Retranscription du crossover Tales of the World

 

Retranscription du Podcast science #147 – Crossover Tales of the World avec Ruxandra Stoicescu. Un immense merci à Guillain (Seuillot) pour son gros gros boulot !

 

Alan : Pour démarrer, je propose, histoire qu’on sache qui tu es (pour nos auditeurs qui n’auraient pas encore la chance de te connaître et qui vont rapidement s’abonner à Tales of the World, j’espère), peux-tu nous dire en quelques mots qui tu es, ce que tu fais dans la vie ?

Ruxandra Stoicescu : Bonsoir à tous les auditeurs de PodcastScience. Je suis roumaine, le «scu» à la fin du nom le trahit. Ça fait bientôt douze ans que je suis à Genève où je suis venue étudier les relations internationales. J’étais décidée à devenir prof d’université. J’allais enseigner les sciences politiques, éclairer les esprits des nouvelles générations. En étudiant pour mon doctorat, j’ai découvert que j’aimais aussi le monde de la radio et du podcast. J’ai alors décidé de combiner la recherche dans le domaine des relations internationales avec les sciences politiques pour essayer de faire des émissions.

A : Tu fais encore de la recherche aujourd’hui ?

RS : Oui, je travaille avec divers organismes Suisses, qui financent des projet de recherche en relations internationales. J’ai aussi travaillé avec World Radio Switzerland, la radio Suisse en anglais. Parfois j’interviens à Radio France. Et bien sûr, j’ai Tales of the World, le podcast-blog que je tiens toutes les semaines depuis un an et demi. Il y a aussi une maison d’édition, Road Map Media qui travaille en association avec des universités et des projets académiques pour la transmission de leur message.

A : Quand tu parles de maison de production, c’est la tienne ?

RS : Oui c’est une maison de production que j’ai créée avec mon ami Reto Steffen. Il est aussi membre dans l’ombre de PoscastSuisse : dans la mesure où il est associé à Tales of the Word, il connaît aussi quelques uns des membres du collectif. C’est surtout lui qui fait le design musical et sonore de mes podcasts.

A : Qui est magnifique ! Ça relève le niveau des podcasts amateurs.

RS : Il est chanteur d’opéra et il a une affection toute particulière pour Bach, pour la musique baroque. Je pense que, parfois, je lui arrache les oreilles avec les choix que je fais pour illustrer mes podcasts. Mais il s’y prête avec beaucoup de grâce, je l’en remercie.

A: Tu nous a dit que tu as fait une thèse de doctorat ? Dans quel domaine ?

RS : Oui. En relations internationales. En me concentrant sur les sciences politiques. C’était une thèse sur une idée très compliquée qui vient avec un mot compliqué : la liminalité. En gros, c’est l’idée de frontière. Le limès est le seuil entre deux mondes, entre plusieurs états. Typiquement, l’adolescence est bon exemple d’état liminal. On est en chemin d’un état d’enfant vers un état adulte. L’adolescence est l’état liminal.

A : Ça a un rapport avec subliminal ?

RS : Non. Étymologiquement ça vient aussi de limès mais on va dans des landes très obscures de la science fiction.

A : Encore que l’adolescence, c’est aussi un peu de la science fiction… On a prévu de parler de pas mal de choses. J’aimerais commencer avec la notion du mot science dans les sciences politiques, sciences sociales. Ça n’a pas toujours été comme ça ?

RS : Non. Justement je voulais commencer cette discussion en expliquant l’aspect du mot science. Bien sûr, c’est un mot facile à débusquer. Cela vient de scientia, de scire, qui veut dire savoir en latin. Mais il  a aussi un cousin grec plus ancien qui vient de skésis qui veut dire séparer, scinder. La science est autant liée au savoir qu’à la séparation des savoirs. C’est une idée très intéressante, et c’est pour ça que je voulais commencer avec Aristote et Ptolémée, les premiers scientifiques que nous connaissons dans la civilisation occidentale. Eux étaient des scientifiques de tout : de la société, de la nature… ils parlaient de tout, pas uniquement des mathématiques, de la biologie mais aussi de l’univers et des hommes. C’est du niveau du scientia. Comme on a évolué historiquement, on a scindé le savoir. De nos jours, on est dans une étape où la science est un savoir très cloisonné. Avec beaucoup de frontières, justement, entre les différentes choses qu’on appelle la science.

A : Super intéressant. J’étais au courant pour la racine latine. Mais je n’ai jamais fait le rapport avec la racine grecque. Poursuivons sur ce thème. A l’époque d’Aristote et Ptolémée, la somme des savoirs de l’humanité était peut-être encore à la portée d’un individu. Individu exceptionnel, évidemment, mais on peut encore imaginer des savoirs universels. Avec la somme des savoirs qu’on a accumulée aujourd’hui, ça parait juste impossible. Aurait-on un autre choix que de cloisonner comme on le fait ?

RS : Oui, je pense que oui. Après l’époque antique et l’époque médiévale, on a bien sûr la renaissance avec l’expression «homme de la renaissance» (ou femme de la renaissance). C’était des individus qui connaissaient autant la science que les arts, la poésie, ils parlaient le grec et la latin. Bien sûr, nous ne pouvons pas savoir «à fond» de nos jours. Même les spécialistes sont spécialistes de petites tranches de leur science. Puisque tu avais annoncé qu’on parlerait de politique, économie, etc… c’est un très bon exemple, rien que dans le domaine des sciences sociales, ceux qui font de la science politique ne parlent pas avec les sociologues qui ne parlent (surtout) pas avec les économistes. Les anthropologues sont ces baba cool qui vont sur le terrain, des go native, et dieu sait ce qu’il vont nous rapporter. L’idée n’est pas de savoir ce que l’autre sait mais d’être ouvert à ce qu’il pourrait apporter, comme savoirs et comme méthodes.

