Astrophysique et musique avec Jean-Philippe Uzan : la retranscription

Ce dossier a été enregistré dans l’épisode 267 de podcast Science, retranscription réalisée par Stéphanie, merci à Johan pour la relecture ! Si vous n’avez pas de base en musique, l’écoute de l’épisode 176 Math et musique est recommandée.

Robin (R) : Bonsoir, pour finir cette saison en beauté, nous recevons le détenteur du record absolu du nombre d’écoute de notre émission : Jean-Philippe Uzan [Episode 226 : Les cent ans de la relativité générale], pour aborder un sujet a priori surprenant, astrophysique et musique. Nous sommes le mardi 5 juillet, bonsoir.

J : Aujourd’hui une grande table physique puisque nous sommes quatre avec Nico (N)
N : Salut
J : Qui n’a pas de micro mais donc qui nous dit bonjour, moi-même qui suis venu depuis les Etats-Unis pour cette semaine.

Irène (I) : Alors ça c’est hyper impoli de se présenter en premier Johan. Ca ne se fait pas du tout.

R : Non ça ne se fait pas mais en même temps il est venu depuis Baltimore pour rencontrer Jean-Philippe parce que c’est son plus grand fan.

J : Voilà, Robin.

R : Bonsoir.

J : Et enfin notre invité Jean-Philippe Uzan (JPU).

JPU : Bonsoir !

J : Et donc Irène depuis la Californie.

R : Qui n’a donc pas fait le déplacement.

J : Donc ce soir c’est une émission un peu comme la dernière de l’année passée, c’est à dire interview/dossier.

R : Globalement on laisse Jean-Philippe parler.

J : Voilà.

JPU : Ils ont trouvé un type qui est capable de parler tout seul.

R : Ca dure largement assez longtemps quand on le laisse parler.

J : Voilà, et puis on va enchaîner sur vos questions parce qu’il y a du monde ce soir dans la chat room.

R : Et puis c’est parti.

J : Est-ce qu’on commence par l’extrait de musique ? Jean-Philippe avait préparé un extrait.

Protonic games Fabien Waksman

JPU : On ne va pas écouter les 12 minutes, à un moment tu t’arrêtes quand tu penses que ça va…

N : Tu peux commencer à parler.

JPU : Bonsoir à tous, ceci c’était le début d’une pièce qui s’appelle Protonic Games, donc les jeux de proton, qui a été composé par Fabien Waksman, qui est un jeune compositeur français qui travaille au conservatoire de Paris. C’est un prof d’écriture, qui est un de mes amis, avec qui j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps. Je vais vous parler un peu de ce qu’on a fait, de projets qu’on a fait avec des étudiants et puis aussi comment est-ce qu’on en est arrivés là, c’est un peu ça. Comme c’est les vacances et que j’ai beaucoup travaillé toute la journée c’est beaucoup d’improvisation, voilà, et l’idée c’est de partager des choses que j’aime donc il y aura de la science, de l’astrophysique, il y aura un peu de math et il y aura surtout beaucoup de musique parce que ça fait partie des choses qui sont importantes dans ma vie. On va parler de comment on fait rentrer en collision plein de choses qui n’ont rien à voir ensemble et qu’on arrive à justifier le fait que c’est bien de les mettre ensemble. On va essayer de faire ça. Je ne sais pas comment on commence ?

R : A priori : juste de dire que tu vas regrouper toutes ces choses là ça fait déjà la question. Mathématique et physique on a déjà fait un épisode…

J : Question rhétorique : qu’est-ce que tu penses des maths, de la physique, de l’astronomie et de la musique ?

La naissance du monde, in Musurgia Universalis, Athanasius Kircher, 1650.
La naissance du monde, in Musurgia Universalis, Athanasius Kircher, 1650.

R : Mathématique et musique on a déjà fait un épisode, ça peut lancer, astrophysique et musique à vue de nez, à part les anciens illuminés qui entendaient l’harmonie des sphères, je ne vois pas bien.

JPU : On va parler de l’harmonie des sphères. En fait je vais vous expliquer un peu comment les choses se sont faites. Moi j’aime la musique depuis tout petit, j’en fais beaucoup, la science, la physique et l’astrophysique aussi, c’est un peu mon métier. Mais ce n’est pas pour ça qu’on fait les deux en même temps et là il y a eu des hasards de l’histoire de la vie qui font qu’on fait des rencontres et qu’il y a des choses qui se mettent en place qu’on n’avait pas prévues.

Ca c’est un peu l’histoire, ça a commencé en 2009 je crois, j’avais été invité par la fondation 93, qui organise pas mal d’activités dans des écoles élémentaires dans le 93, pour faire une série d’interventions avec un compositeur qui s’appelle Eddie Ladoire autour de sciences et arts, il y avait à chaque fois un scientifique et un artiste. Dans les artistes il y avait des auteurs de bande dessinée, des peintres, des comédiens et un compositeur. Quand la fondation 93 m’a invité je leur ai dit que je préférerais travailler avec un compositeur parce que c’est ce qui m’intéresse le plus et je ne comprenais pas grand chose à l’écriture de la musique contemporaine. Comme ça au moins ça me forcerait à apprendre des choses. Parce que dans ce genre de projet on donne pas mal de temps mais c’est aussi bien de s’enrichir de choses qu’on aime et puis de rencontrer des gens avec qui peut-être on peut faire des choses. Donc on a développé un projet autour de science et musique, astrophysique et musique.

On a commencé à discuter avec les enfants d’une classe de CM2. On voit les étoiles, c’est de la lumière, les différences et similarités entre la lumière et le son, et puis les différences entre l’art pictural et la musique, on ne les perçoit pas de la même façon. Puis ce projet s’est développé et un jour comme ça en discutant et en plaisantant, on parle avec Eddie et je lui dis que c’est quand même bizarre parce que si toute l’humanité était aveugle, quelle représentation nous ferions-nous de l’univers ? En fait en posant cette question ça a complètement orienté le projet parce qu’on a réalisé qu’en faisant cette expérience de pensée de l’astronome aveugle, on pouvait avoir une réflexion déjà très profonde sur la notion de réalité et surtout sur la notion de ce que nous on se représente. C’est à dire qu’aujourd’hui la perception que j’ai du monde extérieur je l’ai à travers mes sens, ces sens sont des objets de mesure qui sont limités, on a 5 sens, je vois certaines couleurs, donc en gros je vois une octave avec mes yeux, avec mes oreilles c’est plutôt une dizaine d’octaves. Dans l’espace, c’est le vide  donc bien sûr le son ne se propage pas, donc tout ce que je sais de l’univers je le sais principalement par la lumière, il y a aussi quelques particules comme les neutrinos (voir aussi le blog audio 38).

Quelqu’un : Les ondes gravitationnelles (voir aussi l’interview du Pr. Maggiore dans l’épisode 257).

JPU : J’allais venir aux ondes gravitationnelles  mais je ne voulais pas en parler tout de suite, et en fait on est limité dans la préhension que l’on a du monde, à partir de ce que l’on mesure, on va faire une représentation du monde physique et de l’univers. Il se trouve qu’avec le développement des progrès scientifiques on a réussi à faire des “prothèses” de nos sens, on arrive à voir dans des couleurs que nous ne voyons pas, les ultraviolets, les infrarouges, les rayons X, on arrive à voir de petites distances avec des microscopes de plus en plus fins (voir ce dossier sur les microscopes), avec les accélérateurs de particules, on arrive aussi à voir plus loin avec des télescopes (voir ce dossier sur les télescopes). Bref, on a enrichit tous nos sens et on se rend compte qu’à chaque fois on découvre une réalité qui est différente de celle que nous avions représentée alors que nous avions un accès limité au monde.

Galaxie du Tourbillon vue par des télescopes utilisant différentes longueurs d’onde. Source : NASA, ESA, STScI/AURA, UMass/IPAC-Caltech
Galaxie du Tourbillon vue par des télescopes utilisant différentes longueurs d’onde.
Source : NASA, ESA, STScI/AURA, UMass/IPAC-Caltech

J : On va peut-être faire une petite pause sur le spectre électromagnétique.

JPU : Vas-y je te laisse faire ça.

J : Les photons qui nous arrivent ont différentes énergies et la partie qui est accessible à l’œil humain est extrêmement réduite et depuis le XIXe siècle ou même avant on s’est aperçu qu’il y avait des photons ultraviolets, infrarouges etc, on a étendu et donc maintenant on a accès à une grosse partie du spectre électromagnétique grâce à nos instruments et l’univers n’a pas du tout les mêmes objets, les mêmes couleurs et les mêmes zones d’intérêt en fonction des longueurs d’onde, des énergies auxquelles on l’observe.

Bois vu au microscope électronique
Bois vu au microscope électronique

JPU : Voilà exactement, parce que chaque type de photon, chaque type d’énergie, correspond à des processus physiques différents et donc en regardant dans différentes énergies on révèle des processus physiques qui sont dominants dans certaines et pas dans d’autres et donc des images complémentaires du phénomène. Donc ça ça enrichit notre notion de la réalité. On se rend compte que chaque fois, elle nous surprend, elle n’est jamais comme on avait prévu qu’elle soit. Par exemple si je prends la table devant moi, je la touche avec mes doigts, cette table est lisse, elle est dure [il tape sur la table], je la regarde au microscope électronique c’est complètement rugueux, c’est surtout du vide et pas du plein et ainsi la représentation qu’on va faire à partir de ces objets de mesure, de ces extensions de nos sens, nous révèle une réalité qui est différente de la réalité manifeste.

Ca c’est intéressant, surtout quand on travaille avec des enfants, parce que ça montre la grande limite de la diffusion des connaissances. C’est à dire qu’on va s’adresser à des gens qui n’ont pas assez de connaissances, on doit s’exprimer avec des mots qui sont chargés de sens et qui sont liés à cette vision manifeste que l’on a du monde puisque le langage s’est développé au cours de l’évolution de l’humanité. Cette humanité qui interagissait avec le monde à son échelle et donc on n’a pas vraiment eu le temps de développer des mots, des concepts, qui se seraient diffusés. Peut-être que dans plusieurs siècles les gens parleront “quantique” comme aujourd’hui d’autres parlent football, quoi que le foot c’est compliqué on n’y comprend rien du tout.

R : Il y a des exemples effectivement de notions complexes qui sont passées, je pense aux probabilités, dans une très petite mesure, il y a quand même du vocabulaire et des notions qui sont passées dans le langage courant.

JPU : Exactement. Donc ça c’est une des grandes missions de la vulgarisation, outre le faire de parler de la connaissance, c’est de parler et de bien faire comprendre les mots et de se rendre compte que parfois, il y a des choses qui peuvent paraître contradictoires ou absurdes si on donne au mot leur sens premier et qu’on oublie qu’il y a un nouveau sens qui se rajoute au sens préexistant. Quand on travaille avec des enfants c’est intéressant parce que ça permet de questionner presque tout en fait.

Les grands bras du détecteur Virgo Source : The Virgo collaboration
Les grands bras du détecteur Virgo
Source : The Virgo collaboration

Tu parlais aussi des ondes gravitationnelles  et ça c’est merveilleux parce que les ondes gravitationnelles  ça correspond à un sens que nous n’avons pas, nous n’avons pas de bras assez grands pour pouvoir détecter les ondes gravitationnelles et donc jusqu’il y a 6 mois nous étions aveugles en ondes gravitationnelles (épisode 257). Là on vient d’ouvrir un nouveau sens et c’est ça qui est extraordinaire, et donc on peut retrouver cette expérience de l’astronome aveugle en se disant que voilà on est en train de découvrir un nouvel univers en ondes gravitationnelles  et peut-être qu’on va découvrir encore des phénomènes qui nous ont échappés avec l’observation électromagnétique du monde.

N : La question a peut-être très peu d’intérêt mais avec les ondes gravitationnelles  on a beaucoup parlé d’écouter l’univers alors qu’avant on ne faisait que le regarder, justement, est-ce qu’on écoute ou est-ce qu’on regarde les ondes gravitationnelles  ou est-ce que ça a peu d’intérêt comme question ?

