Podcast science 39 – Strange Stuff and Funky Things – Retranscription

L’épisode audio numero 39 de podcast science est un peu vieux mais à enfin été retranscrit ! Retranscription réalisée par un super poditeur, Guillain Seuillot. Merci à lui !

Alan : On a la chance de recevoir, ou plutôt d’être reçu par quelqu’un d’extrêmement intéressant, aux facettes multiples et complètement improbables. J’avais vraiment envie de faire sa connaissance depuis un moment et puis j’ai la chance de me trouver à ses côtés chez lui, a New York sur Roosevelt Island pour être précis, au milieu de l’East River entre Manhattan et le Queens. L’ambiance est posée, le décors est magnifique. D’ailleurs, on a une vue sur le pont qui est top !

Matthieu : C’est au sud de Manhattan, au nord ?

Queensboro Bridge de puis Roosevelt Island

Pierre Kerner : C’est à l’est. C’est vraiment au milieu juste à la bordure de Central Park mais côté est, en plein milieu de la rivière. C’est une île très filiforme où il n’y a pas grand chose si ce n’est un joli téléphérique, apparu dans le film Spiderman I, si je ne m’abuse. Et le pont, le Queensboro Bridge est juste en face de ma fenêtre.

M : Magnifique ! Ça me donne envie de venir vous voir mais bon, ça sera pour la prochaine fois.

PK : Faut se dépêcher, je reviens en septembre (2011).

M : Ça risque d’être juste, alors…

A : Pour certains, notre invité est le prolifique docteur Pierre Kerner, éminent chercheur en génétique évolutive, auteur/co-auteur de nombreux papiers aux titres impossibles. Au hasard : «Origine et diversification de la famille de gènes hélice-boucle-hélice de base chez les métazoaires : apport de la génomique comparative» ou encore «Histoire évolutive des gènes Iroquois/Irx chez les métazoaires». Pour d’autres (probablement la majorité), c’est le génial Taupo, créateur et auteur principal du blog le plus funky de la planète après Boing Boing, j’ai nommé «Strange Stuff and Funky Things». Le blog est en français, et si vous ne le connaissez pas il est urgent de lui rendre une petite visite. De l’aveu de son créateur, vous y trouvez «votre dose quotidienne d’évènements étranges, de faits surprenants, de choses incroyables !» Non seulement les sujets sont aussi décalés que passionnants, mais j’ajouterais encore qu’ils sont remarquablement bien écrits ! Avec finesse, humour et beaucoup d’esprit. C’est non seulement très intelligent, mais encore à la portée de tous, vraiment. Un modèle de vulgarisation ! Voilà. Je viens de présenter un scientifique brillant doublé d’un poète marrant. Vous comprendrez sincèrement que j’aurais voulu conclure cette introduction en ajoutant, je ne sais pas, qu’il soit moche ou désagréable, pour compenser… Mais bon, c’est mal barré, c’est même pas le cas donc je ne vais pas m’étendre sur la question et je vais conclure cette petite intro autrement. En indiquant par exemple que Pierre alias Taupo nous aime bien et prend souvent la peine de commenter nos émissions pour apporter des précisions, ajouter ses trouvailles personnelles (souvent complètement funky, comme son blog) ou alors carrément pour nous enguirlander quand on raconte n’importe quoi. Podcast Science est sans doute le seul podcast amateur revu et corrigé par des pros, on a une chance exceptionnelle. Pierre merci. Merci d’être avec nous aujourd’hui et bienvenue dans le podcast.

PK : Merci à vous de m’avoir invité. Je suis vraiment ravi.

A : On va commencer par quelques questions concernant ton blog : « Strange Stuff and Funky Things».

M : Depuis quand existe ce blog ?

PK : Pour moi ça fait longtemps. Depuis le trois janvier 2009, ça presque deux ans maintenant.

M : Quel est ton rythme de publication ?

PK : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on me présente souvent comme l’auteur principal. C’est vrai puisque c’est moi qui écrit le plus d’articles (j’en ai 415 à mon actif). La plupart ne sont pas des articles complets. Ils n’ont rien à voir avec tes dossiers, Matthieu, avec énormément de texte et d’images. Il y avait une grande période où j’ai publié des petites vidéos de n’importe quoi. Parmi ceux-là, je pense que j’ai déjà fait deux cents billets corrects avec un contenu scientifique. Mais j’ai aussi des contributeurs. Il y a Sénic, Vram, Fusiraptor, ma femme Elise, mon ami Sam…  qui ont aussi participé au blog, ce qui monte le total à 448 billets. La fréquence que j’ai calculée est d’un article tous les trois jours. Alors que j’avais annoncé une dose quotidienne donc c’est déjà fallacieux !

M : C’est pas mal non plus !

A : Comment est né le projet ?

PK : Il est né d’un désir pour moi de vulgariser la science. Un ami à moi a créé son propre blog, «Vade retro Alzheimer», où il mettait tout ce qui allait échapper à sa mémoire. Notamment, il m’a demandé de mettre mes petites explications scientifiques sur des sujets comme «Est-ce que c’est mal de boire son pipi, peut-on en mourir ?», «Qu’est-ce c’est que l’évolution». J’ai donc participé à son blog. Au bout d’une semaine j’avais écrit cinq articles et lui un. Je me suis donc dit qu’il était peut-être temps de créer mon propre blog.

A : Merci l’intendance. Tu as toujours eu envie de bloguer et vulgariser la science d’une manière ou d’une autre ou c’est venu sur le tard ?

PK : J’ai toujours adoré les Science et Vie Junior, Science et Vie, Scientific American (que j’ai pu lire en anglais). C’est un désir que j’ai vraiment depuis longtemps. C’est ce que je faisais dans mes discussions. Je me préparais des visites de musées avec des amis ou bien si on me posait une question, je revenais le lendemain avec des petites explications. C’est resté dans ma tête même si ce n’était pas si évident pour moi. Ça l’est devenu quand j’ai participé au blog de cet ami. Ça m’a accompagné toute ma vie sans que je m’en aperçoive.

A : Et le nom du blog ?

PK : Alors c’est une grande désillusion justement pour cet ami qui a découvert comment j’ai trouvé ce nom assez incroyable. C’était une compil de funk que j’avais au dessus de mon bureau quand j’ai créé mon blog. Ça s’appelait « Strange Games and Funky Things». J’ai changé un mot et voilà, le blog était sorti. Quand on a fait mon déménagement pour New York, cet ami est tombé sur la pochette de l’album. Il n’en revenait pas. C’était un drame pour lui.

M : J’aime bien le nom, moi. C’est parlant.

PK : Les gens le nomment ssaft pour faire plus court. C’est plus pratique. J’ai pensé après coup aux conséquences d’un nom à rallonge… c’est d’ailleurs ce que je fais pour la plupart des billets de mes articles qui sont généralement sur trois lignes… faut s’arrêter 🙂

Alan : Parlons du contenu de ssaft. Le ton est franchement aux antipodes du style scientifique académique. En te lisant, j’ai l’impression que tu t’es fixé comme objectif, entre autres, de désacraliser la science. Est-ce que je me trompe ?

