Les ondes gravitationnelles avec Michele Maggiore

Ce dossier a été enregistré dans l’épisode 257 de podcast Science, retranscription réalisée par Stéphanie, merci à Johan pour la relecture !

Alan : (A) Il y a deux mois, les chercheurs américains de LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) nous annonçaient qu’ils avaient pour la première fois observé des ondes gravitationnelles. Le lendemain, tous les médias en parlaient, il s’agit alors de la “découverte du siècle”. Mais pourtant, comme d’habitude, au bout d’une semaine, l’info est devenue “tiède”, “fade”, “has-been”. Comme à podcast Science, nous n’aimons pas faire du sensationnalisme, un peu plus d’un mois après l’annonce officielle, nous recevons le professeur Michele Maggiore de l’Université de Genève pour répondre à nos questions, dans une longue interview à tête reposée !

Samuel et le Pr. Maggiore
Samuel et le Pr. Maggiore

Rapide tour de table virtuel et physique: Irene (I) depuis Santa Barbara, Nico (N) depuis Paris, Robin (R) depuis Paris aussi, Johan (J) depuis Paris aussi pour une fois, et autour de notre table physique à Lausanne,  notre community manager préféré Samuel (S) à Lausanne, et notre invité le professeur Michele Maggiore (MM), le professeur de physique de Samuel. Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation !

MM : C’est un plaisir.

A : Au sommaire de cette émission : c’est une émission de type interview. Vous n’avez pas trop eu l’occasion d’entendre Samuel sur nos ondes. Pourtant, il fait partie de l’équipe, en tant que Community Manager, il gère les réseaux sociaux, nous ramenant chaque jour de nouveaux auditeurs. Et pour une fois, il nous a ramené un invité de marque et c’est donc lui qui fera la présentation et l’interview de Michel Maggiore ce soir. A toi Sam !

S : Je vais commencer par encore une fois remercier vraiment le professeur Maggiore d’avoir pu venir aujourd’hui, je sais qu’il est beaucoup pris justement à cause de cette découverte des ondes gravitationnelles. Donc pour le présenter rapidement, un vrai spécialiste du domaine, est-ce qu’on peut dire ça professeur ?

MM : Oh c’est un domaine sur lequel je travaille depuis une vingtaine d’années environ.

Gravitational Waves Volume 1: Theory and Experiments Oxford University Press
Gravitational Waves
Volume 1: Theory and Experiments
Oxford University Press

S : Ah oui et notamment vous écrit un livre de cours sur le sujet, c’est vraiment votre spécialisation.

MM : Oui, un livre qui est utilisé par les chercheurs dans ce domaine.

S : D’accord.

MM : Un grand livre de 600 pages, un deuxième volume qui est en train de se terminer.

S : Bousculez-vous pour l’acheter quand il sortira en librairie ! On va commencer tout de suite, et je pense qu’il faudrait d’abord commencer par le commencement, mais que sont les ondes gravitationnelles ?

MM : Alors là il faut peut-être mentionner que c’est une notion qui vient de la relativité générale de Einstein, une des plus belles théorie du XXème siècle [voir également l’épisode 226 avec Jean-Philippe Uzan sur les 100 ans de la relativité générale]. La relativité générale change vraiment notre vision de l’espace et du temps par rapport à la vision newtonienne qui est celle de la physique classique et aussi celle de notre intuition de tous les jours. En particulier dans notre intuition de la vie de tous les jours, l’espace, le temps, sont un cadre immuable, fixe, quelque chose qui est là. C’est là où les choses se passent mais ce n’est pas la chose intéressante en soi. Quand on est à l’école on commence par dessiner des axes cartésiens, et ça c’est une manière de mesurer l’espace. Mais l’espace c’est un contenant un peu vide en soi, ce sont les choses qui se passent dans l’espace et dans le temps qui sont intéressantes. Par contre dans la vision d’Einstein, c’est très différent et assez révolutionnaire. L’espace et le temps deviennent des acteurs, et même parmi les acteurs les plus intéressants. C’est un peu comme si on allait dans un théâtre pour écouter un opéra et à un certain moment ce sont les planches qui se mettent à chanter, et ce n’est pas ce à quoi on s’attend !

A : Je crois que c’est la plus jolie image que j’ai jamais entendu pour parler de l’espace-temps, c’est superbe.

I : Ah oui ça c’est superbe, bravo ! Il n’y a que les italiens qui peuvent nous faire ça je pense. C’est d’un romantisme. [rires]

MM : Donc on se rend compte qu’il y a un acteur insoupçonné, et même que c’est l’acteur, le chanteur le plus intéressant. Comment est-ce possible que l’espace et le temps deviennent quelque chose de vivant, de dynamique ? Évidemment tout ce dont je vais parler a derrière un formalisme mathématique très précis dont on ne va certainement pas parler aujourd’hui.

A : Non effectivement.

MM : Donc il faut parler par analogie. Il y a des analogies, avec toutes les limites que ça a, qui permettent de comprendre ce qui est réellement “gravé dans la pierre” avec des équations, la théorie. Une très bonne analogie pour l’espace et le temps, c’est celle d’un tapis élastique. D’abord en effet l’espace c’est trois dimensions, le temps c’est une quatrième dimension. Pour visualiser sa courbure on aurait besoin d’une cinquième dimension, pour voir comment il s’est déformé, mais on n’a pas cette capacité de visualiser ni en quatre ni encore moins en cinq dimensions. Alors on peut imaginer que l’espace et le temps soient bi-dimensionnels, comme une feuille de papier, et utiliser la troisième dimension pour visualiser sa courbure. On peut imaginer l’espace-temps comme un tapis bi-dimensionnel, et vous prenez une masse, le soleil, et vous la posez sur le tapis et le tapis s’enfonce.

Influence d’une masse (ici, le Soleil) sur l’espace-temps, et donc sur les objets l’entourant (ici la Terre). Source : collaboration Ligo

Cette déformation du tapis c’est une manière de représenter quelque chose de mathématiquement précis qui nous dit que la distance entre les objets change. Si vous imaginez la distance entre deux objets qui sont sur le tapis, quand le tapis est lisse ou quand il est enfoncé, la distance a changé ! Donc l’espace-temps devient quelque chose de dynamique. Vous posez une masse sur le tapis et le tapis s’enfonce, ensuite vous regardez les mouvements des objets sur ce tapis, par exemple les planètes si on pense au soleil. Qu’est-ce qu’elles font les planètes ? Dans la vision newtonienne c’est une vision très “musculaire”, il y a une force, le Soleil, qui exerce une force sur les planètes et les planètes tournent autour du Soleil. Ca fait comme quand il y a une pierre attachée à une ficelle, et il y a vraiment une force qui tire la pierre, c’est une vision vraiment musculaire de la force de gravité dans la physique newtonienne.

Dessin de Puyo
Dessin de Puyo

Par contre dans la vision d’Einstein c’est différent, c’est très élégant. Effectivement, tous les objets dans ce tapis vont en ligne droite, mais c’est la notion de ligne droite qui change. Vous avez enfoncé ce tapis à cause du Soleil et du coup, un objet comme une planète qui se promène dans ce tapis, croit aller en ligne droite mais finalement c’est en ellipse qu’il tourne autour du Soleil. Comme quand on est sur la surface d’une orange ou d’une pomme, si on fait le tour on se retrouve au point de départ. Si on est une petite fourmi sur la surface d’une orange et qu’on bouge une patte après l’autre, on peut croire qu’on va en ligne droite, et c’est seulement après globalement qu’on se rend compte qu’on a fait un tour. Donc dans vision d’Einstein il n’y a pas cette notion de force, mais c’est l’espace-temps qui est déformé et cet espace-temps déformé détermine les mouvements de la matière. Alors ça déjà c’est une vision magnifique, révolutionnaire, qui a plein de conséquences expérimentales qui sont observées, je vais en mentionner simplement une avant d’arriver aux ondes gravitationnelles.

Une des photographies d'Eddigton, pendant l'éclipse du 29 mai 1919, présentée dans son papier de 1920 paper annonçant son succès, confirmant la théorie d'Einstein Source : "A Determination of the Deflection of Light by the Sun's Gravitational Field, from Observations Made at the Total Eclipse of May 29, 1919"
Photographie d’Eddigton, pendant l’éclipse du 29 mai 1919,
Source : “A Determination of the Deflection of Light by the Sun’s Gravitational Field, from Observations Made at the Total Eclipse of May 29, 1919”

Par exemple on peut se demander : que fait la lumière ? Est-elle attirée par la gravitation ou pas ? Dans la physique newtonienne on ne pouvait pas répondre à cette question parce que la physique newtonienne est intrinsèquement non relativiste. Elle est bonne pour les objets qui voyagent à une vitesse faible par rapport à la vitesse de la lumière, pour la lumière elle-même on ne peut pas l’appliquer. Donc c’est une question qui n’a pas de réponse, elle n’est même pas définie. Dans la théorie d’Einstein, la réponse est tout à fait évidente, qu’est-ce qu’elle fait la lumière dans le champ gravitationnel du Soleil ? Elle fait comme tout le monde, elle va en ligne droite, mais c’est la notion de ligne droite qui a changé. Du coup effectivement sa trajectoire est courbée par l’attraction du Soleil d’une manière que la relativité générale peut prédire quantitativement, qu’on a mesurée. Ça c’était la première expérience classique d’Eddington dans les années 20, et qui avait confirmé la relativité générale. Aujourd’hui il y plein de confirmations expérimentales très précises de la relativité générale au niveau de la partie par million (ppm). Donc la relativité générale est une théorie qu’on connait très bien, qui marche parfaitement bien.

On arrive à nos moutons qui sont les ondes gravitationnelles : les ondes gravitationnelles sont les vibrations de ce tapis. Si vous tapez sur ce tapis, vous générez des vibrations, pensez à ce tapis comme un tapis élastique. Vous avez des vibrations qui se propagent et donc ce sont des vibrations de l’espace-temps lui-même. Ici on peut se rendre compte que la notion d’onde a beaucoup changé par rapport à la notion classique.

Nous avons l’habitude de voir des ondes sur l’eau, on jette une pierre et il se forme des ondes dans l’eau. Évidemment dans ces ondes il y a un mouvement de matière, il y a des atomes, des molécules d’eau qui bougent quand l’onde passe. Dans l’électromagnétisme, les ondes électromagnétiques, c’est déjà une notion différente parce qu’il n’y a pas une substance qui bouge. Au XIXème siècle, quand les ondes électromagnétiques avaient été découvertes, les gens avaient d’abord postulé l’existence d’une chose qu’ils appelaient l’éther. Une substance qui devait bouger quand l’onde électromagnétique passait parce qu’on avait l’habitude qu’il y ait quelque chose qui bouge. Ensuite c’est encore la relativité, Einstein, et on a compris que non, il n’y avait rien, elles se propagent dans le vide. Mais ici c’est encore un saut de qualité dans l’abstraction ! Parce que là ce sont vraiment des ondes de l’espace-temps lui-même. C’est au fond la notion de distance entre les corps qui change de manière périodique, qui vibre, avec ces ondes gravitationnelles.

A : De toutes les prédictions qu’Einstein avait faites dans la théorie de la relativité générale c’était la dernière qu’on n’avait pas encore pu tester, c’est ça ?

Le pulsar PSR B1509-58, une étoile à neutrons qui tourne rapidement. Source : Chandra/WISE
Le pulsar PSR B1509-58, une étoile à neutrons qui tourne rapidement.
Source : Chandra/WISE

MM : Tout à fait, mais il faut dire que ce n’est pas une prédiction qu’on a testé maintenant avec cette découverte d’il y a quelques mois, elle avait déjà été testée dans les années 70. Donc du point de vue expérimental on savait déjà que les ondes gravitationnelles étaient belles et bien là. C’est très intéressant de comprendre comment ça a été possible. [Deux astrophysiciens américains, Joseph Hooton Taylor et Russell Hulse] ont découverts en 1974 un pulsar binaire. Alors qu’est-ce que c’est cet objet là ? Il faut dire que les étoiles ont une vie, elles naissent, elles continuent à vivre pendant, disons dix milliards d’années, comme notre Soleil, et après elles meurent. Quand elles terminent le combustible nucléaire, il y a toute une dynamique très compliquée. Un résultat de cette dynamique c’est que l’étoile s’effondre et forme ou bien un trou noir ou bien elle peut se stabiliser juste avant de devenir un trou noir, sous une forme que l’on appelle une étoile à neutrons.

