Histoire du sang en médecine, Partie I

Dossier de l’épisode #197 par Irène sur l’histoire de la transfusion sanguine. La seconde partie, sur l’histoire du sang contaminé, se trouve juste ici.

Avant de commencer, je  me dois de dire que cet épisode est très largement tiré d’un livre titré ‘Blood ‘ écrit par Douglas Starr et publié aux US en 1998.  Au passage merci à mon mari pour me l’avoir offert.

Jusqu’au XVIII siècle environ, la théorie des humeurs dicte la médecine.  Le premier à exposer la théorie des humeurs est Empédocle (485-435 avant J-C). Elle se fonde sur la théorie des quatre éléments.

Avant Empédocle, Thalès de Milet (630 avant J-C) établissait déjà une théorie de la formation de l’univers dont l’élément de base était l’eau. Selon lui, l’eau serait le fondement et aurait engendrée les autres éléments, la terre, l’air et le feu. La théorie s’est affinée ensuite, mais pendant longtemps est restée l’idée que le sang véhicule notre vitalité et nos humeurs, et pour pousser plus loin,  notre personnalité, notre esprit… Ainsi un bol de sang transportait aussi sa dose de courage, de longévité, de tranquillité…

Autour des années 1630, Harvey, un scientifique  anglais de Oxford avait montré que le sang circulait dans le corps grâce aux artères et aux veines.  C’était l’époque des grandes découvertes anatomiques, la sainte église catholique s’étant calmée face aux dissections qui pouvaient de plus en plus être réalisées dans la légalité.  C’était un scientifique rigoureux et admiré par ses pairs.  L’idée d’injecter diverses substances dans les vaisseaux émerge rapidement et en toute logique.   Et voilà les pauvres chiens d’Oxford pris pour des cobayes, les chimistes locaux se mettent à leur injecter de l’opium ou de l’antimoine dans les veines, mais aussi de l’urine, du lait, et la bière bien évidemment…  C’est finalement en 1665 qu’un médecin tente enfin de transfuser le sang d’un chien à autre chien.  Après moult essais désastreux et quelques cadavres de chiens en plus, l’opération réussit.  Grande excitation chez nos amis d’outre manche, qui se posent dès lors la question de savoir si de telle transfusion pouvaient par exemple transformer par là un chien hargneux et féroce en un gentil toutou ?

A la même époque vivait dans un village près de Paris un certain Antoine Mauroy, un monsieur fort désagréable, violent (qui battait sa femme), agressif, pyromane et exhibitionniste.  L’histoire n’aurait pas retenu son nom, si au cours d’un épisode maniaque, il ne fut ramassé nu comme un vers déambulant dans les rues de Paris.  Il faut l’emmener à l’un des médecin du roi, Jean-Baptiste Denis.  Or, celui-ci avait suivi de près les prouesses de ses collègues d’Oxford.  Le 19 décembre 1667, à précisément 18h, une veine fut ouverte dans le bras de Mauroy, un tube en argent inséré dans la veine et 300 ml de sang furent recueillis.  L’autre extrémité du tube fut insérée dans une artère de la jambe et du sang d’agneau fut injecté.  La réaction fut violente (urine noire et épaisse pleine d’hémoglobine venant des globules éclaté du sang d’agneau, forte fièvre, inflammation, douleurs dans les reins, etc…), le patient réagit fortement à cette dose de sang intrus, mais il survécut !  Son comportement se calma.

Mais de l’autre côté du Channel, les anglais ne célébraient pas du tout le succès de cette affaire.  Ils se posaient en pionniers de la technique, et ne supportaient que la France vienne entraver leur ascension.  Surtout qu’à l’époque, la politique était déjà très en compétition entre les deux pays. 

En fait, Denis avait auparavant essayé de nombreuses fois sur des chiens sans succès, mais avait entre temps développé un appareillage plus performant et trouvé des artères et veines plus adéquates.  Il avait présenté ses travaux et expliqué l’intérêt qu’il y voyait pour soigner toutes sortes de maladies.   En juin 1667, il transfusa un jeune homme de 16 ans avec du sang d’agneau, qui fut guéri de fortes fièvres.  Puis il répéta l’opération sur un laboureur de 45 ans avec grand succès.  Mais quand il publia ses travaux en juillet 1697, la réaction anglaise fut explosive et les anglais l’accusèrent de voler leurs idées. Beau joueur, le français admit absolument qu’il n’avait fait qu’améliorer leur technique, mais cela ne réussit pas à les calmer, et ils refusèrent de partager tout crédit sur ces énormes progrès de la médecine.