A : J’ai quand même l’impression qu’il y a un changement aujourd’hui dans la démarche scientifique où de plus en plus d’études sont pluri-disciplinaires.

RS : Oui c’est toute une discussion. De nos jours, nous sommes au bout d’un chemin qui a commencé plus ou moins à l’âge des lumières quand on a commencé à se rendre compte qu’on avait cumulé beaucoup de savoir. Il y a eu aussi un divorce irrémédiable avec la religion. Ça a été l’époque de l’encyclopédie de Diderot, l’encyclopédie de tous les savoirs. C’est alors qu’on a commencé à exprimer le besoin de se spécialiser. Là, nous nous trouvons à un point où l’on se rend compte qu’on ne peut pas juste rester dans sa case alors on prend une certaine disciplinarité. Mais en fait, pour compliquer les choses, je peux vous dire que, dans les cercles spécialisés, on parle de multi-disciplinarité, d’inter-disciplinarité, de trans-disciplinarité et de juxtaposition des disciplines. Cela dénote différents degrés de communication entre les disciplines.

 David : Je dirais qu’il y a en parallèle l’accumulation des connaissances qui rend la spécialisation nécessaire et la complexité des objets qu’on étudie ainsi que leur enchevêtrement qui rend la multi-disciplinarité nécessaire. Il me semble que ça a été évoqué lors de l’épisode sur les open sciences, au niveau des neurosciences. Je pense que c’est pareil pour les sciences sociales comme vient d’en parler Ruxandra.

Robin : Je ne pense pas qu’il faille dire qu’il y en a un qui est bien et l’autre pas bien. Des gens ont un caractère qui les amène à être plus obsessionnel et à creuser leur sillon. C’est comme pour les artistes : certains vont tenter 15 mille expériences et d’autres vont creuser leur même truc pendant toute leur vie. Ça m’évoque aussi autre chose. C’est assez rigolo. Au Palais de la Découverte, où je travaille, on collabore avec des scientifiques qui nous disent d’arrêter de faire du disciplinaire parce que la science est trans-disciplinaire, inter-disciplinaire, multi-disciplinaire, ils ne savent jamais ce que ça veut dire non plus. Mais nous, nous voulons continuer en disciplinaire parce qu’on a l’impression qu’on a une tournure d’esprit à apporter, une espèce de vision des choses à implanter avant de pouvoir commencer à les changer. Chaque discipline a un style et il faut passer par une phase où l’on appréhende cette manière de voir les choses. Des gens sont connus dans la recherche pour être des gens capables de transmettre, de traduire d’un langage à l’autre, de faire des synthèses de choses différentes. Et d’autres pas du tout. Je ne porte pas de jugement de valeur sur les gens qui restent dans leur discipline. Je pense que c’est nécessaire aussi. C’est plus une question de caractère.

RS : L’une des raisons pour laquelle on a choisi ce thème est parce qu’à la base, Alan a été interpellé par cette question des sciences. On a les sciences molles et les sciences dures. C’est comme si les sciences molles n’étaient pas de véritables sciences.

A : Je n’ai pas dit ça !

RS : Non mais c’est dans le discours ambiant. D’ailleurs, récemment à la radio, j’écoutais parler de science sans se poser la question de dire que c’était la physique, chimie, etc… Je ramène ce point car l’idée est, bien sûr que si quelqu’un a choisi une discipline c’est qu’il a des affinités et c’est important de suivre ça. Mais la question est le degré d’ouverture que l’on a. Si on examine une question de société, de nature, d’univers, quel degré d’ouverture on a pour des lectures qui peuvent ajouter des dimensions nécessaires. C’est pas l’idée d’avoir un savoir universel, c’est impossible. C’est la question de hiérarchie des savoirs. Apparemment, un savoir acquis par des sciences dures serait plus noble et solide que s’il venait des sciences sociales. C’est là que ça devient compliqué.

D : Il y a différentes manières d’envisager cette hiérarchie. De temps en temps, elle peut juste être liée au réductionnisme. C’est à dire qu’on peut théoriquement imaginer réduire la biologie à la chimie, la chimie à la physique, etc… En poursuivant ainsi mais dans le sens inverse, on peut aussi imaginer réduire la psychologie à de la biologie, la sociologie à de la psychologie, etc… Je pense que c’est un peu ce qui amène à penser à cette hiérarchie des savoir. Ce n’est pas forcément une hiérarchie dans le sens où l’un est mieux que l’autre mais juste lié à la relation qu’entretiennent les objets étudiés.

RS : Je vois dans la chatroom des gens qui envoient des dessins qui engagent la pureté des sciences et se demande qui a raison. On arrive à la conclusion : personne.

A : C’est un fameux dessin de XKCD.

R : Il y a la blague habituelle des sciences dures et des sciences molles mais si on se place du côté des gens qui font des sciences molles, ils appellent ça des sciences humaines. J’en conclue que les sciences dures sont des sciences inhumaines. C’est pas terrible non plus !

RS : C’est inhumain tous ces calculs que vous nous faites faire !

