1991, qui demandait à l’ANDRA d’envisager cette option, parmi d’autres. Elle a été étudiée pendant 15 ans et elle est toujours été étudiée. Mais il y avait deux problèmes. Le premier c’est que ça ne marche que pour une partie des déchets de haute activité, donc ça ne règle pas le problème. Le deuxième, c’est qu’il faut construire des installations nucléaires nouvelles pour faire de la séparation-transmutation, qui vont générer de nouveaux déchets, qui ne sont eux pas transmutables. On réduit une partie du problème, on le déplace et on en crée un autre. Il faut aussi savoir que la séparation ne pourrait pas s’appliquer pour les déchets déjà produits qui ont déjà été mis dans des matrices de verres. Il serait très dangereux de dévitrifier ces colis.

AQ : 50 % des déchets qui vont aller dans CIGEO existent déjà. Ceux-là ils sont déjà là et il faut bien trouver une solution pour eux.

Irène : Y.v.e.s nous dit “D’ailleurs Greenpeace adore arrêter les trains chargés de “colis” !” C’est vrai ?

Pueyo sur les papillotes radioactives
Pueyo sur les papillotes radioactives

 

CG : Je ne sais pas. A l’ANDRA, on ne s’occupe pas des trains, on est en bout de chaines, dans les installations de stockage. C’est le producteur qui est chargé d’amener les colis

 

AQ (ironiquement) : C’est pas nous, c’est les autres ! (Plus sérieusement) Greenpeace et d’autres sont des opposants et utilisent les moyens à leur disposition. Avec certains, comme Greenpeace, on a des dialogues assez constructifs. Ils sont experts et ils participent aux groupes de travail, aux comités d’experts. Ils ne sont pas forcément d’accord, mais cette expertise pluraliste est nécessaire et saine pour un sujet comme celui-là. On peut être critique sur la forme, mais en soi, le fait que nos idées soient challengées, c’est naturel et même plutôt souhaitable, en démocratie.

 

Robin : C’est des trucs hyper dangereux, qui dégagent de la chaleur et de l’énergie. Est ce qu’on peut pas l’exploiter cette énergie ? (question de Thibault dans la Chatroom)

 

GC : Oui, ils dégagent de la chaleur. Il faut savoir que le combustible nucléaire est renouvelé par tiers, dans les réacteurs, tous les 3 ans. On déplace les barres de réacteurs du cœur des réacteurs vers des piscines d’entreposage juste à côté. Là, on attend entre 3 et 5 ans avant de pouvoir l’envoyer à La Hague, où il va être retraité. Ce sont des déchets ultimes, dont on estime qu’ils sont devenus trop dangereux pour être utilisés. Ils vont rester entreposés (par forcément à La Hague) des dizaines d’années, en attente de descente dans CIGEO. Certes, ces déchets dégagent de la chaleur. Il faut attendre des dizaines d’années pour que cette chaleur diminue suffisamment pour l’enfouissement, où ils en dégageront encore. Mais les risques de leur exploitation sont plus importants que les bénéfices qu’on tirerait de cette exploitation. C’est aussi un problème de coût économique d’exploitation de la ressource.

 

Irène : Une question aussi de Nabla, sur les réflexions autour de la langue et les codes de missiles.

 

AQ : On travaille sur ces questions avec des linguistes pour trouver les systèmes linguistiques et de communications qui perdurent le plus longtemps (ou qui ont perdurées le plus longtemps). Encore une fois, vraisemblablement, ce n’est pas forcément les langues vivantes actuelles, ou en tout cas pas une seule langue vivante, qui seront utilisée. C’est une piste, ça peut aussi être des langues mortes, des signes, des dessins

 

CG : La signalétique pose aussi des problèmes. Par exemple, aujourd’hui, pour signaler un danger, on prend un petit panneau où on met une tête de mort, mais peut être que dans 200 ans, ce sera pris comme un signe d’intérêt. Il y a un tas d’études sur des signes intemporels : un humain qui se prend la tête entre ses mains pour signifier le danger par exemple.