PK : C’est pas un but. C’est plutôt un moyen. Si utiliser un style académique permettait de faire comprendre aux gens beaucoup plus efficacement que ma manière, je m’adapterais. Pour l’instant c’est pas ce que mon lectorat me laisse comprendre. Au contraire, on me dit « vas-y c’est bien, mets des gros mots…» etc… Bref, c’est mon style, que j’ai développé rapidement au tout début du blog. Mes inspirations sont les Rubriques-A-Brac avec la rubrique du docteur Burp. C’est le genre de style que j’aime bien. Un peu décalé mais qui permet de faire comprendre des concepts scientifiques de manière impeccable et très efficace. Après, on peut faire tomber certains scientifiques de leur tour d’ivoire mais ce n’est pas le but.

A : C’est super efficace comme style. Effectivement le message passe bien. Je confirme. ssaft ne parle pas que de science, n’est-ce pas ?

PK : En effet. Au début, c’était vraiment un pense-bête. A l’image de cet ami qui faisait «Vade Retro Alzheimer» où il mettait tout ce qui lui passait par la tête et qu’il ne voulait pas oublier.

M : Il existe toujours ce blog ?

PK : Non il a muté. Il s’est regroupé avec des amis pour faire un blog qui s’appelle Même esprit et qui est très très bien. Je n’y participe pas puisque je ne m’occupe que de mon blog. Il reste une trace de « Vade Retro Alzheimer» sur internet mais il n’est plus alimenté. C’est «Même esprit» qui continue à publier ses articles de culture générale. Ils discutent de films qu’ils ont bien aimés, d’expositions, de recettes de pan-cakes, etc… Moi c’était dans cette image que je voulais rentrer, mettre l’accent sur des liens un petit peu débiles. C’était un peu avant l’époque des forcenés de Facebook avec le partage de vidéos virales. Moi c’était ma manière d’utiliser internet pour partager du contenu. Puis très vite je me suis aperçu qu’il y avait un côté primordial. C’est ce que j’essaie de faire. C’est pour ça qu’avant je publiais beaucoup de vidéos de chats sur des skateboards (ou autre) qui me faisaient marrer. Maintenant je les ai regroupées sur un flux dans une page Facebook dédiée à ssaft. J’essaie d’épurer le site mais il peut toujours y avoir des contenus non scientifiques comme des artistes, des court-métrages dont j’aime l’animation. Mais si je le fais dans le cadre de ssaft, je vais essayer de privilégier des articles avec plus de contenu où j’essaie de discuter des auteurs ou des artistes.

A : Comment choisis-tu tes sujets ?

PK : A vrai dire, j’ai un Google Reader. J’y agrège énormément de flux RSS sur tous les blogs que je trouve. Ensuite, j’ai une boite dans laquelle je mets tous les liens qui m’intéressent. J’ai également créé des rubriques. Donc maintenant, je peux chercher du contenu spécifique, par exemple dans la catégorie des convergences évolutives (qui est un sujet qui est particulièrement à développer sur ssaft). Ou bien les parasites. J’essaie de trouver les parasites les plus dégueux donc là, je vais me mettre à la recherche de contenu spécifique. Mais sinon, ça me tombe un peu dessus. Tout ce qui m’intrigue, tout ce qui est vraiment bizarre, un jour ou l’autre j’espère le mettre sur ssaft. Maintenant, j’ai 200 liens à traiter…

A : La source est inépuisable. On connait un peu le problème chez PodcastScience.

PK : Voilà, c’est ça.

A : Qui sont tes lecteurs ? Combien sont-ils, si tu le sais ?

PK : De manière générale, il y a de 200 à 300 lecteurs fidèles (si ce qu’on voit sur les statistiques de mon site est précis). Mais j’essaie d’étendre les articles de ssaft sur d’autres plates-formes. Notamment Agoravox sur lequel je reposte des articles de ssaft. Il y a Ovniscience, le C@fé des Sciences, Paperblog, Facebook, Tweeter où je republie mes articles. C’est là que je m’aperçois qu’il y a une grande diversité du lectorat sur Internet, notamment sur agoravox. J’adore comparer les commentaires très tenus, très sympathiques sur mon site avec ceux d’Agoravox où l’on me traite de tous les noms. Parfois c’est quand même très élogieux…

M : C’est plus critique sur Agoravox ?

PK : C’est pas mon site, c’est un plate-forme qui incite les gens à regarder des liens mais sans vraiment comprendre ce que c’est et il y a parfois des surprises. Des créationnistes, des trolls, des gens qui veulent juste crier à qui mieux-mieux. C’est assez intéressant de voir les différents lectorats en fonction de la plate-forme où l’on publie. Je vous conseille, c’est vraiment très très sympa !

A : Sur ta plate-forme, tu as un outils de vote qui permet au lecteur d’indiquer s’il a trouvé l’article «funky» ou «pourri». C’est là depuis le début ?

PK : C’est pas là depuis le début. Je suis sur une plate-forme de blog qui s’appelle Dotclear. Au début, comme tout le monde, j’essai de mettre le maximum d’applications, de gadgets, de widgets. Et je suis tombé sur celui-là. Ce qui est marrant, c’est que ça a été un gadget développé par Julien Appert de Gaïasphère qui est un autre blog scientifique que je conseille fortement. Malheureusement il n’est pas énormément actualisé. Il a conçu cet outils de vote. Sur sa plate-forme, c’est oui/non. Un jour il a commenté sur mon blog en faisant la remarque qu’il reconnaissait le gadget. Je lui ai tout de suite demandé comment changer les noms parce que oui/non c’est pas possible ! C’est là que j’ai pu mettre funky/pourri.

A : Tu as une statistique ? Tu sais si les articles sont plutôt funky ou plutôt pourris ?

PK : Ils sont plutôt pourris… C’est très surprenant mais j’ai compté. Il y a plus de 200 articles qui sont à plus de 50% pourris.

A : C’est vache !

PK : Ce n’est pas un outils qui marche très très bien. Notamment, des lecteurs ont vite remarqué qu’on pouvait recliquer sans réactualiser la page. Je me suis ainsi parfois retrouvé avec un article venant d’être publié qui obtenait 3000 votes pourris. Il y a peut-être un soucis à ce niveau-là. Quelqu’un s’est amusé à cliquer en retour. Du coup, moi aussi je me suis amusé à cliquer en retour pour voter «funky» ! Et au final, c’est juste un indicateur direct dans les quelques minutes qui suivent, (s’il n’y a pas de triche) pour voir si l’article a une bonne réception. A terme, c’est un peu comme un cimetière à articles pourris. Ça tend toujours vers le pourri. Si j’en crois les statistiques, je devrais m’arrêter tout de suite ! Mais comme les gens viennent de plus en plus…

A : J’espère que tu ne croiras pas les statistiques. Quel est l’article le plus «funky» que tu aies jamais écrit ?