Les anglais redoublèrent d’effort, la technique se répandit comme une trainée de poudre aux autres pays d’Europe.  Un médecin allemand y vit tout de suite une façon de modifier la personnalité des patients : en transfusant le sang d’une personne douce et calme à une personne colérique et agressive, on pourrait calmer cette dernière …

Entre-temps, les succès continuaient de façon mitigée pour notre médecin français.  Le problème est que la politique fait rage partout et à toutes les époques.  Certains mandarins de l’Académie Française, jaloux, commencèrent à attaquer durement Denis et ses travaux.  Certains demandaient pourquoi on pourrait transmettre la tranquillité d’un agneau, mais pas sa bêtise !  Les Anglais se faisaient alors un plaisir à appuyer les mauvais esprits.  La querelle faisait rage, au grand dam de Denis qui en bon pacifiste gardait une position neutre et continuait ses travaux.  Hélas, le sort n’a pas aidé.  La femme de notre fameux Mauroy frappa un jour à sa porte, pour le supplier de renouveler la transfusion.  Antoine se faisait violent à nouveau.  Denis refusa, jugeant l’état de santé de Mauroy trop faible.  Mais elle était incroyablement déterminée, employa une ruse pour l’attirer chez elle.  Là un assistant de Denis avait tout préparé pour une transfusion.  Denis résista malgré  tout et la transfusion n’eut pas lieu.  Hélas Mauroy décéda pendant la nuit.  La veuve, peut-être par revanche, enterra le corps et aucune autopsie ne put être réalisée.  Les ennemis de Denis s’en donnèrent à cœur joie pour poursuivre le travail de sape.  L ‘Académie Française offrit de l’argent à Perrine (veuve de  Mauroy) si elle acceptait de l’accuser de meurtre.  Elle proposa à Denis de lui donner de l’argent pour laisser tomber le cas.  Denis, toujours calme jusque là perdit patience.  Il entama un procès.  Perrine l’attaquait pour traitement inhumain. Une batterie de médecins défendit Denis.  Et un jour la vérité éclata, face à la violence de son ex mari, Perrine l’avait empoisonné avec de l’arsenic.  Elle perdit le procès, mais le doute restait dans les esprits quant aux risques et bénéfices des transfusions de sang.  Par conséquent, la décision du juge fut d’obliger tout médecin à demander une autorisation préalable auprès de la faculté de Médecine.  Ce fut une décision désastreuse, avec la hiérarchie existante dans cette discipline, la plupart des médecins du pays refusèrent de se plier à cette obligation.  Elle fut de moins en moins pratiquée, et finalement interdite deux ans plus tard.  Le pape à Rome renchérit deux ans plus tard et étendit l’interdiction à pratiquement toute l’Europe.  Il faut attendre un siècle et demi pour que cette pratique soit remise à jour. 

Quant à Mauroy, il semble qu’il souffrait en fait de la Syphilis, qui cause des dégâts dans le cerveau à un stage avancé de la maladie.  Au début du 20ème siècle, avant les antibiotiques, les docteurs traitaient la syphilis par la chaleur en faisant séjourner leur patient dans une pièce surchauffée, ou même en leur injectant une souche affaiblie de la malaria, pour leur donner de la fièvre, ce qui en retour tuait la bactérie responsable de la syphilis.  Il est possible que Denis en injectant le sang d’agneau chez Mauroy ait provoqué la même réaction que la souche de Malaria. Sa forte fièvre a affaiblie pour un temps l’infection syphilitique qui aura finalement repris le dessus…

