#psSortDuPlacard – Sciences cognitives et homosexualité – L’interview de Franck Ramus

L’interview de Franck démarre à 37:07.
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Billet présenté dans le cadre de l’event #psSortDuPlacard le 27 juin 2015


Alan

Franck, tu n’es pas un spécialiste de l’orientation sexuelle, mais tu y as réfléchi et consacré quelques billets et articles

En revanche, tu es un spécialiste des sciences cognitives. Nous vous avions d’ailleurs reçu dans l’épisode 204 il y a quelques mois pour que tu nous parles du sexe du cerveau, soit les différences observables entre les cerveaux des femmes et les cerveaux des hommes.

Ce que j’avais retenu de ton intervention, c’est qu’il y a des différences – qui ne sont pas toujours celles qu’on croit quand on n’y connaît rien – et qu’aucune de ces différences ne justifie quelque discrimination que ce soit. Tu as aussi à cette occasion-là effleuré la question de l’orientation sexuelle d’un point de vue neuro-cognitif et c’est cela qui nous a donné l’idée de t’inviter aujourd’hui.

Thomas vient de nous parler des prédispositions génétiques, Irène nous avait présenté un dossier sur les hormones sexuelles (épisode 185) et qu’elle avait elle aussi pas mal parlé du rôle du dosage subtil des hormones sexuelles chez le fœtus, qui peut – dans une fenêtre temporelle précise – modifier l’architecture-même de certaines zones du cerveau et influencer l’orientation sexuelle.

Tout cela pour dire qu’on ne part pas tout à fait de zéro et qu’on devrait pouvoir entrer rapidement dans le vif du sujet.

En 2004 (je n’ai malheureusement pas de chiffre plus récent), 1/3 des Américains estimaient qu’être homo est un choix de vie. Un autre 1/3 des Américains pensaient que les homosexuels sont nés ainsi. 10 ans plus tard, on peut donner raison à un camp plutôt qu’à l’autre ?

Franck Ramus

Oui, en gros. Bon, c’est difficile de dire que les homosexuels sont nés homosexuels car à la naissance, ils n’expriment pas d’orientation sexuelle mais il y a quand même pas mal de données qui suggèrent qu’une bonne partie des facteurs qui déterminent l’orientation sexuelle sont précoces ; certains sont génétiques, certains sont pré-nataux, hormonaux ou immunitaires, ce qui n’exclut pas évidemment qu’il puisse y avoir des facteurs plus tardifs – il y en a aussi – mais de ce qu’on sait à l’heure actuelle, l’avantage est plutôt aux facteurs précoces. Et par ailleurs il y a aussi toutes les données issues des études de facteurs environnementaux, sociaux, etc. Et qui ont finalement abouti à la conclusion que l’orientation sexuelle exprimée par un individu, qu’elle soit homo ou hétéro, c’est quelque chose qui a l’air d’être très stable, finalement au cours de la vie (homo ou hétéro ou bi ou n’importe où dans le continuum, évidemment, ce n’est pas binaire). Ça a l’air d’être très stable au cours de la vie, et ce n’est pas quelque chose qu’on peut modifier comme ça. Il y a plein de gens qui ont essayé de changer l’orientation sexuelle des autres et qui ont simplement échoué. À ce jour, personne n’a trouvé une méthode pour rendre les homos hétéro, par exemple. Donc c’est quand même une indication assez forte que, finalement, c’est déterminé assez précocement et cela ne bouge plus trop.

 

Alan

Y a-t-il des précurseurs de l’homosexualité que l’on peut repérer dès l’enfance ?