PK : En terme de statistiques, l’article le plus pourri est sur le loup de Tasmanie. Une espèce de marsupial appelé le Thylacine et qui ressemble à s’y méprendre à un chien. Les articles avec le plus de votes «funky» sont généralement ceux qui viennent juste de paraître. Comme il n’y a pas une nombre de votes très important la différence fait que le pourcentage en «funky» est assez fort.

A : Les «early adopters» votent «funky».

PK : Voilà. Généralement ça marche comme ça. J’ai des statistiques à 93 ou 95% de «funky». Je n’ai jamais eu 100%. Au bout de dix minutes, il y a systématiquement quelqu’un qui vote pourri. Si je le retrouve…

M : Ça doit être un spambot.

PK : Ou quelqu’un qui n’aime vraiment pas et qui revient à la charge pour essayer de me convaincre d’arrêter de bloguer. Sinon, l’article avec le plus de votes et qui est le plus «funky» est celui qui traite des bébés paresseux. J’ai mis une petite vidéo d’un sanctuaire au Costa Rica où l’on voit des bébés paresseux vraiment adorables. Là, je comprends tout à fait : c’est un appel lolcat avec des vidéos de chats mignons. Ça n’échappe pas à ssaft ! L’article le plus «funky» selon la populace c’est ça. Les petites peluches. [Il est devenu «pourri» et n’est plus celui avec le plus de votes]. En parlant de peluches, moi, l’article le plus «funky» que je pense avoir écrit est justement sur les peluches de nombril. Un article qui s’appelle «Le plus terrible des parasites du monde». Généralement, les hommes (les femmes moins) accumulent des petites peluches de textile dans le nombril. J’ai fait un article entier sur la question pour savoir à quoi c’est dû, comment on accumule, qui en accumule le plus en fonction de la taille, la profondeur, la forme du nombril. C’est une recherche qui a gagné un igNobel.

A : Absolument. C’est le docteur Karl. Une de mes idoles.

M : Ces Nobels sont les prix qu’on donne aux recherches «les moins utiles» ou les plus farfelues, non ?

PK : Voilà. Les plus farfelues, les moins utiles. Le sous-titre dit aussi que ce sont des recherches qui nous font rire d’abord  et réfléchir ensuite. En l’occurrence, c’était une recherche qui était bien menée et faisait réfléchir après : l’utilité des aéroports à peluches de nombril sur notre ventre.

A : Pourquoi c’est bleu ?

PK : C’est pas tout le temps bleu. Si vous allez sur l’article de ssaft, vous verrez un collectionneur chevronné qui a passé plus de vingt ans à collecter ces peluches de nombril. C’est très très beau ! Il a tout un patchwork et il a remarqué que, généralement, en fonction des T-shirts, il y avait une variation sur la teinte mais, la plus grosse variation était quand il changeait de serviette de bain. En se frottant avec une serviette rouge, il avait des peluches rouges.

M : Tu as dit qu’il avait récolté pendant vingt ans ?

PK : Tout à fait ! C’est dans des jarres en verre, c’est très joli. Peut-il a-t-il gagné un Guiness Record, je ne sais pas. En tout cas sa collection est très impressionnante. Ça ne m’a pas donné envie de commencer la mienne mais…

A : Etre dévoué à la science comme ça… Premier acte en se levant tous les matins… c’est magnifique.

M : On va passer à ton parcours, maintenant. Tu habites actuellement à New York où tu es parti faire un post-doc, c’est ça ?

PK : C’est ça. Un post-doc c’est ce qu’on fait en recherche après la thèse. Ça s’appelle un post-doctorat. Le diplôme qu’on a à la fin d’une thèse c’est un doctorat.

M : Ta thèse, tu l’as faite où ?

PK : A Paris dans un laboratoire du CNRS de Gif-sur-Yvette, qui a maintenant déménagé à l’institut Jacques Monod de Paris VII. J’ai passé quatre ans de ma vie de thésard à Gif-sur-Yvette à l’issu desquels j’ai cherché un post-doc ciblé à New York.

M : Elle portait sur quoi ?

PK : Je peux te lire le titre. J’ai ressorti ma thèse parce que je m’y attendais ! C’est l’«Etude de l’évolution du système nerveux chez les animaux (pour l’instant tout va bien) : neurogenèse comparative et phylogénomique». C’est des jolis mots. En gros j’ai étudié le système nerveux d’un ver marin appelé platynereis dumerilii et étudié les gènes impliqués dans la formation du système nerveux pour essayer de retracer son histoire évolutive chez les animaux. Est-ce que le système nerveux était compacté chez l’animal ancestral qui a permis l’émergence de tous les animaux actuels (les mouches, les vertébrés, etc…) ou est-ce que c’était un système nerveux lâche, comment était-il organisé,  quels étaient les gènes impliqués dans sa formation, etc…

M : Après cette thèse, tu as cherché un post-doc spécifiquement à New York parce que tu avais envie de découvrir la ville ?

PK : Non, je la connaissais déjà justement. Je suis tombé amoureux de New York il y a longtemps. J’y ai un bout de ma famille, dont ma tante qui est également biologiste. Elle est immunologiste (je ne sais pas si c’est un bon terme). Elle est biologiste en immunologie. Elle m’avait aidé à trouver un stage dans son laboratoire en 2002 et j’y suis resté 2 mois. A la fin, je me suis aussitôt dit que je voulais y retourner aussitôt que possible. J’y étais avec ma femme qui m’a rejoint deux petites semaines avant la fin de mon séjour. On est tout les deux tombés amoureux et on s’est dit que si on arrive une fois à avoir un projet qui nous permet de retourner à New York, on le réalisera. Et c’est fait.

M : Tu es à New York depuis quand ?

PK : Depuis septembre 2009. Ça fera deux ans en septembre. Je reviens d’ailleurs en septembre, ça fera pile-poil deux ans.

A : Le statut des chercheurs en Europe a la réputation d’être ingrat. En France en particulier. Comparaison à l’appuis, tu confirmes ? La vie est plus facile pour toi aux US ?

PK : Non. Je ne confirme pas ça. C’est peut-être même aux antipodes des idées reçues. Ce qui est beaucoup plus facile aux États Unis ou dans certains pays comme l’Allemagne ou même la Suisse, c’est la création d’équipes énormes, de grosses équipes de recherche, de gros instituts où l’on facilite l’agrégation autour d’un chercheur illustre pour qu’il fasse ses recherches. Par contre, le statut des post-doc ou des doctorants ou même de chercheurs moins fortunés en terme scientifique (qui ont moins de facilité à trouver des financements) est le même qu’en France. La situation est très similaire. Les salaires sont peut-être plus élevés ici pour un post-doc mais le coût de la vie fait qu’on s’y retrouve. J’ai la chance que mon loyer est un petit peut assuré par l’université que j’ai intégrée. Mais les taxes sont les mêmes, il ne faut pas croire qu’on paye moins d’impôts aux États Unis. Le coût de la vie est important. Il y a une bonne couverture de santé pour la plupart des post-doc mais ça reste rien par rapport à celle qu’on a en France. Au final, je pense qu’on s’y retrouve et que c’est pas fameux.