Partie 2 : la saignée

La transfusion de sang venait en opposition à la saignée.  Celle-ci fut pratiquée pendant des siècles encore après la mort de Denis.  Elle démarra dans les anciennes civilisations en Grèce ou Egypte, perdura pendant le Moyen Age, la Renaissance, Les Lumières, jusqu’à la révolution industrielle.  On la trouve dans les médecines Indiennes et Arabes.  Si la pratique acceptée de la transfusion date d’environ 100 ans, la saignée aura été pratiquée vaillamment pendant environ 2500 ans…

Pour mal de tête, fièvres, pneumonies, mélancolie, mal de dos, pour réparer les fractures osseuses.  Jusqu’en 1920, il était de bonne pratique aux EU d’effectuer des saignées pour se maintenir en bonne santé.  Ses bénéfices n’ont jamais pu être démontrés…

On ne sait pas comment l’idée en est apparue, peut-être parce que apparemment les règles chez la femme paraissaient apporter quelque amélioration de santé.  Les égyptiens semblent commencer en 2500 av. JC.  Hippocrate y voyait un moyen de balancer ces fameuses humeurs, en provoquant aussi vomissement, transpirations, défécations et saignements.  Aristote hérita de l’idée qui la passa à Alexandre le Grand, qui les apporta à la Perse et au monde Hindou. Des siècles plus tard, les romains eux aussi approuvèrent.  A la chute de Rome, les Arabes adoptèrent aussi la technique.  L’Europe s’y adonnait sans vergogne. 

Les moines la pratiquaient sur chacun plusieurs fois par an, il y a un site archéologique en Ecosse autour d’un monastère où une couche de sang séché à été découverte et qui représente environ 150 000 litres de sang ! Les auteurs des textes du Talmud décrivent des appareillages complexes pour faire des saignées. Il y a eu des calendriers de saignées établis en fonction du calendrier astrologique pour en déterminer le meilleur moment.

Au Moyen Age ce furent les barbiers qui s’y mirent.  Le pope avait interdit le clergé de les pratiquer (ce qui ne les empêchait pas de s’y adonner), les médecins pouvaient être condamnés à mort pour mauvaise pratique.  Les barbiers établirent leur techniques et utilisèrent une enseigne que l’on voit encore aujourd’hui : un poteau avec des rubans rouges et bleus enroulés. C’était un bâton que les patients agrippaient, les rubans rouges le sang, les rubans blancs, les bandages.

Sous Louis XIV, au XVII les techniques sont raffinées ! On regarde le signe astrologique, on est sûr qu’il existe une veine qui va directement de l’index au cœur, et on décide que plus un patient est malade plus il est important de le saigner debout.  S’évanouir était considéré comme un bon signe.  Les instruments quant à eux font des progrès, je ne vais pas décrire ici les instruments de torture !

Quand les européens se mirent à coloniser le monde, ils essaimèrent leurs techniques avec eux.   Et ainsi est né le « Prince des saignées », Benjamin Rush,  (chimiste et médecine) un des pères fondateurs des EU.  Humaniste, opposant à la peine de mort, à l’esclavage, partisan de l’éducation des femmes, défenseur des enfants maltraités, des pauvres, signataire de la déclaration d’indépendance des EU, considéré comme le fondateur de la psychiatrie aux EU, mais médecin complètement convaincu des bienfaits de la saignée, des vomissements, de la purge…  Ses méthodes étaient totalement drastiques, et bien sûr on ne connaît pas son taux de réussite, notamment durant une horrible épidémie de fièvre jaune qui dévastât Philadelphie en 1793.  Il était persuadé que retirer 2,4 l de sang par patient  (je rappelle qu’en moyenne nous avons environ 5 l de sang dans notre corps) était le meilleur traitement.  Evidemment il l’attrapa aussi, se saigna et guérit…  Il était  en fait très honnête intellectuellement.   Avec l’automne et le froid revenant, l’épidémie se dissipa ce qui le conforta dans ses convictions… Rappelons si besoin que c’est à ce moment que Georges Washington est décédé probablement à cause d’une saignée trop importante pour soigner une infection à streptocoques…  Entre temps, le sang coulait à flot en Europe, et notons pour l’anecdote que le nom du très fameux journal de médecine « The Lancet » date bien de cette époque…