C’est une étoile très petite, imaginez, pour une étoile comme le soleil, si on prenait toute sa masse pour former un trou noir, la taille serait de l’ordre de 3 kilomètres, donc rien ! Enfin quelque chose de l’ordre de quelques kilomètres. L’étoile à neutrons c’est une étoile qui s’est stabilisée contre cet effondrement gravitationnel, juste un peu avant de devenir un trou noir, donc c’est une dizaine de kilomètre de rayon, donc rien ! Imaginez un objet de la masse du soleil [1,9884 x 1030 kg] concentré dans quelques kilomètres ! Parfois il s’avère que les étoiles sont dans des systèmes binaires, en effet environ 30% des étoiles en gros sont dans des systèmes binaires. Une étoile explose et finalement termine sa vie comme étoile à neutrons, le système peut rester lié à une étoile normale, ça peut continuer pendant des milliers d’années. Quand la deuxième étoile arrive à la fin de sa vie, elle explose et elle peut devenir une étoile à neutrons et on peut rester avec un système de deux étoiles à neutrons liées en orbite l’une autour de l’autre. Que font ces objets ? Ils émettent des ondes gravitationnelles parce qu’ils sont accélérés l’un par l’autre, et dans cette situation on a ce tapis qui vibre ! Vous imaginez, ces deux étoiles qui bougent sur ce tapis, elles émettent des ondes gravitationnelles. Elles émettent des ondes gravitationnelles très très faibles et elles perdent de l’énergie à cause de ça, parce que les ondes gravitationnelles ont de l’énergie, pour les émettre il faut perdre de l’énergie, plus elles perdent de l’énergie, plus elles se rapprochent. C’est un processus très long, ça peut durer des centaines de millions d’années, mais plus elles se rapprochent plus elles émettent des ondes gravitationnelles, et plus elles émettent des ondes gravitationnelles, plus elles se rapprochent vite. Donc la dernière partie de ce processus est vraiment explosive et il y a une fusion des objets qui peut former un trou noir ou quelque chose de similaire.

Schéma du pulsar binaire PSR1913+16. Deux étoiles à neutrons orbitent l’une autour de l’autre. Quand les étoiles passent l’une près de l’autre elles émettent des ondes gravitationnelles. Source : nobelprize.org
Schéma du pulsar binaire PSR1913+16. Deux étoiles à neutrons orbitent l’une autour de l’autre. Quand les étoiles passent l’une près de l’autre elles émettent des ondes gravitationnelles.
Source : nobelprize.org

Ce qu’on a vu avec LIGO c’est la phase finale de ce processus pour un système de trous noirs. Le système où l’on avait déjà détecté les ondes gravitationnelles c’était un système de deux étoiles à neutrons qui émet des ondes gravitationnelles. On peut calculer qu’elles vont se réunir dans 85 millions d’années, donc ce n’est pas pour tout de suite !

A : On a le temps de se préparer [rires]

S : C’est ça.

Animation représentant le signal envoyé par un pulsar. Image Credit: Michael Kramer (University of Manchester)
Animation représentant le signal envoyé par un pulsar. Crédit: Michael Kramer (University of Manchester)

MM : Elles perdent un tout petit peu d’énergie et elles se rapprochent un tout petit peu. Ce qui est absolument fascinant c’est qu’on peut mesurer le rapprochement de deux étoiles. Plus précisément le changement de la période orbitale, du temps qu’elles mettent à faire un tour l’une autour de l’autre. Comment est-ce possible de mesurer cela dans un système qui est à des centaines de milliers d’années-lumières ? C’est parce que ces étoiles à neutrons émettent parfois un signal dans notre direction, on les appelle pulsar dans ce cas. Un signal électromagnétique qui nous arrive avec une série de clic-clic-clic. Parce que c’est un faisceau qui parfois arrive dans notre direction, ça fait comme un phare

Donc c’est un signal très régulier qui arrive de ce pulsar, du système binaire [PSR B1913+16] toutes les 59 millisecondes. Toutes les 59 millisecondes, on a un clic. C’est un peu comme une montre, mais c’est une montre d’une précision incroyable, parce que c’est très difficile de la perturber. Imaginez un objet qui pèse une masse solaire, qui est concentré dans 10 kilomètres, c’est très difficile de perturber la régularité de ce signal. En effet certains pulsars ont une régularité qui est tout à fait comparable à celles des horloges atomiques, donc la plus grande précision avec laquelle on est capable de mesurer le temps. On a donc ces clics très précis, mais il y a de petits effets qui permettent de voir que ce n’est pas exactement régulier parce qu’on a ce système binaire, ces deux étoiles à neutrons qui tournent l’une autour de l’autre. L’une c’est un pulsar, l’autre c’est probablement une étoile à neutrons mais qu’on ne voit pas comme le pulsar, mais il y a toute une série de modulations de ce signal. Vous imaginez, quand le pulsar est du côté de l’orbite le plus éloigné de nous, il émet ce signal, qui prend un peu plus de temps pour arriver vers nous, parce qu’il doit traverser la taille de l’orbite. Quand le pulsar est plus proche de nous, ça met un peu moins de temps. Également, quand le pulsar est de l’autre côté par rapport à nous, le signal doit s’enfoncer dans le tapis et remonter, donc il y a un tout petit retard. Ce sont tous des effets prédits et calculés par la relativité générale, qui nous permettent d’utiliser cette toute petite déviation dans leur régularité parfaite, pour comprendre comment est leur orbite et tous les détails de ce système. Vous imaginez qu’on a un signal toutes les 59 millisecondes, on a monitoré ce système pendant 20-30 ans, donc on a une précision incroyable sur les paramètres de ce système. Je peux vous donner un chiffre, c’est la période orbitale, le temps que le système prend pour tourner. La période orbitale de la terre autour du soleil est d’un an évidemment. Là c’est 0,3 jour, c’est 8 heures, je vais vous donner le nombre avec tous les chiffres qui ont été mesurés, pas parce qu’ils sont intéressants en eux-mêmes, mais parce que c’est intéressant de comprendre avec quelle précision on est capable de les mesurer. La période orbitale de ce système en jour est : 0.322997448930, avec une erreur de 4 sur le dernier chiffre.

A : C’est précis !

MM : Quelque chose de mesuré avec une douzaine de décimales c’est impressionnant ! On arrive à faire cela justement parce qu’avec un signal toutes les 59 ms sur 24 ans, vous arrivez à détecter toutes les petites émissions.

I : Mais c’est incroyable non ? C’est fou cette précision !

MM : C’est parmi les mesures les plus précises de la physique, c’est assez fascinant ! On peut mesurer avec cette précision et on peut calculer avec cette même précision. Parce qu’il y a plein d’effets dont il faut tenir compte pour calculer à ce niveau de précision. On peut aussi mesurer les masses de ces systèmes, et là aussi on a une précision incroyable, on sait que la masse du pulsar est 1.4414 masse solaire. C’est la masse connue avec la plus grande précision pour un objet en dehors du système solaire. Donc on connait tout de ce système.

A : D’accord. Je pense qu’on vous fera revenir sur les pulsars une fois.

I : Oui oui oui ! C’est un bon sujet effectivement.

MM : C’est passionnant.

I : Surtout que vous venez de dire que vous connaissez tout sur ces systèmes alors là j’avoue que je suis assez pantoise, donc je veux tout entendre !

Dégénérescence orbitale de PSR B1913+16. Les points indiquent les changements observés au cours du temps du périastre de l’orbitre. La ligne continue représente les prédictions de la théorie de la relativité générale. Source : J. M. Weisberg and J. H. Taylor, Relativistic Binary Pulsar B1913+16: Thirty Years of Observations and Analysis (2004)
Dégénérescence orbitale de PSR B1913+16. Les points indiquent les changements observés au cours du temps du périastre de l’orbitre. La ligne continue représente les prédictions de la théorie de la relativité générale.
Source : J. M. Weisberg and J. H. Taylor (2004)

MM : Juste pour conclure sur cet aspect-là, on peut calculer la variation de la période orbitale due à l’émission d’ondes gravitationnelles prédites par la relativité générale. On peut mesurer cette variation de la période orbitale donc on a mesuré et calculé ces choses, et elles sont en accord parfait avec la théorie avec encore une fois une précision à 5 ou 6 décimales. Donc on avait une preuve de l’existence des ondes gravitationnelles, la période orbitale change par émission d’ondes gravitationnelles, on ne détectait pas les ondes gravitationnelles elles-mêmes, mais le changement de la période orbitale, avec une très grande précision et en accord magnifique avec la prédiction de la relativité générale. Donc dans un sens on savait déjà qu’il y avait des ondes gravitationnelles, pour ces expériences Hulse et Taylor ont reçu le prix Nobel en 1993 donc il y a même le “tampon du prix Nobel” [rires].  On savait déjà expérimentalement que les ondes gravitationnelles existaient.

A : D’accord. Je me rends compte que je prends mes vieilles habitudes de dictateur mais c’est notre ami Sam qui va conduire l’interview. J’arrête d’interférer, Sam on t’écoute.

S : Donc vraiment la grande différence entre la découverte de LIGO et celle d’Hulse et Taylor, c’est vraiment le fait que LIGO c’est une observation directe c’est ça ?

MM : Tout à fait, il y a ce système de trous noirs qui est entré en fusion, c’est la phase finale, quelque chose d’explosif ! On reviendra sur à quel point ce fut explosif… Ca a émis une quantité énorme d’ondes gravitationnelles, même si c’était à une distance gigantesque, elles sont arrivées chez nous et elles ont en quelque sorte fait “vibrer” la distance entre les miroirs de LIGO. Donc c’est une détection directement, mais on peut se dire : bon et alors ? On savait déjà qu’elles existaient, c’est quoi la grande différence ? La vraie différence c’est que maintenant on peut commencer à utiliser les ondes gravitationnelles pour faire de l’astronomie, peut-être même de la cosmologie. On les utilisera pour explorer l’univers, parce qu’on a un nouveau télescope en quelque sorte.

L’astronomie classique se faisait avec la lumière visible, avec la lumière visible on voit un univers qui a un aspect, on peut dire assez tranquille. Il y a les planètes qui tournent autour des étoiles, c’est une vision de l’univers très tranquille. Après on a ouvert de nouvelles fenêtres, on a commencé à explorer l’univers avec des longueurs d’ondes différentes. toujours dans le spectre électromagnétique. Par exemple, les rayons X, les rayons gamma, ou de l’autre côté du spectre, l’infra-rouge. Chaque fois on découvre des choses différentes, on voit un univers différent.

Galaxie du Tourbillon vue par des télescopes utilisant différentes longueurs d’onde. Source : NASA
Galaxie du Tourbillon vue par des télescopes utilisant différentes longueurs d’onde.
Source : NASA, ESA, STScI/AURA, UMass/IPAC-Caltech

Quand on a commencé à explorer l’univers avec les rayons X, on a découvert un univers violent, avec des trous noirs, des trous noirs super massifs, des sources de rayons gammas, des choses invisibles à la lumière normale, dans l’optique comme on dit, à la lumière visible. Mais visible, dans le sens plus général, avec des longueurs d’onde différentes, dans les micro-ondes on a découvert la radiation de fond qui est quelque chose qui nous vient du big bang donc ce sont des informations encore totalement différentes. Chaque fois qu’on a utilisé de nouvelles fréquences dans le spectre électromagnétique, on littéralement ouvert une nouvelle fenêtre sur l’univers. Du coup ici c’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre avec les ondes gravitationnelles qui promet d’être encore plus différente de tout ce que l’on connait. Par exemple, on a vu en ondes gravitationnelles cet événement absolument cataclysmique.

On va revenir sur la quantité d’énergie qui a été émise, et qu’on ne voit pas en lumière visible ! Pour vous donner une idée de combien d’énergie a été émise dans cet événement. Pour vous dire, l’événement vu par LIGO c’était deux trous noirs d’environ 30 masses solaires chacun, qui sont entrés en coalescence, donc finalement ils ont fusionnés en un trou noir plus grand d’une soixantaine de masses solaires.

Dans le processus ils ont libéré une énergie qui correspond à 3 masses solaires, ça veut dire, avec la formule d’Einstein, le fameux E=mc², à une masse est associée une énergie. C’est une énergie énorme, vous pensez que le mc² associé à l’énergie libérée par des noyaux, c’est l’énergie nucléaire qu’on connait. Là il y a une masse comme la masse du Soleil, multipliée par la vitesse de la lumière au carré, donc c’est une énergie immense, parce que là ce sont 3 masses solaires qui se sont vaporisées en ondes gravitationnelles en quelques millisecondes. En moins de 10 millisecondes il y eu l’équivalent de l’énergie de 3 soleils qui se s’est vaporisée en ondes gravitationnelles. Vous imaginez bien que c’est un événement incroyable, inimaginable, les astrophysiciens, les physiciens, parlent de luminosité, c’est l’énergie qu’on émet par unité de temps. Alors là, c’était environ 200 masses solaires par seconde ! Bon ça n’a pas duré une seconde parce qu’il n’y avait pas 200 masses solaires. Mais c’est comme si on générait de l’énergie à un rythme de 200 soleils par seconde. Cette luminosité, donc l’énergie par unité de temps, était à ce moment-là deux fois plus grande que toute l’énergie émise par toutes les étoiles et toutes les galaxies de l’univers observable.