 

Irène et Robin décrivent quelques solutions loufoques envisagées par la chatroom.

 

CG : On a envisagé d’envoyer les déchets dans l’espace. Mais ça pose le problème du danger car les lanceurs ne sont vraiment pas assez surs. On va dire un crash tous les 100 lancements. Et il y a aussi le problème du coût : envoyer une tonne dans l’espace c’est très cher. Il y a aussi la solution de mettre les déchets dans une zone de subduction en attendant que la croute terrestre les envoie dans le magma. Mais il y a le problèmes des volcans : ça peut ressortir. Il y avait aussi des russes qui voulaient utiliser la chaleur des déchets. Mettre les déchets dans une boule en tungstène (je crois), les mettre en antarctique et attendre que la boule fasse fondre la glace… Il y avait plein d’idées comme ça.

 

Irène et Robin décrivent quelques solutions loufoques envisagées par la chatroom.

 

Antoine: Est-ce qu’il y a des études menées sur la destruction des déchets ? Par accélérateurs par exemple ?

 

AQ : Non malheureusement. L’avantage quand même, c’est que leur radioactivité décroit toute seule. Il n’y a que ça à faire, attendre que le temps fasse son œuvre, via la décroissance radioactive. Il y a sans doute déchets chimiques hautement toxiques (j’y connais rien, hein) qui restent dangereux, sans possibilité de faire baisser cette dangerosité. Bon effectivement, pour les déchets de CIGEO, on parle quand même de quasi l’éternité…

 

CG : Sur la décroissance, j’ai oublié de dire qu’il existe des déchets à vie très courte. Dont la période est de moins de 100 jours, typiquement les déchets d’hôpitaux, où on utilise la radioactivité pour des examens. Ces déchets là, ils vont être entreposés dans une salle spéciale de l’hôpital pendant plusieurs mois et au bout de plusieurs mois, ils sont renvoyés dans le circuit de traitement classiques des déchets, car leur radioactivité a disparu. Il y a des temps très longs, mais aussi des temps très courts.

 

Thibaut : Comment en êtes-vous arrivé à travailler pour l’ANDRA ?

 

AQ : (rire) Ça me fait rire, parce que je me pose parfois la question. Moi, je viens du milieu associatif, je travaillais dans l’humanitaire. Je n’avais jamais entendu de la problématique des déchets nucléaires. Mais j’avais envie de continuer à travailler sur des sujets de société et pour le coup je suis servie. C’est très intéressant : avant j’étais perçue comme étant chez les gentils et maintenant je suis perçu comme étant chez les méchants, or la réalité est beaucoup plus complexe. Je trouve que ce n’est pas un sujet facile, mais c’est un sujet passionnant et il y a un vrai engagement à faire circuler le débat.

 

CG : En ce qui me concerne, c’est un peu différent. J’ai commencé il y a 10 ans, déjà dans la communication, pour Microsoft, et je n’adhérais pas forcément à ce qu’on faisait. Ça m’a amené à démissionner car pour être convaincant il faut être convaincu et je ne l’étais pas quand je devais réaliser des messages de promotions pour des nouveaux produits. J’ai alors cherché une entreprise plus citoyenne. J’ai trouvé à l’époque un établissement qui s’appelle l’IRSN [Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire]et 5 ans plus tard je suis arrivé à l’ANDRA, qui est toujours dans le nucléaire. Dans ce genre d’établissements, les EPIC [Établissement public à caractère industriel et commercial] et d’ailleurs je pense que ça vaut pour l’ensemble des salariés qui y travaillent, il y a cette volonté d’avoir un engagement citoyen dans son métier. On travaille au service de l’intérêt général et on n’est pas uniquement guidé par un intérêt commercial (même si on essaie de faire un stockage le plus économe possible) : le but, c’est la sureté, d’abord la sureté et toujours la sureté. Et là vraiment, en tant qu’individu, je m’épanoui dans ce type de missions.

 

Robin : Une question que je ne comprends pas. “Nabla : surrégénération le retour ?”