R : J’ai l’impression que, plutôt que de hiérarchie, c’est prendre les outils adaptés à ce qu’on a envie de décrire. J’ai l’impression de radoter mais évidemment que la physique a besoin des maths et que, peut-être avec de la physique on peut décrire de la biologie. Mais il y a un moment où ça ne va plus marcher. Où l’on n’est plus à la bonne échelle. Par exemple, pour décrire l’écoulement d’un fluide, on ne va pas regarder ce qu’il se passe pour chaque molécule, c’est débile, ça ne peut pas marcher comme ça. C’est une question d’outil adapté à ce qu’on veut décrire.

RS : Justement Robin, toi tu donnes toujours des exemples par rapport à la physique et aux maths. moi je peux dire, par exemple, que les économistes ont pris les maths pour en faire l’économétrie et ils veulent tout expliquer avec des modèles économétriques. On arrive à la limite des modèles. C’est cet aspect de concevoir des outils qui permettent de décrire ou d’analyser ce qu’on rencontre et c’est justement pour ce design qu’il faut parfois regarder à côté. Là est la question par rapport aux sciences. Parfois un physicien doit écouter l’aspect naturel de la vision de l’univers afin de voir comment une perspective scientifique est entendue dans la société.

D : Une dernière intervention très rapide sur la hiérarchie des sciences. Je crois que ça vient de… enfin je sais pas d’où ça vient, mais ça remonte au moins à Saint Thomas d’Aquin, puisqu’il avait à peu près cette même hiérarchie. Mais en mettant la religion, Dieu, tout en haut et ça a très longtemps été le cas.

RS : En effet, Saint Thomas d’Aquin avait des vues très précises sur la façon dont devait se tenir l’ordre de l’univers. Mais il est considéré comme scientifique, parmi les saints.

A : On essaie de garder notre sérieux malgré ce qu’il se passe dans la chatroom. On a quelques contributeurs déchainés, c’est assez drôle ! Pour finir avec cette histoire de hiérarchie et faire le lien avec un autre sujet que je voudrais qu’on aborde, je me demande s’il n’y a pas une hiérarchie dans les esprits, qui est liée au pouvoir de prédictibilité des sciences. En physique, on sait que quand on lâche une pierre, elle tombe. Elle tombe toujours (pour autant qu’on soit dans les bonnes conditions, évidemment). Le pouvoir de prédiction est total. En biologie, c’est déjà moins net. On sait que face à des pressions évolutives, les organismes vont évoluer mais on n’en sait pas plus. J’ai l’impression, mais je dis peut-être une énorme bêtise, je vais encore me faire taper sur les doigts comme d’habitude, qu’en économie, on a tendance à prédire les phénomène une fois qu’ils ont eu lieu. On a toujours des experts qui arrivent après les krachs pour expliquer comment ça s’est passé mais on les entend rarement avant les krachs.

R : Je peux abonder dans ton sens. Et c’est même pire que ça. Il y en a qui ont effectivement prédit ce qu’il se passerait mais ce n’est jamais les mêmes. Et sur le nombre de prévisions faites, c’est logique qu’il y en ait qui se rapprochent de ce qu’il s’est passé.

RS : Je pense qu’il faut être nuancé. Je ne suis moi-même pas toujours d’accord avec les économistes et j’ai peur qu’on leur fasse un peu trop la morale. Je pense que l’économie est à la fois un bon et mauvais exemple. C’est un bon exemple parce que c’est une discipline qui, de par les tendances aux États-Unis ou autre, est fortement numérisée. On utilise des modèles économétriques. Elle a pris les maths comme garantie de ses modèles et prédictions. Le problème est que beaucoup d’économistes écrivent au sujet du développement et de l’aspect psychologique des gens. Cela accentue le modèle mathématique. Du coup, certains modèles viennent de l’idéologie. Un bon exemple est le cas de deux papiers. L’un écrit par le FMI justifie le choix d’austérité en Europe par rapport à la crise. Grâce à un chercheur français du FMI, ils ont fini par reconnaître que le modèle n’était pas très exact parce que la perte de productivité de un euro n’était pas affectée par un multiplicateur qui aurait dû donner un euro cinquante de perte de productivité. Ils avaient oublié que le multiplicateur de Keynes, qui travaille quand on dépense plus, travaille également quand on dépense moins ! Ils l’ont oublié non pas par inattention mais parce qu’ils sont dans une pensée tunnel idéologique et ils savent déjà les résultats qu’ils veulent atteindre et décident ce qu’il faut faire en fonction. Ils font leurs outils à l’envers. Ils n’écoutent plus le terrain avec les outils, mais essaient de le contrôler avec les outils.

Si les auditeurs sont intéressés, je recommande chaleureusement un livre écrit par une anthropologue, Alexandra Ouroussoff : Wall Street at War (en anglais, il n’existe pas en français). Cela parle des oeillères terribles que les agences de notation établissent sur le management des compagnies. C’est tout à fait ça avec les schémas économétriques des risques, des contrôles de risques, des probabilités, de défaut.

A : Quand on parle de sciences économiques, on parle bien, entre autre, de ces choses-là ?

RS : Oui mais il y a plusieurs branches. Il y a l’économie, l’économétrie, l’économie de développement, celle qui étudie l’offre et la demande, etc… C’est juste de souligner là où ils ne font pas bien leur boulot mais je pense que c’est parce que quelque chose s’idéologise dans leur approche.

D : Je voudrais revenir au tout début, c’est à dire que le fait que c’est beaucoup plus facile de tester en physique. Mais finalement, je ne sais pas si c’est pas plus simple de tester une théorie économique que l’existence du boson de Higgs.

A : Il suffit de mettre en place un collisionneur de particules de 27 km !