JPU : Moi je dirais qu’il faudrait un nouveau mot, j’écoute avec mes oreilles et je vois avec mes yeux, c’est le sens premier, après on peut prendre le mot “voir” au sens général c’est à dire interagir avec le monde extérieur, dans ce cas là on voit les ondes gravitationnelles. Tout ce qu’on a entendu à la télé, les gens ont fait écouter le signal d’ondes gravitationnelles, ça c’est une transposition, c’est à dire qu’on a amené un signal qui n’est pas dans le domaine audible, ce qui est exactement ce qu’il se passe quand on  écoute la radio. C’est à dire que quand vous écoutez la radio, en tout cas la radio hertzienne, il y a un présentateur qui parle donc c’est vraiment du son, des vibrations de pression de la bouche jusqu’au micro. C’est transformé en signaux électriques, ces signaux électriques sont transformés en ondes qui se propagent jusqu’aux récepteurs et là au niveau de la radio on les transforme de nouveau en ondes de pression qui viennent dans votre oreille. Donc en fait entre l’émission et la réception il y toute une phase où cette onde ne se propage pas sous forme d’onde de pression, sous forme de son. Elle se propage sous forme d’onde électromagnétique et d’ailleurs c’est quelque chose qu’on va utiliser. C’est-à-dire que bien sûr dans l’univers, c’est vide, mais si je suis capable d’utiliser “le coup de la radio”, donc des ondes de pression qui ont eu lieu dans les étoiles, dans l’univers primordial, auxquelles je n’ai accès que par des détections électromagnétiques, j’ai le droit, c’est tout à fait légitime puisqu’on écoute la radio, de les retransformer de nouveau en son. Ca va être une des règles du jeu que l’on va se donner.

Chirp de la coalescence des deux trous noirs détectée par LIGO

J : On voit la radio en fait finalement.

JPU : Voilà, on voit la radio en ondes électromagnétiques. Ca ce sont un peu les liens qu’on a creusé ensuite avec les enfants. Il s’est trouvé suite à ça qu’on dit beaucoup de bêtises et parfois on se fait piéger et donc en discutant avec la fondation 93 on a raconté cette histoire de l’astronome aveugle qui écoutait l’univers et qui transformait tout en sons pour comprendre et qui essayait de se faire une représentation du monde. Ils nous ont dit : composez le. Là on était piégés parce qu’ils ont proposé de nous associer à un plasticien qui a créé une cabine d’écoute. C’était avec du son spatialisé, il y avait de l’argent qui avait été investi pour la création de l’objet et donc à ce moment là on ne pouvait plus reculer parce qu’on avait eu une idée tordue. On fait le fier et à partir du moment où on vous dit “faites le” et bien il faut travailler.

Donc on a travaillé pendant presque un an avec Eddie Ladoire pour créer une pièce qui s’appelle Vostok : une cabine à l’écoute de l’univers (dossier de presse) et qui avait été créée en 2010 si mes souvenirs sont bons, à la Cité des Sciences où elle était restée pendant 3 mois, et ensuite elle vécu un peu sa vie. On était immergé à l’intérieur d’une cabine dans laquelle il y avait une composition qui durait 23 minutes à peu près, et qui était une sorte de balade dans la galaxie de quelqu’un qui serait aveugle et qui aurait utilisé cette technique de transformer tous les signaux qu’il pouvait capter en sons et qui essayait de se représenter l’univers. Donc ça c’était un petit peu le projet qu’on a fait et c’était de la musique électroacoustique.

Vostok : une cabine à l’écoute de l’univers, documentaire

N : Je voulais juste préciser mais je crois que tu l’as fait, mais quand tu dis une pièce c’est une pièce comme une salle, c’est pas du tout une pièce de théâtre.

JPU : Ah non quand je dis ça, je parle d’une pièce de musique. Mais la cabine c’est une cabine qui n’est pas très grande, on pouvait rentrer à 6 à l’intérieur, c’était une cabine en métal, il y avait 6 haut-parleurs, il y avait un caisson de basses, le sol pouvait vibrer et le son pouvait tourner. On pouvait avoir par exemple un trou noir qui se formait sous vos pieds, là on sentait le son qui se focalisait sous ses pieds. On a joué avec ces choses-là parce qu’outre le fait d’entendre la musique, comme on était dans une pièce en métal, on ressentait aussi certaines vibrations et en particulier les basses fréquences donc il y avait vraiment quelque chose de très riche. Au cours de ce travail j’ai commencé à lire comme toujours. On commence à faire et puis on lit après, souvent on devrait commencer par lire mais ça c’est pour les gens sérieux. Donc j’ai découvert qu’il y a plein de gens qui ont écrit sur les relations entre la science et la musique et que finalement ça existe depuis l’Antiquité. C’est là que j’ai commencé à collecter plein de choses et je peux vous raconter des histoires, c’est ça qui est intéressant, parce qu’on se rend compte que la distinction qu’on fait aujourd’hui entre science et musique ce n’est pas celle qu’on faisait dans l’Antiquité ou au Moyen-Âge. Ça pose aussi la question de ce que c’est que de faire de la science, qu’est-ce que c’est qu’une discipline scientifique.

J : Tu peux rappeler le nom de la pièce ?

JPU : Vostok, avec Eddie Ladoire. Si tu mets un lien, il doit y avoir une description du projet, je ne sais pas si on peut l’écouter.

On a tous grandi dans le beau système français où on apprend à faire de belles rédactions, je ne sais pas si vous vous rappelez, la bonne façon pour commencer pour que le prof soit content c’est de commencer par une bonne vieille citation grecque ou latine, parce que là ça justifie tout [rires]. Le mieux c’est quand même de commencer par Platon. Si tu commences par Platon et “Platon l’a dit”, là tu peux dérouler. Il se trouve que j’ai trouvé la bonne citation de Platon. C’est dans La République, il dit :

Il semble, répondis-je, que comme les yeux ont été formés pour l’astronomie, les oreilles l’ont été pour le mouvement harmonique, et que ces sciences sont sœurs, comme l’affirment les Pythagoriciens, et comme nous, Glaucon, nous l’admettons, n’est-ce pas ?

Buste de Pythagore, Musée du Capitole, Rome
Buste de Pythagore, Musée du Capitole, Rome

Il nous dit qu’en gros, les oreilles, les yeux, les mouvements harmoniques, il faudra expliquer ce que sont les mouvements harmoniques parce que ce n’est pas clair, sont des sciences sœurs, donc c’est la même chose. En plus on nous donne tout le plan de la dissert’, il cite les Pythagoriciens, donc il faut aller voir les Pythagoriciens, il faut comprendre les mouvements harmoniques et les liens avec l’astronomie et puis une fois qu’on est là on va dérouler. On va pouvoir trouver aussi que cette tradition qui commence peut-être à Pythagore, peut-être avant mais en tout cas qui est documentée ou plutôt transformée sous forme de légende à partir de Pythagore, elle va traverser toute l’histoire de la pensée jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui on a encore des compositeurs qui se raccrochent à ce genre de tradition donc ça veut dire que c’est une façon d’aborder à la fois la science et la musique sous un angle différent et puis de découvrir des morceaux que l’on n’écouterait peut-être pas autrement. Voilà on peut commencer doucement, on ne va pas faire un cours sur Pythagore peut-être. Tu nous as fait le spectre électromagnétique, rappelle nous Pythagore.

J : On va laisser Robin parler de Pythagore le mathématicien.

R : Je peux rappeler que j’ai fait un épisode entier sur maths et musique comme ça, ça peut donner l’occasion à Jean-Philippe de souffler, j’ai passé une heure à expliquer des choses dont Pythagore, pas uniquement. Disons que je pense que les trucs essentiels à rappeler pour être dans le propos c’est que Pythagore a cherché à faire une relation entre les “notes qui vont bien ensemble” pour résumer, et des rapports de nombre simples, en gros. C’est ça le résumé.

JPU : Ouais c’est ça, pour la musique.

R : Oui non je ne vais pas rappeler Pythagore sa vie son œuvre.

JPU : Pythagore est partout.

R : De toute façon le truc que je dis à chaque fois, parce que j’ai entendu des historiens des sciences homologués le dire donc je me sens autorisé à le dire, c’est qu’on est même pas certain qu’il ait existé… Donc c’est une vaste blague, et son théorème c’est une blague c’était connu mille ans avant.

JPU : Donc c’est exactement ça. Il y a Pythagore, la légende, l’icône et puis il y a peut-être l’homme, on ne sait pas grand chose. Tu parlais du théorème, est-ce que c’était connu avant ? Il y a des trucs marrants, on dit que c’était une sorte d’ascète, qu’il offrait en général aux dieux des gâteaux de miel, de l’encens, des chants etc. Puis dans La vie d’Appolonios il est dit quelque chose d’assez extraordinaire c’est qu’après la découverte du fameux théorème qui porte son nom, on dit qu’il immola une hécatombe. Donc on imagine le gars qui découvre un théorème et là il occit cent bœufs comme ça.

R : Juste pour arroser ça.

JPU : Voilà, pour arroser ça, donc comme je le dis souvent il ne faut pas toujours chercher la logique dans ces histoires-là mais c’est bien les légendes parce que c’est aussi ça qui nous fait vivre. On aime bien les légendes, on aime bien les icônes.

R : L’autre légende c’est quand même qu’il a tué quelqu’un pour avoir prouvé que racine de 2 était irrationnel. Ça va quand même jusque là.

JPU : La légende à laquelle tu fais référence on en trouve plein de traces dans des livres, par exemple dans un bouquin qui s’appelle la Theorica musicae (pdf du livre), de Franchinus Gaffurius (1492). Il y a de très belle gravures où on voit Pythagore, il y en a une où il est en train de regarder des forgerons qui tapent sur des enclumes avec des marteaux, et donc on raconte qu’il se baladait, qu’il serait passé près des forges, qu’il aurait demandé aux forgerons d’échanger leurs marteaux parce qu’il voulait vérifier que le son ne dépendait pas de la force du forgeron mais de la taille du marteau donc déjà une démarche expérimentale très très poussée, il veut essayer de supprimer les effets systématiques. Puis on dit qu’il serait rentré chez lui, on voit Pythagore avec son pote Philolaos et donc il y a des gravures où on voir Pythagore taper sur des verres plus ou moins remplis, on voit qu’il y a marqué 4-6-8-9 sur les verres. Il tape sur des cloches, ils ont des cordes plus ou moins tendues, ils ont des flûtes, il en tient une sur laquelle il y a 9 et 12, ça doit être la quarte…

Gravure de Pythagore tirée de Theorica musicae de Franchinus Gaffurius
Gravure sur Pythagore tirée de Theorica musicae de Franchinus Gaffurius

R : La gravure est en direct dans la chatroom

JPU : Ah oui c’est celle-là ! En fait c’est génial parce que quand on regarde cette gravure on pourrait en discuter pendant des heures. Mais déjà Pythagore son nom n’est pas écrit à chaque fois de la même manière donc ça ça prouve qu’on n’est pas sûr que ce soit toujours le même.

R : Pitagora, Pitagoras,… [rires]

JPU : Moi je ne suis pas un pro en grec, je ne sais pas s’il y a une raison pour ça, et puis là on voit Jubal c’est la personne qui dans la bible aurait ramené la musique aux humains. Donc on voit que quelque part tout ça c’est vraiment un truc mythique. Il y a une citation que je trouve très belle d’Arthur Koestler quand il parle de cet événement, dans les Somnambules, il dit :

Pythagore a transformé le bruit en information.

Ce qui est assez joli parce que c’est vrai qu’il s’est rendu compte qu’il y avait des sons qui allaient bien ensemble. Il a essayé à partir de cette observation qui est un peu du hasard et de se demander s’il y avait moyen de l’expliquer, est-ce qu’il y avait une théorie derrière et puis de formaliser et de trouver qu’en fait, les accords qu’on va dire harmonieux sont reliés à des fractions qui sont des fractions simples.

octave, quinte et quarte Sur portée clé de sol et clavier de piano.
octave, quinte et quarte
Sur portée et clavier de piano.