C’est finalement au cours du XIX siècle que la pratique a commencé à décliner.  D’abord grâce à une épidémie de typhus en Angleterre.  Avec cette maladie, la moindre petite saignée aggravait la condition des patients immédiatement et il eut été très malhonnête de la part des médecins de continuer.  Mais surtout, en 1830 grâce à un médecin parisien est apparue une nouvelle pratique : les études statistiques.  Enfin, les médecins prirent l’habitude de prendre des notes, et non plus de se baser sur leurs impressions, ils posèrent de nouvelles questions pour chercher à mieux appréhender l’origine des maladies et l’efficacité de la saignée commence enfin à être remise en question. Les bactéries furent découvertes, avec les bases de la médecine dite moderne.

Mais la pratique aura quand même duré 25 siècles…

Vous me direz, elle dure encore d’une certaine façon et c’est vrai.  Il existe encore 4 indications cliniques de la saignée : l’œdème aigu du poumon, l’hémochromatose, la polyglobulie et la porphyrie. Les trois dernières sont liées à la composition du sang.

La technique existe encore aussi dans quelques pays arabes sous le nom de Hijama, où l’on place des ventouses sous vide sur le dos des patient pour soulager de la douleur.

Et puis l’hirudothérapie n’a pas disparue, bien au contraire, qui utilise les sangsues, mais pas pour prélever du sang en fait, c’est pour faciliter les cicatrisations.

En 1908, au milieu de la nuit, à New York, quelqu’un frappe à la porte d’un médecin français venu travailler à l’institut Rockfeller de recherche médicale.  3 médecins.  La femme de l’un d’entre eux vient de mettre au monde une petite fille qui saigne et se vide de son sang.  Il faut la transfuser et ces médecins connaissent les travaux de Carel sur les animaux.    Ce brillant et ambitieux chirurgien se demandait encore pourquoi personne n’avait tenté de sauver la vie de Sadi Carnot, alors président de la France et poignardé par un anarchiste italien, en ligaturant l’artère tranchée.  Ses travaux portaient sur les sutures des vaisseaux sanguins, et jusque-là il n’avait travaillé que sur des animaux.  Arrivé près du bébé, il est décidé après discussion que c’est le sang du père qui sera utilisé.  La veine derrière le genou du bébé est coupée, ainsi qu’une artère dans le poignet gauche du papa.  Pas d’anesthésie.  L’artère du papa est attachée à la veine du bébé, et après quelques minutes qui parurent comme une éternité, la petite fille reprit des couleurs, ses lèvres se colorèrent en rouge…En 1912, Alexis Carrel reçut le Prix Nobel de médecine, mais il resta pour le restant de sa vie amer vis à vis de la médecine en France qui l’avait précédemment rejeté.

Mais revenons un peu en arrière et rendons hommage quand même à nos amis anglais: En 1818, James Blundell, obstétricien anglais, publie ses travaux sur les premières transfusions de sang humain.  C’est bien lui qui de façon en tout cas documentée, va utiliser du sang humain, et l’indication retenue est l’hémorragie aiguë, car James Blundell, qui est obstétricien, espère ainsi contrôler les hémorragies du post-partum.  Il a bien compris qu’il ne soignera pas ainsi les troubles de l’humeur, et que les seules chances de succès sont directement liées à l’utilisation de sang humain.  Les débuts ne sont pas encourageants, en 11 ans, sur 10 patients transfusés, 5 décédèrent.  Mais il avait une méthode très rigoureuse et ce taux de succès n’avait rien d’alarmant pour l’époque, et au contraire a permis de ressusciter (!) l’intérêt pour cette méthode.  Au cours de la deuxième moitié du XIX siècle, la transfusion redevint populaire, avec bien sur pas malde hoquets.  Evidemment à cette époque,  on ne connaît pas encore de moyen d’empêcher le sang de coaguler. James Blundell développe des appareillages d’injection qui, bien que très ingénieux, ne fonctionnent que peu de temps, du fait de la coagulation sanguine.