D : J’ai l’impression que le soucis des théories économiques n’est pas leur scientificité. Par exemple le critère de Popper, c’est à dire la falsificabilité, fonctionne comme critère de scientificité. Dans ce cas, les théories économiques sont scientifiques. Le problème est qu’elles ne marchent pas. Ce domaine scientifique est très loin d’avoir trouvé la solution. L’un des éléments qui expliquent l’énorme difficulté est l’approche idéologique et bornée qu’ont nombre d’économistes. L’autre, dans l’aspect trading, modèle financier, etc… où les gens ne sont pas si idéologisés, ils sont là pour faire de l’argent et sont prêts à accepter n’importe quelle théorie pourvu qu’elle rapporte de l’argent. Leur problème est que leurs prédictions influencent fortement le modèle. C’est à dire que le système global change au fur et à mesure des prédictions ! Celles-ci deviennent du coup beaucoup plus compliquées à faire.

RS : C’est un point très important. D’une certaine manière, tu as soulevé un point très contesté qui est celui de «dans quelle mesure le chercheur influence ce qu’il recherche». Il y a des théories constructivistes dans ce domaine même en science. Ça me fait penser à quelque chose que je tiens absolument à dire. Je suis fan des émissions d’Etienne Klein, sur France Culture. C’est un physicien français qui a posé une question qui m’a intriguée : est-ce que les lois de l’univers existaient avant qu’on les découvre ? J’ai pas beaucoup réfléchi dessus mais c’est une très bonne question. C’est la même chose pour l’économie : elle n’existait pas avant que les sociétés existent. Il faut donc prendre en compte la société et les individus, ce qu’on ne fait plus.

R : Les oiseaux n’existaient pas avant qu’on les appelle des oiseaux. Maintenant ils n’existent plus pour les scientifiques alors qu’ils existent encore pour les non-scientifiques. C’est clair que les oiseaux n’existent pas sans êtres humains. Le choix de l’outil est un choix idéologique. Se dire qu’on va décrire le monde économique ou social avec des maths, c’est déjà un choix. Je pense qu’il y a deux questions : celle des outils qu’on utilise. Est-ce qu’on va trouver des outils qui sont plus ou moins adaptés ? De mon point de vue, on ne trouvera jamais le bon outil puisque, a priori, on en a plein, il n’y a pas de raison que l’un soit le bon. Les outils ne sont pas les mêmes. En maths c’est la logique, en science c’est les maths sauf pour certains où s’il n’y a rien que les maths, on ne crée rien de nouveau, c’est pas intéressant. En sciences sociales, il faut trouver les outils qui paraissent les plus adaptés. L’autre question est sur ce qu’on appelle science dure ou molle. Ça dépend de la définition qu’on a en tête. Par exemple, en maths, pour valider ou invalider une proposition, ce qui compte c’est la démonstration. En sciences autres (c’est pour ça que j’ai du mal à mettre les maths avec le reste des sciences), ce qui compte, c’est l’expérience sauf quand on fait des sciences théoriques mais qui sont, du coup, des mathématiques. En histoire, ce qui va valider est de croiser des sources différentes. Mabillon a formalisé ce qui est une recherche rigoureuse en histoire. Évidemment, ça ne peut pas être une démonstration ou une expérience qui va valider une théorie historique. Voilà, il y a les outils de recherche et les outils de validation.

RS : Oui et aussi une question des buts. Le but de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie, etc… n’est pas de prédire. Ma thèse très provocatrice serait de dire qu’on peut, si on est très attentif aux indications du terrain, prédire des mouvements de foules, quand ça va pas marcher, etc… Mais il faut vraiment écouter le terrain. Je pense que, surtout, tu as bien souligné l’aspect de l’expérience et le fait de garder des aspects de récits, de faits. Le but de l’histoire n’est pas de prédire mais d’entendre, ce comprendre ce qu’il se passe. Je pense que c’est là où l’on fait une erreur. C’est vraiment une question de politique, de financement et d’idéologie. On a donné une qualité subalterne à toutes ces sciences humaines, justement parce qu’il n’y a pas de possibilité de généraliser leurs conclusions et leurs trouvailles. Par exemple aux États Unis dans les années soixante, la question était vraiment le choix du financement. Finance-t-on la littérature et les métaphores ou une science dure ou une science politique qui prétend qu’elle va prédire quelque chose. Cette idée de prédiction est fausse mais sert à attirer les fonds. C’est une question politique.

 D : Je réagis en décalé, je suis désolé… On peut généraliser l’aspect auto-influencé à toutes les sciences humaines et à une partie des sciences dures. A partir du moment où l’humain est inclus dans l’objet étudié, en médecine, par exemple, la théorie qu’on construit affecte le système et donc affecte la théorie. On est dans des systèmes qui ne sont pas nécessairement moins scientifiques mais plus durs à étudier.

RS : On sait qu’on peut compter sur les résultats des sciences dures mais je pense que, rien que pour le boson de Higgs, il a fallu de l’imagination pour imaginer quelque chose comme ça. Et avoir la foi pour continuer à chercher. D’ailleurs, j’ai fait un épisode de Tales of the World sur ce que représentait pour moi le boson de Higgs. Comme la conclusion est que la masse n’est pas une propriété innée des particules, pour moi, on n’a pas, en tant que société humaine, en tant qu’individu, des propriétés irréductibles au niveau du psyché et qu’on ne peut pas absolument changer. Ça m’a donné de l’espoir pour l’avenir politique. Si c’est dans l’interaction que quelque chose naît, alors il faut regarder la relation et non juste la chose en soi, comme disait Kant.