Pour la faire courte en fait, si on prend une corde, elle vibre avec une certaine fréquence, si je prends la même corde, que je la pince exactement au milieu elle va vibrer avec une fréquence double et on va l’entendre à l’octave

1. octave     

C’est vrai que si on fait l’octave, ce sont deux notes qui vont très très bien ensemble. Ensuite il va remarquer que si je la pince aux 2/3 je vais obtenir une quinte

2. quinte     

Au 3/4  je vais obtenir une quarte

3. quarte     

Après on remarque, ça ce ne sont pas des mathématiques très profondes, que 3/4*2/3 ça fait 1/2 donc en gros vous prenez d’abord une quinte et après une quarte et ça fait une octave.

On se rend compte que quelque part il y a une arithmétique derrière ces choses-là, ça va un peu lancer cette idée qu’il y a une relation très profonde entre arithmétique et des rapports harmonieux. Ces rapports qui sont 1/2, 2/3, 3/4, donc finalement des nombres très particuliers, on va commencer à leur donner une valeur. Il y a toute cette légende chez les Pythagoriciens où le nombre va prendre la place centrale et pour qui tout est nombre finalement. C’est à dire que toute chose compréhensible va pouvoir s’expliquer à partir de nombres simples et de fractions formées à partir de ces nombres simples. C’est vraiment ça la philosophie qui va se mettre en place si on veut le faire très très court.

N : Et finalement ils ont en fait trouvé dans la musique cette perfection des rationnels qui très vite a été entachée dans le monde réel par les irrationnels.

JPU : Exactement, je vais y venir parce que c’est vachement beau.

Une fois qu’on a ça on peut se dire est-ce que je peux utiliser cette technique pour définir les notes de la gamme, on ne sait pas si c’est Pythagore, on en sait rien, mais on part d’une note et puis à chaque fois on va couper, on va faire un cycle des quintes et on va égrener toutes les notes.

Cycle des quintes, Dominique Cheviet

Si je prends une quinte, puis une autre, elles sont de plus en plus aiguës, quand c’est trop aigu on peut doubler la longueur de la corde pour descendre d’une octave. Donc on alterne des quintes et des octaves et on se pose la question de savoir est-ce que ça boucle au bout d’un moment ? Est-ce qu’on retombe sur nos pieds ? Quand vous êtes à l’école de musique on vous apprend le cycle des quintes et on vous dit : il y a douze notes, il y a do, ré, mi, fa, sol, la, si, do puis il y a les dièses et les bémols qui vous font cet ensemble de douze notes différentes.

Gamme chromatique ascendante et descendante, crédit : Hyacinth pour Wikipedia
Gamme chromatique ascendante et descendante, crédit : Hyacinth pour Wikipedia

La question est de savoir, là c’est peut-être le truc de mathématique le plus profond, est-ce que c’est possible de caler un certain nombre de quintes dans un certain nombre d’octaves. En gros c’est ça l’équation qu’on doit résoudre, et il est clair que cette équation qui est (3/2) à une certaine puissance égale 2 à une certaine puissance [(3/2)x = 2y]. Là typiquement c’est 12 quintes dans 7 octaves, donc est-ce que (3/2)12 = 27 ? C’est une question que je pose et qu’on peut également voir comme 312 = 219 et là on se rend compte que ça veut dire qu’un nombre impair est égal à un nombre pair, donc ça ne marche pas. La raison pour laquelle ça ne marche pas c’est que le si dièse on appelle ça do, pourtant le si dièse il est différent de do donc la dernière quinte n’a pas la bonne taille, elle est un petit peu trop courte, c’est ce qu’on va appeler en musique la quinte du loup.

Quinte du loup

On l’appelle la quinte du loup parce qu’apparemment les musiciens disent qu’elle est un peu hurlante. Tu parlais de racine de 2, du fait que quelqu’un serait mort à cause de cette découverte de la racine du carré de côté 1, mais finalement je dis que la quinte du loup c’est le cri d’horreur parce que tu te rends compte que les nombres irrationnels existent dans le domaine sensoriel aussi et dans la vraie vie.

R : Il y en a un des deux où tu vois une racine carrée…

JPU : Et l’autre tu l’entends.

On voit qu’on a construit une gamme et les gens dans la théorie de la musique vont beaucoup travailler là dessus. C’est à dire qu’il va y avoir toute une branche de la musique et des mathématiques qui vont se demander comment faire pour définir une gamme qui est jouable. On a des quartes qui sont justes, on a des quintes qui sont justes et l’octave qui est juste et puis après on a cette dernière quinte. Il se trouve que si on commence à moduler, à changer de tonalité, cette quinte du loup va se balader et il va y avoir un problème avec la façon dont on définit la gamme. Mais ça, ça va lancer une tradition énorme avec par exemple Galilée père qui va s’y intéresser parce qu’il était luthier, compositeur, il aurait influencé son fils. On pourra peut-être en reparler, il y a un grand débat chez les historiens, j’ai lu des trucs sur le père de Galilée, bon je ne sais pas si c’est vrai donc on mettra des guillemets. Il y a eu toute cette tradition d’essayer de construire des gammes et ça a intéressé pas mal de musiciens, pas mal de mathématiciens. C’est marrant parce que les plus enthousiastes sont rarement les mathématiciens, ce sont souvent les musiciens, j’avais lu des trucs hallucinants, des débats, il y a Rameau qui est super enthousiaste sur le fait qu’on va pouvoir construire les gammes à partir des mathématiques et tout ça. Puis on a D’Alambert qui lui dit que tout ça c’est un peu illusoire, ça n’a rien à voir avec le plaisir que nous apporte la musique.

Une longue tradition donc, la première idée c’est de se dire que finalement on ne s’arrête pas à douze, on continue à étirer les quintes jusqu’à trouver une gamme plus précise, alors on a construit des gammes à 31 notes, des gammes à 53 notes, en fait on peut même en construire avec moins de notes, on peut construire une gamme avec 5 notes, c’est la gamme pentatonique qui a cette sonorité un peu asiatique qui est utilisée pas mal en jazz aussi donc on essaie pas nécessairement d’avoir une gamme plus précise.

Improvisation autour de la gamme pentatonique

Mais là de toute façon on se rend vite compte que si on a 53 notes ou plus, pour avoir une précision plus grande sur le cycle des notes, premièrement ça devient un peu injouable parce qu’il faut imaginer un piano sur lequel entre 2 do il y a 31 ou 53 notes, il y a des orgues qui ont été construites sur ce modèle-là. Il faut nommer les notes, apprendre la théorie de la musique, alors déjà avec 12 notes on a du mal alors 53 notes vous imaginez les examens de solfège. Ce n’était pas très pratique donc avec l’évolution de la façon de composer on s’est rendu compte qu’il y avait besoin d’avoir des tierces qui étaient justes, de pouvoir transposer plus facilement.

Tableau récapitulatif des différents intervalles utilisés dans la musique occidentale. Crédit : Djiboun
Tableau récapitulatif des différents intervalles utilisés dans la musique occidentale.
Crédit : Djiboun

Avec l’introduction de la polyphonie on s’est rendu compte qu’il y avait besoin d’instruments qui puissent transposer, qu’on puisse avoir plus de richesse. Il y a eu une volonté de faire évoluer cette gamme, on a donc introduit une tierce, la tierce juste. Ensuite les développements ont mené vers une gamme complètement horrible qu’on appelle la gamme bien tempérée. On s’est dit que finalement on allait couper ça en 12 morceaux de même longueur et c’est là qu’on va avoir ce racine de 2 qui va explicitement apparaître.

R : Comme ça au moins tout est faux.

JPU : Comme ça tout est faux. Mais c’est tellement peu faux note par note qu’en fait on ne l’entend plus.

J : Donc en fait cette gamme là dont tu parles c’est une gamme pour laquelle l’écart entre les notes serait de toute façon irrationnel à chaque fois. Ce qui fait qu’à la fin quand on a fait les 12 on est retombé sur nos pieds.

JPU : C’est ça. Alors quand ça a été introduit il y avait plein de musiciens qui n’étaient pas contents parce qu’ils avaient l’habitude d’avoir des quartes et des quintes justes. Alors on dit que les gens qui ont l’oreille absolue, les violonistes, ça les gêne.

R : Il n’y a pas besoin d’avoir l’oreille absolue, j’étais assez surpris parce que j’ai moi-même pas une oreille si sensible que ça, ce n’est pas mon métier la musique mais quand j’ai travaillé là dessus et que j’ai écouté énormément de quintes justes, j’ai fait la gamme de Pythagore, j’ai beaucoup beaucoup écouté, et quand tu t’es bien bien mis une quinte juste dans l’oreille et que juste après tu mets une quinte tempérée, ce n’est pas beau. C’est beaucoup moins bien.

JPU : Surtout si tu les joues ensemble tu vas avoir des battements.

R : Je précise juste avant que tu continues, parce que c’est très intéressant et je trouve ça très bien que tu le réexpliques à ta manière mais pour les gens qui trouvent ça très très compliqué, j’ai fait ce que Jean-Philippe vient d’expliquer en 5-10 minutes en une heure d’émission. (Episode 176 toujours). Ce n’est pas du tout pour critiquer mais je pense que ça va très vite pour les gens qui ne connaissent pas la musique.

JPU : Non mais tu as raison je suis allé très très vite là dessus.

R : Mais c’est très bien vu que ça a déjà fait autant que tu t’occupes d’autre chose en plus.

JPU : C’est vrai qu’il y a la technique, la construction de ces accords mais ce qui est important c’est aussi de voir qu’il y a plein de penseurs qui vont s’y intéresser et qu’il va y avoir beaucoup d’activités. Même aujourd’hui il y a encore des gens qui travaillent sur l’arithmétique des gammes, il y a encore des publications sur ce sujet. Donc ça c’est une voie.

Comme je le disais tout à l’heure, pour ces penseurs tout était nombre donc tout doit être lié par les nombres. C’est là qu’on va un peu glisser disons. Ça arrive souvent en science, vous trouvez des coïncidences, et on ne sait jamais si une coïncidence est une vraie coïncidence ou si elle révèle quelque chose sur la nature. Donc on expliquait le son à partir des fractions mais d’un autre côté on observait aussi le ciel et on avait les périodicités des astres errants, ce qu’on va appeler les planètes, il fallait comprendre leur mouvement. Là il y a eu un saut qui a donné naissance à cette tradition dont tu parlais tout à l’heure qui est l’harmonie du cosmos. C’est une relation entre un phénomène physique qu’est le son, sa formulation mathématique le nombre révélé par l’expérience de la corde vibrante et qu’on va étendre au mouvement des étoiles. C’est là qu’on commence à rentrer dans l’astrophysique et la cosmologie, déjà il y a le mot cosmos. J’ai souvent dit en conférence que c’était le plus beau mot de la langue française avant qu’on me dise que c’était un mot grec. [rires]

Un pilier dans la Nébuleuse de l'Aigle Crédit : NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA)
Un pilier dans la Nébuleuse de l’Aigle
Crédit : NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA)

Le mot cosmos c’est un mot que tout le monde connait, mais je trouve que c’est intéressant quand même de connaître les différents sens du mot cosmos. On pense bien sûr à cosmos versus chaos donc ordre par rapport à désordre. On pense à cosmos en tant qu’univers, pourquoi est-ce qu’on appelle l’univers cosmos ? Pourquoi est-ce que c’est ce mot là qu’on a choisit ? Ça c’est encore un héritage – dit-on – de Pythagore, puisqu’il a tout fait. Donc cosmos ça donne aussi cosmétique donc beauté, donc là je parle sous l’autorité d’une de mes amies qui est prof de grec à la Sorbonne, donc si je dis des conneries vous vous plaignez à la Sorbonne directement. Cosmos ce serait donc les bijoux des femmes grecques et leurs parures et que selon Pythagore l’émotion qu’il ressentait devant le ciel étoilé était la même que l’émotion qu’il avait en regardant la parure des femmes. D’où le fait qu’on utilise la même racine pour cosmétique et pour cosmologie, ou cosmonaute.

Donc il y a cosmos et il y a le mot qui est harmonie, là aussi c’est un mot qu’on retrouve dans plein de choses, en math on parle de fonctions harmoniques, on parle d’harmonie en musique,  et là on parle d’harmonie du cosmos.

J’ai un peu recherché l’origine de ce mot harmonie, ça m’intéressait,  où est-ce qu’on le retrouvait. En fait dans les textes, je ne reviens plus sur le nom, on le retrouve à plusieurs endroits, dans l’Iliade et puis dans l’Odyssée.