 

CG : Je pense qu’il parle de la génération 4 de réacteurs nucléaires. On en est à la génération 3, avec une déclinaison EPR, et la génération 4, c’est des réacteurs qui seraient capables de faire de la fission avec des matières radioactives qui sont actuellement entreposées. Dans l’idée, ça produirait moins de déchets, mais ça en produirait toujours. On serait toujours confronté à ce problème du stockage profond des déchets de hautes activités. Simplement, pour le même volume de déchets produits, on produirait beaucoup plus d’électricité.

 

A : Ce qu’on appelle les réacteurs de génération 4, c’est notamment celui de Creys-Malville, Superphénix ?

 

CG : C’était ! Oui, c’est ça. Mais on n’est pas des spécialistes du nucléaire. Faut pas trop pousser les questions dans cette direction…

 

Robin : Une question pointue justement.

 

CG : Zut…

 

Y.v.e.s: Le truc à la mode c’est le réacteur à sels fondus de Thorium… mais on ne cherche pas / on n’investit pas.

 

CG : Il faudrait inviter quelqu’un du CEA. Je pense qu’ils cherchent là-dessus quand même. Après, est ce que le nucléaire à la cote ou pas ?… Encore une fois, nous ce n’est pas notre question, à l’ANDRA… Par contre, dès qu’il y a de nouveaux projets, on va regarder quels déchets ils vont produire. ITER par exemple va produire des déchets radioactifs, qui sont dans l’inventaire de CIGEO. L’EPR de Flamanville va produire des déchets radioactifs, qui sont dans l’inventaire de CIGEO. Dès qu’il y a un nouveau projet qui pourrait produire des déchets, on commence à s’y intéresser.

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AQ : C’est un peu la même problématique pour la transition énergétique. Dépendamment des scénarios, on va avoir un impact différent en terme de déchets. Et c’est là où on rejoint la problématique du nucléaire : quel impact va avoir les choix de société sur la production de déchets. C’est vraiment notre angle et on n’en sort pas.

Y.v.e.s : quels sont les déchets les plus volumineux qui arrivent ? J’ai entendu dire que ça venait essentiellement des services de radiologie des hôpitaux.

AQ : Non, le plus gros volume aujourd’hui, c’est les déchets de très faible activité, qui concernent le démantèlement des premières centrales nucléaires, comme par exemple Brennilis en Bretagne, ou Chooz dans les Ardennes. On a énormément de tonnes de déchets très faiblement radioactifs qui sont conditionné dans des gros sacs de chantiers et qui vont dans le centre de surface de l’ANDRA dans l’Aube. Encore une fois, gros volume faible dangerosité, petit volume forte dangerosité.

A : Est ce que vous avez quelque chose à ajouter, Annabelle et Guillaume ?

AQ : Pour tout ceux que ça intéressent, allez voir andra.fr, cigeo.com et dechets-radioactifs.com. Et on vous invite à aller visiter nos centres : le labo de Meuse Haute Marne et les centres de stockage de surface (visite du centre de la Manche, visite des centres dans l’Aube).

A : Quelques cafetiers ont visité le labo et ça a donné quelques billets :

– Sirtin, qui en a profité pour poster des photos de ses chaussettes, en 3 billet : la review de la visite du labo, Appréhension autour des déchets radioactifs et Déchets radioactifs : regards croisés.

Bure, plongée dans l’éternité par Dr Goulu sur Pourquoi Comment Combien, qui répondra à beaucoup de questions techniques qu’on peut se poser.

– Valentine, qui avait l’air de dessiner à la place de prendre des notes, mais qui a pondu un billet d’une précision inouïe

L’Andra: stocker les déchets nucléaires pour un million d’années par Benjamin sur La Science pour tous.

La vidéo de Benoit tournée pour le compte de Sweet random science :

Visite de CIGEO from PéPé Productions on Vimeo.

Visite du site de CIGEO http://www.xn--cigo-dpa.com/
pour le blog http://sweetrandomscience.blogspot.fr/

– Et les photos de Karim :

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