A : Je suis assez d’accord avec la conclusion même si le cheminement me laisse un peu perplexe. Je propose qu’on passe à la suite mais je reviendrai à ma question initiale que tu as soigneusement éludée !

RS : Je voulais faire comprendre, en regardant l’histoire de la science, qu’on a des noms d’individus qu’on associe avec des découvertes. Dans l’islam, il y en a aussi beaucoup. A l’ère médiévale et à la renaissance, de nombreux individus amènent de la science de l’occident. Si l’on regarde la Chine ou l’Inde, on a moins de noms, moins d’individus mais on a des découvertes anonymes qui soulignent l’aspect de la communauté, de l’intelligence qui n’est pas liée à l’individu. Je ne savais pas que les choses qui ont poussé l’occident là où il est : la presse, le papier, la poudre à canon, etc… sont des inventions chinoises qui sont arrivées beaucoup plus tard chez nous. C’est ce que je voulais souligner. Une curiosité culturelle et historique.

A : Cette question des noms des stars de la science a été abordée dans notre dernier épisode avec Alexandre Moatti, sur les alter-sciences, c’est à dire des sciences dérivées, des fausses sciences, en fait. Comme l’exemple que tu donnais tout à l’heure où l’on essaie de faire entrer des ronds dans des carrés en science économique où le résultat compte plus que la démarche, où l’on s’intéresse plus à la réponse qu’à la question, ce qui est assez anti-scientifique. La science se remet en question, quand elle fonctionne.

RS : Ce qui ressort des études des anthropologues, c’est du parti pris, c’est que les économistes détestent se remettre en question.

A : C’est une vieille question récurrente sur PodcastScience, à laquelle on n’a toujours pas répondu.  J’ai beaucoup de peine à considérer que l’économie ait sa place dans la science. On en saura plus en janvier parce que Matthieu, l’autre co-fondateur du podcast, qui s’est éloigné pour des raisons d’emploi du temps mais qui revient de temps en temps, va justement revenir en janvier avec un invité qui va nous parler de macro-économie. C’est un discours qui aurait sa place en science, on verra…

D : Personnellement, ça me gène que tu dises que l’économie n’est pas dans la science (il faudrait définir la science). J’ai tendance à avoir une acceptation assez large de ce qui peut entrer dans les sciences. Il y a une différence entre ne pas être scientifique et ne pas marcher.

A : On est d’accord.

D : Pour moi, la démarche des économistes reste en grande partie scientifique, mise à part l’idéologie excessive mais qui se trouve aussi en sciences classiques. De temps en temps, des gens restent arc-boutés sur une théorie scientifique et ne veulent pas se rendre à l’évidence. C’est même souvent la manière dont les paradigmes se remplacent les uns les autres. C’est rarement par changement d’avis des scientifiques mais par renouvellement des générations. Elles se font plus facilement convaincre par ce qui est plus réaliste.

R : Sur l’économie, des gens qui ont une formation d’économiste, soutiennent qu’on ne peut pas faire de théorie scientifique de l’économie. Je ne connais pas bien la question, il faudrait que je creuse du point de vue historique, mais Zenon prétendait qu’on ne pouvait pas faire de théorie de la matière parce que le continuisme ne marche pas et que l’atome ne marche pas non plus.

RS : Il faudrait une théorie quantique de l’économie !

R : Je suis d’accord avec David. Dire que ça fait ou non partie de la science dépend complètement de ce qu’on appelle science. Il faut donner une définition. Tous les malentendus viennent de problèmes de définition.

RS : Dans la mesure où la science est le savoir systématique (étude systématique qui arrive à un savoir), dans ce sens, il n’y a plus de science molle ou dure. C’est la question d’être systématique, vrai et sincère qui définit.

A : Ma vision de la science est ça : une démarche qui est capable de se remettre en question. Après, si on arrive à des savoirs…

RS : Oui, il y a un effet de savoir, pas de savoirs pré-établis.

D : Dans les définitions de science que j’ai vues, je pense aux successions de paradigmes, falsificabilité, etc… (la définition que Ruxandra vient d’évoquer) je n’en ai vu aucune qui excluait les sciences sociales ou les sciences humaines.

Ludwig Wittgenstein

RS : C’est une pratique qui ne se fait même pas au niveau déclaratif. Wittgenstein disait, je le cite en anglais : «meaning is use». La manière dont on utilise un mot, une parole, suggère ce qu’on en pense même si on ne le dit pas. On ne dit pas que la science sociale est moins bien que les sciences dures, mais la manière dont on en parle, dont on les finance, dont on la néglige, crée ce genre de hiérarchie.

D : Je suis d’accord avec toi. Je trouve intéressant que tous les gens qui ont essayé (me semble-t-il, en tout cas, toutes les personnes que je connais) de définir les sciences font des définition assez englobantes.

R : Beaucoup de gens confondent les sciences et les techniques. Je pense que si on se penche sur la question de ce qui est financé et qui est bien considéré ou pas, il y a ce qui rapporte et ce qui ne rapporte pas. Potentiellement, je veux dire. Les maths fondamentales ont un gros inconvénient : elles n’ont pas d’applications ou alors dans cent cinquante ans, sans qu’on s’y attende. Elles ont un gros avantage : elles ne coûtent rien. Par rapport au LHC, on est tranquille, un matheux ne coûte rien !

A : Ça pompe pas mal d’énergie, quand même !