 

Franck Ramus
Oui et non. Dans l’enfance, ce que l’on peut repérer, ce sont les enfants qui ont un comportement qui n’est pas tout à fait conforme à leur sexe tel qu’il est identifié. Il y a des garçons qui se comportent de manière plus féminine que la moyenne des garçons, il y a des filles qui se comportent de manière plus masculine que la moyenne des filles. Dans les études de recherche, en anglais, il y a un mot de jargon pour ça : gender non-conformity https://en.wikipedia.org/wiki/Childhood_gender_nonconformity . C’est un peu ridicule de le formuler comme ça, mais bon, voilà…  Ils ne sont pas tout à fait conformes à leur genre et ces caractères-là pendant l’enfance sont corrélés avec une non-hétérosexualité à l’âge adulte. C’est une corrélation, ce n’est pas non plus une détermination, ce ne sont pas tous les garçons qui ont des comportements plus féminins dans l’enfance qui deviennent homosexuels, et vice-versa ; il y a des gens qui deviennent homosexuels et qui n’avaient pas d’expression du genre différente pendant l’enfance, mais bon, voilà, il semble qu’il y ait un lien statistique entre les deux et à ma connaissance, c’est la seule chose qu’on puisse vraiment détecter pendant l’enfance qui ait une certaine valeur prédictive.

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18194004

Dessin réalisé à la volée par Puyo pendant l'interview de Franck
Dessin réalisé à la volée par Puyo pendant l’interview de Franck

 

 

Alan

À part les facteurs génétiques et hormonaux, quels autres facteurs sont connus impliqués dans la détermination de l’orientation sexuelle ?

 

 

Franck Ramus
Thomas a évoqué des facteurs immunitaires… L’histoire de quand plus il y a de grands frères portés par la même mère et plus le foetus mâle a de chances de devenir homosexuel.

Dessin réalisé à la volée par Mél pendant l'interview de Franck
Dessin réalisé à la volée par Mél pendant l’interview de Franck

Et ça, la meilleure hypothèse qu’on ait à l’heure actuelle – bien qu’elle ne soit pas totalement prouvée, c’est que la mère aurait une réaction immunitaire au foetus mâle parce qu’il porte des antigènes mâles auxquels ses anticorps réagissent. Et que ces anticorps s’accumulent au fil des grossesses successives de foetus masculins et donc cela a un effet de plus en « agressif » on va dire sur les foetus mâles successifs. Donc, le 4e garçon de la fratrie est un peu « attaqué » in utero. Voilà pour les facteurs immunitaires. Pour ce qui est des facteurs environnementaux dans le sens psycho-sociaux, on ne peut pas dire qu’il y en ait un qui ait été vraiment identifié comme étant un facteur influençant l’orientation sexuelle. Entendons-nous bien, quand-même, on parle d’orientation sexuelle en tant que préférence pour des individus du même sexe ou du sexe opposé, à distinguer bien clairement des comportements sexuels évidemment. On peut avoir des comportements sexuels qui ne sont pas alignés sur les préférences qu’on a, pour des tas de raisons, évidemment. Et donc, les comportements sexuels sont totalement influencés par un tas de facteurs sociaux, en particulier : est-ce que l’orientation que vous avez est acceptée par la société ou pas ? Ça coule bien de source. Mais la préférence, qui elle est quelque chose d’interne, qui reste dans la tête de la personne, ça, on ne connaît pas vraiment de facteurs sociaux qui puissent l’influencer, ou en tout cas, ce n’est pas encore prouvé.

 

Alan

Et au niveau du cerveau à proprement parler, le cerveau des homos ? Est-ce qu’on a identifié, par exemple, une ou plusieurs zones dans le cerveau qui contrôlent l’orientation sexuelle ? Sait-on prédire, en observant un cerveau, de quel bord se situe son propriétaire ?

 

Franck Ramus
Alors, il y a quelques éléments. Pour commencer, il y a forcément une base cérébrale à l’homosexualité, puisqu’il s’agit d’une préférence cognitive et que ça induit des comportements et que la base du comportement, c’est le cerveau… S’il y a une différence au niveau comportemental, c’est qu’il y a une différence au niveau cérébral.