S : C’est fou !

MM : C’est quelque chose qui laisse tout le monde sans voix.

A : C’est ça.

I : Pantois !

A : C’est ça on est tous pantois là.

MM : Vous imaginez qu’un événement comme ça on ne le voit pas dans les ondes électromagnétiques, il n’y a rien. Donc c’est vraiment une nouvelle fenêtre incroyable qui s’ouvre.

S : Mais du coup, justement, puisqu’on a cette incroyable énergie qui est envoyée en ondes gravitationnelles, mais qu’est-ce qu’il va se passer quand une onde va taper un objet, qu’est-ce qu’il va arriver à cet objet ?

MM : En effet toute la difficulté de la détection des ondes gravitationnelles, c’est que la force gravitationnelle est très très faible. Pas pour nous, sur la terre ça semble être quelque chose d’important parce qu’il y a la masse très grande de la terre qui nous attire. Mais si vous allez mesurer la force gravitationnelle entre deux particules élémentaires, des protons, des atomes, c’est le facteur plus petit que la force électromagnétique d’un facteur dont je ne me rappelle même plus parce que c’est tellement de zéros, 10 ou peut-être 20 ou 30 zéros et puis un 1 [entre deux protons d’un noyau l’interaction gravitationnelle vaut 10-34 N alors que la force électromagnétique vaut 10N. Donc le chiffre que cherchait M. Maggiore durant l’interview était en fait de 36 zéros et puis un 1]. C’est très petit, mais ça devient important sur une échelle astronomique tout simplement parce que la force gravitationnelle est quelque chose qui va s’additionner, dans le sens où chaque petit bout de matière exerce une force qui va s’additionner avec la force des autres petits bouts de matière. Par contre, la force électrique a des charges positives et négatives qui vont se neutraliser. Donc dans le monde de la physique des particules par exemple, la force gravitationnelle n’a aucun rôle, c’est trop petit. Mais dans l’univers, sur de très grandes échelles, l’échelle cosmologique par exemple, c’est la force la plus grande, la plus importante. Parce que s’il y a tous ces effets cumulatifs de la force de toutes les étoiles de notre galaxie, etc.. Alors quand une onde gravitationnelle arrive sur les miroirs de ces interféromètres, on reviendra peut-être sur ce qu’est un interféromètre…

S : Oui oui, juste après.

half_neutrino_detect
Un détecteur de neutrino (détails)

MM : L’onde fait vibrer les miroirs, mais d’une façon ridicule, environ un millième de la taille d’un proton, même pas d’un atome, d’un proton. Donc c’est un effet infime, c’était là toute la difficulté de la détection. Pour revenir à la question de Sam, que fait une onde qui passe par exemple à travers notre corps ? Rien du tout, on ne sent rien. De même les neutrinos qui sont des particules qui passent à travers notre corps tout le temps sans aucune interaction [voir également le blog audio “l’épopée des neutrinos”]. Les neutrinos ont ce que l’on appelle une interaction faible qui est quand même beaucoup plus forte que l’interaction gravitationnelle. Les neutrinos passent à travers la terre sans aucune déviation, sans aucune interaction typiquement. Alors ça c’est la grande difficulté des expériences qui essaient de détecter les neutrinos, il en faut un grand flux pour espérer en détecter un parfois ! Pour les ondes gravitationnelles, c’est encore plus difficile, il faut des événements titanesques, et même comme ça leur effet est infime.

S : D’accord. On peut commencer à essayer d’expliquer un peu ce qu’est un interféromètre. Parce que du coup c’est vraiment ce dispositif qui a permis de détecter les ondes gravitationnelles dans le cas de LIGO.

Barre résonante de Weber. Crédit : Volker Steger/Science Photo Library
Barre de Weber.
Crédit : Volker Steger Science Photo Library

MM : Oui alors… Comment a-t-on fait pour les détecter ? Il y a une longue histoire, il faut dire que cette découverte est vraiment l’aboutissement de près de 50 ans de développement technique, expérimental et théorique aussi. On avait commencé dans les années 60 avec des objets qu’on appelait des barres résonantes ce sont typiquement de gros cylindres d’aluminium avec une fréquence typique de résonance. Chaque objet a des fréquence typiques de résonance quand vous le touchez, comme une clochette qui émet un son spécifique. Si la fréquence était celle de l’onde gravitationnelle, on espérait avoir une vibration que l’on pouvait détecter. Ca c’était de petites expériences, c’était un professeur avec ses deux assistants qui essayaient au début de faire une expérience ! Désormais les expériences comme LIGO et les interféromètres, ce sont des groupes de 2-3000 personnes.

Venons en à l’interféromètre, c’est un laser très puissant qui arrive sur un miroir, le faisceau du laser est divisé en deux parties, il prend deux chemins différents. Au bout de chaque chemin il y a un autre miroir, qui renvoie la lumière, et il y a une interférence. Si on change un peu la distance que la lumière va parcourir, c’est le bras de l’interféromètre, la manière dont la lumière se recombine qui change après ces aller-retours. C’est une manière très sensible de mesurer des distances en physique. D’ailleurs on parlait de l’éther tout à l’heure, la première expérience, il y a plus d’un siècle, qui avait montré que l’éther n’existait pas, c’est l’expérience de Michelson-Morley avec un interféromètre.

Schéma de base d'un détecteur interférométrique d'ondes gravitationnelles comme LIGO. Source : Science news
Schéma de base d’un détecteur interférométrique d’ondes gravitationnelles comme LIGO.
Source : Science news

L’idée, c’est de recombiner ces faisceaux de lumière, les bras de l’interféromètre sont à 90°, et quand l’onde gravitationnelle arrive, un bras de l’interféromètre devient un peu plus petit, l’autre un peu plus grand. La différence de chemin de la lumière qui a pris une direction par rapport à la lumière qui a pris l’autre direction, on arrive en principe à la mesurer avec une très grande précision. Mais comme je le disais tout à l’heure, qu’est-ce que le déplacement de ces miroirs ? Quand vous pensez que la taille d’un atome c’est 10-8 cm, on l’appelle l’angström, la taille d’un noyau atomique, beaucoup plus petite, c’est 10-13 cm, ça veut dire 10.000 fois plus petit qu’un atome, ça c’est donc un noyau. Le déplacement de ces miroirs et 1000 fois plus petit que la taille d’un noyau ! C’est ridicule ! On peut se dire, mais c’est impossible, comment est-ce qu’on peut mesurer ce déplacement d’un miroir.

Vue aérienne du site de l'expérience Virgo Source : The Virgo collaboration
Vue aérienne du site de l’expérience Virgo
Source : The Virgo collaboration

Vous imaginez, ces deux miroirs qui forment les bras de l’interféromètre sont à une distance de 4 kilomètres ! Ils sont dans un tube vide où il y a ce laser qui fait des aller-retours parmi les miroirs.On veut mesurer un déplacement 1000 fois plus petit que la taille d’un noyau atomique, sur 4 kilomètres, on se dirait que c’est impossible. De plus on peut se dire : mais la surface du miroir n’est même pas définie à ce niveau de précision, qu’est-ce que ça veut dire ? Alors là il y a toute une série de choses, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais deux choses sont intéressantes pour comprendre au moins conceptuellement comment c’est possible. Premièrement, c’est bien défini parce que le faisceau laser, c’est un énorme faisceau laser ! Il a un diamètre de 12 centimètres, ce n’est pas le laser d’un pointeur. [rires]

A : D’accord. Ce n’est pas pour jouer avec le chat !

MM : Donc 12 centimètres, il va y avoir une moyenne sur toute la surface du miroir. En moyenne, sans toutes les petites irrégularités, chaque atome en lui-même bouge plus que ça, mais évidemment tous ces mouvements se font au hasard et en moyenne cela revient à zéro. Par contre, s’il y a un mouvement global, il peut ressortir du miroir par rapport à tous ces mouvements faits au hasard, donc ces déplacements sont bien définis. L’autre chose c’est que l’on ne mesure pas vraiment les mouvements du miroir dans le temps, parce que ça c’est impossible effectivement. Ce que l’on fait, c’est qu’on regarde en fréquence, c’est comme pour la radio, on pourrait décomposer un signal électronique en ses différentes fréquences. Il y a des composantes du mouvement qui bougent très lentement, des composantes qui bougent très vite. Pour les personnes un peu plus techniques, on peut dire que c’est une transformée de Fourier, ça veut dire que l’on transforme l’évolution du signal dans le temps en un signal dans l’espace des fréquences [Voir également le dossier sur la transformée de Fourier]. On regarde seulement certaines fréquences, ce qui n’est pas quelque chose de très spécial, quand vous êtes dans une voiture et que vous cherchez une station radio, évidemment vous cherchez la bonne fréquence pour ce signal, si vous mettez au hasard vous n’avez que du bruit. Donc on cherche seulement des fréquences très précises. Si vous êtes à des petites fréquences, une dizaine de hertz (Hz),  ça veut dire une fréquence de dix fois par seconde, toutes les choses qui vibrent, vibrent avec cette fréquence, ce sont des bruits avec lesquels il est impossible de gagner. Mais si vous avez des fréquences comme les kilohertz, il n’y a pas beaucoup de choses qui font vibrer votre miroir à une fréquence de mille vibrations par seconde.

Les miroirs de VIRGO Crédit : Virgo collaboration/LMA/L. Pinard
Les miroirs de Virgo
Crédit : Virgo collaboration/LMA/L. Pinard

Un miroir qui est quand même un objet de 40 kilos. Donc, la plupart des bruits sont éliminés à cette fréquence, par exemple les bruits du poids lourds qui passe à un kilomètre de distance, à la fréquence de quelques hertz c’est énorme, c’est beaucoup plus grand que le signal attendu pour l’onde gravitationnelle. Mais ce n’est pas un signal que vous retrouvez aux kilohertz. Donc ça ce sont peut-être des aspects un peu techniques mais importants pour comprendre au moins que ce déplacement est bien défini parce que c’est un déplacement global de tout le miroir et qu’on le regarde dans des fréquences très spéciales où on a des chances de vaincre le bruit. Ca reste encore très difficile mais au moins on a de l’espoir.

Pour vous raconter quelques prouesses techniques qu’on fait pour vaincre ces bruits, par exemple les bruits sismiques, ce sont de très grandes vibrations, on fait une atténuation des bruits sismiques d’un facteur 10 milliards ! On les appelle super atténuateurs, ils sont absolument extraordinaires. Mais même comme ça ce n’est pas possible de voir des signaux à basses fréquences, 10 Hz, mais au kilohertz oui. Les lasers, je disais qu’il y a un faisceau laser qui fait des aller-retours et je disais que ce ne sont pas les lasers comme ceux que nous avons dans les pointeurs. Vous imaginez qu’il y a 750 kW de lumière laser qui circule dans ces interféromètres. Ca commence avec un laser déjà très puissant de 200 W, c’est déjà un bon laser, mais après on injecte cette lumière laser dans l’interféromètre et la puissance monte jusqu’au moment où vous avez 750 kW de puissance laser qui circule, c’est une chose incroyable. Vous imaginez notamment à quel point ces miroirs se réchauffent, pensez à toute la technologie pour ces miroirs…

A : Les refroidir ?

MM : Ils ne sont pas encore refroidis, ça c’est la prochaine génération d’expériences ! Il y a des coatings, comment est-ce qu’on dirait en français…

A : Des revêtements ?

MM : Oui des revêtements, il y a eu une recherche très importante dans cette direction notamment. Par exemple ces miroirs sont polis jusqu’à une précision de 10 part par million, ce qui veut dire que les irrégularités de ces miroirs font 0,1 nm. C’est plus ou moins la taille d’un atome. Ce sont des miroirs de 40 kilos qui font 30-40 centimètres.

A : D’accord, quel genre de papier de verre est-ce qu’on utilise pour polir à la taille d’un atome ?