R : Homère.

JPU : Ouais c’est Homère c’est ça, c’est le copain de Pythagore ils sont aussi fantomatiques l’un que l’autre. Ce soir c’est une émission sur les fantômes en fait vous n’avez pas compris ! Donc Homère utilise le mot harmoniser quand Ulysse construit son radeau, donc il a des rondins de bois, et il les attache ensemble. Quand il attache les rondins ensemble voilà c’est harmonisé, il les fait tenir ensemble.

J : Moi ce que j’aime bien quand je lis l’Iliade ou l’Odyssée c’est ce qu’il y a souvent des adjectifs d’ordre. Quand il voit de l’eau c’est de la belle eau, quand il voit un bateau c’est un bateau ordonné, il y a une idée de remarquer la beauté. Ça me plait aussi dans Homère ça.

JPU : On remarque toujours la beauté non ? [rires]

J : Mais on ne la fait pas forcément remarquer.

JPU : Le deuxième endroit où Homère utilise le mot c’est dans l’Iliade, il y a Hector et Achille qui vont se battre et Hector propose à Achille un accord, il utilise le mot harmonie, trouver un accord, trouver une entente, avant leur combat. Et en fait dans plein d’endroits on trouve cette idée qu’harmoniser c’est mettre ensemble. Donc va naître cette image de cet univers avec ces planètes qui peut-être émettraient des sons et que ce qui tient l’univers ordonné c’est finalement cette harmonie. C’est quelque chose qu’on rajoute qui permet de faire tenir les choses ensemble et que l’univers doit être harmonisé pour que le cosmos continue à exister. Donc il y a un peu cette image qui va se développer et surtout l’idée d’imaginer le cosmos, ce qu’on appelle cosmos à l’époque, c’est vraiment le système solaire aujourd’hui, dans lequel chaque planète pourrait être vue, de façon onirique au moins, comme les cordes d’une lyre qui jouent de la musique. Il va y avoir des développements autour de cette harmonie du cosmos, on retrouve ça chez des milliers d’auteurs. Si vous lisez le Timée de Platon, il va s’enthousiasmer et reprendre ça, Aristote va dire que c’est vrai mais que tout ça c’est onirique, Cicéron le reprend et fait des développements sur le sujet dans le songe de Scipion. Et puis il y a des débats sans fin pour savoir si les planètes font de la musique, émettent des sons, comment est-ce qu’elles les émettent, pourquoi est-ce qu’on ne les entend pas? Est-ce que c’est vrai que le maître, c’est à dire Pythagore, lui les entendait alors que nous nous les entendons pas ? Je vous en passe.

R : C’était Chuck Norris.

JPU : C’est ça exactement, mais c’est merveilleux quand on reprend ces textes, c’est merveilleux parce que c’est une preuve d’une très grande imagination.

Il y a donc cette musique qui est là, et comme elle est reliée à la théorie des nombres, des fractions, elle va avoir un statut de théorie scientifique. Cette tradition va être transmise au monde latin en particulier par Boethius, Boèce, il va formaliser ce qu’on appelle le quadrivium, c’est à dire l’enseignement des disciplines scientifiques. Dans ces disciplines il va y avoir l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. En fait, jusqu’à pratiquement la fin du Moyen-Âge, toute personne qui fait des études de sciences apprend ces quatre disciplines. C’est ce que Platon appelle dans le Timée les quatre mathèmatas, les choses qui sont dignes d’être apprises. Ça va donc fonder le socle de toute l’éducation. D’ailleurs il utilise aussi le verbe rythmer comme synonyme d’éduquer. On voit que quelque part c’est intimement lié, ce n’est pas juste une analogie, c’est très profond. La vision qui est conceptualisée dans ce quadrivium, cet enseignement, c’est qu’on a deux types de mathématiques, les mathématiques discrètes et les mathématiques continues. Dans les discrètes il y a les mathématiques discrètes et absolues, c’est… ?

R : L’arithmétique.

JPU : L’arithmétique exactement. Les mathématiques discrètes et relatives ?

R : La musique.

JPU : Exact ! Deux sur deux.

Les mathématiques continues et statiques ?

R : Continues et statiques ? La géométrie !

JPU : Et continues et dynamiques ?

J et R (en chœur) : L’astronomie !

JPU : Yes !

R : Je ne connaissais pas je promets, je ne connaissais pas. [rires]

JPU : C’est assez logique.

R : Ça fait beaucoup penser à du Kant, c’est du Kant avant l’heure non ?

JPU : Je ne sais pas.

R : Je ne me souviens pas bien de Kant mais il y a des trucs comme ça.

J : Mais cette volonté de classer tout, ça ressemble à un truc de matheux ça. Tout est mathématique avec des petites variations. [rires]

JPU : C’est ça. C’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit, en fait tout penseur du Moyen-Âge connaissait les 4 disciplines. Donc quand on lit Kepler, beaucoup de gens disent qu’à un moment dans l’Harmonie du monde il va avoir des réflexions sur les polyèdres réguliers, les mouvements des planètes, puis à la fin ça finit par l’harmonie planétaire et donc les gens trouvent ça ésotérique. Mais moi je n’ai pas l’impression que ce soit ésotérique, ça c’est vu d’aujourd’hui avec une vision très contemporaine de ce qu’est la division entre ce que sont la science et la musique mais à l’époque cette distinction ne se faisait pas. C’est à dire que pour eux ça faisait partie d’un tout.

Polyèdres réguliers Crédit : C. Dang Ngoc Chan
Polyèdres réguliers
Crédit : C. Dang Ngoc Chan

R : Je trouve que ça rejoint complètement ce que tu disais sur “qu’est-ce que la science”, finalement on recherche des modèles, on recherche des régularités, j’avais aussi parlé de Kepler dans un cadre extérieur à podcast science. Je trouve que c’est une histoire hyper intéressante parce qu’on cherche à rattacher ce qu’on observe à des modèles simples qu’on connait. Donc finalement aller chercher les 5 polyèdres réguliers pour décrire la matière autour de nous, manque de pot ils n’avaient que 4 éléments mais ils ont quand même essayé. Ou avec les planètes ça collait bien avec le nombre de planètes qu’on connaissait, c’est relativement naturel et finalement assez proche de ce que la science continue à faire même si c’est avec d’autres modèles qu’à l’époque.

J : Je crois qu’il y a quand même un truc différent aussi c’est qu’à l’époque, ils ne pensaient pas que c’était un modèle, ils pensaient que le monde était mathématique non ? Alors qu’aujourd’hui on pense trouver une approximation, un modèle mathématique pour des observations.

R : Maintenant j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de scientifiques qui ont du mal à faire la distinction entre ce qu’ils racontent et la réalité quand même. Je ne sais pas, c’est toi qui est le plus dedans Jean-Philippe, tu peux nous en parler.

JPU : Non mais à un moment il y a un choix philosophique à faire, à partir du moment où tu observes que le monde se décrit en termes mathématiques de façon très précise et très efficace et que tu as des lois qui parfois dépassent la compréhension que tu as des phénomènes. A partir du moment où tu as formulé des théories mathématiques tu vas découvrir des choses sur la réalité qui t’échappaient, tu peux légitimement te poser des questions sur la vraie nature de la réalité. Ça dépasse le sujet de ce soir mais je pense qu’on peut défendre de façon assez sérieuse qu’on est vraiment platonicien au sens profond du terme.

R : Donc d’après ça, je sais que ce n’est pas le sujet mais comme c’est un sujet qui me passionne je continue, d’après toi ça voudrait dire qu’on pourrait d’une certaine manière un jour atteindre le modèle du monde ?

JPU : Et bien je ne pense pas non plus. Je pense que ce n’est pas incompatible, là je ne vais pas en parler maintenant.

R : Ah d’accord ok. Ce sera pour l’année prochaine.

JPU : Pour ceux que ça intéresse il doit y avoir quelque part sur youtube une conférence que j’avais faite au festival de Fleurance. J’en profite pour faire de la pub [intermède Festival de Fleurance, en août dans le Gers + Kangourou des mathématiques].

Donc une conférence il y a deux ou trois ans sur l’émergence de la complexité et en particulier sur cette distinction que tu soulevais.

Festival de Fleurance, Jean-Philippe Uzan

Donc voilà, on parlait de Kepler, on parlait de cette idée de la distinction que nous faisons aujourd’hui entre mathématiques et musique ou sciences et musique, elle ne se faisait pas pour beaucoup de ces penseurs. D’ailleurs on rencontre des gens qui ont des arguments assez hallucinants, par exemple il y a un bouquin que j’ai lu récemment qui est La théorie du ciel de Nicolas Oresme, on est 150 ans avant Copernic et il se pose la question de la position de la Terre, est-ce que la Terre est au centre du système solaire, est-ce que c’est le soleil ? Bien sûr il n’a aucun élément astronomique pour pouvoir trancher, il connait un peu la tradition. Et en fait il a tout un argument basé sur la musique, sur la symétrie des gammes musicales par rapport à la gamme qui représente le soleil et il trouve des incohérences et il argumente que fort probablement c’est quand même le soleil qui est au centre de l’univers. Bien sûr il n’y a aucune preuve et comme il est archevêque de Lisieux [NDT : évêque de Lisieux] un truc comme ça, à la fin il ne conclut pas. [rires]

Les sources ne sont pas claires mais j’ai lu quelque part, le fait que je l’ai lu ne veut pas dire que c’est vrai mais j’ai trouvé l’histoire très drôle c’est qu’on a Copernic avec le système héliocentrique et il y a des historiens qui ont cherché où est-ce qu’on avait trouvé des exemplaires de ce livre, il n’y en avait pas tant que ça qui se baladaient dans l’Europe, il n’y avait pas internet et tout ça… Une copie aurait été retrouvée dans la bibliothèque de Zarlino qui est un musicien donc qui a travaillé sur le développement des gammes après la gamme de Pythagore. Il était le maître, je ne sais pas si on dit le maître ou le professeur, de Vincenzo Galilée.

R : Le père !

JPU : Le père du Galilée bis, Galilée². Il y a des gens qui spéculent, on sait que le père, Vincenzo, était aussi héliocentriste, copernicien. Toute la question est de savoir, est-ce que c’est le fils qui a influencé le père ou le père qui a influencé le fils. On a tous appris à l’école que c’était le fils qui avait convaincu le père parce qu’il s’y connaissait en science mais en fait le père était versé en théorie de la musique, c’était un luthier. Donc certaines personnes “avancent”, j’insiste sur les guillemets, n’allez pas dire que je vous ai dit que c’était comme ça, mais j’ai lu et je trouve ça très drôle qu’en fait ça serait passé par le père. C’est à dire qu’à partir de ses arguments sur la théorie des gammes, les trucs de Copernic, il aurait eu des arguments forts sur l’héliocentrisme. Donc on peut se poser la question sur le sens dans lequel l’information a circulé, je trouve ça intéressant, après peut-être qu’on aura pas de réponse et que ça n’est pas si important que ça.

R : Justement ça me fait penser un peu au rapport entre mathématique et peinture, sur la perspective, où finalement les peintres ont trouvé avant les mathématiciens comment on faisait des perspectives, les histoires de géométrie projectives etc. ont été finalement plus ou moins résolues à la main intuitivement par les peintres largement avant.

JPU : Exactement, après c’est la différence entre avoir une intuition et raconter une histoire cohérente et puis d’avoir quelque chose qu’on peut démontrer ou argumenter sur des bases plus sérieuses le fait que ce soit vraiment comme ça. C’est aussi ça la différence. C’est vrai d’ailleurs pour toute cette discussion entre les sciences et les arts ou la philosophie ou autre chose. C’est qu’il faut faire la distinction entre ce qui est la part de l’intuition, du modèle que l’on peut construire comme une construction intellectuelle et de la chose qu’on va pouvoir montrer, qui va pouvoir ensuite être démontrée et qui est un savoir reproductible qui va vraiment pouvoir passer dans le domaine public comme quelque chose d’avéré. Bien sûr toujours dans un cadre théorique avec des imprécisions et ainsi de suite. On va s’arrêter un peu sur cette histoire-là parce que ça pourrait durer des heures, je vais quand même vous dire que ça a énormément inspiré les musiciens, il y a eu énormément de compositions autour de cette harmonie des sphères, en particulier suite à Kepler qui a associé des mélodies à chacune des planètes. La terre chanterait mi-fa-mi-fa dit-il, et c’est normal, parce qu’il nous explique…

R : Mi-fa-mi-fa c’est quand même très répétitif, c’est un tout petit écart c’est pas beau.