Après, toute la question, c’est de savoir lesquelles et puis comment ces différences apparaissent, évidemment. Donc, il n’y a pas énormément de choses solides à se mettre sous la dent ; ce qu’on a de mieux, ce sont des études qui ont été faites dans les années 80 de dissections (post-mortem évidemment) sur des personnes qui avaient donné leur cerveau, en particulier beaucoup d’hommes homosexuels américains qui étaient morts du SIDA dans les années 80 et qui avaient décidé de donner leurs cerveaux aux chercheurs.  http://www.sciencemag.org/content/253/5023/1034.Short

Ces cerveaux ont été comparés à un certain nombre d’hommes hétérosexuels et, dans ces études de dissection, les chercheurs se sont concentrés sur l’hypothalamus https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypothalamus qui est l’une des régions du cerveau qui est bien connue pour être impliquée dans le comportement sexuel, et on avait déjà pas mal d’études chez l’animal qui avaient bien décortiqué l’hypothalamus et les différents noyaux qui participent à l’orientation sexuelle, par exemple chez le rat, et en allant chercher directement ces noyaux-là, ces chercheurs ont mis en évidence qu’il y a un sous-noyau de l’hypothalamus – qui est déjà à la base plus gros chez les hommes que chez les femmes – qui, chez les hommes homosexuels, aurait une taille intermédiaire ou en tout cas soit égale à celle des femmes soit plus proche de celle des femmes que de celle des hommes. Ce sont des études qui n’ont pas vraiment été reproduites depuis les années 80 parce qu’on n’a pas refait des grandes collectes de cerveaux comme ça de personnes homosexuelles et parce que c’est un noyau qui est tout petit et qui n’est pas visible à l’IRM. Si c’était visible à l’IRM, ça ferait longtemps [que ce serait reproduit] et on aurait déjà des dizaines d’études qui auraient répliqué ce genre d’observations. Là, ça n’a pas été bien répliqué. Mais on a des données sur une centaine de cerveaux, quand même, ce n’est pas rien. On aimerait avoir plus de confirmations indépendantes.

Après, si on regarde des choses à un niveau plus macroscopique, quand on fait les IRM standard, https://fr.wikipedia.org/wiki/Imagerie_par_r%C3%A9sonance_magn%C3%A9tique , là, à ma connaissance, il n’y a rien eu de très très flagrant qui ait été observé et qui diffère fondamentalement entre les hommes homosexuels et les hommes hétérosexuels. Il y a peu de recherches sur les femmes homosexuelles malheureusement. En tout cas, pour ce qu’on sait du cerveau et des bases cérébrales de l’orientation sexuelle, il y a des différences en moyenne, mais il n’y a pas de différences telles que, en regardant le cerveau, on puisse faire une prédiction très claire de l’orientation sexuelle de la personne. Si on a une bonne mesure de ce noyau de l’hypothalamus, on peut éventuellement essayer de faire une prédiction qui va être un peu meilleure que le hasard, mais de là à classer les gens en homo ou en hétéro, ou quelque part ailleurs dans le continuum, on est loin loin loin d’avoir une telle précision.

 

Alan

Est-ce que tu sais si on a pu modifier l’orientation sexuelle d’animaux de laboratoire en agissant sur telle ou telle zone de leur cerveau ?

 

Franck Ramus

On peut la modifier soit en agissant directement sur les facteurs génétiques ; ça a été fait chez la drosophile : il y a un gène qui s’appelle fruitless. https://en.wikipedia.org/wiki/Fruitless_(gene)

Si on le mute correctement, on obtient des drosophiles mâles homosexuelles qui essaient de monter les autres mâles. On sait le faire par manipulation génétique. On peut aussi rendre des rats ou des souris mâles homosexuels en modifiant leur milieu utérin. Typiquement en injectant des hormones sexuelles à la mère pendant la gestation. On connaît très bien les mécanismes neurobiologiques qui se modifient en réponse à ces facteurs hormonaux intra-utérins et on observe que, in fine, là aussi que les mâles ont des comportements sexuels plus orientés vers les mâles que vers les femelles.

Après, je n’ai pas connaissance, chez l’animal, que l’on ait modifié l’orientation sexuelle plus tardivement : une fois qu’on a un mâle normalement hétérosexuel, est-ce qu’on a réussi à le rendre homosexue ? Je n’ai pas connaissance. Ce n’est peut-être pas impossible de le faire par lésion de certaines régions du cerveau mais je n’ai pas connaissance des études.

 

Alan

Pour rebondir sur la dernière partie de la présentation de Thomas , est-ce que affirmer qu’il y a des bases biologiques précoces à l’homosexualité, c’est être pour ou contre homosexualité ? Ça favorise l’homophobie ou ça lui coupe l’herbe sous le pied ?