A : Il y a un autre truc des États Unis, en parlant d’idées reçues, tu vas peut-être confirmer. Je pense aux différents lobbys religieux, à leur influence, notamment aux tonitruants créationnistes (dont on va parler la semaine prochaine dans le dossier sur l’évolution). Est-ce une réalité avec laquelle il faut composer aujourd’hui en tant que scientifique aux États Unis ou bien c’est des réseaux complètement cloisonnés qui ne s’influencent pas l’un l’autre ?

PK : Je ne vais parler que de ma propre expérience. Je n’ai rien vu de tel. Il y a une présence créationniste visible. C’est peut-être la seule chose qui peut choquer par rapport à la France. On peut trouver des pubs dans le métro pour la fin du monde le 21 mai. C’est un peu dommage, c’est raté… Hormis ça, je n’ai rien vu de catastrophique à New York. C’est presque une ville Européenne. Le poids du créationnisme ne se fait pas du tout sentir sur les équipes de recherche. Pourtant je suis dans un laboratoire évolutif donc je devrais être la première cible. Peut-être les équipes qui travaillent sur les cellules souches auraient un autre son de cloche. En tout cas, sur mes recherches, je n’ai rien vu.

M : New York n’est peut-être pas la ville américaine la plus représentative pour ce genre de mouvements. C’est une ville très internationale. J’ai entendu dire qu’on parlait plus de deux cents langues différentes à New York.

PK : Tout à fait. Ça m’est arrivé de ne pas pouvoir m’adresser à certains serveurs dans des restaurants ou dans des boutiques parce qu’ils ne parlent pas anglais. Uniquement espagnol mais moi je ne le parle pas. Parfois même on commence à me parler chinois. Pourquoi pas. Il y a énormément de langues. Beaucoup trop de français à mon avis. Je suis toujours énervé quand je me balade dans la rue et que j’entends du français. Je me dis «non, je ne suis pas à Paris !». C’est vraiment une ville hétéroclite. C’est pas la bonne ville pour avoir des idées préconçues.

J’ai entendu d’autres sons de cloche dans l’université de Yale, à New Haven. Le poids de la religion se fait plus sentir mais sans problème sur les recherches menées. C’est plus visible qu’à New York mais ça n’interrompt pas les recherches. Peut-être que dans le Texas ou le Tennessee, il y a des problèmes mais pas à New York, pas sur la côté est, pas en Californie ni à San Francisco. Pour l’instant ça va.

A : OK, c’est bon à savoir. Sur ta recherche actuelle, tu bosses sur les ascidies. C’est funky comme créatures ?

PK : Non. Ça a l’air comme ça mais… En fait, c’est très funky comme objet d’étude. Je ne le nie pas, j’adore la recherche qu’on y fait. En tant qu’animal c’est vraiment très surprenant. Il faut s’imaginer un bout de tuyau, généralement transparent, en U. C’est la forme de l’animal adulte. C’est une sorte de pompe qui s’attache au fond de l’eau et qui ne fait que pomper. C’est un animal filtreur. Les ascidies font partie d’un groupe qui s’appelle les tuniciers. Il y a plus 1500 espèces de tuniciers. Ce qui est le plus surprenant c’est que ces animaux qui ne ressemblent pas à grand chose, peut-être de prime abord à des éponges ou des coraux, sont les animaux les plus proches des vertébrés. A part s’imaginer un tuyau d’arrosage, il n’y a pas grand chose à faire à part regarder sur Google pour voir quelques images. L’espèce particulière sur laquelle je travaille est Ciona intestinalis.

Ciona intestinalis

A : Intestinalis parce qu’on la trouve dans l’intestin ?

PK : Je pense que c’est en fonction de la couleur. Elle est pratiquement transparente à part le bout des tuyaux, qu’on appelle des siphons qui servent à pomper l’eau de mer pour la filtrer. Nous, les vertébrés, sommes plus proches des ascidies que d’une mouche, que d’une étoile de mer, que d’une éponge, que d’un calmar, que d’un ver marin.

M : Sur quelle base tu dis qu’on est plus proche ?

PK : En terme de parenté. C’est très difficile à expliquer il faut faire attention aux termes employés. Si tu imagines un cousinage, l’ascidie est le plus proche cousin des humains par rapport à n’importe quel autre animal. Une mouche par rapport à l’ascidie serait un cousin de second ou troisième degré alors que l’ascidie est celui avec lequel on a le lien de parenté le plus fort. A l’heure actuelle, les classifications établies sont phylogénétiques. Elles essaient de retracer les liens de parenté c’est à dire un ancêtre et tous ses descendants. On fait des groupes d’ancêtres et tous ses descendant pour retrouver un arbre plus ou moins généalogique. On dit un arbre phylogénétique parce que dans un arbre généalogique on a accès aux ancêtres alors qu’on a accès uniquement aux espèces actuelles ou à des espèces fossiles. On essaie de retracer les groupes en faisant des liens de parenté. Et donc l’ascidie est l’animal avec lequel on a le plus de liens de parenté.

M : L’ascidie est un animal marin. On est donc plus proche d’un animal marin que d’une mouche qui ne l’est pas, finalement.

PK : Tout à fait.

A : Quel est l’intérêt de les étudier ?

PK : Justement c’est parce que ce sont les animaux les plus proches des vertébrés. Moi, je m’intéresse aux gènes impliqués dans la formation de différents organes chez cet organisme.

A : Ça a quand même des organes ?

PK : Oui tout à fait. Ce qui est très intéressant chez l’ascidie, c’est que la forme adulte suit une métamorphose. L’embryon commence à développer une petite larve. Quand on compare une larve d’ascidie avec un têtard, on voit tout de suite à quel point les similitudes sont frappantes. Notamment, un organe embryonnaire que tout les vertébrés ont et que l’ascidie a aussi s’appelle la corde. C’est une structure embryonnaire qui disparaît au cours du développement des mammifères mais qui reste chez la plupart des poissons et de beaucoup de vertébrés. C’est également une structure transitoire chez l’ascidie. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler sur les gènes qui sont impliqués dans la formation de cette corde. Notamment, si vous vous rappelez de votre émission sur l’ADN, vous avez parlé des parties poubelle de l’ADN (junk DNA). On s’est rapidement aperçu qu’il y avait une très petite partie de l’ADN dédié à former des protéines et qu’une grande partie semblait ne servir à rien. En fait, ce n’est pas le cas, c’est extrêmement utile. Moi, je m’intéresse à des régions qui permettent de dire ou et quand des protéines doivent être produites. Au cours du développement, chaque cellule va produire des protéines différentes, ce qui va permettre de différencier les cellules au fur et à mesure de leurs divisions. Finalement, ce qui va permettre de différencier ces cellules sont des programmes génétiques, c’est à dire, non pas codés dans les parties dédiées aux protéines, mais dans les parties «junk DNA». Ça s’appelle des séquences régulatrices. C’est des petits bouts d’ADN qui vont dire toi, cellule A, tu vas produire telle et telle protéines, ce qui va te permettre de devenir des neurones et toi, cellule B, tu vas produire telle et telle protéines pour te différencier en d’autres types cellulaires comme du muscle ou des cellules de la corde. Moi je m’intéresse justement aux mécanismes régulatoires impliqués dans la formation de la corde. Est-ce que des mécanismes sont similaires entre les vertébrés et l’ascidie ? Est-ce qu’on est capable de comprendre comment ça marche ? On en est aux balbutiements.