JPU : Mais si c’est famina miseria.

J : Ça fait ambulance

R : C’est ça c’est une ambulance. Bon non parce que mi-fa-mi-fa c’est pas le même intervalle qu’une ambulance mais bon.

JPU : En fait l’amplitude du motif va dépendre de l’excentricité de l’orbite.

excentricite-de-lellipse

R : Juste deux secondes, on explique excentricité de l’orbite. Attention, ce ne sont pas des gros mots. En gros l’orbite c’est la trajectoire que suit une planète, c’est approximativement une ellipse, une ellipse c’est un cercle regardé plus ou moins de côté, c’est une façon comme une autre de décrire une ellipse. C’est à dire que vous prenez n’importe quel cercle autour de vous, en fait quand vous le voyez, à moins d’être complètement en face, ce que vous voyez c’est une ellipse. Regardez le bord d’un verre, le bord d’un bol, c’est une ellipse que vous voyez. Evidemment plus le cercle est “penché” par rapport à vous, plus l’ellipse est allongée, déformée par rapport au cercle. L’excentricité c’est ce qui mesure cette déformation, plus l’excentricité est élevée plus l’ellipse est allongée et donc se rapproche plus d’un segment carrément plutôt que d’un cercle. Et plus l’excentricité est faible plus on est proche d’un cercle.

JPU : Oui c’est bien ça ! [rires]

R : Merci, quand tu veux pour faire ton assistant.

JPU : Donc Kepler a formulé les lois de Kepler [rires].

I : Ah oui ça c’était bien…

JPU : C’est clair ça non ? Kepler a formulé les lois de Kepler, qu’est-ce qu’elles disent ces lois de Kepler ? Elles disent qu’il y a un rapport entre la période et la taille de l’orbite, elles ne sont pas indépendantes.

R : La période c’est le temps que ça prend…

JPU : Le temps pour faire un tour et puis la taille, il y a une relation mathématique entre ces deux-là.

R : Entre la longueur de la ficelle et le temps de balancement d’un pendule en fait ?

J : Et qui ne dépend que de la masse de l’étoile, pas de la masse de la planète.

JPU : Alors en première approximation n’est-ce pas ? Parce que ça c’est une question de concours. [rires]

R : Il l’a déjà posée d’ailleurs [rires].

JPU : Pour ceux qui ont fait leurs études avant les changements de programme, ils se rappelleront qu’il faut introduire la particule réduite et étudier le mouvement dans le référentiel barycentrique.

R : Soyez pas trop entre vous parce que je vous rappelle que moi je n’y suis pas passé.

Première loi de Kepler Crédits : Futura-Sciences
Première loi de Kepler
Crédits : Futura-Sciences

JPU : Ce qui est important c’est que si la trajectoire est un cercle, l’excentricité est nulle, on va parcourir l’orbite à vitesse constante. Si l’orbite est un peu aplatie, c’est à dire qu’au lieu d’avoir un seul centre comme le cercle, on va avoir deux foyers, donc l’un va être occupé par l’étoile et donc il va y avoir deux positions privilégiées, il va y avoir le point le plus proche de l’étoile donc le périhélie si c’est le plus proche du soleil, et le plus loin l’aphélie.

Kepler a formulé une loi qu’on appelle loi des aires, c’est à dire que l’aire de l’orbite balayée en un temps donné est constante. Ce qui veut dire que la planète va plus vite quand elle est proche du soleil que quand elle est loin.

La même surface (en bleu) est parcourue durant une période de temps fixe. La flèche verte représente la vélocité. La flèche violette dirigée vers le soleil est l’accélération, les deux autres flèches violettes sont les composantes parallèle et perpendiculaire de la vélocité. Crédit : Gonfer pour wikipedia
La même surface (en bleu) est parcourue durant une période de temps fixe. La flèche verte représente la vélocité. La flèche violette dirigée vers le soleil est l’accélération, les deux autres flèches violettes sont les composantes parallèle et perpendiculaire de la vélocité. Le soleil est à l’intersection des deux droites. 
Crédit : Gonfer pour wikipedia

Ça veut dire que je peux imaginer mon ellipse et puis localement je peux mettre des cercles, un cercle qui aurait la taille du plus grand cercle et du plus petit cercle qui sont parcourus à des vitesses différentes. Si j’associe la vitesse de parcours de ce cercle à une fréquence, la fréquence à laquelle je tourne, sur une année je vais passer d’une fréquence basse à une fréquence haute, et je vais faire une oscillation comme ça. Si c’est un un cercle, les deux cercles ont exactement la même taille et sont identiques à l’orbite, plus l’orbite est excentrique plus je vais avoir des cercles différents.

R : Mange un morceau, je vais traduire ça.

Les foyers sont en rouge, le soleil en a, la planète en violet sur l’ellipse. A l’aphélie le cercle a le rayon minimum (rmin), à la périhélie le rayon maximum (rmax). Source : Wikipédia
Les foyers sont en rouge, le soleil en a, la planète en violet sur l’ellipse. A l’aphélie le cercle a le rayon minimum (rmin), à la périhélie le rayon maximum (rmax).
Source : Wikipédia

I : Non mais c’est clair.

R : C’est vrai tu trouves ça clair ?

I : C’est vachement bien expliqué ouais.

R : Ouais mais toi t’as fait plein de science dans ta vie, on essaie de s’adresser aussi aux gens qui n’ont pas forcément fait de sciences dans leur vie. Peut-être que là quand même il est temps d’éclaircir. Donc une ellipse qui est un cercle sur lequel on a frappé, un peu aplati, on peut essayer d’y coller le cercle qui ressemble plus à l’endroit pointu et le cercle qui ressemble le plus à l’endroit le plus plat, le moins courbé, pour essayer de s’en approcher le mieux à ces deux endroits. Comme ce que disent les lois de Kepler, si j’ai bien compris parce que je suis très très mauvais pour les lois de Kepler, je ne connais pas, ça dit que plus le cercle est grand plus ça va vite ?

JPU : Non, plus ça va lentement.

R : Plus ça va lentement pardon, j’y connais rien, faut vraiment me surveiller de très près. Donc plus le cercle est grand plus ça va lentement, et donc la vitesse correspond à ce cercle qui approche l’ellipse et donc en gros ça veut dire qu’au cours du parcours de l’ellipse la vitesse va varier de la vitesse du plus petit cercle qui ressemble le plus à l’ellipse quand elle est pointue à la vitesse du plus grand cercle. Ça va ?

JPU : Ben je ne suis plus sûr de comprendre maintenant [rires]

R : Bon d’accord. Je m’arrête.

R : Attends j’avais pas prévu d’expliquer ça et en plus je ne comprends rien parce que ce sont des choses que je ne connais pas. Globalement ça dit juste que la vitesse va varier de plus rapide à certains endroits de l’ellipse à plus lente ailleurs.

JPU : C’est ça, soyons simples. Si c’est un cercle ça va à vitesse constante, si c’est une ellipse la vitesse change. Comme ça tourne, ça change de façon alternative. Quand ça va vite, ce sont des notes plus aiguës et quand ça va lentement ce sont des notes plus graves.

Mélodies que joueraient les planètes d'après l'Harmonie des mondes de Kepler
Mélodies que joueraient les planètes d’après l’Harmonie des mondes de Kepler

R : D’où le mi-fa-mi-fa ?

JPU : Voilà, donc la terre qui a une orbite presque circulaire.

R : C’est mi-fa-mi-fa parce que ça ne bouge presque pas ?

JPU : Voilà.

R : Parce que mi-fa ce sont des notes très proches l’une de l’autre.

JPU : Voilà, et donc ça, ça a été utilisé par plein de gens, il y a eu des compositions au Moyen-Âge sur ces idées-là. Je t’ai donné le morceau là, alors on ne va pas l’écouter parce que lui aussi il fait 23 minutes, c’est de Wille Ruff et John Rodgers, ce sont des jazzmen américains et en 2008 ils ont écrit une pièce électroacoustique qui s’appelle The Harmony of the world, l’harmonie du monde “Mercury outward”, ça veut dire qu’on part de Mercure et qu’on va vers l’extérieur. Ils vont utiliser les motifs que Kepler a défini et ils vont les balayer avec la période des orbites donc plus vous allez loin du soleil plus les planètes tournent lentement.

Alors à l’époque en 2008 Pluton était encore une planète donc ils vont jusqu’à Pluton, aujourd’hui il faut s’arrêter plus tôt, après il faut continuer plus loin s’il y a la planète X on ne sait pas, ce n’est pas encore décidé. Pluton qui a une période qui fait 248 ans, donc ça ça fait 20 minutes et 42 secondes, donc ils ont une pièce qui représente 264 ans de l’évolution du système solaire et on entend les planètes les unes après les autres, tu peux nous en faire passer un petit bout puis sauter de temps en temps ?

Harmony of the world, Wille Ruff et John Rodgers (version abrégée)

JPU : Vous voyez vous avez ces sons qui oscillent, et ces sons il faut imaginer…

R : Là c’est Mercure alors tu dis ?

JPU : Tu as commencé complètement au début ?

N : Tout au début.

JPU : Vous vous rappelez que je vous ai parlé de l’avance du périhélie de Mercure l’année dernière pour le thème de la relativité générale (ici) ? Une planète extraordinaire Mercure. [La musique change]

R : Alors le deuxième son ? C’est Vénus ?

JPU : Vénus c’est une note constante parce qu’elle est quasi circulaire, ça ne change pas.

R : Là c’est la terre en troisième là ?

JPU : Oui.

R : Ah ben oui on entend que ça change mais très peu.

JPU : Oui.

R : D’accord.

JPU : Après on va avoir Mars qui va rentrer. Donc ça monte et ça descend avec une amplitude différente mais de façon de plus en plus longue parce plus on va loin plus la période de l’orbite est longue.

R : Mars ça ne change pas des masses non plus.

JPU : non. [La musique change]

J : C’est qui ça ?

JPU : Après Mars qui est-ce qui vient ?

R : Jupiter !

Ordre des planètes. Source : Planète Astronomie

JPU : Ouais cool !

R : Je me suis souvenu du moyen mnémotechnique que j’ai appris quand j’avais 7 ans. [La musique change, le son est grave et vibre] Oula ! Alors le fait que ce soit plus grave c’est parce que plus c’est rapide plus c’est aigu ?

JPU : C’est ça. [La musique change, ça tapote]

R : Hum non mais c’est bien c’est bien… Non mais si ça me plait beaucoup !

JPU : Ça dure longtemps mais ça c’est un truc il faut s’allonger l’écouter dans le noir tranquillement et puis se laisser planer. Il y a des gens qui n’aiment pas, mais ce n’est pas grave si vous n’aimez pas !

R : C’est une expérience paranormale.

JPU : Il y a plein de musiques qu’on va écouter que vous n’aimerez pas mais ce n’est pas grave. Que plein de gens n’aiment pas mais ce n’est pas important.

R : C’est bien de savoir ce que c’est quand même, ça change l’écoute.

JPU : Exactement. Ça change l’écoute. Avec Eddie Ladoire on s’était amusés, on ne pouvait pas refaire la même chose, parce que ça avait déjà été fait. Donc on a quand même pris les étoiles qui orbitent autour du centre galactique donc là où il y a le trou noir super massif, du coup elles ont des orbites beaucoup plus elliptiques donc ça donne des motifs beaucoup plus riches. On s’était amusés à faire ces choses là avec les étoiles qui tournent autour de Sgr A*.

R : Moi ce qui me plait vachement c’est que c’est vraiment très dans ce qu’on fait, c’est pour la radio et ça explique des trucs de science.

JPU : La vulgarisation musicale… Dans mon fichier tu as trouvé Kamelott. J’adore Kamelott, on aime tous, on aime tous Alexandre Astier, que l’on remercie une fois de plus d’avoir fait la voix off du film sur la relativité générale de l’IHP.