 

Franck Ramus

Ça n’a rien à voir ! Ce sont deux questions d’ordre totalement différent. Il y a une question de connaissance factuelle de l’état du monde : il y a quelque chose qu’on observe qui est l’orientation sexuelle qui varie entre les individus entre l’homosexualité exclusive et l’hétérosexualité exclusive. On peut se poser la question de cette diversité : pourquoi les uns sont comme ci, pourquoi les autres sont comme ça ? C’est une question purement scientifique. Pour le chercheur que je suis, ça paraît totalement légitime d’essayer d’y répondre, parce qu’on est curieux et on a envie de comprendre pourquoi on est tous différents et quels sont les facteurs qui nous ont rendus comme nous sommes. Cela relève purement de la connaissance scientifique. L’autre question qui n’a rien à voir est : est-ce que l’homosexualité est bien ou mal ? La science n’a rien à dire là-dessus, c’est une valeur que chacun détermine pour soi-même mais ce n’est pas une question de connaissance. La valeur que l’on accorde à l’homosexualité ou à l’hétérosexualité n’a pas de lien direct avec la connaissance qu’on a de ces facteurs biologiques ou sociaux ou quoi que ce soit d’autre.

 

Alan

Etudier les bases biologiques de l’homosexualité, ca n’est pas ou n’a jamais été guidé par une arrière pensée médicale de « traiter » les homosexuels ?

 

Franck Ramus

Si si, bien sûr ! Les motivations des chercheurs ou des médecins sont ce qu’elles sont, et on ne peut pas nier que certains ont cherché à comprendre les bases biologiques de l’homosexualité parce qu’ils pensaient que, peut-être, ils arriveraient à soigner le cerveau des homosexuels, ou qu’ils arriveraient à « screener » le génome des fœtus homosexuels pour éviter qu’ils naissent. C’est certain qu’il y a eu ce genre de motivations, mais il y a eu des motivations à peu près similaires chez des gens qui avaient une conception environnementaliste de l’homosexualité, et qui ont essayé de traiter les homosexuels pour les faire devenir hétérosexuels en manipulant des facteurs environnementaux, y compris en les tapant, par exemple, pensant que c’était quelque chose de malléable par des facteurs environnementaux. Il n’ont pas réussi pour autant. Pour moi, il y a eu de l’homophobie de tous temps, et les gens qui veulent opprimer les homosexuels, ils les opprimeront quoiqu’en dise la science, qu’ils se basent sur une théorie biologique de l’homosexualité ou qu’ils se basent sur une théorie environnementaliste ; ça va peut-être changer les moyens avec lesquels ils vont opprimer les homosexuels, mais ca va pas changer leur motivation primaire !

 

Alan

Est-ce que la science a un rôle à jouer dans la lutte contre l’homophobie ?

 

Franck Ramus

La science a un rôle à jouer dans le fait de fournir des connaissance les plus fiables possibles, et la connaissance peut servir à mieux respecter les gens qui nous entourent. Il y a eu un exemple assez frappant récemment : les scientifiques peuvent dénoncer quand ils sont instrumentalisés pour de mauvais motifs. On a vu ça en Afrique récemment : l’année dernière, le président ougandais a décidé de renforcer les lois pour l’oppression des homosexuels, de tous les comportements homosexuels.  Déjà que la situation de l’homosexualité en Afrique, et en Ouganda en particulier, n’est pas rose… Il a décidé de renforcer l’oppression, parce que – soi-disant – il avait été conseillé par un panel de scientifiques ougandais, qui lui avaient dit que l’homosexualité n’est pas génétique, ni biologique mais que ce serait un choix. Et parce que c’est un choix, en avait-il déduit, c’est un mauvais choix et les gens sont responsables de leur choix et de leur comportement homosexuel, et donc, ils peuvent être condamnés pénalement. C’est vrai que, quand cette justification a été apportée, il y a quand même pas mal de chercheurs, y compris des chercheurs africains, qui se sont dit : « À la base, c’est une mauvaise représentation des connaissances scientifiques », parce que les connaissances scientifiques disent plutôt que l’homosexualité n’est pas un choix. De fil en aiguille, un certain nombre de chercheurs se sont pris en main. Le résultat, c’est que l’Académie des Sciences d’Afrique du Sud s’est auto-saisie et a formé un petit comité d’experts compétents en psychologie, en biologie, en sociologie, pour faire un état de l’art des connaissances sur les origines de l’homosexualité, de l’orientation sexuelle en général. Ils ont fait une revue complète de la littérature scientifique sur le sujet, et ils ont écrit dans leur rapport un résumé qui est disponible sur Internet, et que je vous engage à lire, parce qu’il est tout à lisible, il est très clairement écrit, il est très bien…
» http://www.assaf.co.za/wp-content/uploads/2015/06/8-June-Diversity-in-human-sexuality1.pdf