Le 19ème siècle verra le développement de nombreux appareillages, pas toujours très sophistiqués, pour essayer de faire face au problème de la coagulation.  Je vais éviter la description détaillée de l’opération, je risque de perdre quelques auditeurs sensibles…  Les compte-rendus d’opérations sont parfois horrifiques, personnes ne savait la quantité de sang transfusée par exemple. Les donneurs souffraient aussi beaucoup, et c’était dur d’en trouver.  Les publicités attiraient les voyeurs plus qu’autre chose ! C’est à cette époque que les donneurs commencèrent à être payés.  Ce qui bien sûr n’attiraient pas toujours les personnes les plus attrayantes, on va dire…

Les techniques évoluaient, de moins en moins traumatiques.  La transfusion sanguine s’est dès lors développée rapidement même si elle reste un acte chirurgical nécessitant la dénudation de vaisseaux du donneur et du receveur, toujours une veine pour le receveur, mais parfois une artère pour le donneur. Ce n’est donc vraiment pas un acte anodin.  Alexis Carrel avait la meilleure technique, en suturant directement une artère du donneur à une veine du receveur.   Pendant longtemps ce fut la technique de référence, qui portait son nom.

En 1900, à Vienne un jeune chercheur nota un curieux phénomène : dans certaines conditions, les mélanges de sang provoquaient une agglutination visible à l’œil nu.  Karl Landsteiner, chimiste de formation travaillait à l’hôpital et réalisait des autopsies.   Il publia ses travaux, qui étaient d’une remarquable rigueur scientifique, et utilisant bien sur si besoin son propre sang et celui des ses collaborateurs ! Il avait découvert le fameux système ABO.  Ce système est lié à la présence ou l’absence de deux protéines sur les globules rouges qu’il appelle A et B, et la présence dans le sérum d’anticorps dirigés contre ces antigènes chez les individus qui en sont dépourvus.

Il obtient le prix Nobel de médecine en 1930.

Karl Landsteiner contribue de manière extraordinaire à nos connaissances en matière de groupes sanguins, et son équipe, établie à New-York depuis 1922, est à l’origine de la découverte de nombreux systèmes de groupes sanguins, y compris le système rhésus.

A noter que, en hommage à sa contribution à la transfusion sanguine, la date du 14 juin, jour de sa naissance, a été retenue par l’OMS pour célébrer la journée internationale du don de sang.

En 1913, un médecin New Yorkais eu l‘idée d’utiliser des seringues, en laissant en place les aiguilles.  Cela diminua les risques de coagulation et permettait de connaître le volume transfusé.  Mais il fallait faire vite, et utiliser de la glace pour refroidir les seringues.  Il fut le premier médecin employé à faire des transfusions à plein temps.    Mais ce fut seulement 12 ans après la publication des travaux de Lansteiner qu‘un médecin eut l’idée de tester à l’avance la compatibilité des sangs entre donneur et receveur.  Le taux d’accident immédiat plongea autour de zéro….  Ce qui est fou c’est que d’une part, les autres médecins de l’époque, parce qu’ils étaient jaloux ne voulaient pas s’y mettre.  Mais aussi ce médecin vint discuter avec Landsteiner de cette avancée.  Ce dernier était tellement plongé dans ses nouveaux travaux, la transmission du virus de la Polio, qu’ils n’en ont jamais parlé….

Un gros problème restait quand même à être réglé : celui de la coagulation du sang, qui survenait trop vite.  Quand on se coupe avec un couteau par exemple, l’organisme met très rapidement en place un système de coagulation pour empêcher que l’on ne se vide de notre sang. Même chose lors d’une transfusion de sang où de manière plus ou moins raffinée, il faut percer une artère ou une veine.

Il fallut attendre quelques années de recherche et maintes essais pour finalement trouver une solution qui vraiment rendait le processus bien plus facile : Il suffisait de récolter le sang du donneur dans un récipient contenant un anticoagulant non toxique, et de le ré-injecter au receveur.  Là encore pas mal de jalousies ont freiné le développement de cette technique, mais elle est encore absolument couramment utilisée de nos jours. 

La première description d’une maladie transmissible par transfusion sanguine

En 1910, Georges Woolsey décrit le premier cas de maladie transmise par transfusion : le paludisme !