R : La question est : pourquoi les financer ? On le voit au niveau politique, on demande aux gens de savoir ce qu’ils vont trouver dans dix ans. En France, on leur demande de faire des dossier qui précisent la direction de recherche, ce qui va être trouvé et quelle application il y aura. Dans une science sociale, chercher dans telle direction avec telle application sera crédible sur certains points mais pas sur beaucoup d’autres. Le but n’est pas de prévoir mais de comprendre, de faire sens, c’est parce que c’est intéressant, etc… Mais c’est un argument qui ne rapporte pas de pognon.

RS : Oui, de nos jours, il n’y a plus l’appréciation de ce qu’on dirait superflu mais qui est la science fondamentale. Le CERN, c’est que ça finalement.

A : Heureusement qu’il nous reste le CERN.

RS : On avait parlé du CERN, on disait que la recherche fondamentale engendre des retombées pour l’industrie, c’est pour ça qu’elle est financée. Il y a des possibilités de combiner.

A : Oui même si c’est pas forcément prévu. Le web, qui est un peu le poumon économique du XXIème siècle sort tout droit du CERN. Mais je ne pense pas que ce soit pour ça qu’on l’a financé. C’est la sérendipité.

R : Si tu veux une liste de trucs où c’était pas prévu que ça serve mais que ça sert… tu prends dans les maths et tu pioches au hasard !

A : On va faire une semaine sérendipité sur le C@fé des Sciences.

R : Une des plus belles histoires, j’en ai parlé dans l’épisode sur les nombres premiers, c’est un mathématicien qui revendiquait que ses études ne servent à rien. C’était au temps de la bombe atomique que ces fumiers de physiciens ont inventée. Mais lui était tranquille ses études ne servaient à rien. Vingt ans après sa mort, on a trouvé que ses résultats, entre autres, allait servir aux cryptages les plus élaborés donc allait servir aux banquiers et aux militaires. Le mec a tout perdu, il a dû se retourner dans la tombe !

A : Je reviens à ma fameuse question. Ça ne s’est pas toujours appelé Science Sociale. Peux-tu nous dire à quel moment a eu lieu ce changement ? Quand a-t-on fait entrer l’humanité dans les sciences ?

RS : Au XIXème siècle je dirais. Comme toujours, un bon historien ne fait jamais l’erreur de dire : «c’est là !». Une des retombées des approches plus systématiques des sciences à l’ère des lumières a donné que, lorsqu’on a essayé de voir, par des projets sociaux, comment les sciences pouvait aider la société à aller mieux, est la naissance de la sociologie, avec Durkheim et Comte, puis plus tard Weber. C’est leur contribution qui a fait que les connaissances, qu’on retrouve aussi des observation sur la société dans les écrits de Aristote, Platon, etc… , et l’étude des sociétés sont devenues une étude en soi. Avant, pendant la renaissance et juste avant les lumières, il y avait tous les philosophes anglais et français. Leibniz était mathématicien mais il écrivait sur la question sociale, de même avec Hobbes, il faisait du droit, écrivait sur la politique, les maths. Tout ça allait ensemble. C’est vers le XIXème siècle où ça a commencé à se séparer. De même pour l’éducation : on ne donnait plus une éducation à l’université qui englobait toutes ces connaissances. Du coup, l’avocat ne connaissait plus les lois mathématiques, le médecin se souciait moins des aspects de politique ou d’économie.

A : Je me posais une autre question. Dans l’étude de ces rapports entre la science et la politique, l’exemple que tu donnais tout à l’heure, de cette politique d’austérité qui était défendue à l’appui de chiffres…

RS : Irréfutables, apparemment…

A : …donc légitimes, je me demande s’il n’y a pas une espèce d’instrumentalisation de la science, des mathématiques ou des chiffres par le politique.

RS : Je dirais l’inverse. On a créé cette idée de scientisme qui dit que ce sur quoi on peut compter, c’est des théories démontrables qui s’appuient sur des chiffres et des formules. Ça nous vient aussi des États Unis où la vie politique est tellement orientée sur la question de démonstration mais qui est aussi très noire ou blanche. C’est là que l’instrumentalisation commence. C’est pas que les européens ou les chinois sont innocents mais c’est là qu’on assiste très clairement à cette instrumentalisation. J’ai un autre exemple récent autour de théories très établies dans le domaine des relations internationales. Ils avaient écrit un papier d’analyse économique qui prenait le fait que si des pays dépassent un certain niveau d’endettement, leur croissance serait moindre. Il a été démontré que c’était une erreur de tableau Excel, pas d’analyse ! Certaines colonnes n’avaient tout simplement pas été prises en compte. C’était un étudiant du MIT qui a repéré l’erreur. Il arrive d’amener les étudiants à reproduire les résultats des grands luminaires. Ce gars n’a pas réussi à retrouver les résultats. Il a fallu du courage politique et médiatique pour sortir et dire que ces deux luminaires cités depuis trois ans dans les chancelleries, par le FMI, se sont trompés. Ça a été un scandale. Même s’ils ont reconnu qu’il se sont trompés, ils ont assuré que ça renforçait quand même leurs dires, alors que c’était vraiment l’opposé.

A : Le comble de la mauvaise foi.

RS : Exactement. Je pense qu’on peut être plus de mauvaise foi dans les sciences sociales que dans les sciences dures. Mais je suis sûre qu’on peut l’être aussi dans les sciences dures. C’est un bon exemple, même pas d’instrumentalisation mais le discours devient tellement fort qu’on ne prend plus l’autorité de le contredire ou de le casser.