Vous pouvez aussi le trouver sur mon blog (http://franck-ramus.blogspot.com/2015/06/quand-les-bases-biologiques-de.html ), j’ai fait un commentaire de ce rapport de l’Académie des Sciences Sud-Africaine. En gros, ils prennent la question de l’orientation sexuelle par tous les angles possibles, ils passent en revue les données génétiques, les données hormonales, les données cérébrales, les données sociologiques dans les différents pays d’Afrique. Ils concluent que l’homosexualité n’est pas un choix . C’est, de manière prédominante, des bases biologiques. Et donc, il n’est pas correct de représenter de manière fallacieuse la science sur les origines de l’homosexualité à l’appui d’une politique discriminatoire ou oppressive envers les homosexuels. Ils ont un peu mélangé les genres en essayant à la fois de défendre à la fois la condition des homosexuels en Afrique et de faire l’état de l’art scientifique, mais leur état de l’art scientifique est tout à fait correct. C’est un bon exemple, finalement, où l’on voit que le gens utilisent des connaissances sur les bases biologiques de l’homosexualité, pour contrer l’homophobie et défendre toutes les personnes non-hétérosexuelles (les LGBTI) dans leur rapport, y compris les transsexuels, les conditions intersexuées, bref, toutes les orientations possibles.

 

Alan

Ce rapport vient d’être publié, c’était il y a 10-15 jours… L’adresse de ton blog, si on veut le retrouver ?

 

Franck Ramus

Le plus simple c’est de taper mon nom sur Google, et puis ca sortira. (http://franck-ramus.blogspot.com/)

 

Alan

J’ai une dernière question technique, je tiens à profiter de tes connaissance avant de passer la parole au public. Thomas nous a expliqué comment le trait se maintenait dans la population, quand bien même les homos ont en moyenne moins d’enfants que les hétéros. En gros, les facteurs génétiques qui prédisposent à l’homosexualité masculine favorisent la fertilité chez les femmes de la famille, ce qui fait que l’une dans l’autre, en moyenne, les porteurs de ces gènes ont plus d’enfants. Est-ce qu’il y a d’autres facteurs qui expliquent que le trait se maintienne dans la population, alors que les homos passent, par définition, moins souvent leurs gènes à la génération suivante ?

 

Franck Ramus

A ma connaissance, il y a trois grandes hypothèses. Thomas en a mentionné une, qui est en quelque sorte ce qu’on appelle un effet antagoniste entre les mâles et les femelles. Il y a des données à l’appui de cette hypothèse, comme tu l’as dit tout à l’heure. On ne peut pas dire qu’elle soit totalement prouvée non plus, on a besoin encore de quelques recherches là-dessus. Une autre hypothèse, c’est quelque chose qui a une logique un peu similaire mais qui n’est pas antagoniste entre les mâles et les femelles, c’est tout simplement, chez tous les individus de la population, ce qu’on appelle l’avantage hétérozygote, parce qu’on a deux copies de chaque gène, et donc on peut avoir deux allèles différents de chaque gène. Ce qui arrive parfois, c’est qu’avoir un allèle d’un certain gène, c’est avantageux pour quelque chose. Par exemple, avoir un allèle d’un certain gène, ça confère une résistance au paludisme. Du coup, cet allèle est assez répandu dans les pays d’Afrique équatoriale. Mais une fois sur quatre, si on a les parents qui ont cet allèle-là, une fois sur quatre, on va récupérer les deux allèles en particulier, et il peut arriver qu’avoir les deux allèles au lieu d’un ait des effets avantageux. En l’occurrence, si on a les deux allèles, dont un confère une résistance au paludisme, on acquiert une maladie génétique qui est une maladie du sang qui est extrêmement grave, l’anémie falciforme. On a une tension entre les porteurs hétérozygotes qui sont protégés contre une maladie, donc qui ont un avantage reproductif, et les porteurs monozygotes, qui ont une maladie supplémentaire. On peut imaginer – mais cela n’a pas été prouvé – qu’il y ait une facteur génétique qui prédispose à l’homosexualité quand il est en deux exemplaires, mais qui a un effet avantageux quand il est en un seul exemplaire. Ça n’a pas été prouvé, il y a juste des simulations mathématiques qui montrent que ca permettrait plausiblement de maintenir un trait qui diminue la fertilité, comme l’homosexualité, à une certaine fréquence dans la population aux alentours de 1 à 5%, qui est à peu près ce qu’on observe.