MM : Aaah je ne sais pas, mais j’ai une belle photo, je ne sais pas si tu peux la montrer, où on voit un de ces miroirs…

Miroir de LIGO Crédit : Caltech/MIT/LIGO Lab
Miroir de LIGO (Crédit : Caltech/MIT/LIGO Lab)

A : Est-ce que je l’ai ? On va essayer !

MM : Evidemment ce sont des prouesses techniques incroyables d’un point de vue technologique, ça fait des dizaines et des dizaines d’années qu’on travaille sur ces expériences, en en améliorant au fur et à mesure tous les aspects.

S : Oui d’ailleurs c’est advanced LIGO qui a permis la découverte.

MM : Oui tout à fait, il y a eu la première génération d’interféromètre, initial LIGO et initial Virgo (à Pise en Italie), donc pendant la phase initiale, ils ont pris des données pendant quelques années. Ils alternaient des périodes de prise de données et des périodes d’amélioration des instruments comme on fait toujours dans ce genre de situation. Ensuite ils ont vraiment fermé l’interféromètre initial pour faire des changements plus importants avec tout ce qu’ils avaient appris pour manier ces interféromètres. Ils ont fait advanced LIGO (advanced Virgo est encore en construction) et ils ont commencé à reprendre des données. Pour comprendre à quel point c’est important de faire ces améliorations, il faut savoir que l’amplitude de l’onde gravitationnelle, son intensité, est inversement proportionnelle à la distance. Plus l’objet, plus la source est distante, plus le signal est petit, c’est 1 sur la distance. Si vous améliorez d’un facteur dix votre sensibilité à l’onde gravitationnelle, ça veut dire que vous êtes capable d’explorer des distances dix fois plus grandes. Donc en volume, mille fois plus grand [car le volume d’une sphère dépend du rayon à la puissance 3], donc vous avez mille fois plus de sources potentielles, donc c’est ce saut d’initial LIGO à advanced LIGO qui a fait la différence.

S : Je trouve que c’est aussi quelque chose qui est assez fou parce que c’est justement après une remise en route qu’il y a eu la découverte, c’était vraiment dans les premières semaines je crois.

MM : En effet, c’est même avant la mise en route, ça c’est intéressant parce qu’ils avaient décidé de commencer le run, la prise de données, d’advanced LIGO, le 20 septembre 2015 je crois. Ils étaient en train de faire des tests mais disons que tout était prêt déjà quelques jours avant, donc autour du 10-12 je crois, quelque chose comme ça, tout était prêt. Ils étaient en train de faire ces “engineering-runs” comme on les appelle, ces runs où l’on essaie de vérifier que tout marche bien. Mais tout était prêt, les détecteurs étaient à ce moment là en mode d’observation et ils prenaient des données même si officiellement le début du run était programmé pour le 20 septembre. Le 15 septembre le signal est arrivé !

A : C’est génial cette histoire, j’adore ! C’est fou, on ne sait même pas combien de millions d’années il aurait fallu attendre si on l’avait démarré trois jours trop tard ?

MM : Non, là je pense que ceci montre qu’on est désormais à la bonne sensibilité pour voir des signaux comme cela de manière assez régulière.

A : D’accord, parce que ça arrive souvent ?

MM : Pour l’instant on n’a qu’un signal…

A : Oui c’est ça !

MM : Mais je ne sais pas ce qu’ils ont encore les gens de LIGO, parce que LIGO a pris des données pendant quatre mois, de septembre à fin janvier. Ils savaient tout de suite ce qu’ils avaient, ce signal était tellement extraordinaire, tellement fort, qu’ils ont tout de suite compris que c’était quelque chose d’important.

Ils ont commencé par analyser une vingtaine de jours de données autour de ce signal, ce qui était le minimum nécessaire pour obtenir un résultat significatif du point de vue statistique. Je ne vais rentrer dans ces détails qui seraient un peu techniques. Mais ils ont encore plein de données à analyser, ils ont donné le résultat de l’analyse de vingt jours de prise de données, mais ils ont quatre mois de prise de données donc je ne sais pas ce qu’il y a encore. Je crois que prochainement ils vont communiquer toutes les données qu’ils ont prises. Si le taux est d’un événement tous les vingt jours comme ça semble être le cas avec cette détection [rires], peut-être qu’il y aura encore autre chose, je n’en n’ai aucune idée. Mais sinon ils continueront à prendre d’autres données et à améliorer le détecteur. Ils ne sont pas encore au niveau de sensibilité finale de advanced LIGO, au niveau de sensibilité finale ils verront beaucoup plus d’événements qu’aujourd’hui. Donc l’espoir c’est vraiment de voir beaucoup d’événements mais aussi de les voir très bien ! Je veux dire, les physiciens utilisent l’expression rapport signal sur bruit dans ce sens, de combien votre signal est plus grand que le bruit. Parce qu’évidemment il y a tous ces bruits avec lesquels il faut se battre, si un signal est juste sur le seuil du bruit c’est difficile d’être sûr que c’est quelque chose de vrai. Même si c’est grand mais pas trop, c’est difficile ensuite de comprendre toutes les caractéristiques du signal. Dans ce cas, le rapport signal sur bruit pour l’événement qu’ils ont détecté était de 24, ça veut dire, c’est un peu technique d’expliquer mieux, mais ça veut dire 24 fois plus grand que le bruit typique du détecteur.

le signal de l'événement tel que mesuré par LIGO Hanford et LIGO Livingston. Source : Observation of Gravitational Waves from a Binary Black Hole Merger. B. P. Abbott et al. (2016)
le signal de l’événement tel que mesuré par LIGO Hanford et LIGO Livingston.
Source : Observation of Gravitational Waves from a Binary Black Hole Merger. B. P. Abbott et al. (2016)

S : Donc il n’y avait aucun doute.

MM : Il n’y avait aucun doute. Pour dire les choses de manière plus précise, c’est quand même important, ils sont capables d’estimer le bruit dans les détecteurs parce qu’ils en ont deux et ils font des coïncidences, on doit voir le même signal dans un détecteur et dans l’autre. Ils peuvent estimer combien de coïncidences on a par hasard, tout simplement à cause du bruit. C’est fait d’une manière très simple, on prend les données d’un détecteur, celles de l’autre, on les met en coïncidence avec un décalage temporel qui fait que ce sont uniquement des coïncidences fictives, c’est toujours du bruit. Vous savez que la lumière met quelques dizaines de millisecondes pour aller d’un détecteur à l’autre, si vous faites un décalage artificiel des données d’un détecteur par rapport à l’autre d’une seconde, toutes les coïncidences que vous trouvez sont dues au bruit, elles sont là par hasard, il n’y a rien de vrai. Vous pouvez faire ça pour un décalage d’une seconde, après vous pouvez faire la même chose avec un décalage de deux secondes, trois secondes,… vous accumulez une quantité énorme de “temps équivalent” de bruit. De cette manière, avec 16 jours de données en coïncidence ils ont l’équivalent de deux cent mille années de bruit ! Parce que vous prenez 16 jours que vous décalez par 16 jours divisé par 0,1 seconde, donc ça vous fait deux cent mille années. En deux cent mille années de bruit, il n’y a même pas un événement avec un rapport signal/bruit aussi grand que celui qu’on a  vu.

S : Donc ça souligne encore une fois vraiment toute l’énergie qui est envoyée.

MM : Oui l’énergie énorme, évidemment quand elle arrive sur terre, l’énergie est très petite. Cet événement s’est passé à une distance de 600 méga parsecs [méga veut dire million], des milliards d’années lumières en gros, donc ce signal est devenu très petit ! La distance est vraiment cosmologique, ce n’est évidemment pas dans notre galaxie ni même dans les galaxies les  plus proches de nous. Pour donner une idée des échelles typiques des distances, peut-être que ça c’est intéressant pour comprendre la signification de cet événement [voir également le dossier de Johan sur la cosmographie]. La distance typique entre des étoiles, les astronomes l’appellent le parsec, c’est environ 3 années lumières, la lumière prend 3 ans à faire ce parcours. La taille typique d’une galaxie c’est une dizaine de kiloparsecs, c’est mille parsecs, on a déjà fait un bond d’un facteur mille. La distance typique entre les galaxies c’est le mégaparsec, des millions de parsecs, cet événement là vient d’une distance d’environ 400 mégaparsecs, donc 400 millions de parsecs, c’est une distance immense.

S : Le fait aussi qu’on imagine qu’on peut vraiment avoir un grand nombre de détection d’ondes gravitationnelles ça veut quand même dire que dans l’espace il y a un nombre incroyable de ces systèmes binaires de deux étoiles ou de deux trous noirs qui se tournent autour et qui collisionnent. C’est quand même fou.

MM : Oui effectivement, disons que les événements en soi sont très rares, par exemple dans notre galaxie, on peut estimer que des événements comme cela il va y en avoir un ou deux dans l’histoire de la galaxie, en des milliards d’années. C’est justement la raison pour laquelle il faut des détecteurs très sensibles qui soient capables d’explorer des distances très lointaines. Parce que comme ça on a des millions voir des milliards de galaxies, et donc même un événement qui se passe une fois chaque milliard d’années dans une galaxie, si vous avez accès à des milliards de galaxies, vous avez une chance de le trouver dans un temps de vie humaine ou dans un laps de temps de quelques années disons. Mais c’est vrai que maintenant l’espoir c’est d’avoir peut-être des centaines d’événements par an, surtout quand on sera à la sensibilité maximale.

A : Ah oui carrément ? D’accord.

MM : Oui parce que justement il y a cet effet que même de petites améliorations dans la sensibilité comptent beaucoup, un facteur 2 d’amélioration sur le détecteur d’ondes gravitationnelles c’est un facteur 2 sur la distance, un facteur 8 sur le volume qu’on explore, donc sur le nombre de sources. Ce sera très intéressant de voir ce que LIGO sortira comme données à la fin de ce run, on aura une idée plus précise du taux de ces événements. Mais on peut espérer que quand on sera à la sensibilité définitive de advanced LIGO qu’on espère avoir d’ici 2 ans, on aura des dizaines, peut-être des centaines d’événements par an, ce serait formidable !

S : Ah oui ce sera vraiment bien ! Et donc avec tous ces événements, qu’est-ce qu’on va pouvoir déduire, qu’est-ce que ça va nous apporter vraiment, qu’est-ce que cette nouvelle branche de l’astronomie, l’astronomie gravitationnelle pourrait nous permettre de découvrir, nous permettre de voir ?

MM : Comme je le disais c’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre sur l’univers. Donc il y a plein de choses qu’on peut espérer comprendre, peut-être que la plus intéressante ce sera qu’on trouvera des choses qu’on n’a même pas imaginées ! C’est toujours comme ça quand on ouvre une fenêtre…

A : Mais c’est ça oui ! Absolument ! On ne sait pas forcément ce qu’on va trouver ou ce qu’on pourra en faire, ça arrive tout le temps en sciences.

MM : Absolument, c’est ce qu’il s’est passé à chaque fois quand on a ouvert une nouvelle fenêtre en astronomie, avec les rayons gamma, les rayons X, etc..

A : On s’est retrouvé avec le wifi.

MM : Mais c’est clair qu’il y a plein de choses qu’on s’attend à comprendre ! Déjà ce qu’on a pu comprendre avec cette découverte : par exemple on a détecté pour la première fois un système binaire de deux trous noirs, c’est la première fois. On connaissait des systèmes binaires de deux étoiles à neutrons comme je le disais au début de l’émission, on en connait une demi-douzaine en gros. Il y a ce système de Hulse-Taylor qui leur a valu le prix Nobel, il y en a d’autres qui sont connus. On savait que deux étoiles à neutrons pouvaient exister dans des systèmes binaires.