Il s’agissait d’un homme de 54 ans, habitant New-York, hospitalisé en septembre 1910 pour anémie, une anémie très grave.  Une première tentative de transfusion échoue, et quelques jours plus tard, une transfusion artério-veineuse est réalisée. Le lendemain, un tableau clinique d’hémolyse évoquant un accident par incompatibilité ABO est observé, mais l’examen minutieux du sang montre la présence de Plasmodium falciparum. Le donneur est recontrôlé, et trouvé également porteur du parasite, mais sans signes d’hémolyse.

Notons aussi que pendant la guerre de 14-18 les techniques de transfusions se sont améliorées et ont sauvé de nombreuses vie.

Les médecins militaires développent des appareillages simples et efficaces pour assurer ces transfusions sur le terrain. Néanmoins, les conditions de recueil font que le sang n’est pas réellement conservé.

Parallèlement, en laboratoire, des techniques se développent qui permettent une réelle conservation, certes encore modeste, du sang total.

 

L’entre deux guerres

Les connaissances acquises pendant la première guerre mondiale sont très vite intégrées dans la médecine civile, et les techniques de conservation commencent à se développer.

Pendant cette période, coexistent la transfusion « historique », de bras à bras, et les débuts de la transfusion moderne, avec séparation de la phase de recueil du sang chez le donneur de la transfusion effective chez le patient.

Dans le domaine de la transfusion de bras à bras, les avancées technologiques concernent la meilleure maîtrise du volume de sang transfusé. 

Deux illustrations en sont fournies par l’appareil de Tzanck de 1925, et la pompe à galets de Bakey de 1935, qui a été utilisée.  Tzanck est à peu près inconnu du grand public et pourtant chacun d’entre nous lui doit beaucoup.  Sa biographie est passionnante, je ne vous dévoile ici qu’un tout petit passage.  Il était juif d’Ossétie à l’origine, sa famille a émigré en France, et il s’est engagé aux côtés des français en tant que médecin.

Le Journal que Tzanck tient pendant le conflit montre la vie quotidienne d’un médecin recevant chaque jour les soldats tombés lors des attaques : « Ça a été du carnage. Dans les yeux des blessés, on retrouve pour ainsi dire empreintes les heures d’épouvante qu’ils ont vécues là-bas » (2 octobre 1915). 

Dans le sentiment général d’impuissance face au déluge de chocs hémorragiques mortels, Tzanck prend conscience que les transfusions sanguines sont indispensables mais peu adaptées au terrain de la guerre et de l’urgence en general.  Les hommes qu’on amène sans cesse sont souvent saignés à blanc, et certains ne parviennent même pas à l’ambulance ou à l’hôpital : exsangues et froids, exposés pendant des heures aux intempéries, ils ont déjà succombé à l’hémorragie.

Le 16 octobre 1914, à l’Hôpital de Biarritz, a lieu la toute première transfusion sanguine de la guerre : Isidore Colas, un Breton en convalescence à la suite d’une blessure à la jambe, sauve, par le don de son sang, Henri Legrain, caporal au 45ème d’Infanterie, apporté du Front en état de choc hémorragique. La détermination du groupe ABO n’est pas encore entrée dans la pratique, loin de là, mais leurs sangs doivent être compatibles, car l’intervention réussit. À la fin de la même année, quarante-quatre transfusions sont ainsi pratiquées en France, toujours dans la méconnaissance complète du danger lié aux différences de groupes sanguins. Les donneurs sont des éclopés guéris ou des membres du personnel infirmier des hôpitaux de campagne. 

Au cours des années suivantes, et jusqu’à la fin des combats, la transfusion de sang aux grands blessés se développe dans les ambulances militaires, tout en demeurant timidement appliquée. Les donneurs sont, selon les cas, des camarades de combat, des parents venus en hâte, des infirmiers. Le corps médical est frappé par ces retours à la vie générés par la transfusion chez ces grands blessés paraissant condamnés, autant de sauvetages qui semblent tenir du miracle. Pourtant, la pratique n’est pas aisée, surtout dans une ambulance militaire débordant de soldats meurtris et d’agonisants. C’est que l’on ne dispose pas encore de méthode pour empêcher le sang de coaguler, lorsqu’on le recueille chez les donneurs : il faut transfuser de « bras à bras. Pour cette transfusion « directe », l’artère radiale du donneur est reliée chirurgicalement à une veine du receveur, allongé à son côté, soit par une canule, soit par une suture qui entraîne, pour le donneur, la perte définitive de son artère. Les premières transfusions sont ainsi entièrement dépendantes d’un acte chirurgical.