Une autre hypothèse possible, c’est simplement que c’est pas parce que c’est génétique que c’est transmis par les parents. Entre les parents et les enfants, il y a des mutations qui surviennent et le taux de mutation qui impacte notre génome a été pas mal revu à la hausse ces dernières années depuis le séquençage du génome humain, et on s’est rendu compte qu’on est tous porteurs d’un certain nombre de mutations. Evidemment, ces mutations peuvent aussi affecter des gènes qui sont impliqués dans l’orientation sexuelle. Par conséquent, il se peut que simplement le taux de mutations spontanées, qui survient à nouveau à chaque génération, soit suffisant pour expliquer qu’un trait, même qui a un impact négatif sur la descendance, puisse se maintenir à une relativement basse fréquence dans la population.

Je ne sais pas si c’était très clair…

 

Alan

Super clair ! Un immense merci Franck.

 

Franck Ramus

Je vous en prie.

(Applaudissements)

Alan

Xavier circule avec un micro si on a des questions dans le public.

 

Public

Bonjour. En fait j’ai une question qui est peut-être moins scientifique que sociologique. On a parlé au début de la différentiation qu’on pouvait observer précocement chez les petites filles et les petits garçons. Est- ce que vous pourriez nous citer des exemples un peu plus concrets que de dire « la petite fille est censée jouer à la cuisinière, le petit garçon aux petites voitures ». Est-ce qu’il y a des études qui sont basées sur des exemples un peu plus poussés que ceux-là ?

 

Franck Ramus

Disons… D’abord, il y a des cas extrêmes où l’enfant exprime vraiment explicitement un désir d’appartenir à l’autre sexe, ou une croyance d’appartenir à l’autre sexe. C’est très rare, mais ça existe. Ces enfants-là sont plus susceptibles de devenir des personnes homosexuelles plutôt qu’hétérosexuelles, même si ce n’est pas totalement déterministe. Et sinon, il y a tout un ensemble de comportements sexués qui ne sont pas juste le fait de jouer avec des petites voitures ou des poupées, mais globalement, parmi toutes les différences qu’on observe entre les garçons et les filles, dès la première section de maternelle, dans la cour de récréation, c’est clair qu’il y a du conditionnement social dans des trucs arbitraires comme le bleu et le rose, mais pas dans tout. Donc typiquement, les garçons sont physiquement plus actifs, ils vont avoir tendance à jouer spontanément à des jeux plus turbulents, plus compétitifs, que les filles, et les filles vont avoir tendance à jouer à des jeux pro-sociaux, plus coopératifs, etc. Il peut y avoir une partie de conditionnement social là-dedans, mais ce sont quand même des tendances très fortes qui sont observées à travers toutes les cultures. Sur ces comportements-là, effectivement, il y a des enfants qui ne rentrent pas dans le « stéréotype de leur genre ». C’est un facteur prédictif relativement modéré de l’orientation sexuelle.

 

Mais sachant que, malgré tout, il ne faut pas confondre l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Ce sont évidemment deux choses bien distinctes, même s’il y a une certaine corrélation entre les deux.