Représentation d'artiste d'un système binaire d'étoiles à neutrons. Crédit : NASA
Représentation d’artiste d’un système binaire d’étoiles à neutrons. Crédit : NASA

C’est la première fois qu’on trouve un système binaire de deux trous noirs, ça c’est aussi intéressant pour les astrophysiciens d’ailleurs, parce que ça nous dit quelque chose sur l’évolution stellaire. Il y avait des théories qui disaient que peut-être qu’on n’allait pas trouver des systèmes binaires de deux trous noirs. Parce que avant qu’il ne se forme deux trous noirs dans un système binaire, une étoile a dû exploser avant de devenir un trou noir, avant d’exploser une étoile devient très grande, une géante rouge, et finalement le trou noir va bouger dans tout le gaz de l’autre étoile quand cette étoile devient très grande, donc il se peut qu’à cause de la friction, elle tombe sur l’autre étoile avant d’avoir eu le temps d’exploser et de devenir un trou noir. Donc il y avait des théories en astrophysique qui disait que peut-être qu’on ne devrait pas voir ce genre d’objets, le taux était beaucoup plus bas à cause de cette phase qu’on appelle  common envelope evolution (évolution à enveloppe commune). Mais non, ces systèmes sont bel et bien là, à un taux observable. C’est également la première fois qu’on observe des trous noirs aussi lourds, d’une trentaine de masses solaires. Il y a deux types de trous noirs qu’on connait, il y a les trous noirs supermassifs, des millions voir des milliards de masses solaires, on sait maintenant qu’ils sont au centre de toutes les galaxies, ils ont une histoire totalement différente des trous noirs stellaires. Bon tout n’est pas entièrement compris mais probablement que les galaxies vont fusionner les unes avec les autres, lors des collisions, de la fusion, les trous noirs centraux vont également fusionner, dans quelques millions d’années, et vont former un trou noir plus grand et au fur et à mesure il se forme des trous noirs de millions voir de milliards de masses solaires. Même dans notre galaxie il y a un trou noir de deux millions de masses solaires au centre. Mais pour les trous noirs stellaires de masse de quelques masses solaires, pas des millions des milliards…

A : Des petits trous noirs quoi. [rires]

MM : Non normaux disons ! Bon on en connaissait une vingtaine, tous avec des systèmes binaires d’une étoile qui tourne autour d’un trou noir, le gaz de l’étoile est attiré par le trou noir, quand le gaz tombe dans le trou noir il émet beaucoup de rayons X, on voyait ces rayons X, on les appelait X-ray binairies, binaires à rayons X.

Image d'artiste d'un trou noir et de son compagnon orbitant autour de lui. Crédit : ESA, NASA, et Felix Mirabel
Image d’artiste d’un trou noir et de son étoile compagnon orbitant autour de lui.
Crédit : ESA, NASA, et Felix Mirabel

De cette manière, on connait une vingtaine de systèmes binaires avec un trou noir et une étoile et on pouvait plus moins mesurer leurs masses, c’est typiquement entre 5 et 10 masses solaires. Quelques trous noirs jusqu’à 20 masses solaires mais justement les plus lourds étaient ceux dont la masse n’était pas bien mesurée. C’est la première fois qu’on détecte des trous noirs de 30 masses solaires, on en a vu deux, et on était même là quand s’est formé ce trou noir de 60 masses solaires qui est l’état final de cette collision. Donc on a trouvé pour la première fois des trous noirs de 30 masses solaires et un trou noir de 60 masses solaires. Ce sont tous des objets nouveaux dans les eaux de l’astronomie.

A : En parlant de systèmes binaires, on a une question de Will dans la chatroom, qui demande si seuls les systèmes binaires génèrent des ondes gravitationnelles ou si c’est plutôt que ce sont les seuls qui génèrent des ondes détectables ?

MM : C’est une très bonne question, ce sont les seuls qui génèrent des ondes détectables, parce qu’a priori tout objet qui bouge sur notre tapis élastique génère des ondes. Mais pour générer des ondes détectables il faut vraiment des choses titanesques, donc là les trous noirs ou les étoiles à neutrons sont des objets parfaits parce qu’ils ont une masse énorme quand même, 30 masses solaires, concentrée dans quelques dizaines ou centaines de kilomètres. Pour un objet d’une masse solaire, la taille d’un trou noir est de 3 kilomètres, pour 30 masses solaires c’est une centaine de kilomètres, donc une densité d’énergie énorme. Ces objets ont une accélération énorme, parce que c’est l’accélération essentiellement qui génère des ondes gravitationnelles. Des objets qui bougent en ligne droite en quelque sorte, n’émettraient pas d’ondes gravitationnelles, donc il faut de très grandes accélérations. Pour vous dire à quel niveau d’accélération on est arrivé dans ce système qui a connu cette collision, dans la phase finale de la coalescence, les deux trous noirs tournaient l’un autour de l’autre avec  une fréquence de presque une centaine de hertz, bon 75 Hz à la fin. Septante-cinq fois par seconde ! Donc vous imaginez, ces choses sont incroyables, vous avez des objets de 30 masses solaires  concentrées dans moins de 5 kilomètres…

A : Déjà imaginer ça…

MM : Déjà ça c’est incroyable ! Ces objets qui tournent l’un autre de l’autre, pas avec une période d’un an comme la Terre autour du Soleil, mais quelques dizaines de millisecondes. Donc en une seconde ils font des dizaines de tours, au moins dans la phase finale.

A : C’est complètement fou.

MM : C’est incroyable, donc vous imaginez les accélérations monstrueuses qui sont en jeu, pendant la phase finale de la coalescence, la vitesse relative de ces deux objets était de la moitié de la vitesse de la lumière.

A : Ok…

MM : Là on ne parle pas d’un électron ou d’un proton, au CERN on accélère des particules à des vitesses aussi rapides.

A : A ces vitesses là mais là c’est une particule à la fois !

MM : Mais oui là ce n’est pas un électron, c’est un objet de 30 masses solaires, deux objets de 30 masses solaires qui vont entrer en collision à une vitesse relative de la moitié de la vitesse de la lumière.

A : [rires] Il vaut mieux ne pas être dans les parages.

S : C’est ça.

MM : Hé non ! C’est pour ça qu’on arrive à voir ces événements même s’ils sont à une distance cosmologique, on le disait, à des milliards d’années-lumières en gros. Donc oui la question est excellente, on arrive à les voir parce que l’accélération et les paramètres de ces systèmes sont tellement extrêmes.

S : Dans le teaser de la semaine dernière j’avais mis un son, ils avaient pris les fréquences et qu’ils les avaient décalées de manière à ce qu’elles soient audibles et on entend bien ce chirp comme on l’appelle en physique.

MM : Tout à fait.

S : Il y a une montée vers les aigus au moment où les deux trous noirs accélèrent.

MM : En effet mais je crois qu’ils ne l’ont même pas décalé dans le sens qu’ils l’ont transformé en un son audible mais la fréquence, ce sont des fréquences de quelques dizaines de hertz qui est la fréquence la plus petite à laquelle LIGO est sensible, donc ça rentre dans le détecteur quand ça commence à avoir une fréquence d’une dizaine de hertz jusqu’à une fréquence de 150 Hz qui est la fréquence maximum pendant la fusion, ça c’est la fréquence de l’onde gravitationnelle qui est deux fois celle de la fréquence orbitale du système. Oui comme tu le disais justement, on peut transformer tout cela en son, c’est un chirp, c’est l’amplitude et la fréquence qui montent, chirp c’est un mot anglais qui désigne les gazouillis des oiseaux. Donc on peut le transformer en son c’est assez joli.

A : On a encore une question dans la chatroom de Darwin, probablement pas le vrai Darwin, qui demande si les ondes gravitationnelles perdent en force/énergie/amplitude (je sais pas quel mot est approprié) en fonction de la distance parcourue ?

MM : Oui tout à fait, je dirais d’abord que le mot approprié est amplitude, c’est la première chose que l’on mesure, parce que l’amplitude c’est ce qui nous donne la mesure la plus directe de la déformation de l’espace-temps, et de combien cette définition de distance change. L’amplitude de l’onde décroit en 1/r où r est la distance, elle est donc inversement proportionnelle à la distance. L’énergie de l’onde, qui est le carré de l’amplitude, elle décroit en 1/r2 ce qui veut dire que l’énergie sur une une sphère est conservée, comme l’énergie ne se perd pas, elle s’éparpille sur une sphère toujours plus grande.

A : Elle se dilue en quelque sorte ?

MM : Oui elle se dilue de cette manière.

S : Vous avez dit que ces ondes déformaient vraiment l’espace et le temps donc tout est déformé, est-ce qu’on peut quand même les situer autour de nous ? Savoir d’où est-ce qu’elles viennent en fait ?

MM : Oui alors, comment font-ils pour savoir d’où elles proviennent ? C’est une très bonne question effectivement, et c’est difficile. Il y a un aspect positif et un aspect négatif dans ceci, d’abord les détecteurs d’ondes gravitationnelles ne sont pas comme des télescopes qu’il faut pointer pour voir le signal, ils voient un peu partout. Dans ce sens, plutôt qu’avec la lumière, l’analogie est meilleure avec le son, nous entendons des sons indépendamment de la direction. Vous pouvez pointer l’oreille dans la bonne direction pour améliorer un peu la sensibilité, mais en général ça vient de partout d’accord ? Alors ça c’est un avantage évidemment parce que ça nous permet de voir des signaux qui viennent de n’importe quelle direction, parce que si en plus il fallait pointer sur des objets qu’on ne connait pas, ça aurait été impossible ! Il y a quand même un désavantage qui est que du coup on ne sait pas très bien d’où ça vient. On a des manières de comprendre d’où ça vient, par exemple avec nos oreilles on est capable de savoir d’où vient le son, c’est grâce à la différence temporelle à laquelle le son arrive à chacune de nos oreilles en gros, on fait des triangulations. On peut faire la même chose avec ces deux détecteurs, ils les ont mis aux deux coins des Etats-Unis, très loin, dans l’état de Washington et dans l’état de Louisiane, pour avoir la plus grande distance possible entre les deux détecteurs. Parce que plus la distance est grande, plus on peut faire de triangulations pour comprendre la direction, il faut dire qu’avec deux détecteurs on ne la fait pas très bien, d’abord parce que les détecteurs sont alignés avec les bras qui sont exactement dans la même orientation. Ca c’est l’idéal pour être sûr de ne pas perdre le signal, parce que sinon il peut s’avérer qu’un signal qui est détecté par un interféromètre est raté par l’autre parce que l’autre n’était pas bien orienté. Et la première chose qu’on veut faire c’est faire des coïncidences et être sûr qu’il y a le signal. Mais ce n’est pas bon pour détecter d’où il provient. On peut quand même comprendre d’où ça vient, par exemple il y a un retard, le signal est arrivé d’abord dans un interféromètre et après dans l’autre, avec une différence de 6-7 millisecondes. Donc déjà ça nous donne plus ou moins la direction, ça venait de l’hémisphère sud. Il y a d’autres manières pour comprendre un peu d’où ça a été émis, ils ont une photo quelque part, je l’ai dans mes photos, je ne sais pas si tu peux la mettre, c’est celle-ci.

La localisation approximative de la source des ondes gravitationnelles détectées par LIGO le 14/09/15 est représentée sur cette carte du ciel de l'hémisphère sud. Les lignes colorées représentent les différentes probabilités d'où le signal a pu provenir : la ligne mauve définit la région d'où le signal serait parti avec un intervalle de confiance de 90%; la ligne interne jaune définit la zone à un intervalle de confiance de 10%; Crédit: LIGO/Axel Mellinger
La localisation approximative de la source des ondes gravitationnelles détectées par LIGO le 14/09/15 est représentée sur cette carte du ciel de l’hémisphère sud. Les lignes colorées représentent les différentes probabilités d’où le signal a pu provenir : la ligne mauve définit la région d’où le signal serait parti avec un intervalle de confiance de 90%; la ligne interne jaune définit la zone à un intervalle de confiance de 10%;
Crédit: LIGO/Axel Mellinger

Il y a une carte de la région du ciel d’où ça vient, c’est une très très grande carte, c’est environ 600 degrés2, donc c’est une région du ciel très grande, donc on ne connait pas la source. Quand il y aura d’autres détecteurs, par exemple Virgo qui va entrer en fonction à la fin de l’année probablement, avec 3 détecteurs on pourra faire des triangulations plus précises et donc encore mieux comprendre d’où ça vient.

S : Également le projet KAGRA au Japon et il y en a encore un en Inde aussi, c’est pour ça…

MM : LIGO aux Indes, un troisième LIGO oui. Plus on a de détecteurs plus on est sûr que c’est un vrai signal et pas du bruit parce qu’on fait des coïncidences à 2, 3, 4, 5 détecteurs… Et surtout on sera capable à ce moment-là de pointer, de comprendre d’où viennent les ondes.

A : Vous avez parlé du son, il y a un petit moment, ça a généré une question de Pascal qui demande si une onde gravitationnelle qui rentre dans l’atmosphère peut générer un son?

MM : Non. Malheureusement pas, parce que sinon ce serait beaucoup plus facile de les détecter ! Elles sont invisibles. L’onde qui est arrivée, on le voit sur l’image, elle vient nécessairement de l’hémisphère sud, ce qui veut dire, LIGO c’est dans l’hémisphère nord, c’est aux Etats-Unis, ça a traversé la terre mais sans la moindre interaction.

A : Donc personne ne l’a vue ou entendue, il fallait le détecteur LIGO.