M : C’est le thème de ton travail dans le cadre de ton post-doc.

PK : C’est le thème de mon post-doc. Et malheureusement, c’est un peu comme pour mon blog. Je me disperse très rapidement. J’ai déjà fait beaucoup beaucoup de choses sur mon post-doc. J’ai déjà participé à deux articles qui n’ont rien à voir avec le projet de recherche sur lequel je travaille. Je m’y suis greffé parce que ça me passionne. J’ai notamment des compétences qui manquait dans le laboratoire que j’ai intégré. J’ai donc facilement pu m’intégrer à des projets qui ne sont pas mon projet initial. D’ailleurs, mon projet initial n’était pas de travailler sur la corde qui est le thème principal du laboratoire. Quand je suis arrivé, j’ai dit «c’est bien la corde mais moi j’ai travaillé sur le muscle». On impose son style et il ne finit pas.

A : C’est pas souvent qu’on a la chance d’avoir un chercheur sous la main. On s’imagine plein de choses mais tu peux nous expliquer concrètement comment ça se passe au laboratoire ? Genre tu portes une blouse blanche, t’as des pipettes ? Ou tu es plutôt derrière un écran d’ordinateur ? Tu travailles seul ou en équipe ? Comment ça se passe ?

PK : Je porte une blouse blanche en effet. Il faut porter une blouse blanche. On voit dans beaucoup d’équipes des gens qui ne travaillent pas en blouse blanche, c’est très mal. Il faut mettre une blouse blanche, c’est mieux pour la sécurité, ça permet de ne pas saloper ses vêtements, etc… Moi je la porte un tiers du temps. Deux tiers du temps, je travaille sur ordinateur parce que, comme je travaille sur l’ADN et sur des séquences de gènes, je fais du travail qu’on dit in silico, c’est à dire sur ordinateur, à essayer de trouver les liens de parenté entre les gènes. Il y a des liens de parenté entre les espèces mais aussi entre les gènes et parfois ils ne concordent pas. Je m’intéresse à ces mécanismes.

A : In silico, j’aime bien.

M : C’est une image de biologiste, ça, de parler de in silico, non ?

PK : Tout à fait. Avec beaucoup de mépris de la part de beaucoup de collègues. Il y a du travail in vitro avec des pipettes, sa blouse blanche et des tubes en plastique et du travail  in silico. Je fais aussi du travail in vivo, c’est à dire sur la bestiole en développement et j’essaie de voir comment les gènes sont allumés au cours de la formation des muscles…

M : Avec des microscopes ?

PK : Oui bien sûr. C’est visible à l’œil nu ou avec une loupe mais c’est pas très pratique. J’utilise beaucoup de microscopes, notamment des microscopes confocaux. Cela permet d’utiliser des lasers pour exciter des molécules fluorescentes qu’on a préalablement injectées dans notre bestiole. On voit alors où et comment les gènes sont exprimés. Je fais donc pas mal de microscopie. C’est une compétence que j’ai développée au cours de ma thèse et de mon post-doc.

A : Pour en revenir au quotidien, tu bosses plutôt seul ou en équipe ?

PK : Ça dépend. Pour les articles auxquels j’ai participé, j’ai repris des projets en cours. J’ai relayé quelqu’un qui a fait un post-doc assez court car elle a eu une occasion d’en faire un autre dans un autre laboratoire. Elle a laissé un projet inachevé sur lequel je me suis greffé et, au final, j’ai fait la majorité du travail pour poursuivre ses manipulations. Typiquement, j’étais seul sur ce projet mais je communiquais avec elle. Il y a d’autres projets où je peux travailler en équipe. Mais généralement, comme l’impératif est de publier rapidement, il faut être le principal manipulateur et ça tend à travailler solo.

A : C’est un métier solitaire.

PK : Non. C’est la fonction de post-doc qui est très solitaire. Quand on y est on a envie d’être chapeauté mais passé le cap de chercheur, on a envie de diriger des étudiants donc on se retrouve à diriger une équipe.

M : Il y a quand même un professeur ou une personne qui suit ton travail, non ?

PK : Tout à fait. Il y a ici un PI (principal investigator). Ma PI est Anna Di Gregorio qui est docteur mais pas professeur. Quand on est PI, ça veut dire qu’on a des financements pour diriger ses propres recherches. D’ailleurs, elle ne manipule pas, elle ne fait que diriger les recherches. On lui apporte les résultats et elle dit si c’est bien ou s’il faut recommencer. Un post-doc est entre les deux. Il doit faire son projet de recherche et un PI regarde si c’est bien. On commence à collaborer en tant que chercheur à peu près au même niveau.

M : Typiquement, vous êtes combien à travailler sur les ascidies ?

PK : Dans mon laboratoire, on est cinq au total. C’est une toute petite équipe. Moi j’aime beaucoup les petites équipes parce que c’est convivial et on est beaucoup mieux dirigé. Au même étage, il y a un autre laboratoire avec six personnes, un autre avec dix personnes… très souvent les grosses équipes qui ramènent de belles publications sont de trente personnes. Mais ça dépend toujours du sujet. Si on est sur le terrain c’est encore différent.

A : Et combien dans le monde ? Vous collaborez avec d’autres centres de recherche ?

PK : Pour l’ascidie, c’est très rapide. Nous sommes une petite communauté. Une vingtaine de laboratoires à travers le monde, dont beaucoup au Japon. Probablement parce que la population mange des ascidies et que c’est une espèce endémique des côtes japonaises. Il y en a beaucoup donc c’est très facile pour les japonais de les étudier. C’est une communauté assez dynamique mais les outils sont difficiles à obtenir. Du coup on essaie de se serrer les coudes. Par exemple, nous avons une séquence d’ADN extrêmement importante donc d’autres laboratoires de New York viennent fouiller dans nos tiroirs de congélateur pour les retrouver. Quand je suis arrivé, j’ai travaillé sur un autre organisme tunicier qui s’appelle oikopleura dioica. Bien entendu, ça ne pousse pas à New York ni en Californie. On est obligé de se les faire livrer par une autre équipe qui a collaboré sur notre article, qui vient de Norvège. Donc oui, on doit collaborer dans ce genre de communauté. Par contre, quand on est dans une communauté concernant la mouche ou la souris, qui sont des organismes bien plus connus, il y a moins de collaboration et plus de compétition. Il faut faire attention à ce qu’on dit et à ce qu’on partage.