A : C’est ce que tu disais, c’est le scientisme. C’est une croyance, ça n’a plus rien à voir avec la science.

R : C’est plus difficile de se rendre compte qu’on s’est planté dans une théorie sociologique ou économique parce que les conséquences ne sont pas aussi directes. Par exemple, en physique : tu envoies une fusée et elle explose. Tu vois assez vite que tu t’es planté.

RS : Oui mais c’est la question de l’arrogance, d’assumer une faillibilité. En analyse politique on appelle ça le «group think». Ce n’est plus l’individu qui pense mais c’est le groupe qui rend silencieux toute autre voix de dissension.

A : Je retiens que, dans cette histoire, il y a eu quelque chose de scientifique, c’était le fait de vérifier et d’essayer de reproduire les résultats.

RS : En effet.

A : Ça a conduit à la correction.

RS : Il y a des «fool proof», des garanties, des checks, qui font que la vérité peut sortir. Tant mieux, ça donne de l’espoir !

A : David brandit une brosse depuis l’Irlande, je crois qu’il a quelque chose à dire.

D : C’est un défi en interne, il ne faut pas que tu le dises ! On lève la main avec des objets étranges…

A : T’es bon avec ta brosse.

D : Je voulais dire, dans le même sens que Ruxandra, dans l’interaction entre économie, politique, science et politique, etc… je pense que le politique a le devoir de ne pas revenir en arrière sur ce qu’il a dit. Sinon, il donne l’impression d’être une girouette, de ne pas savoir ce qu’il dit, de ne pas être fiable. C’est très mal perçu. Autant un politicien n’est pas censé être compétent en physique, disons, autant on attend de sa part une certaine compétence en économie. Parce que c’est souvent lié, certains prétendent être le meilleur économiste de France (Raymond Barre), un bon économiste (DSK), etc…A partir du moment où il y a ce mélange, ça pousse l’intégralité des économistes à adopter cette manière de faire des politiciens. Il y a une forme d’inceste entre ces deux domaines et on est moins à même de revenir en arrière que dans d’autres domaines scientifiques.

RS : Je me demande pourquoi on ne considère pas Jacques Attali comme un bon économiste. Même s’il n’en est pas un. C’est l’un des observateurs de la société qui fait des remarques les plus pertinentes de l’aspect économique du travail.

A : On a vu les liens entre science et politique dans un sens.

RS : On a vu un autre bon lien avec le CERN. A la base c’était pour la recherche fondamentale mais aussi pour qu’on investisse dans la recherche pour l’industrie européenne. Il continue à y avoir beaucoup de projets, Marie Curie et les différents schémas de financement qui sont pour des développement en industrie européenne. A côté il y a la recherche fondamentale qui est vitale.

A : Je me demandais, en essayant d’explorer d’autres liens entre science et politique, quelle est l’importance de la science dans les décisions politiques ? Est-ce qu’on consulte des scientifique, on commissionne des experts, on leur demande leur avis ?

RS : Je dirais que ça dépend du domaine. Si on regarde celui de la santé, on semble beaucoup entendre les scientifiques surtout quand il s’agit de maladie comme la malaria, éradiquer le VIH, etc… Si on va dans le domaine du climat et de l’environnement, soudainement les scientifiques sont ignorés. Il y a même des scientifiques qui se sont fait menacer de mort (et pas juste en Russie). Cela n’arrive pas uniquement dans des sociétés autocratiques. La question de l’environnement est un bon exemple pour montrer quelle place la politique veut bien ou ne veut pas garantir à la science.

A : Le seul fait qu’il y ait débat sur le réchauffement climatique par exemple, alors que c’est clair chez les scientifiques, le réchauffement climatique existe et est lié à l’activité humaine.

RS : Alors que tout le monde est d’accord qu’il faut éradiquer la malaria, qu’il faut produire plus de filets, que des compagnies pharmaceutiques devraient produire plus de médicaments…

A : Tu veux dire que s’il y a des retombées économiques, on écoute d’avantage les scientifiques ?

RS : Oui, c’est ça. Et on les instrumentalise aussi.

A : Encore une question que je voulais voir avec toi, c’est la place de la science dans la formation des politiques. En préparant l’émission autour d’un café à Genève, il y a quelques temps, tu me disais qu’on utilise la théorie des jeux chez les diplomates ?

RS : Pas seulement. Pour analyser les négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce, le terrain est très fertile pour la théorie des jeux. C’est toujours pour savoir qui va lâcher le premier sur les tarifs, les subsides, etc… Il y a une application, qu’on considère à succès, dans l’analyse des négociations. Il y a plein d’autres endroits où l’on négocie, même pour le climat. Je n’irai pas jusqu’à dire que les diplomates utilisent ça. C’est en lisant ça que les analystes, à travers la théorie des jeux, essaient d’expliquer ce qui se pose. Personnellement, j’ai toujours trouvé la théorie des jeux très intéressante mais il y a toujours une question fondamentale. On parle de préférence et intérêt mais on ne parle pas de leur formation alors que c’est vital.

D : C’est limite de la psychologie évolutionniste. C’est super intéressant mais c’est pas le propre de la théorie des jeux. Pour moi, la formation des préférences et intérêts relève de la psychologie évolutionniste. La théorie des jeux est un outil quasi-mathématique.

RS : Oui, c’est pas un outil à utiliser tout seul.

D : Il faut le cumuler avec autre chose. Il y a des simulations où tu vas faire un jeu du prisonnier réitéré, tu vas voir des acteurs qui se déplacent ou pas, et si les acteurs se déplacent et s’imitent, l’altruisme va apparaitre par la formation de petits groupes d’altruistes avec des égoïstes en périphérie qui vont progressivement être convertis…

RS : Tu es extraordinaire, David, sur l’image !