Ondes gravitationnelles passant au travers de la terre, effet très exagéré.
Ondes gravitationnelles passant au travers de la terre, effet très exagéré.

MM : Mais toute la terre a été traversée sans que l’onde ne s’aperçoive qu’elle était passée à travers quelque chose ! Ce sont vraiment des fantômes. On a ces toutes petites traces, ces déviations de quelques fractions de noyau atomique dans ces miroirs. Evidemment la Terre aussi a peut-être bougé de quelques fractions de noyau atomique, on n’a pas les détecteurs pour, on ne mesure pas ça disons. Mais non il n’y a aucun effet visible, dans l’atmosphère ou quand elles passent à travers notre corps par exemple.

A : Peut-être juste encore une question un peu plus conceptuelle qui a été posée il y a un peu plus longtemps par Brusicor, il demande si on peut imaginer observer des fentes de Young gravitationnelles ?

MM : Observer des ?

A : Des fentes de Young, double split experiment, il faut peut-être d’abord expliquer ce que c’est ?

MM : Disons qu’avec des ondes on peut toujours faire de l’optique, en principe on peut tout imaginer, mais c’est clair qu’on ne peut pas pour l’instant manipuler ces ondes et faire des choses de ce genre. Mais en général elles se propagent comme des ondes et donc elles sont sujettes à tous les effets de diffraction auxquelles sont sujettes les ondes électromagnétiques. A des échelles cosmologiques elles seront certainement déviées. Un effet qu’on peut imaginer c’est plutôt un effet de lentille gravitationnelle, c’est l’effet qu’on voit sur la lumière, le parcours de la lumière est dévié par l’attraction gravitationnelle et le  parcours des ondes gravitationnelles est dévié de la même manière. Surtout, elles obéissent toutes aux règles de l’optique géométrique, avec certaines limites. On n’est certainement pas au niveau de pouvoir manipuler les ondes gravitationnelles comme on manipule la lumière dans nos laboratoires et je pense qu’on n’en sera probablement jamais là. Justement parce qu’on ne peut pas les générer nous-mêmes.

A : Oui.

R : Les bloquer ça doit être compliqué ?

MM : Ah oui les bloquer c’est impossible.

R : Parce que pour pouvoir faire des fentes il faut pouvoir les bloquer.

MM : Disons qu’on peut toujours imaginer à un niveau cosmologique, des trous noirs, des objets très massifs, évidemment quand un front d’onde passe au travers d’un trou noir, il est bloqué, la partie qui passe au travers du trou noir est absorbée, donc il y a tous ces effets d’optique géométrique qu’on peut imaginer. Mais évidemment ils ne sont pas manipulables, mais conceptuellement ils sont tous là, mais on ne peut pas les manipuler nous.

A : On a encore une question qui fait rêver, de Will, qui demande : comme il s’agit d’onde, peut-il y avoir des interférences d’ondes gravitationnelles?

MM : C’est un peu même me genre de réponse, en principe oui disons, ce sont des ondes.

A :  Mais il faudrait encore qu’elles arrivent en même temps.

MM : Mais vous imaginez l’interaction des ondes gravitationnelles est extrêmement petite, donc tous ces effets sont théoriquement là mais en pratique, non.

R : Est-ce que j’ai le droit à une question ? Je suis désolé j’ai un peu raté le début, j’espère que cette question n’est pas débile mais il y a un truc qui me perturbe c’est qu’on dit que la lumière suit les courbures de l’espace-temps, ce qu’on pourrait appeler la ligne droite naïvement. Mais du coup ce que je ne comprends pas c’est qu’on capte grâce à la lumière une déformation de l’espace-temps alors que la lumière est sensée suivre les déformations de l’espace-temps. Je ne sais pas si c’est clair ?

MM : Si, je comprends bien. Alors c’est un peu difficile à expliquer de manière pas trop technique, disons que la modification de l’espace-temps c’est essentiellement une modification de la notion de distance. Ce que le faisceau laser fait avec ses allers-retours entre les deux miroirs, c’est de mesurer une distance, dans un sens qu’il faudrait rendre un peu plus précis techniquement mais ce n’est probablement pas l’endroit idéal ici. Donc la lumière fait des allers-retours et vous pouvez imaginer qu’on mesure le temps qu’elle prend pour passer d’un miroir à l’autre. Pour les physiciens dans l’audience, c’est le temps propre, c’est un invariant. De toute manière c’est cette notion de distance qui change, et c’est le changement de cette notion de distance qui est mesuré. Il faudrait rentrer dans des détails un peu techniques je pense pour expliquer un peu mieux. Mais on peut dire que la déformation de l’espace-temps change la notion de distance, d’une manière bien définie et mesurable. Avec la relativité générale il faut toujours faire attention aux choses qui dépendent des coordonnées que vous mesurez, il y a des choses qui sont invariantes et mesurables. Mais l’effet d’une onde gravitationnelle est un effet physique, c’est un vrai effet mesurable, selon les coordonnées que vous utilisez vous allez le voir d’une manière ou d’une autre. Par exemple en relativité générale on peut utiliser les miroirs pour définir les positions et donc la position du miroir ne changera pas tout simplement parce qu’un miroir va devenir la coordonnée 1 et l’autre va devenir la position 2. A ce moment-là, dans ce système de coordonnées, ça changera la propagation de la lumière entre ces deux distances. Donc vous pouvez changer le système de coordonnées, vous pouvez bouger l’effet d’un aspect à l’autre, que ça soit la position du miroir ou disons comment la lumière se propage entre les deux miroirs mais l’effet physique que vous observez est toujours le même finalement.

A : D’accord. Si j’ai bien compris la question de Robin en fait, et si j’ai bien compris votre réponse, mais je pense que je vais m’apercevoir en cours de route que j’ai rien compris du tout. En fait si l’espace-temps avait été complètement déformé et puis que nous à l’intérieur on essayait de mesurer cette déformation on ne pourrait pas, parce que nos instruments de mesure se déformeraient avec la transformation et puis voilà un mètre ferait toujours un mètre même s’il est plus grand. Mais là en fait c’est une onde, c’est une bosse en fait qui passe dans l’espace-temps.

MM :  Imaginons que nous voulons mesurer la distance entre ces deux miroirs qui sont libres, tenus par des suspensions, mais dans la direction horizontale ils peuvent bouger comme des objets libres. On peut utiliser un mètre, un objet physique pour mesurer leur distance. L’objet physique ne va pas se dilater de la même manière que l’espace-temps, parce que c’est quand même un objet lié avec des interactions électromagnétiques entre tous les atomes. Il a ses fréquences de résonance typiques et si ces fréquences de résonance sont très grandes par rapport à la fréquence de l’onde, il se comporte comme un objet rigide, il ne répond pas de la même manière. Donc on peut l’utiliser comme un mètre standard pour mesurer l’effet, sur les objets en chute libre par contre.

A : D’accord.

R : Donc en fait les ondes gravitationnelles ne se transmettent pas de façon homogène.

MM : Disons que la réponse d’un objet dépend de si l’objet est libre ou si l’objet est lié, si vous avez un ressort très rigide, les deux objets aux extrémités ne vont pas bouger comme si l’objet était libre.

R : D’accord, ça répond complètement à ma question, merci beaucoup, c’est génial.

A : Sam tu avais encore des questions ?

S : Alors moi j’ai encore un peu toujours cette histoire d’espace et de temps, vous nous avez rappelé que pour la lumière on a comme constituants élémentaires de la lumière les photons, pour le son ce sont les molécules de l’air, mais est-ce qu’on peut imaginer qu’il y a une sorte de particule d’espace-temps ? Ou est-ce qu’on a un équivalent au moins théorique ?

MM : Oui tout à fait, le graviton. Alors, comment comprendre ce que c’est, disons, dans la théorie quantique on a une dualité onde-corpuscule, donc la lumière on peut la décrire comme une onde et dans certaines situations comme une particule, qu’on décrit comme le photon. C’est exactement la même chose qu’on peut faire pour la gravité, on peut écrire la théorie d’Einstein et on peut la quantifier. Là il y a une chose que les gens confondent souvent, on sait qu’on ne peut pas quantifier la gravité, qu’il y a des problèmes quand on met ensemble la relativité générale et la mécanique quantique. Mais en fait dans un sens c’est vrai et dans un sens ça ne l’est pas, les problèmes arrivent quand on étudie des énergies énormes, un chiffre qu’on appelle l’énergie de Planck (10*1019 GeV = 1,956×109 J) est des milliards de milliards de milliards de fois plus grand que les énergies qu’on explore avec le LHC au CERN. A des énergies plus petites, on peut parfaitement quantifier la gravité, les physiciens parlent de théorie effective, ça c’est le paradigme moderne pour la théorie quantique des champs. Toutes nos théories quantifiées ont un certain domaine de validité et au delà d’une certaine énergie, il faut les remplacer avec quelque chose d’autre. Donc la théorie de Fermi des interactions faibles découvertes dans les années trente avec les neutrinos etc. Aujourd’hui on la comprend comme une théorie qui est une limite du modèle de basse énergie du modèle standard. La théorie de Fermi est normalisable exactement comme la gravité est normalisable. Ceci ne veut pas dire que les électrons, les neutrinos, qui sont les particules qui rentrent dans la théorie de Fermi, ne sont pas bien définis comme concepts quantiques. Ils sont parfaitement bien définis, d’abord comme particules libres, après on a des interactions que l’on comprend très bien à basse énergie, quand on monte au delà d’une certaine énergie, il faudra changer de théorie pour prendre en compte les bonnes interactions.

Ce sera la même chose pour la gravité, à basse énergie, basse par rapport à cette échelle infinie, la gravité est normalement une théorie qu’on sait parfaitement bien quantifier, on a une particule qui est le graviton, en première approximation libre, exactement comme les photons, après on a toutes ces petites interactions gravitationnelles qui deviendront très fortes à une échelle d’énergie énorme. Là il faudra changer la théorie, pour comprendre la structure des interactions. Mais pour définir la notion de particule comme le graviton, le fait que l’on ne sait pas quantifier la gravité n’a absolument rien à voir, c’est une chose sur laquelle les gens font souvent beaucoup de confusions, même parfois certains professionnels. Donc la notion de graviton est parfaitement bien définie, sauf que la vraie nature du graviton on va effectivement la voir  à cette énergie immense. Ce qu’on voit à l’échelle d’énergie qu’on explore maintenant c’est cette collection cohérente de gravitons qui est une onde gravitationnelle classique. De la même manière qu’on collectionne des photons qui bougent de manière cohérente dans une onde électromagnétique classique. Ce sont des ondes classiques de tous les points de vue, on ne voit absolument pas d’effets quantiques, pour les voir il faudrait monter à des énergies immenses ou remonter dans le temps vers le big bang, peut-être, en cosmologie. Mais il n’y a aucun problème conceptuel avec la notion de graviton en soi, c’est totalement similaire à la notion de photon.

S : D’accord. Je ne sais pas, il y a peut-être encore quelques questions dans la chatroom ?

A : Pas pour le moment non, tu peux enchaîner.

feynmanS : Comme à chaque fois je trouve, quand on parle de physique, il y a toujours un moment où on va parler de Richard Feynman [Voir également l’épisode 209 sur Feynman].

MM : Héhé oui !

S : Là encore une fois, Feynman a dit quelque chose sur les ondes gravitationnelles, notamment le sticky bead argument . Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que c’est ?

MM : Maintenant on comprend bien du point de vue théorique les ondes gravitationnelles, mais quand Einstein a formulé la relativité générale, l’aspect “ondes gravitationnelles” était parmi les plus difficile à comprendre. Einstein lui-même a fait des erreurs, la première fois il avait prévu l’existence d’ondes gravitationnelles, mais ensuite il avait écrit un autre papier, dans les années 40 je crois, qu’il avait envoyé à Physical Review, où il disait qu’il n’y avait pas d’ondes gravitationnelles. La difficulté c’est que comme je l’avais déjà mentionné, en relativité générale, il faut toujours faire la distinction entre des effets qui dépendent de notre choix de coordonnées et les effets vraiment physiques. Pour les ondes gravitationnelles, la chose est vraiment très subtile du point de vue technique, donc pendant des décennies ce n’était pas clair. Essentiellement c’est l’exemple de la personne en chute libre dans l’ascenseur, il ne sent pas qu’il y a un champ gravitationnel parce qu’il est en chute libre. Ce qui veut dire qu’on peut toujours choisir un référentiel, un système de repères, tel que l’on élimine, du moins dans une région suffisamment petite de l’espace, tous les effets gravitationnels. Justement si on est dans l’ascenseur en chute libre, on ne se rend pas compte qu’il y a le champ gravitationnel de la terre, jusqu’à ce qu’on arrive à l’étage probablement [rires].