A : Qui finance cette recherche sur les ascidies ?

PK : C’est le NIH, c’est à dire le National Institute of Health des USA. Ça correspond un petit peu au CNRS en France. C’est une grosse agence nationale de science. Il y en a plusieurs aux USA. Ils financent des projets. Le projet présenté parAnna Di Gregorioa été accepté et on a donc des financements renouvelables pour deux ou trois ans mais chaque année il faut produire des résultats, c’est à dire des publications dans des revues, pour que le financement soit renouvelé. Il y a aussi des financements caritatifs, parfois privés comme l’industrie pharmaceutique.

M : Ceux qui fiancent, qu’attendent-ils de ces recherches ?

PK : Au niveau national, c’est d’augmenter le niveau de publication du pays d’une manière générale et, espérons-le, de faire avance la science. Pour les caritatifs, c’est qu’on comprenne mieux certaines maladies, notamment des cancers qui touchent la corde chez les humains. Travailler sur un organisme aussi simple que l’ascidie va peut-être permettre de trouver des gènes dont la fonction a été conservée entre l’humain et l’ascidie mais bien plus facile à étudier. On demande régulièrement à travailler sur ce genre de choses, à obtenir des financements pour ce genre de recherche auprès de ces instituts qui espèrent, à terme, qu’on trouvera des traitements ou qu’on fera avancer la médecine dans ce domaine.

A : Est-ce qu’on a déjà fait des découvertes qui ont eu des applications dans la médecine ?

PK : Oui. Pas mal de substances pharmaceutiques ont été développées chez l’ascidie. Dans la science de manière générale, ça a été décisif pour comprendre comment les gènes étaient régulés. C’est extrêmement important parce que c’est un organisme assez simple au niveau de l’ADN. Ce qu’on appelle le génome, c’est à dire toute l’information génétique, est en double chez les mammifères. Il y a eu une duplication du génome ancestral au niveau des vertébrés, qui n’apparaît pas chez l’ascidie. A cause de cette duplication, on arrive à une situation où certains gènes se compensent et on n’arrive pas bien à lire la façon dont ils sont régulés. Avec l’ascidie, la régulation génétique est beaucoup plus facilement étudiable. C’est comme ça qu’on a compris comment des mécanismes évolutifs et génétiques étaient impliqués dans la régulation chez l’ascidie. On en a dérivé des informations, on a découvert des gènes chez l’humain. C’est beaucoup plus basique.

M : J’imagine que l’étude de l’ascidie aide aussi à comprendre l’ADN poubelle ?

PK : Exactement.

M : Il faudra changer le nom !

PK : Les mécanismes régulatoires, l’ADN régulatoire a été étudié chez l’ascidie et a permis de comprendre des mécanismes extrêmement importants. Notamment ce qu’on appelle des cascades génétiques. Au cours des divisions cellulaires qui vont former un organisme, chaque cellule va exprimer des gènes, c’est à dire produire des protéines en fonction de leur position et en fonction des divisions cellulaires précédentes. On a essayé de comprendre comment les gènes étaient organisés dans le programme génétique. Parce qu’il y a un premier gène exprimé dans la cellule œuf qui va entraîner l’expression, dans les cellules filles, de différents gènes. On obtient ainsi des cascades génétiques pour avoir, au final, des cellules qui se différencieront en un organe (par exemple la corde). Les cascades génétiques découvertes chez l’ascidie ont permis de comprendre et trouver les gènes conservés dans les cascades génétiques des vertébrés.

A : Revenons un instant sur tes recherches précédentes. Tu peux nous dire un mot des gènes Iroquois ? A commencer par leur nom, ça m’intrigue…

PK : Toi, tu as trouvé un ancien article à moi ! Durant ma thèse j’ai travaillé sur des gènes Iroquois. Il faut savoir qu’en fonction des organismes sur lesquels on travaille, la communauté scientifique va avoir plus ou moins d’imagination. Quand on travaille sur le petit ver qui s’appelle le nématode, les noms des gènes sont très classiques : quatre lettres et trois chiffres. C’est pas très funky. Chez la drosophile, une mode s’est lancée pour nommer n’importe comment, en fonction des défaut morphologiques observés quand les gènes sont mutés. Des mutations qui font apparaître plus de pattes ont donné des drosophiles mille-pattes, des gènes se sont appelés Sonic Hedghog parce que ça ressemblait à un hérisson (clin d’œil au jeu de Sega). Pour l’Iroquois, voici : quand la région de l’ADN est supprimée, on observe un défaut morphologique où seuls poussent les poils du milieu du thorax. Les poils des côtés disparaissent. Cela fait penser à la coiffure des Iroquois. En étudiant plus en avant la délétion qui entraîne ce défaut, ils se sont aperçu que ce n’était pas un gène mais trois qui avaient disparu. C’est à dire trois séquences qui codaient pour trois différentes protéines très proches. Ils étaient coincés parce qu’ils ne pouvaient pas les appeler Iroquois 1, Iroquois 2, Iroquois 3. Ils se sont alors lancés dans des délires et les ont appelés l’un Iroquois, l’autre Arokan et le troisième Kopolican, qui sont des tribus d’Iroquois (Indiens d’Amérique). Ils en ont ensuite trouvé un quatrième qui n’était pas dans cette partie et qu’ils ont appelé Mohawk. Voilà. Il y a quatre gènes «Iroquois-like» dans le génome de la mouche. Ce qui m’a intéressé c’est de comprendre pourquoi ils étaient en complexe de trois gènes parce que la situation chez les vertébrés est identique : on a trois gènes Iroquois côte à côte. Enfin… trois paires de gènes puisqu’il y a une duplication du génome chez les vertébrés. Ce qui m’intéressait était de comprendre si, chez l’ancêtre, les trois gènes Iroquois côte à côte étaient conservés chez l’humain et chez la mouche ou bien si c’était le hasard (mais la coïncidence serait très étrange). Malheureusement, mes études ont permis de dire qu’on ne pouvait pas trancher de manière sûre. Il y avait peut-être une situation ancestrale avec deux gènes côte à côte chez l’ancêtre de la mouche et de l’humain et un troisième gène qui, par hasard s’est dupliqué de manière indépendante chez ces deux organismes. C’était mon article.

A : La délétion des gènes Iroquois chez l’homme n’a pas été étudiée, j’imagine ?

PK : Si si ! Enfin, plutôt chez la souris. Comme on n’a pas le même thorax que la mouche, on n’obtient pas les mêmes défauts morphologiques. D’une manière générale, il faut muter les trois paires de gènes, ce qui est extrêmement difficile. Les défaut morphologiques sont donc assez subtils et apparaissent surtout au niveau de la formation des neurones.

M : Rien à voir avec les poils, donc.