Heureusement, apparaît début 1917, l’utilisation d’anticoagulants.  La pratique transfusionnelle s’en trouve immédiatement facilitée : de « directe », la transfusion peut devenir « indirecte », sans continuité entre les vaisseaux du donneur et du receveur, sans même que le premier soit présent au moment où l’on transfuse le second. 

Ainsi, même si la technique de transfusion directe artério-veineuse est apparue trop complexe et trop délicate à réaliser dans des ambulances militaires sans cesse envahies de blessés graves, et dans des conditions de travail souvent épouvantables — elle ne pouvait guère s’effectuer qu’en arrière du champ de bataille, dans une structure sanitaire adaptée —, la Première Guerre mondiale aura été, en fin de compte, un puissant aiguillon du développement de la transfusion, en même temps qu’un immense et dramatique terrain d’expérimentations.

La science — les découvertes récentes du groupe sanguin ABO et des effets du citrate — et la pratique se sont rejointes à la fin des hostilités, pour jeter les bases de la transfusion moderne. Tzanck admettra par la suite que jamais une période de paix n’aurait poussé de la sorte les médecins à l’acte.

Démobilisé — et décoré de la Croix de guerre —, Tzanck rejoint l’Hôpital Saint-Louis pour y poursuivre sa formation en dermatologie, mais il compte désormais consacrer une partie de son temps à la transfusion et à sa discipline-sœur, l’hématologie. Car la demande est devenue réelle : revenus du Front, les chirurgiens entendent bien continuer à appliquer les techniques transfusionnelles mises au point à proximité des tranchées. Ils ont compris que seule la transfusion peut sauver des malades risquant de succomber à une forte hémorragie, quelle qu’en soit la cause. Clairement, la transfusion est désormais considérée comme l’acte thérapeutique essentiel pour lutter contre le choc lié à une perte de sang gravissime.

En 1923, Tzanck organise, dans un bâtiment de l’Hôpital Saint-Antoine, à Paris, un véritable « centre de transfusion », qui est le premier au monde à voir le jour. Un réduit de deux mètres et demi sur trois, une table, une chaise et un téléphone. 

La secrétaire dispose d’un fichier des donneurs que l’on peut contacter. Car Tzanck estime que, pour être pleinement efficace, la transfusion doit disposer à tout moment de donneurs de sang. Dans les premiers temps, il s’est adressé aux familles et aux proches des malades et des blessés de l’hôpital — une pratique encore généralisée aujourd’hui dans nombre de pays en voie de développement. Puis, avec sa force de conviction, il est parvenu à recruter des volontaires, non seulement parmi le personnel médical — infirmières et étudiants —, mais aussi dans différents corps de métier. Ayant obtenu l’autorisation du préfet de police de Paris, il prononce régulièrement des conférences devant les gardiens de la paix pour les convaincre de devenir donneurs : un contingent nombreux est ainsi constitué, et qui ira s’amplifiant. À leur tour, les sapeurs-pompiers parisiens sont sollicités ont l’avantage d’être toujours joignables et prêts à répondre à l’appel, ce qui n’est pas toujours le cas des autres donneurs. Parfois, les médecins de garde retroussent eux-mêmes la manche pour donner leur propre sang. Tzanck, de son côté, donnera plus de deux cents fois au cours de sa vie, même après l’âge limite, qu’il a lui-même, dès le début, fixé à 60 ans. 

Le développement de la transfusion sanguine ne peut se faire sans le développement de réseaux de solidarité, basés sur la connaissance des besoins pour assurer les transfusions sanguines des patients. L’engagement des donneurs de sang est très exigeant, comme en témoigne le « règlement pour être donneur » élaboré par le centre de transfusion sanguine de l’hôpital Saint-Antoine à Paris. C’est à partir de ces expériences que naîtra la Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole en 1949, et la Fédération Internationale des Organisations de Donneurs de Sang en 1951.