A : Là je ne suis pas sûr qu’on se rende compte non plus.

MM : Oui ! De la même manière, on peut mettre à zéro l’énergie de l’onde gravitationnelle, dans un point précis de l’espace disons, et donc ça avait généré beaucoup de confusion. L’onde gravitationnelle, on ne la voit qu’à grande distance dans la région des radiations, mais le champ gravitationnel, dans un point de l’espace on peut le mettre à 0. Donc il y avait la question de savoir si vraiment les ondes gravitationnelles étaient physique ou pas, si elles amènent de l’énergie, et la question a perduré pendant des décennies, jusqu’aux années, je ne sais pas, 50. C’était finalement Feynman, qui a résolu cela avec son style très direct et un exemple très banal, vu d’aujourd’hui. Vous prenez des objets liés par un ressort, l’onde gravitationnelle qui arrive met en vibration le ressort. Si le ressort a de la dissipation, l’énergie va être dissipée en chaleur, elle n’est pas rendue à l’espace-temps. Donc évidemment qu’elles portent de l’énergie les ondes gravitationnelles, c’est un exemple aussi simple que cela mais qui répondait à la question. D’un point de vue formel aussi, les choses ont ensuite été parfaitement bien comprises, pour définir l’énergie de l’onde gravitationnelle il faut faire une moyenne sur une région de l’espace plutôt que sur un point. Une région de l’espace qui est grande par rapport à la longueur d’onde de l’onde gravitationnelle. Ou bien faire une moyenne dans le temps sur une grande période par rapport à la période de l’onde. Mais ça ce sont des détails techniques qui ont été très bien compris à partir des années 60 au plus tard. Mais c’est vrai que pendant des décennies il y a eu beaucoup de confusion sur cette histoire.

A : Jusqu’à ce que Feynman sorte son ressort donc. [rires]

S : Peut-être encore une des dernières questions, c’est : est-ce que théoriquement on avait déjà une idée d’où chercher, dans quelles longueurs d’ondes on pouvait s’attendre à voir des ondes gravitationnelles ?

MM : Alors là il y plusieurs choses, d’abord où est-ce qu’on peut chercher et où est-ce qu’on peut espérer trouver quelque chose. Comme je le disais, si on est sur terre il faut chercher des fréquences plus hautes qu’une dizaine de hertz sinon même les super-atténuateurs qui atténuent les bruits sismiques de dix milliards de fois deviennent incapables d’atténuer les bruits. Donc on est déjà obligé d’aller à des fréquences plus grandes qu’une dizaine de hertz. En astrophysique, on ne s’attend pas à avoir des signaux plus grands que quelques kilohertz, parce qu’il faut des objets très très compacts pour émettre des choses à de très grandes fréquences, parce qu’il faut penser que les ondes gravitationnelles sont émises par des mouvements cohérents de matière. Donc même avec les trous noirs stellaires c’est difficile d’imaginer des signaux à plus de quelques dizaines de kilohertz, et justement, là où on arrive à faire des choses sur terre c’est entre quelques dizaines de hertz et deux ou trois kilohertz, c’est la région de fréquence explorée par LIGO/Virgo. Il serait très intéressant aussi d’aller à des fréquences plus petites, parce que là par exemple, on s’attend à voir les radiations émises par les trous noirs super massifs. Comme je le disais il y a des trous noirs qui font des millions voir milliards de masse-solaires et ils émettraient des ondes gravitationnelles à des énergies qui sont plutôt les millihertz. Pour ce genre de choses il faut aller dans l’espace, parce que là il n’y a pas de bruits sismiques, il y a un projet qui s’appelle eLISA, auparavant c’était LISA, c’est un projet de l’ESA. C’est un projet énorme, sur lequel des gens travaillent aussi depuis des décennies, en principe il devrait être lancé autour de 2025 dans l’espace avec des vaisseaux, avec des lasers entre ces vaisseaux à des millions de kilomètres.

A : Donc des vaisseaux séparés dans l’espace qui se tirent des lasers l’un sur l’autre et on mesure ?

MM : Exactement.

A : C’est de la science fiction !

Maquette de LISA Pathfinder Source : DLR German Aerospace Center
Maquette de LISA Pathfinder
Source : DLR German Aerospace Center

MM : Oui. Il y a déjà le LISA pathfinder qui a été lancé, c’était une démonstration de technologie pour ce genre d’expérience, il est dans l’espace maintenant. C’est un très grand projet de l’ESA, avec de la physique extraordinaire qu’on pourra faire là aussi. Sinon, pour revenir encore à ta question, j’étais en train de penser surtout aux sources astrophysiques, mais après il y a toutes les sources cosmologiques. Là le spectre des choses qu’on pourrait voir est beaucoup plus large, à des fréquences beaucoup plus grandes mais aussi beaucoup plus petites. On peut essayer de voir l’effet des ondes gravitationnelles sur les radiations du fond diffus cosmologique par exemple. Il y a les expériences comme Planck et Euclid dans le futur dont vous avez déjà parlé dans votre émission [voir également l’épisode sur la Mission Euclid]. Qui  pourraient entre autre essayer de détecter des effets sur les radiations du fond cosmique dû à des ondes gravitationnelles primordiales, ce serait aussi très fascinant. Sinon il y a aussi d’autres moyens de détecter les ondes gravitationnelles, notamment un réseau de pulsars, j’avais parlé du pulsar de Hulse-Taylor, un système binaire, mais ici il s’agirait plutôt de pulsars isolés dans le ciel, dans des directions très différentes. Chacun est une montre très précise, et s’il y a des ondes gravitationnelles  qui passent entre la terre et nous, ils vont provoquer une distorsion du signal qui arrive du pulsar, et avec ces réseaux de pulsars on pourrait espérer repérer des fonds stochastiques d’ondes gravitationnelles  comme on les appelle. Il y a d’autres expériences qui cherchent cela, ils ont une très bonne sensibilité et ils pourraient déjà dans le futur voir quelque chose.

A : Les fonds stochastiques c’est à dire ? On cherche le hasard c’est ça ?

MM : C’est une sorte de bruit, mais d’origine cosmique.

A : D’accord.

MM : Dans le sens que c’est plein de sources telles qu’on n’arrive pas à résoudre individuellement la source. Mais c’est un peu comme dans l’océan, vous avez parfois des grandes vagues, mais parfois vous avez, comment est-ce qu’on peut l’appeler, une sorte de bruit, un fond stochastique de petites ondes mais très intéressant !

A : D’accord. [rires]

MM : C’est un bruit d’origine cosmologique, ce n’est pas le bruit du détecteur !

A : Oui oui ! Tu as encore des questions Sam ?

S : Ben non pas spécialement, peut-être juste, pour vous, l’avenir immédiat pour la détection des ondes gravitationnelles, bientôt on devrait avoir de nouveaux résultats de LIGO aux Etats-Unis…

MM : Tout à fait.

S : Ensuite il y a Virgo, enfin advanced Virgo, la version améliorée en quelque sorte.

MM : Oui.

S : Et après c’est KAGRA au Japon et là on a des idées des dates ?

MM : Heu oui, moi je ne sais pas exactement, LIGO-India a été approuvé par le gouvernement indien la semaine après la découverte des ondes gravitationnelles , ça a poussé l’approbation. Pour KAGRA, ils y travaillent depuis plusieurs années, je ne vais pas dire de choses fausses mais j’imagine qu’e dans les 5 ans ils devraient prendre des données à un niveau très compétitif. J’imagine, mais je ne suis pas vraiment certain de l’échelle de temps.

Carte des observatoires d'ondes gravitationnelles dans le monde. Source : LIGO consortium
Carte des observatoires d’ondes gravitationnelles dans le monde. En jaune : opérationnels, en vert : en construction, en organe : prévus.
Source : LIGO consortium

Après pour des expériences qu’on appelle de troisième génération, il y a eLISA, on parle de 2025, ces expérience spatiales sont toujours très compliquées à réaliser. Il y a aussi ce qu’on appelle les Einstein Telescopes, c’est un interféromètre sur terre cette fois, et la troisième génération je dis sur terre mais ce serait sous terre.

A : Un telescope sous terre ?

MM : Eh oui ! C’est intéressant comme concept.

A : Ah oui j’avoue.

MM : Parce que les bruits sismiques sont nos ennemis principaux pour aller à de basses fréquences. Mais ils sont grands sur la surface de la terre. Si on descend de quelques dizaines ou centaines de mètres, ils sont beaucoup plus petits.

A : Ok.

MM : Donc l’idée c’est de faire des tunnels comme on l’a fait pour le CERN disons, et de faire un interféromètre par exemple à trois bras, avec les lasers qui bougent dans ces bras, donc des galeries sous terre.

Einstein Telescope Source : Max Planck Institute for gravitational physics
Représentation d’un ‘Einstein Telescope
Source : Max Planck Institute for gravitational physics

Avec aussi toutes des technologies avancées comme de la cryogénie pour les miroirs pour les refroidir. Ca je pense que KAGRA l’a déjà aussi, à des températures cryogéniques, quelques kelvins. Parce que les bruits thermiques sont aussi importants pour ces miroirs. Ces Einstein telescopes sont pour l’instant un peu plus hypothétiques, les gens y travaillent, étudient la possibilité de le faire, ce n’est pas aussi concret pour l’instant, eLISA il une date de lancement quand même ! Tout ça c’est aussi assez fascinant comme possibilités de détecter des ondes gravitationnelles. Là on va vraiment faire de la cosmologie avec ce genre d’instruments. On pourra étudier même des choses comme l’énergie noire, ses aspects cosmologiques, parce qu’il arrivera à explorer l’univers dans ses profondeurs.

A : Wow. Voilà ! Ben on organisera une petite visite…

S : Les astronomes sont un peu jaloux des physiciens des particules avec le CERN…

MM :  Non je ne crois pas, je dois dire que la beauté de l’astronomie c’est cette approche avec beaucoup de fenêtres différentes. En effet par exemple, les gens de LIGO ont collaboré avec toute la communauté scientifique parce que quand ils ont eu le signal, ils ont dit aux gens qu’il y avait un signal avec une certaine direction. Ils ont cherché s’il y avait une contre-partie électronmagnétique, ils ne l’ont pas trouvée. Bon il y a une expérience qui dit qu’ils ont quelque chose en coïncidence mais ça n’a pas l’air très convainquant à mon avis parce que toute expérience comme Integral sur lequel on travaille aussi beaucoup à Genève aurait dû voir ça si c’était un vrai signal astronomique plutôt qu’un bruit du détecteur de l’autre expérience. Mais donc je pense que l’approche qui sera très importante dans le futur et qu’on essaie de développer dès maintenant c’est une approche “multi-wavelengths” disons, multidisciplinaire. L’idéal ce serait de voir un événement comme ça à la fois en ondes gravitationnelles  et en ondes électromagnétiques, parce que par exemple les ondes électromagnétiques nous permettent de savoir où est la source et par exemple ce qu’est son red-shift cosmologique, ça c’est une informatique très précieuse d’un point de vue cosmologique. Les ondes gravitationnelles nous donnent d’autres informations absolument complémentaires. C’est une chance magnifique qu’on puisse voir ça avec toutes les longueurs d’ondes.

A : On a encore une question de la chatroom avant peut-être de conclure avec d’éventuelles questions de l’équipe. C’est Will toujours, très inspiré, qui demande si le Big Bang a généré des ondes gravitationnelles et si oui est-ce qu’on pourrait s’en servir pour se rapprocher de l’événement Big Bang ?

MM : Oui, c’est une excellente question pour conclure. Oui la réponse est probablement oui, les gens ont étudié beaucoup de mécanismes qui pourraient produire des ondes gravitationnelles  à l’époque du big bang et moi aussi j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet. Il y en a beaucoup, il y a par exemple une théorie qui est notre théorie préférée en cosmologie qui est l’inflation, qui prédit un fond stochastique comme je le disais, d’ondes gravitationnelles , malheureusement c’est à un niveau très bas pour les expériences comme LIGO, Virgo,… Mais ça pourrait laisser un signe sur le fond diffus cosmologique, justement quand il y a un an ou deux il y avait eu ces expériences de BICEP 2 où on avait dit qu’il avait vu quelque chose, mais en fait c’était de la poussière. Mais l’idée c’est que c’était l’effet des ondes gravitationnelles produites pendant l’inflation, leur effet sur la polarisation de la radiation du fond diffus cosmologique. C’est clair que ça c’est un peu le Saint-Graal de cette recherche, il faut dire aussi, radiation du fond diffus cosmologique nous a fait faire un bond extraordinaire en cosmologie dans notre compréhension de l’univers.