 

Public

Bonjour (…) Je me demandais, Est-ce qu’on a une idée de l’évolution de la population des personnes homosexuelles, en tout cas la part dans la population mondiale. Est-ce que c’est quelque chose qui a été constant au niveau de l’histoire ; est-ce qu’il y a eu des périodes où il y en a eu plus ? Est-ce qu’on a même des données là-dessus ou pas ?

 

Franck Ramus

C’est une bonne question ! Alors, évidemment, les données qu’on a là-dessus sont forcément limitées : sur la préhistoire, on ne peut pas savoir. C’est un point qui est justement abordé dans le rapport de l’Académie des Sciences Sud-Africaine, notamment parce que certains politiciens sud-africains, qui promeuvent l’homophobie, ont à un moment sorti l’argument que l’homosexualité, c’était une importation du style de vie occidental, ça ne correspondait pas au style de vie africain « normal » et historique, et que c’était une perversion importée de l’Occident. Dans ce rapport, ils passent en revue, notamment, tout un tas d’études anthropologiques qui montrent que des comportements et des orientations  homosexuelles étaient documentés en Afrique, bien avant la colonisation ou, en tout cas, quand les colons européens sont arrivés, ils ont observé qu’il y avait déjà tout un tas de comportements homosexuels, qui étaient, de manière générale, bien souvent très bien acceptés par les populations locales dans leur culture locale. Ce sont en fait les missionnaires qui ont réprimés l’homosexualité en Afrique. Ce n’était pas du tout une importation des occidentaux. C’est un exemple pour dire que, pour ce qu’on en sait, l’homosexualité existait en Afrique bien avant qu’on aille les emmerder. Et, autant qu’on le sache : on la trouve partout dans le monde. Les études de prévalence, alors  « combien de pourcents expriment une préférence qui n’est pas totalement hétérosexuelle… », c’est compliqué parce que ça dépend des définitions, ça dépend des seuils, ça dépend des populations qu’on interroge, ça dépend d’à quel point les populations sont prêtes à révéler leur véritable orientation sexuelle. Il y a plein de problèmes méthodologiques et, évidemment, sur l’échelle de Kinsey, on peut placer le seuil à différents endroits, soit ne compter que les homosexuels exclusifs, soit compter tous les gens qui ne sont pas hétérosexuels exclusifs. Bref, on obtient n’importe quel chiffre entre 1 et 5%. Autant qu’on puisse en juger, ces prévalences n’ont pas bougé, en tout cas sur le dernier siècle, et ne diffèrent pas significativement d’un pays à un autre, ou d’un continent à l’autre. Pour ce qu’on en sait, on aurait tendance à dire que c’est stable et que ni en augmentation démesurée ni en diminution. Ce qui est peut-être en augmentation, ce sont plus les comportements homosexuels dans la mesure où les sociétés deviennent plus libérales et acceptent plus l’homosexualité. Donc ça, ça fait que des gens qui étaient homosexuels en terme d’orientation dans leur tête, et qui ne l’auraient jamais exprimé en terme de comportement auparavant, maintenant ils le peuvent, effectivement ça augmente, mais l’orientation elle-même, on n’a aucune raison de penser que ça ait changé.

 

Alan

Merci beaucoup. Une question de Mél.

 

Mel

Question sur les hormones sexuelles. Comme on le sait, la testostérone engendre des comportements reproducteurs chez les mâles, et quand il y a des pics d’œstrogènes, et même c’est résiduel chez les être humains, en théorie, ça augmente l’envie de faire l’amour chez les femmes. Du coup, par rapport aux l’histoires des embryons qui viennent après une certaine portée de garçons, il y a un nouveau garçon qui arrive, Est-ce que ca pourrait plus ou moins détruire les prototesticules et sécréter moins de testostérone, et peut-être plus d’œstrogènes, et que ce soit cela qui féminise ou masculinise le cerveau ?

 

Franck Ramus

C’est une question intéressante, mais malheureusement, je ne suis pas sûr qu’on ait vraiment décortiqué l’effet immunitaire sur le cerveau des fœtus mâles. Est-ce que ca passe via leurs testicules et la production des hormones sexuelles, ou pas, c’est une hypothèse intéressante mais je n’ai pas la réponse.

 

Alan

(rires) Un champ d’étude qui s’ouvre !

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