R : Donc il a fait la voix off d’un film fait par l’IHP ?

JPU :  Oui !

R : Je ne le savais même pas !

JPU : Mais oui le film Einstein et la relativité générale qui a été diffusé l’année dernière sur RMC et qui sera diffusé au festival de Fleurance. Ça c’était pour le remercier parce qu’il nous a fait ça gentiment.

Einstein et la Relativité Générale : une histoire singulière – Extrait, Institut Henri Poincaré

Donc dans Kamelott il y a un épisode qui est extraordinaire. Je vous rappelais la quarte, la quinte, la tierce, et pendant très très longtemps la théorie de la musique c’était jouer avec ces accords et tout autre accord était exclu. Il a un petit épisode, c’est dans la saison deux je crois, et que j’ai là et que vous pouvez faire écouter parce que c’est merveilleux, ça va nous faire rire 5 minutes. C’est une manière tout à fait décalée de voir l’évolution de cette théorie de la musique et puis les différences entre les gens qui faisaient cette théorie de la musique des gens qu’on appelait des musiciens mais qui n’étaient en fait que des mathématiciens. Parce qu’ils ne jouaient jamais et qu’ils ne composaient pas et qui donnaient une grande symbolique à ce qui avait le droit d’être utilisé et puis les autres qui étaient des troubadours, qui faisaient de la musique sans se soucier de la théorie et jouaient vraiment. Il utilise ça et je trouve que c’est très drôle, ça va nous faire 3 minutes pour souffler et on peut vous faire écouter ça.

Episode de Kamelott sur la quinte juste.

JPU : Bon voilà, ça résume un peu plusieurs siècle d’histoire, mais c’est pas faux hein, il est fort !

R : Mais surtout c’est pas faux que ça reste dans la tête cette chanson à la con. [rires]

JPU : On verra à la fin de l’émission si on l’a encore dans les oreilles.

Bon voilà ça c’est un premier développement, on peut vraiment développer longtemps là dessus. Je vous ai dit tout à l’heure que tout ce que l’on sait de l’univers, enfin presque tout ce que l’on sait de l’univers vient de la lumière que l’on reçoit des étoiles et des galaxies. Se pose la question des différences et similarités entre le son et la lumière. La première similarité c’est que les deux sont des ondes, donc des choses qui se propagent, mais pas des ondes identiques. Le son est une onde de pression, donc la pression d’un gaz qui se propage. Alors que la lumière c’est une onde électromagnétique, donc une onde dans le champ magnétique, le champ magnétique c’est ce qui fait bouger les boussoles, le champ électrique c’est la base de l’électricité donc il peut y avoir de ces propagations. Dans le vide ce que l’on sait c’est qu’elles se déplacent à une vitesse constante, qu’on appelle d’ailleurs la vitesse de la lumière, et toutes les ondes électromagnétiques, indépendamment de leur fréquence ou de leur longueur d’onde vont se propager exactement à la même vitesse. Pour se rendre compte de la différence entre ces deux types d’ondes…, d’ailleurs quand est-ce qu’on a commencé à sentir la différence, est-ce que vous en avez une idée ? Disons entre la lumière déjà avant, parce qu’on va dire que les ondes électromagnétiques avant Maxwell on ne peut pas trop en parler, mais le fait qu’il y avait une différence fondamentale entre le son et la lumière ?

R : J’aurais plutôt tendance à me poser la question du jour où on a trouvé des points communs mais heu…

JPU : Oui ou des points communs…

R : Parce que c’est quand même pas très naturel de rapprocher les deux.

J : Oui pour moi on s’est toujours dit que c’était différent.

JPU : C’était différent mais quand est-ce qu’on a commencé à les comparer, je veux dire expérimentalement ? C’est beaucoup dire quand est-ce qu’on a commencé à les comparer mais une expérience emblématique de physique que je suis sûr que vous faites au Palais de la découverte d’ailleurs.

R : Avec les figures d’interférences ?

JPU : Ah non ça c’est super éduqué ! Non c’est l’expérience où l’on met une clochette dans une cloche à vide.

R : Ah oui ! Et comme on fait le vide on n’entend plus rien parce que le son n’a plus de gaz pour se propager.

JPU : Voilà c’est ça. Donc ça c’est Robert Boyle, 1660.

R : Quand tu dis “vous faites”, tu sais je ne fais pas.

JPU : Non mais c’est parce que tu es au département de math mais il y a des collègues qui le font, on peut être ouvert d’esprit.

J : Et la comparaison qu’il fait c’est que ça marche avec de la lumière par contre. Bon la même expérience avec une bougie ça ne marche pas non plus…

JPU : C’est une expérience de collège, on met une clochette à l’intérieur d’une enceinte en verre dans laquelle on a fait le vide, on remue le récipient, on voit la clochette vibrer mais on ne l’entend pas vibrer, on ouvre, là on entend “Psccht”, c’est l’air qui rentre à l’intérieur de l’enceinte, là si on remue et on voit la clochette vibrer et on l’entend aussi sonner.

Expérience de la sonnette sous vide, Quantum Boffin

Donc on arrive à la conclusion que le son ne peut pas se propager dans le vide alors que la lumière le peut. Ça c’est vraiment une expérience très importante parce qu’elle montre vraiment une différence fondamentale entre le son et la lumière. Alors après des différences il y en a plein, vous avez tous un jour ou l’autre vu un orage, vous savez qu’on voit d’abord l’éclair et on l’entend après, elles n’ont donc pas la même vitesse, et ainsi de suite donc on peut faire la liste de tout ce qui est similaire. Tout ce qui va être similaire c’est lié finalement au caractère ondulatoire de la lumière et puis il va y avoir des choses qui vont être différentes parce que la lumière a d’autres propriétés. Ça, ça va être intéressant en particulier dans la nature, et on pourrait commencer à faire le jeu de construire un nouvel orchestre, il va y avoir plein de phénomènes physiques déjà sur la terre que l’on voit et qui produisent des sons. Il y a le tonnerre par exemple, il y a les dunes, il y a eu beaucoup de travaux sur le chant des dunes, là on a des tas de sable qui vont entrer en vibration et qui émettent des sons.

Aurore Boréale en Alaska, Joshua Strang
Aurore Boréale en Alaska, Joshua Strang

Pour ceux qui ont eu la chance de voyager dans le grand nord ils ont vu des aurores boréales. J’en ai vues, je n’ai jamais entendu le moindre son mais dit-on, ça ce sont les inuits qui le disent, il y a des légendes qui racontent que les aurores boréales crépitent, elles émettraient du son.

R  : Il y a des explications scientifiques à ça ?

JPU : Ben les aurores boréales ce sont des particules de haute énergie qui circulent le long des lignes de champs magnétique et qui viennent heurter la haute atmosphère donc il y a des phénomènes électriques, est-ce qu’ensuite ça crépite ? Je n’en sais rien, mais je n’ai jamais entendu d’enregistrement de ça, mais il y a des gens qui en parlent, et il faut toujours se fier au savoir populaire. [rires]

Quoi qu’il en soit il y a plein de phénomènes qui vont produire du son et de la lumière et on pourrait s’amuser déjà à étudier plein de phénomènes de notre environnement simplement avec le son, voir si on est capable de les reconnaître. Est-ce que je reconnais une dune quand c’est une dune qui vibre ? Ou est-ce que j’ai besoin de voir la dune pour l’identifier ? Ça c’est un autre fil qu’on peut dérouler et qui va nous emmener doucement vers l’astronomie en fait et l’astrophysique, cette question de savoir, est-ce qu’on peut voir les sons, est-ce qu’on peut entendre les couleurs, finalement c’est un peu ça la façon dont on pourrait résumer ça. Ces questions il y a plein d’artistes qui se les sont posées avant les scientifiques. Est-ce qu’on peut voir les sons, est-ce qu’on peut entendre les couleurs ?

J : C’est de la synesthésie non ?

JPU : Aujourd’hui oui on identifie ça à la synesthésie.

J : Parce qu’il y a des gens qui effectivement entendent des sons quand ils voient des couleurs et le contraire.

Fugue in Rot (Fugue en rouge) 1921, 24,4 x 31,5cm, aquarelle et crayon /papier/ carton. Suisse, collection particulière, en dépot au Zentrum Paul Klee, Berne.
Fugue in Rot (Fugue en rouge) 1921, 24,4 x 31,5cm, aquarelle et crayon /papier/ carton. Suisse, collection particulière, en dépot au Zentrum Paul Klee, Berne.

JPU : C’est ça, donc il y a beaucoup de compositeurs qui ont cette caractéristique-là. Il y a des compositeurs par exemple qui étaient des mélomanes et qui ont fait beaucoup de toiles inspirées de la musique par exemple Paul Klee, il y a des œuvres comme les fugues en rouge ou ce genre de chose, il a des peintures qui représentent l’orchestre et c’est vraiment comme des fugues c’est à dire qu’on a des motifs qui se courent les uns après les autres avec des modifications légères de couleur.

Vous connaissez tous Fantasia, vous avez vu Fantasia quand vous étiez petits ou même quand vous étiez plus grands, il y a ce ballet de couleurs à un moment, alors là l’histoire est assez intéressante parce que ce processus aurait été inventé par Charles Blanc-Gatti qui était un ingénieur suisse, il a construit ce truc qui permet d’associer à chaque instrument une couleur qui dépend de la fréquence qui est jouée et il projetait les couleurs sur l’écran. on dit qu’en 1938 il aurait rencontré Walt Disney, il lui aurait montré son invention, il y a eu la guerre et puis après tout ça il y a Fantasia qui serait sorti. Blanc-Gatti a fait un procès à Walt Disney pour l’utilisation de son idée. Ça ce sont des choses qui aujourd’hui sont courantes, il y a plein d’écrans, je ne sais pas si vous utilisez ça, sur votre ordinateur, quand vous écoutez de la musique ils font des ballets. Il est clair qu’à partir du moment où l’on a des signaux, numérisés d’ailleurs, on peut s’amuser à les représenter aussi bien de façon visuelle que de façon sonore.

Dans les musiciens il y en a plein aussi qui étaient synesthètes comme tu dis. Un que j’adore moi c’est Scriabine, je ne sais pas si vous aimez Scriabine.

J : Connais pas.

JPU : C’est un compositeur fou, lui il a créé un orgue à couleurs, j’adore parce que ça fait très Boris Vian. Donc il y avait le pianocktail c’est pour ceux qui aiment la musique et l’alcool en même temps (L’écume des jours). Et puis il y avait l’orgue à couleurs, Scriabine a créé ça au début du XXème siècle et il a écrit une pièce appelée Prométhée (1908-1910) dans lequel il utilise cet orgue à couleurs. Donc il y a des projections de couleurs pendant la représentation et il a d’ailleurs associé à chaque note une couleur.

Prométhée, Alexandre Scriabine

En fait si on y  pense, la gamme qui passe par tous les demis tons on appelle ça une gamme chromatique, donc en fait cette notion elle est là depuis toujours. Dans les autres compositeurs que j’adore il y a Olivier Messiaen et lui a beaucoup composé avec la couleur. J’ai une petite citation de lui, dans un truc qu’il appelle la musique des couleurs

Certaines sonorités sont liées pour moi à des complexes de couleurs et je les utilise comme des couleurs en les juxtaposant et en les mettant en valeur les unes par rapports aux autres comme un peintre souligne une couleur par sa complémentarité.

Couleurs de la cité céleste, Olivier Messiaen

Donc finalement il compose vraiment comme un peintre, c’est à dire qu’il va utiliser les complémentarités et tout ça. Aujourd’hui c’est vrai que comme tu le disais c’est relié à quelque chose qu’on appelle la synesthésie donc cette possibilité d’avoir des réactions sensorielles de sens qui sont a priori déconnectés. Ça c’est très documenté, on dit par exemple de Richard Feynman aurait été synesthète entre les graphèmes et la couleur, donc il voyait les graphèmes en couleur, il faut savoir que Richard Feynman c’est lui qui a inventé les fameux graphs de Feynman qui sont des techniques avec des pictogrammes pour faire des calculs en théorie des champs en physique des particules (voir aussi le dossier sur Feynman).