Image de la radiation du fond diffus cosmologique prise par le satellite Planck. Crédit : ESA/Planck consortium
Image de la radiation du fond diffus cosmologique prise par le satellite Planck.
Crédit : ESA/Planck consortium

Mais c’est quand même de la radiation qui a été générée disons 100.000 années après le Big Bang, dans le sens où tous les photons qui ont été générés avant étaient en interaction tellement forte avec tout le reste, les électrons, les quarks, toutes les particules chargées, qu’évidemment ils entraient en collision tout le temps. Donc même s’ils sont produits avec des caractéristiques très précises en énergie, en spectre,… Toutes ces caractéristiques sont effacées par toutes ces interactions. A un certain moment, avec l’expansion de l’univers, l’interaction entre les photons et les électrons est devenue plus faible et finalement les photons ont pu partir “tout droit” et arriver chez nous. Ca nous amène à une photo, dans le vrai sens du terme, de l’époque où ils ont pu partir tout droit vers nous, ce qui est donc environ 100.000 ans après le Big Bang.

Mais les ondes gravitationnelles, puisqu’on a dit qu’elles ont effectivement des interactions beaucoup plus petites, quand elles sont générées, immédiatement après elles n’intéragissent plus, tout de suite après le Big Bang. Elles sont générées et elles partent, donc elles nous envoient vraiment une photo de l’époque à laquelle elles ont été générées. Donc si on voit des ondes gravitationnelles générées quelques millisecondes après le Big Bang, ça c’est une photo de l’univers à l’âge “une milliseconde” [rires]. Alors vous imaginez, ce serait extraordinaire !

Émission des ondes gravitationnelles et d'autres rayonnements suite au big bang et à l'expansion de l'univers. National Science Foundation (NASA, JPL, Keck Foundation, Moore Foundation, related)
Émission d’ondes gravitationnelles et d’autres rayonnements suite au big bang et en fonction de l’âge de l’univers.
National Science Foundation (NASA, JPL, Keck Foundation, Moore Foundation, related)

A : Votre intuition ? Vous pensez qu’en améliorant les détecteurs on verra ces choses-là ?

MM : Disons que le fond diffus cosmologique c’est un des espoirs, il y a des expériences qui essaient d’améliorer ce qu’on en sait, bon Planck et Euclid pour le futur, le problème c’est que comme on l’a découvert avec Planck, il y a beaucoup de poussières qui génèrent une polarisation du fond diffus cosmologique, du type de polarisation qui est aussi un signal pour les ondes gravitationnelles . Donc il faut être capable de bien caractériser le signal généré par la poussière, qui ne nous intéresse pas trop en soi, pour être capable de faire la différence avec le vrai signal des ondes gravitationnelles. Ca c’est une direction qui est tout à fait possible pour les expériences futures sur le fond diffus cosmologique. Sinon pour les expériences terrestres comme Virgo, comme je le disais, on ouvre une fenêtre, on verra ce que l’on voit. C’est un peu difficile je crois, pour les détecteurs sur terre, peut-être que c’est plus probable avec les pulsar timing arrays. Ces réseaux de pulsars qui pourraient aussi voir des ondes gravitationnelles produites peut-être par des sources cosmologiques, il y a des chose qu’on appelle les cordes cosmiques qui pourraient peut-être générer des fonds stochastiques d’ondes gravitationnelles à la fréquence à laquelle ces réseaux de pulsars sont sensibles. Donc oui ce n’est pas tout à fait exclu, bien évidemment il n’y a rien de sûr dans tout cela.

A :  Je croyais que c’était la dernière question de la chatroom mais on en a encore une qui est assez costaude, alors on ne va pas s’en priver, je pense que c’est aussi dans vos cordes, sans jeu de mot. C’est Brusicor qui demande si les ondes gravitationnelles permettraient d’enfin montrer une prédiction de la théorie des cordes ?

MM : Alors ça c’est très difficile à dire, moi-même j’ai travaillé avec Gabriele Veneziano un grand physicien au CERN, et Alessandra Buonanno, on travaillait sur les déperditions du fond stochastique générées par un certain modèle inspiré par la théorie des cordes, qui avait des caractéristiques assez différentes sur le fond inflationnaire. Donc on peut réfléchir à ce genre de choses, il y a toujours un aspect spéculatif parce qu’on ne sait jamais quel est le bon modèle. Ces exemples étaient intéressants parce qu’ils ne dépendaient pas trop des modèles spécifiques de la théorie des cordes, mais plutôt des caractéristiques générales de l’action effective de basse énergie, pour être technique, de la théorie des cordes. Donc ce n’est pas évident, mais il y a des tentatives dans cette direction.

A : Ok merci. Est-ce qu’on a encore des questions de l’équipe ? Sam tu avais fini ?

S : Oui.

A : Je ne sais pas, Robin ? Nico ? Irène ? Est-ce que tout ça vous inspire des questions ? Des commentaires ?

R : Moi j’ose pas trop en poser d’autres parce que j’ai raté des passages.

A : Ca marche, Irène ?

I : Moi j’ai comme d’habitude une question idiote, j’en ai même deux mais je vais me limiter à une seule. Samuel c’est un bon étudiant ?

MM : Moi je ne le connais pas comme étudiant parce que j’enseigne en 4ème année et Samuel est en première année mais j’ai eu le plaisir d’avoir affaire à lui dans une série de conférences, il est très actif donc je peux imaginer que oui mais après on verra à l’examen dans 4 ans.

I : Ah voilà [rires].

A : Du coup moi j’aurais une question un peu du même genre pour Samuel, ils sont tous comme ça les profs à l’université de Genève ?

S : Au niveau de ?

A : Ben je ne sais pas, passionnants, passionnés.

S : Je n’ai pas encore eu affaires à tous mais c’est vrai que là on a vraiment quelqu’un d’exceptionnel.

A : Réponse diplomatique d’accord.

S : Ils sont tous passionnés en tout cas.

A : Ok, on n’a pas d’autres questions dans la chatroom, dans l’équipe ?

I : Est-ce que je peux poser une autre question vraiment idiote ?

A : Vas-y.

MM : Il n’y a pas de question de idiote.

I : Ben c’est un peu bizarre comme question mais, souvent quand j’entends parler de ce genre de choses, ce n’est pas du tout mon domaine, on mentionne souvent Einstein, et je me pose la question, si Einstein n’avait pas existé où est-ce qu’on en serait de tout ça ?

Einstein (Source flickr, mansionwb)MM : Ca c’est une question à laquelle il est très difficile de répondre… Disons qu’il y a des découvertes qui sont dans l’air du temps, et si ce n’était pas une personne qui la faisait, ce serait une autre, et d’autres qui sortent un peu du commun. Quand Einstein a découvert la relativité générale, c’était vraiment quelque chose qui n’était pas dans l’air du temps. Je veux dire, la relativité restreinte oui, il y avait Lorentz, Pointcarré, les équations de l’électrodynamique de Maxwell contiennent la relativité restreinte même si on a bien compris comment seulement après. Là on aurait pu dire que c’était bien dans l’air du temps, même si après il faut un génie pour sortir la théorie à un moment donné. La relativité générale dont on parle maintenant qui est la théorie de la gravitation était quelque chose de plus. C’est clair qu’aujourd’hui avec la vision que l’on a, je pense qu’on y serait peut-être arrivé quand même. Disons que le point de départ d’Einstein était le fait que la théorie de la gravitation n’était pas cohérente avec la théorie de la relativité restreinte. Il y a eu tout le développement de la mécanique quantique ensuite, pour développer une théorie relativiste de la mécanique quantique pour amener à la théorie des champs. Aujourd’hui on comprend très bien la relativité générale comme une théorie des champs comme les autres, c’est la théorie des champs gravitationnels, qui obéit essentiellement aux mêmes genres de règles. On aurait pu y arriver par cette direction peut-être, après je ne sais pas, quelques décennies ou même un siècle plus tard, c’est impossible de refaire l’histoire.

I : Voilà oui c’est bien ce que je me disais et je me demandais effectivement si par d’autres moyens on en serait arrivé au même point et si ça aurait pris plus longtemps et qui aurait pu le remplacer.

MM : Oui, c’est difficile à dire, mais la direction dans la vision moderne, si on apprend aujourd’hui la relativité générale, c’est joli de l’apprendre aussi comme un exemple de la théorie des champs, comme il y a la théorie des champs électromagnétiques. Moi je donne le cours de théorie des champs à l’université de Genève, on commence effectivement avec un champs scalaire, c’est le spin 0, après on construire la théorie pour une particule avec un spin 1, c’est le champ électromagnétique c’est l’exemple typique. Le champs gravitationnel ça décrit une particule à spin 2, et dès qu’on commence à comprendre les règles de la théorie des champs, c’est clair qu’on arrive à la relativité générale sous une certaine forme. Mais évidemment c’est facile pour nous aujourd’hui de dire ça. [rires]

I : Oui évidemment. En tout cas merci beaucoup c’était super intéressant.

A : C’était absolument passionnant c’est vrai.

MM : Merci pour les belles questions ! [rires]

A : On va pouvoir dire merci pour les beaux dessins aussi, parce qu’on a eu quelques productions magnifiques, de Puyo dont c’est l’anniversaire d’ailleurs, bon anniversaire Puyo !

Dessin de Puyo
Dessin de Puyo

I : Bon anniversaire Puyo !

R : Et bravo ! C’est son anniversaire et c’est lui qui nous fait des cadeaux !

A : Mais oui, mais on lui a quand même mijoté une émission sur les ondes gravitationnelles  pour son anniversaire. Mais du coup il nous l’a bien rendu ! On a eu un beau dessin d’Inti aussi !

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Dessin d’Inti

On doit enchaîner avec le pitch de la semaine prochaine, alors le dictateur m’a laissé avec un conducteur vide mais heureusement je m’en souviens, la semaine prochaine c’est un roue libre avec David Louapre comme invité, du blog Science Etonnante et maintenant de la chaîne youtube du même nom qui cartonne. Ah oui, la quote, professeur on vous a prévenu ? Il faut venir avec une citation, vous avez fait vos devoirs ?

MM : Grâce à ma collègue et amie Ruth Durrer de mon département qui m’a suggéré une citation de Steven Weinberg qui est très jolie effectivement, je partage totalement ce qu’il dit.

C’est en anglais :

Our mistake is not that we take our theories too seriously, but that we do not take them seriously enough. It is always hard to realize that these numbers and equations we play with at our desks have something to do with the real world.

Steven Weinberg

En français c’est : Notre erreur ce n’est pas que nous prenons nos théories trop sérieusement mais que nous ne les prenons pas assez au sérieux, c’est toujours difficile de se rendre compte que ces nombres et équations avec lesquelles on joue dans nos bureaux ont quelque chose à voir avec le monde réel.

C’est effectivement un sentiment qu’on a vraiment quand il y a ce genre de découvertes, parce qu’on passe des années à jouer avec des équations. Moi je suis un théoricien, on est au tableau noir ou sur papier à jouer avec nos équations, et après : ah bon, mais c’était vrai, le monde marche réellement comme ça ? C’est une sensation incroyable ! Einstein aussi avait remarqué l’incroyable, l’inexplicable puissance des mathématiques dans la physique, et le fait qu’effectivement nous on joue avec nos équations dans nos bureaux…

A : Et après en fait ça correspond vraiment à quelque chose. Excellent, merci beaucoup, ça va nous donner à réfléchir pendant une semaine !
[intermède plug] Il est gentiment l’heure de conclure, les ondes gravitationnelles, on a dit que c’est une nouvelle fenêtre qui s’ouvre sur l’univers, qu’on peut maintenant écouter l’univers et plus seulement le regarder. L’univers s’écoute comme un podcast et se partage [rires].

Le podcast en tout cas vous pouvez le partager sur tous les réseaux sociaux, faites nous des retours, dites nous si vous avez aimé ou pas, vous nous trouvez sur tout l’internet mondial et on a toujours hâte d’avoir vos retours.

Voilà pour cette fois, un immense merci à tous et à toutes d’avoir été là, un grand merci à la chatroom et surtout un grand merci au professeur Maggiore qui a fait le déplacement en plus de Genève.

MM : Merci à vous, c’était vraiment un plaisir.

A : Et puis merci à Sam de nous avoir dégoté un invité pareil ! Et bravo pour l’interview, tu as assuré. Donc on se dit à mardi prochain avec David Louapre, pour un épisode en roue libre. Et d’ici-là, que servir la science soit votre joie.

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