La première réserve de sang conservé est mise en place à la Mayo Clinic aux USA en 1935.   La conservation du sang se faisait alors en flacons scellés.  Le sang total pouvait alors être conservé jusqu’à 10 jours au maximum.

Beaucoup de voies nouvelles étaient toujours  explorées, dont certaines se révèlent des impasses, telle l’utilisation de sang de cadavre en 1936.

Un acteur important des progrès de cette époque a été très certainement un chirurgien de Toronto, engagé pendant la guerre en France puis en Espagne et  qui créa la première banque de sang en Europe en décembre 1936. Il invente le concept de collecte mobile (en pratique, les collectes ont lieu à l’arrière où des donneurs sont disponibles, et les produits vont vers le front là où les blessés en ont besoin).

 

 

La deuxième guerre mondiale et l’immédiat après-guerre

La prise en charge transfusionnelle des blessés est assurée par les services de santé de toutes les armées impliquées avec essentiellement du sang conservé, mais les recherches se poursuivent activement pour être en mesure de conserver le sang plus longtemps.

Cette période est vraiment à l’origine de la transfusion moderne, par trois développements majeurs : fractionnement du plasma, mise au point d’une solution de conservation du sang, et introduction des poches en plastique en remplacement des flacons de verre.

Le fractionnement du plasma

En 1940, aux Etats-Unis, un médecin met au point une technique de fractionnement du plasma en ses différentes protéines, permettant ainsi la préparation d’albumine, stockée, transportée et utilisée facilement sur le théâtre des opérations. Le fractionnement du plasma est né, et la technique de base reste encore employée de nos jours. De surcroît, l’adaptation du système utilisé donnera naissance à des séparateurs de cellules dont les utilisations sont devenues essentielles en transfusion sanguine.

La conservation prolongée du sang

En  Grande-Bretagne dans le cadre de l’effort de guerre, 2 médecins mettent au point « la » solution de conservation (solution dite « ACD » pour Acide citrique, Citrate, et Dextrose) qui permet de conserver le sang total pendant 21 jours. De nos jours, cette solution ACD est encore très largement utilisée dans la pratique transfusionnelle.

L’utilisation des matières plastiques

L’après-guerre voit une autre étape décisive pour le développement de la transfusion sanguine franchie en 1952, aux EU avec la mise au point de la première poche à sang en matière plastique. Cette technologie révolutionnaire à l’époque mettra plus de 20 ans à prendre sa place, mais aujourd’hui, on ne pourrait imaginer de transfusion sans elle.

Prochain chapitre : la sale histoire du sang contaminé.

Addendum : le système ABO.   

Si je suis A, j’ai la protéine A sur mes globules.  Je ne peux pas donner mon sang à quelqu’un qui a des anticorps A dans le sang (personnes O ou B).  Je possède des anticorps anti B, je peux donner à A ou AB

Si je suis B, j’ai la protéine B sur mes globules rouges.  J’ai des anti A dans le sang.  Donc je peux recevoir du sang de personne O.  Mais je ne peux pas donner à une personne A.  Je peux donner à B ou AB

Si je suis AB, j’ai les protéines A et B sur mes globules rouges.  Je ne peux donner mon sang qu’à une personne AB . 

Si je suis O, je n’ai pas de protéines A ou B sur mes globules rouges, ils ne peuvent pas être attaqués par dans des anticorps anti A ou anti B.  Je peux donner mon sang à tout le monde.  Je possède des anticorps anti A et anti B dans mon sang, donc je ne peux pas recevoir de sang de personnes A ou B.

Citations du jour:

En l’honneur de notre grand Molière, qui a écrit le malade imaginaire et qui se moquait bien des médecins de son époque:  « L’écriture ressemble à la prostitution. D’abord on écrit pour l’amour de la chose, puis pour quelques amis, et à la fin, pour de l’argent. »

Citations de médecins:

« Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent. »

de Louis-Ferdinand Céline

Nul doute : l’erreur est la règle : la vérité est l’accident de l’erreur.

Georges Duhamel

Artiste, écrivain, Médecin, Poète, Scientifique 

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