A : Pour les auditeurs, David bouge beaucoup.

D : Oui, je fais énormément de mouvements de main. Ça me rend moins compréhensible pour les gens qui me voient…

RS : On peut dire que tu as des mouvements amples de bras qui nous rappellent certains présidents très inspirationnels.

D : Je disais donc, on utilise la théorie des jeux en simulation de vie artificielle. Mais pas toute seule. C’est un très bon exemple de multi-disciplinarité. 

R : Il y a une intervention dans la chatroom que je trouve très intéressante. On se demande s’il est normal de régulièrement donner le prix Nobel en théorie des jeux à des économistes et des mathématiciens ? Il n’y a pas de prix Nobel en maths mais il y a régulièrement des mathématiciens qui ont le prix parce que c’est celui d’économie. De mon point de vue, c’est comme donner le prix Nobel de physique à un physicien théorique qui n’aurait jamais fait d’expérience et qui aurait développé des modèles. je ne sais pas dire si c’est bien ou pas mais c’est fournir des outils, un langage qui permet, a priori, de décrire. Bien, pas bien, c’est discutable.

RS : Ça reflète plutôt une tendance de ce que nous valorisons dans la société.

A : Petite précision concernant le prix Nobel d’économie. Ce n’est pas un prix Nobel, en fait. On l’appelle comme ça mais c’est le prix de la Banque Royale de Suède en science économique en mémoire d’Alfred Nobel.

RS : Ah, bien sûr, c’est une banque !

A : David est en train de brandir un truc…

RS : Un after shave.

D : C’est peut-être lié, qu’ils attribuent facilement un prix Nobel à des mathématiciens, des théoriciens, etc… C’est peut-être lié au fait que les purs économistes (ni théoriciens, ni mathématiciens) sont généralement très controversés. Chacun prêche pour sa chapelle et il n’y a pas trop de consensus. Cela amène à donner le prix Nobel d’économie à des mathématiciens.

A : On lit aussi la chatroom où notre ami mathématicien ElJj y va aussi de son opinion. Robin ?

R : Il dit : «Mais comme des mathématiciens peuvent être récompensés, on fait croire que c’est un vrai Nobel».

A : Un autre sujet à aborder concerne Roadmap Media.

RS : C’est une maison de production qui est, je peux le dire, l’enfant intellectuel de Tales of the World. Nous avons vu avec Reto Steffen que nous nous entendions bien. J’étais frustrée parce que j’ai beaucoup d’amis chercheurs en science sociale, en science en générale, je me passionne pour ce qu’ils font mais je trouve qu’on ne les connaît pas assez. Je me suis décidée à mettre en place une maison de production dédiée à faire connaître ces projets de recherche. J’aimerais que ça s’étende aux aventures des chercheurs parce qu’elles sont extraordinaires. Mais ça va prendre plus de temps parce qu’on ne veut pas toujours, en tant que chercheur, dévoiler les mic-mac pour arriver à nos résultats. Pour le moment, on travaille avec HEID, pour un travail sur les armes légères et de petit calibre. C’est un projet qui a déjà treize ans de recherche. On fait des podcasts à propos de leur recherches. On travaille aussi dans l’humanitaire avec des témoignages de ceux qui suivent leur cours. L’idée est de donner une voix mais aussi une image puisqu’on fait des vidéos, à toutes ces expériences très enrichissantes, justement pour décloisonner le monde de la recherche et de la science. Pour que les gens voient que ce que font les chercheurs tous les jours a une application dans leur vie.

A : Ces podcasts, on peut les entendre ?

RS : Oui, sur Roadmap Media ou sur les sites de ceux pour lesquels on les produit : Small Arms Survey et le CERAH, centre de recherche et éducation dans le domaine de l’humanitaire à Genève.

A : Pour conclure, peux-tu nous dire où l’on peut te retrouver sur l’internet mondial ? Il y a donc RoadMap Media

RS : Il y a aussi Tales of the World : tales-of-the-world.com.

A : Tales comme les histoires ?

RS : Exactement. Je voulais raconter les histoire du monde. Et puis, comme je disais, parfois sur Radio France International et sur SoundCloud, sous le profil Tales of the World. Voilà, pour le moment juste là.

A : Sur PodcastSuisse, aussi.

RS : Sur tweeter, @irtwist7. Vous pouvez chercher Ruxandra Stoicescu, c’est plus compliqué là.

A : Il te faudra un deuxième compte avec Alexandra Stoicescu pour que David puisse te retrouver !

D : Je n’ai pas eu de problèmes ! Je peux même dire qu’il y a plusieurs Ruxandra sur tweeter et sur Google+. Mais je n’ai trouvé qu’une seule Ruxandra Stoicescu. Je ne sais pas pourquoi à l’oral, c’est «Alexandra» qui vient.

A : On a noté quand même trois «Alexandra» de ta part. On réfléchit encore à la sanction.Ruxandra, merci d’avoir accepté notre invitation.

RS : Merci pour votre générosité.

R : C’était passionnant.

A : Oui, tu as amené un angle qu’on n’avait pas avant. On parle souvent de ce qu’est la science, de ce qu’elle n’est pas, de quels sont les rapports entre la science et la société ou la science et les autres disciplines. Ton regard était très intéressant parce qu’on ne l’a encore jamais eu et on a été obligé de se poser les questions un peu différemment.

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