PK : Si ce n’est que les poils du thorax de la mouche sont associés à des neurones. Il y a donc éventuellement une fonction ancestrale conservée entre la mouche et l’humain. En effet, il y a perte de neurones mais aussi des poils latéraux du thorax. C’est encore à explorer. Malheureusement je travaillais sur le ver marin sur lequel les études sont extrêmement difficiles à mener. Je me suis donc intéressé au niveau génétique in silico à comparer les gènes sur de nombreux génomes d’organismes pour voir quelle était la situation. Je ne me suis pas intéressé à ce qu’il se passait quand on retirait les gènes de ces organismes.

A : Pour changer de registre…

PK : Je sens que j’ai endormi le public ! C’est difficile et c’est peut-être pour ça que je me suis mis à bloguer «strange and funky» pour rendre ma recherche «funky». C’est un exercice de style qu’il faut que je travaille.

A : Pour se réveiller on va parler café. C@fé des Sciences. Depuis combien de temps publies-tu sur C@fé des Sciences ?

PK : C’est arrivé très vite. Au bout de deux mois à peine suite à la création de mon blog, je leur ai proposé ma candidature. Je ne me rendais pas compte que c’était une association assez dynamique et exigeante. On m’a dit qu’on allait voir comment tu te débrouilles encore quelques mois et on verra si tu peux venir sur le C@fé des Sciences. Je me suis senti sur la sellette mais au final, c’était très bien puisque ça a lancé le style plus scientifique de ssaft. Les premiers articles, c’était chaton, science, chaton, chaton, chaton et trucs bizarres… J’ai changé le fusil d’épaule. Depuis, je suis membre actif dans le sens où je suis blogueur pour le C@fé des Sciences. Je suis regroupé sur la série de liens disponibles sur leur site. Je fais aussi partie des discussions. Je ne fais pas partie du directoire mais j’essaie de mettre mon grain de sel. C’est difficile, ici, des Etats Unis mais sitôt en France, je proposerai de m’investir un peu plus dans la gestion parce que je deviens un vétéran.

A : Tu es très impliqué ? Ça consiste en quoi, ces discussions ?

PK : Ça consiste principalement à savoir qui va rentrer et quels sont les évènements autour du C@fé des Sciences qui peuvent être faits. Là, surtout, les discussions portaient sur le développement de la plate-forme pour obtenir des systèmes plus à l’anglo-saxonne. En effet, il existe des blogs comme ScienceBlogs ou ResearchBlogging dans lesquels des outils sont mis en place pour permettre à la vulgarisation scientifique d’être plus efficace et plus dynamique. C’est ce qu’on essaie de reproduire. Notamment en se rapprochant d’autres outils de la blogosphère comme OVNI-Science ou Knowtex. On voudrait faire migrer ces nouveaux sites vers une plate-forme générale et dynamique.

M : Tu as aussi un autre projet tout neuf qui s’appelle StripScience.

PK : Tout à fait. C’est mon bébé, mon projet à moi ! Ça sera un moyen de fusionner deux bulles de la blogosphère (c’est le cas de le dire) que sont BD et Science. J’adore la DB. Depuis que je suis tout petit, ce que je regardais principalement dans Science et Vie Junior, c’était les articles avec des BD ou des personnages cartoon parce que ça me parle. Depuis, je suis avidement tout les blogueurs dessinateurs qui parlent de science. J’ai souvent entendu Antoine parler de Marion Montaigne qui a un blog de science assez ahurissant «Tu mourras moins bête mais tu mourras quand même». Pourquoi ne pas fusionner les deux milieux ? On a des blogs scientifiques qui ont la patate qui veulent montrer plus de science et des dessinateurs qui ne maîtrisent pas tous les aspects de la science. On peut faire des partenariats. C’est le projet StripScience qui sera mis en place en septembre 2011. J’essaie de joindre le maximum de dessinateurs. S’il y en a parmi les poditeurs, venez nous rejoindre ! J’ai par exemple contacté Lucile et Forza Pédro qui sont poditeurs et qui nous ont rejoints sur StripScience. J’espère que ça sera les premiers partenariats prolifiques.

A : L’appel est lancé.

Parmi tes autres projets, tu nous as dit dans un commentaire que tu préparais un livre de science fiction ?

PK : Oui mais j’attends toujours la réponse de Matthieu.

M : Oui, je n’ai pas complètement répondu.

PK : J’ai adoré l’émission sur la lumière, la semaine dernière. Ma question était pour savoir ce qu’il se passait au niveau d’un photon quand il rencontre une surface réfléchissante. J’ai adoré notamment un des aspects illustrés par Matthieu avec la métaphore du cylindre. Cela m’a permis de me rendre compte de choses assez fondamentales sur la lumière. Mais je n’ai pas eu de réponse à ma question !

M : Ce que tu veux savoir exactement, c’est quand un photon rencontre un miroir et qu’il est réfléchi, quelle interaction a-t-il avec le miroir ?

PK : Voilà. Quelle est l’interaction avec la matière.

M : C’est tout le problème. Comme je le disais dans le dossier, il y a un phénomène d’absorption ou de réflexion. Avec l’absorption, il y a bien une interaction avec les atomes. L’énergie du photon fait augmenter le niveau d’énergie d’un atome. Mais avec une réflexion, je ne suis pas très au clair s’il y a une réelle interaction avec les atomes.

PK : C’est ce qui me surprenait justement. Est-ce le même photon qui rebondit mais sur quoi ?

M : On dit aussi que le photon n’existe réellement que quand il y a une interaction. Peut-être qu’en parlant de réflexion, on n’a pas réellement l’idée de photon.

PK : Même dans le cas d’une onde, je n’arrive pas à me représenter… Ma grande question est : est-ce le même photon, est-il absorbé puis ré-émis à l’identique ? J’avais l’impression que la lumière pouvais uniquement interagir avec la matière mais je n’arrive pas à me représenter comment elle peut être courbée à part avec la courbure de l’espace-temps.

M : Je vais essayer de creuser et je te tiendrai au courant.

PK : Si ça se trouve on ne sait pas ! C’est ça qui est intéressant !

A : Si un livre de science fiction signé Taupo en dépend, il va falloir creuser !

PK : Bon, c’est un livre parmi les vingt-cinq idées de projet de livres de science fiction, de nouvelles, etc… que j’ai sous le bras. Faut pas se formaliser. J’en ai d’autres.

A : Tu n’as pas débuté la rédaction encore ?

PK : Non non. Je me suis juste posé une question comme ça, il y a un mois. Je vais faire le pitch, ça va peut-être intéresser des gens qui vont me pousser à écrire.

A : Vas-y.

PK : L’idée se base sur les paradoxes temporels. On peut savoir que les voyages dans le temps (dans le passé, disons) n’existent pas parce qu’il n’y a pas de paradoxe, parce qu’on n’est pas en train de voir des centaines de touristes du futur. Mais si on reste sur cette manière de réfléchir et qu’on envisage malgré tout le voyage dans le temps, la seule manière de voyager dans le temps est de ne pas interagir avec la matière. On pourrait projeter une image du passé dans le futur à partir de lumière qui aurait voyagé et qu’on serait capable de récupérer. Quand on voit le ciel étoilé, on voit des centaines et des centaines de milliers d’étoiles, chacune à un temps différent puisqu’elles sont à des distances différentes. On est donc en train de voir une image du passé. Mon idée est : si on arrivait à trouver une étoile ou un corps stellaire totalement réfléchissant, ne serait-on pas capable d’analyser la lumière et de voir une image de notre passé ? Ce serait ça le voyage dans le temps possible : être capable de voir le passé et être capable de reconstruire une matrice, un peu comme dans les films Matrix, qui serait alimentée par ces lumières qui nous arriveraient, réfléchies à un million d’années lumière ou cent années lumière, je ne sais pas.