Exemple de diagramme de Feynman, Dieter Zeppenfeld
Exemple de diagramme de Feynman,
Crédit : Dieter Zeppenfeld

Beaucoup de compositeurs sont synesthètes…

R : Cela dit même avant qu’on parle beaucoup de synesthésie, des Kandinsky, des Klee ont fait ça j’ai l’impression, de ce que j’en ai entendu dire, c’était une démarche assez scientifique pour faire “progresser l’art” ou faire un art “complet”, immersif. C’était une différence d’approche un peu.

JPU : C’est ça, c’est la différence entre utiliser les deux dans une approche globalisante et le fait d’avoir la capacité quand tu entends un son à l’associer à une couleur. Et ça c’est quelque chose que tu ne décides pas, ce n’est pas une démarche, c’est juste une habilité que tu as. Ça aujourd’hui ça intéresse beaucoup les gens qui travaillent en neurophysique parce qu’ils essaient de comprendre pourquoi certaines personnes développent cette habilité. Il y a des théories en particulier liées au fait que lorsqu’on fait de la musique depuis très très jeune ça affecte le développement du cerveau et donc finalement tu as une certaine adaptation et tu vas créer des connexions entre des zones qui sont a priori peu connectées.

J : On avait fait un épisode sur la synesthésie et ce qui est assez amusant c’est que c’est un épisode où il y a beaucoup beaucoup de commentaires de gens synesthètes qui nous font part de leurs témoignages. Ils nous disent qu’ils ont perdu leur synesthésie ou qu’ils l’ont gagnée, c’est assez intéressant.

JPU : Alors moi j’ai une expérience de synesthésie assez extraordinaire, en général les gens c’est entre le son et la couleur, ou les graphèmes ou les nombres. Moi j’en ai un extraordinaire, j’ai un fils qui est violoniste amateur, quand il était petit, vers 6-7 ans, souvent quand il jouait et qu’il était très concentré sur son violon, il se léchait les babines. Je lui ai dit qu’il fallait arrêter ça : quand tu es en concert ce n’est pas beau de faire comme ça avec ta langue quand tu joues du violon. Il m’a dit “mais papa, il y a des sons sucrés et des sons salés !”. C’est le premier cas de synesthète gourmand musical. [rires]

Ce sont des choses qui sont assez intéressantes, on peut imaginer que des artistes qui sont vraiment dans leur art vont développer une approche sensorielle qu’on n’aurait pas si on n’avait pas une pratique instrumentale ou artistique très poussée. Donc voilà, sons et couleurs !

Maintenant on va commencer à parler du ciel un petit peu. En général, quand je demande si on peut parler du ciel en musique, je dis : quelle est la meilleure œuvre de vulgarisation scientifique musicale ? Est-ce que vous pouvez chercher dans votre mémoire et me dire ce qui vous vient à l’esprit ?

Galaxy song, Monty Python

Tu peux t’arrêter là, vous la trouvez sur youtube celle-là ! C’est les Monty Python, dans Le sens de la vie si mon souvenir est bon, c’est Galaxy song, et ça c’est un truc qui a marqué notre jeunesse parce que c’est quand même un truc extraordinaire. Et en fait quand on y pense, tout ce qu’ils racontent est exact. Donc c’est une bonne façon de faire de la vulgarisation. Donc tu me disais que Stephen Hawking avait chanté ça ? Je n’étais pas au courant.

R : Reprenant Queen avec tout un truc sur la physique quantique.

JPU : Han j’adore Queen !

R : Non mais tu connais ce truc là ? J’imagine que tu l’as vu, sur la physique quantique…

JPU : J’ai vu j’ai vu, mais j’adore Queen ah !

R : Ne nous éloignons pas, tu étais enfin parti dans le ciel.

JPU : Non, parce qu’on ne va pas commencer à parler de Queen maintenant.

R : Non non.

JPU : Donc maintenant on voudrait aller regarder un peu les objets du ciel et se demander ce qu’ils nous donnent en terme de possibilités musicales. La musique c’est des rythmes, c’est des mélodies, c’est des sons donc il va falloir chercher tout ça. On peut commencer par le rythme, comme ça on fait un petit récapitulatif sur ce qu’on avait déjà raconté l’année dernière à propos des étoiles à neutrons. En 1967, à Cambrige, une jeune astronome qui s’appelle Jocelyn Bell travaillait sur le développement d’un radio-télescopes et elle détecte un signal radio qui avait un pouls de 1.3 secondes, donc “tictictictictic” comme ça, extrêmement régulier. Au départ elle présente ça à son directeur de thèse Anthony Hewish qui pense que ça doit être un problème instrumental, à vérifier [NDT : il sera récompensé d’un prix Nobel pour cette découverte, mais pas elle]. Elle va travailler énormément pour prouver que c’est un vrai signal. C’était un des premiers radiotélescopes donc il était en construction, c’était quelque chose d’expérimental. Quelques mois plus tard elle va en découvrir un deuxième, et comme on ne sait pas ce que c’est, ce sont des objets qui font “tictictictictic” donc qui émettent beaucoup d’énergie, qui tournent très vite, donc qui sont à la fois gros et petits donc il faut comprendre ce que ça veut dire. C’est tellement régulier que ça ne fait pas phénomène naturel.

J : Il y avait des radio-télescopes avant mais je pense que c’est la première fois qu’on atteignait des possibilités de fréquences aussi rapides, avant on pouvait entendre des phénomènes plus lents mais ce phénomène là c’était la première fois qu’on l’observait. De l’ordre de la milliseconde…

JPU : Exactement. Là c’étaient des pulsars dont la période était d’une seconde à peu près, quelque chose comme ça. Donc on ne savait pas ce que c’était et en général si vous trouvez quelque chose qui est trop régulier,… Le nom qui leur a été donné un peu par plaisanterie c’était LGM-1 et LGM-2, pour little green men. C’est un peu l’argument théologique, si vous trouvez un objet super sophistiqué, l’explication la plus simple c’est qu’il y ait un type super intelligent qui l’a créé, parce que la nature ne peut pas créer ça.

Animation représentant le signal envoyé par un pulsar. Image Credit: Michael Kramer (University of Manchester)
Signal envoyé par un pulsar.
Crédit: Michael Kramer (University of Manchester)

On connait tous la pente glissante sur laquelle nous amène ce genre d’arguments. Aujourd’hui on appelle ces objets des pulsars et celui-ci s’appelle  PSR B1919+21 donc c’est beaucoup moins poétique.Ce qu’on sait de ces pulsars c’est que ce sont des étoiles à neutrons qui tournent très très rapidement, qui ont un champ magnétique et qui agissent un peu comme un phare, un phare électromagnétique.

Quand le beam du champ magnétique croise l’orbite de la terre, dans ce cas-là on va détecter un signal. Aujourd’hui on en connaît des dizaines, des centaines. On reçoit une onde radio, avec une antenne radio, et donc c’est un signal que l’on peut écouter, j’ai l’enregistrement là, tu as le pulsar de Vela (pulsar des Voiles, PSR B0833-45)

Pulsar de Vela [NDT : Concernant l’explication ci-dessous, a priori ce pulsar tourne bien à 11 tours/seconde, celui qui a été passé pendant l’émission devait être un autre pulsar]

Alors ce qu’il faut savoir c’est qu’il s’est formé il y a 12.000 ans et que ça fait 12.000 ans qu’il fait tictictictic comme ça à 11 tours par seconde, non je dis des bêtises c’est pas ça 11 tours par seconde.

J : Là c’était pas 11 tours par seconde.

JPU : Non. J’ai pas la fréquence là.

J : C’était deux ou trois tours.

JPU : Oui deux ou trois. En tout cas ça fait 12.000 ans qu’il tourne comme ça donc on peut l’écouter pendant longtemps, donc on a des rythmes. Chaque pulsar va avoir sa signature rythmique particulière. Donc pourrait se dire qu’on peut les utiliser pour jouer avec un orchestre, avoir quelques percussions. Ça ça a été fait, on peut l’écouter, c’est une pièce qui s’appelle Le noir de l’étoile qui a été écrite par Gérard Grisey à la fin des années 80, c’était 89-90 je crois. Il a écrit une pièce pour pulsar et les percussionnistes de Strasbourg.

N : Il faut de l’organisation pour rassembler tout le monde.

JPU : Oui c’est ça on ne sait pas qui paie le voyage, mais le pulsar est là via radiotélescope. Il faut savoir que Vela on ne le voit, si mon souvenir est bon, que de l’hémisphère sud. Il faut des amis dans l’hémisphère sud avec un radiotélescope mais après on peut retransmettre le son. Donc si tu veux, on peut écouter un petit morceau du Noir de l’étoile. L’enregistrement n’est pas très bon, j’ai récupéré ça sur internet mais on reconnait le pulsar et ensuite vous allez entendre les percussionnistes rentrer les uns après les autres.

Le noir de l’étoile, Gérard Grisey

Voilà, après ce sont des œuvres de percussions, mais je trouve que c’est assez intéressant de voir qu’on peut discuter avec un pulsar.

Donc voilà on a des sons, ce sont des ondes électromagnétiques, des ondes radios, donc on les a transformées en sons et comme on l’a dit, si on a le droit de le faire pour les ondes électromagnétiques on a le droit de le faire pour d’autres types d’ondes. La fois passée on a parlé des trous noirs, de la coalescence des trous noirs et d’émissions d’ondes gravitationnelles, donc on peut le faire aussi.
J’ai quelques simulations numériques de coalescence de trous noirs, donc deux trous noirs qui tournent l’un autour de l’autre, ce qu’il se passe c’est que les deux trous noirs dans cette “danse” vont émettre des OG donc ils perdent de l’énergie. S’ils perdent de l’énergie ils vont se rapprocher l’un de l’autre en tournant de plus en plus vite. Donc on s’attend à avoir un signal qui est périodique mais avec une fréquence qui va augmenter jusqu’au moment où on va avoir la coalescence des deux objets. C’est ce qu’on appelle en anglais un chirp, on va avoir la fréquence qui va augmenter, l’intensité qui va un peu augmenter et puis les deux trous noirs vont fusionner et puis il va y avoir une phase appelée phase de ring down, donc il va y avoir des petites oscillations très rapides. Puis il y a un fameux théorème sur la physique des trous noirs qui dit que les trous noirs n’ont pas de cheveux, ce qui veut dire en gros qu’un trou noir n’est caractérisé que par trois quantités, sa masse, sa charge électrique et son moment angulaire et qu’il n’y a pas d’autre information donc quand le trou noir qui résulte de la coalescence des deux autres va être formé, toute l’information aura rayonné et on n’entendra plus rien, donc il faut imaginer qu’après ça disparait complètement, et ça on peut l’écouter. On va écouter des simulations numériques avec des trous noirs de différentes masses. On entend exactement cette histoire.

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Emissions d’ondes gravitationnelles au cours de la phase de coalescence de deux trous noirs.

J : Est-ce que c’est vraiment la même fréquence en ondes sonores que ce qu’on entendrait si c’étaient des ondes gravitationnelles ?

JPU : Non c’est transposé.

J : Parce que je crois que celles sur les ondes gravitationnelles c’étaient…

JPU : Alors en fait la fréquence va dépendre principalement des différentes masses de trous noirs.

4. - Modélisation de la coalescence de deux trous noirs.      

Donc c’est exactement l’histoire que je vous ai racontée, ça tourne de plus en plus vite et puis plus rien et après on a formé un seul trou noir. Ce son-là n’a pas encore été exploité, mais ça va bientôt l’être parce qu’avec Fabien Waksman dont je vous ai parlé tout à l’heure, on est en train de composer, enfin c’est surtout lui, moi je l’aide un tout petit peu, mais c’est lui le vrai compositeur, écrire donc une pièce qui s’appelle le baiser de la mort, qui raconte exactement ça, la formation de ces deux trous noirs qui vont se mettre en orbite. En fait c’est une question très actuelle ça en astrophysique aujourd’hui, à partir du moment où on a détecté et vu pour la première fois deux trous noirs qui rentraient en coalescence grâce à ce signal d’ondes gravitationnelles, se pose la question de savoir comment se forment des systèmes binaires de trous noirs. Ces trous noirs ont une masse chacun d’à peu près 30 masses solaires [1,988 x 10^30 kg], qu’est ce qu’on attend ? Ces trous noirs-là sont des trous noirs qui viennent de la phase ultime de l’évolution stellaire et donc il faut comprendre pourquoi cette masse-là, est-ce que c’était le système le plus probable ? On en a détecté un deuxième là il y a quelques semaines et on va en détecter de plus en plus et on va commencer à avoir une statistique sur la masse des trous noirs stellaires.