M : Un détail me chiffonne.

A : Attention !

PK : Bon, je ne vais pas l’écrire, alors.

M : Actuellement, quand on regarde une étoile, la lumière qui nous en arrive nous donne l’état de l’étoile dans le passé. C’est quelque part une sorte de voyage dans le passé. Ce que tu veux faire, c’est réfléchir une lumière sur un astre.

PK : Avec un satellite à la Hubble, comme actuellement avec la recherche d’exoplanètes avec les sondes Kepler, on arriverait à chercher plus particulièrement des planètes qui sont totalement réfléchissantes (je ne sais pas en quelle matière, peut-être en mercure). La lumière qui nous arriverait serait une lumière émise par la Terre il y a… l’équivalent de la double distance de cette planète.

A : 64 millions d’années, au hasard. On pourrait voir ce qui a déclenché la disparition des dinosaures. Ça me plaît bien !

M : Ça me plaît bien aussi. Je vais creuser le sujet.

PK : Si ce n’est pas le même photon, je ne sais pas s’il y a un biais. Je voulais savoir notamment, à partir d’un photon, dont la durée de vie est présumée éternelle, s’il n’est pas modifié par la surface réfléchissante, ne pourrait-on pas en tirer d’autres informations que uniquement la lumière ? Par exemple quel atome l’a émis.

M : Je prends note, on va essayer de te donner un coup de main.

PK : Mais sinon, il y a plein de livres de sciences fiction qui partent de présupposés scientifiques complètement faux donc…

A : Tu as d’autres projet dans l’air ?

PK : Comme je disais, une vingtaine. Tous les matins je me réveille en me disant, super je vais faire un film d’animation, je vais faire un court métrage, je vais me lancer dans la chanson… Je suis assez fort pour démarrer des projets. J’aime bien les garder sous le coude. Un des projets actuels qui me tient à cœur est de faire un partenariat avec un dessinateur qui m’est cher. C’est mon beau-père et ami Alain Prunier. Sans le savoir il a bercé toute mon enfance puisque c’était un dessinateur de Science et Vie Junior. J’ai découvert dix ans après que les illustrations que j’adorais par dessus tout étaient du copain de la mère de ma future femme. Quand je suis arrivé chez lui, j’ai un peu alluciné et nécessairement après, un partenariat assez gigantesque s’est fait. Dont un livre «Les Aventures de Taupo» que j’aimerais bien publier un jour.

A : Il est écrit mais pas publié ?

PK : On l’a déjà envoyé à quelques maisons d’édition mais sans succès. Je pense pas que c’est un projet totalement abouti. Je suis déjà en train de travailler sur le tome deux. C’est court, une cinquantaine de pages qui visent surtout les adolescents. C’est très joliment illustré mais peut-être le texte ne suit-il pas. On a gardé le personnage en essayant de faire un système où il raconte des comptines. Par exemple «Le Petit Capuchon Rouge» où l’on reprend les personnages de Taupe qui refont les comptes comme le Petit Chaperon Rouge mais en gore et funky. J’ai plusieurs projets en route mais j’aimerais bien que ça marche parce que c’est un dessinateur d’excellente qualité. Il aurait du être publié depuis longtemps.

A: On croise les doigts. Il reste quelques questions à te poser, on ne va pas faire trop long. Comment es-tu tombé sur PodcastScience ?

PK : En écoutant le cross-over que vous avez fait avec Scepticisme Scientifique, que j’écoute depuis longtemps. Je suis très versé dans le créationnisme et les controverses des créationnistes, du scepticisme, de l’athéisme et tout ça. Donc j’écoute beaucoup de podcasts de ce genre. Là, ça m’a fait une bouffée d’air frais d’écouter un podcast scientifique français. J’étais ravi d’avoir découvert votre émission.

A : Si tu pouvais contourner les aléas de la hiérarchie et accéder directement à leur rédaction en chef (celle de PodcastScience, donc), si tu avais une baguette magique…

PK : En même temps, tu es chez moi, là !

A : Changerais-tu quelque chose à l’émission ?

PK : Les sujets sont impeccables. Bon, faut pas me demander de critiquer les choses sinon j’en ai pour trois heures…

A : Tu as une minute !

PK : Les sujets sont géniaux et j’adore votre façon de les aborder. Là, je ne changerais rien. La seule chose à redire est la qualité audio avec les petites coupures intempestives, parfois. Je changerais la production avec des moyens, peut-être en faisant appel aux poditeurs, pour éditer de manière impeccable, enlever les petits blancs, etc… C’est la seule chose qui me trouble. Il y a parfois des coupures intempestives même si là il n’y en a pas eu.

M : On en a eu une petite à un moment mais ça n’a pas trop dérangé.

PK : Sinon, restez comme vous êtes, c’est très bien.

A : Merci, venant de toi, ça fait particulièrement plaisir. Où peut-on te trouver sur le net ?

PK : Partout ! Il suffit de taper ssaft sur Google pour me trouver. On me trouve sur le C@fé des Sciences, sur tweeter @pierrekerner, sur Agoravox, sur une page Facebook dédiée à ssaft. Sinon, on me trouve en train de troller les commentaires de PodcastScience. Mais de manière respectueuse ! Je trouve toujours vos émissions impec, il y a juste eu un petit problème cette fois-ci… Fallait pas le prendre mal…

A : Pas du tout, au contraire. Donc, tu as bien répondu initialement : on te trouve partout sur Internet. Matthieu, une ultime question ?

M : Oui mais je crois qu’on va en rester là aujourd’hui. C’est une question qui se répond. Je ne crois pas qu’on réponde en deux secondes. C’était pour faire suite à ton dossier sur l’ADN. On avait eu une discussion par commentaires interposés avec Pierre sur la différence en animal et organisme. Sur les différentes lignées du vivant. Entre les organismes unicellulaires, métazoaires…

PK : J’ai déjà commencé à réfléchir à partir du commentaire. Je ferai une réponse plus chiadée que je posterai dans les commentaires de cette émission.

M : On peut, peut-être plutôt se donner rendez-vous dans quelques semaines pour en parler plus tranquillement dans une émission.

A : C’est une excellent idée.

PK : Quand vous voulez. Je serai ravi de parler, j’aime bien parler. Peut-être un peu trop…

M : On fait comme ça. C’est un sujet qui mène à pas mal de confusions dont j’ai été le protagoniste. Donc j’aimerais bien qu’on en parle pour éclaircir tout ça.

A : Le rendez-vous est pris.

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