N : On peut écouter un deuxième son peut-être ?

JPU : Oui, on peut écouter un deuxième son oui !

5. - Autre modélisation de la coalescence de deux trous noirs.     

Là ça part plus lentement parce qu’on est plus loin… Donc on peut en faire plein et continuer à jouer avec.

Juste pour continuer sur cette pièce qui sera créée au mois de septembre dans un festival de musique qui s’appelle les vacances de Monsieur Haydn, ça se passe à la Roche-Posay, les 15-16 septembre. Ça sera un quintet avec piano donc il n’y aura pas de sons enregistrés ou de sons numériques, ce sera fait instrumentalement tout ça et on va raconter ces étoiles, l’évolution stellaire, la transformation de ces étoiles en trous noirs, il y a aura probablement des explosions d’étoiles, des transferts de masse d’une étoile à l’autre, tous les phénomènes qu’on peut imaginer dans un système binaire et comment on peut s’amuser à les rendre en sons. Ça sera une pièce qu’on espère pouvoir vous faire écouter fin septembre [NDT : peut-être une version enregistrée pour mars 2017 ?].

Voilà là on a deux exemples, maintenant on peut se poser la question d’objets qui vibrent dans l’univers : qu’est-ce qui vibre dans l’univers ?

R : Je sais pas moi !

JPU : Ah ben y’a rien qui vibre on est tranquille… En fait il n’y avait rien, c’est fini !

J : Les étoiles !

R : Les ondes gravitationnelles ?

JPU : Ça on a fini tu n’étais pas là.

R : Ah j’étais pas là… J’ai raté les pulsars, je pense que ça m’aurait beaucoup plu.

JPU : Tu as raté les ondes gravitationnelles.

J : Une étoile oscille.

JPU : Très bien, les étoiles vibrent !

R : Non mais tu sais moi je suis une bille en astro tout ça…

JPU : D’accord mais les billes vibrent aussi tu vois [rires]. En fait il y a une règle générale en physique c’est que tout vibre, on y reviendra tout à l’heure mais tout vibre.

R : Mais du coup ta question servait à rien.

JPU : Exactement, c’était juste comme ça ! Donc effectivement les étoiles vibrent, c’est quelque chose qui a été découvert à partir de l’observation du soleil. Le soleil c’est une boule principalement composée d’hydrogène et d’hélium qui est tenue par sa force gravitationnelle et bien sûr cette boule de gaz peut être sujette à vibrations. Ce dont il faut se rendre compte c’est qu’il y a une production d’énergie au centre de l’étoile à cause des réactions nucléaires, cette énergie doit être transportée de l’intérieur vers l’extérieur et en particulier il y a de la convection donc il va y avoir des mouvements de matière à l’intérieur de l’étoile. En fait on peut imaginer le soleil comme un gros tambour, à cause de ces mouvements de convection on va exciter des modes d’oscillation de la matière, puisque là on a de la matière qui est ionisée donc des noyaux d’hydrogène, des noyaux d’hélium, des électrons libres et puis tout ça est tenu en cohésion par les photons qui interagissent très fortement avec la matière ionisée. Donc on va avoir des ondes de pression qui vont se propager, c’est tout à fait similaire à des ondes sismiques à la surface de la terre.

Structure du soleil par zone. Crédit: NASA/CXC/J.Drake & P.Testa

Je ne sais plus où on en était, ah si on parlait de ce qui vibrait et des étoiles, les étoiles vibrent et donc il va y avoir des systèmes d’ondes stationnaires qui vont se développer dans les étoiles, des modes de vibrations, donc on peut voir une étoile comme un tambour qui vibre et le son que va émettre l’étoile va dépendre de ses caractéristiques, de sa composition chimique, de sa masse, si elle a de la rotation, de la structure interne de l’étoile, et d’ailleurs ce sont ces techniques-là qui permettent de mieux comprendre la structure interne du soleil par exemple. On a détecté ces modes, on a appris à les observer aussi pour d’autres étoiles que le soleil et c’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’astérosismologie, on peut à partir d’observations en optique reconstruire les vibrations de la surface de l’étoile et donc transformer ces vibrations en sons. De la même façon que si vous observiez les vibrations d’un tambour, à partir de la vibration, essayer de reconstruire le son du tambour.

R : A partir d’un film de tambour sans le son, tu arrives à reconstituer son son ?

JPU : Voilà c’est ça si tu veux.

R : Et ça on sait vraiment faire ?

J : Tu vas parler des céphéides quand même non ?

JPU :  Non je ne vais pas parler des céphéides, mais on peut parler des céphéides si tu veux. Tu veux faire écouter deux étoiles ?

6. Son de l'étoile géante Xi Hya     

Ça c’est l’étoile Xi de la constellation de l’hydre.

R : Ça fait très cœur.

JPU : Oui ça fait un cœur.

R : Qui s’emballe un peu quand même.

JPU : Ça c’est une étoile qui est à 130 années-lumières, 60 fois plus brillante que…

R : Ça va très très vite, c’est très accéléré ou c’est vraiment une vibration ?

JPU : Non c’est le rythme.

Alors il y en a un autre, c’est HR383, c’est une autre étoile, elle a un champ magnétique assez intense qui pulse en 11 minutes et quelques.

7. Son de l'étoile HR3831     

R : C’est un petit battement là.

JPU : Oui est un petit battement. On peut faire des catalogues de choses comme ça.

R : Là tu nous as dit que c’étaient deux étoiles ? Les résultats sont quand même très différents.

JPU : Ah oui oui c’est très différent.

R : Mais tu as transformé les sons de la même façon ou pas ?

JPU : Ah oui oui la procédure est exactement la même, elles n’ont pas du tout les mêmes fréquences.

R : D’accord.

JPU : Les étoiles tu sais il y a des domaines de masse, des domaines de rayon, qui sont très très différents.

R : Donc avec la même procédure ça donne des choses aussi différentes.

JPU : Très différentes, ce qu’il faut savoir c’est que ça ça a été utilisé, il y a un compositeur français qui s’appelle Claude-Samuel Lévine, qui a travaillé avec une astronome qui s’appelle Sylvie Vauclair, ils ont il y a quelques années, sélectionné une douzaine d’étoiles dont les sonorités sont proches des notes de la gamme. Ils ont appelé ça la gamme stellaire et il a utilisé ça pour composer de la musique, lui il joue de la thérémine, il a écrit des morceaux pour thérémine et étoiles. Vous tapez Claude-Samuel Lévine vous allez trouver son site, c’est barré mais c’est bien.

Ondes Martenot et thérémine, Claude-Samuel Lévine

R : Moi ce que j’aime bien c’est qu’après je pense que j’aurai vraiment de quoi répliquer quand on me dira “ah ces matheux avec leurs trucs qui ne servent à rien, leurs délires abstraits etc.” là j’adore, je monte un dossier.

J : On mettra tous les compositeurs en note d’émissions parce que moi j’ai bien envie d’aller tout écouter aussi après.

JPU : Je ne vais pas vous donner toute ma discographie, j’ai une discographie très très longue de ces trucs-là mais je pourrai vous donner quelques pistes d’écoute après.

Donc ça c’étaient les étoiles, on dit que l’univers est vide, il n’y a pas de sons, c’est vrai, mais il y a eu un moment où l’univers n’était pas si vide que ça, il y avait des sons.

R : Le big bang !

JPU : Eh oui, quand on était proche du big bang ! L’univers est en expansion, tout se dilue, mais si on revient en arrière, on vous a déjà fait le film quinze fois, la matière dans l’univers est de plus en plus concentrée donc de plus en plus chaude, donc il y a un moment où la matière est tellement concentrée qu’elle va être ionisée. Donc ça veut dire que la température des photons, donc de la lumière, va être telle qu’en interagissant avec les atomes ils vont arracher les électrons, donc au dessus de l’énergie d’ionisation de ces atomes-là.

Si on remonte plus tôt dans l’histoire de l’univers, l’univers est un grand plasma, à l’image d’une étoile, c’est une étoile qui représente tout l’univers et il va y avoir des ondes qui vont se propager dans ce plasma, des ondes qui sont exactement des ondes de pression donc des ondes acoustiques, donc du vrai son. Alors bien sûr il y a un moment où la matière va se recombiner et l’espace va être vide, mais on peut détecter cette radiation et c’est ce qu’on appelle le fonds diffus cosmologique qui a détecté par WMAP, qui a été détecté par le satellite Planck et étudié, et donc pour ceux qui ont vu ces cartes ovales avec les petites fluctuations de température, si on regarde dans une direction du ciel, on détecte une onde électromagnétique, qui nous permet d’assigner une température à cette direction du ciel, et donc là on a vraiment une photo de l’univers environ 300.000 ans après le big bang.

Image de la radiation du fond diffus cosmologique prise par le satellite Planck. Crédit : ESA/Planck consortium
Image de la radiation du fond diffus cosmologique prise par le satellite Planck.
Crédit : ESA/Planck consortium

En fait une fois qu’on regarde le ciel comme ça on peut se demander, vu qu’il y a des modes de vibration, chaque mode de vibration va avoir une amplitude donc on va faire un spectre en fonction du mode de vibration, de l’amplitude, on va tracer une courbe, c’est ce qu’on appelle un spectre de puissance (pour plus d’explications voir cet article de blog et cet autre article du même blog).

Spectre de puissance des anisotropies de température mesuré par Planck et fit théorique. Source : ESA
Spectre de puissance des anisotropies de température mesuré par Planck et fit théorique. Source : ESA

Cette courbe elle nous apprend énormément de choses sur l’origine des grandes structures de l’univers, parce qu’elle va nous dire à quelles échelles il y a des inhomogénéités de matières, ce sont ces inhomogénéités qui vont en fait croître sous l’effet de la gravitation pour ensuite former les galaxies qui sont dans notre univers. Donc ça c’est un domaine de la science qui est tout à fait moderne actuellement en astrophysique, qui a été beaucoup étudié. En fait on peut regarder mode par mode et au final vous avez des cartes qui ressemblent à celles où l’on regarde un violon qui vibre, on regarde par interférométrie la vibration de la table d’harmonie d’un violon ou d’une guitare, on voit ces modes de vibration.

Différents modes de vibration de la table d’harmonie d’une guitare. Crédit : Bernard Richardson
Différents modes de vibration de la table d’harmonie d’une guitare. Crédit : Bernard Richardson

Alors ça on peut s’amuser à les transformer en son, on l’avait fait, je l’utilise juste pour vous montrer ce que ça veut dire. Parce que quand on regarde avec un vrai satellite et ses détecteurs, on ne mesure pas directement le signal, il y a tout un truc qui s’appelle le traitement du signal, c’est à dire en gros, enlever tout ce qui n’est pas intéressant, qu’on appelle du bruit, pour pouvoir avoir accès au signal. Là je vais vous faire écouter un canal du satellite Planck, donc des données brutes, une modélisation du bruit, on va faire la soustraction des deux, alors ce n’est pas juste “moins”, on ne va pas prendre les deux fichier et faire moins, mais ce que j’appelle soustraction c’est vraiment le traitement du signal, et ensuite on va voir qu’il y a de l’information après.

R : Là on est en train d’écouter un truc qui est vraiment un objet de recherche, juste on ne “l’écoute” pas, on regarde juste les résultats des mesures j’imagine.

JPU : Oui c’est ça, ça va donner des nombres après.

R : Mais les astrophysiciens sérieux, pas comme toi, ils n’écoutent pas ce que ça donne mais ils regardent les mêmes courbes que toi ?

JPU : Oui…

J : Du coup j’ai mis ça en ligne, c’est ça dont tu parlais ?

JPU : Voilà c’est exactement ça, c’est le spectre de puissance angulaire des anisotropies de température du fond diffus cosmologique. Bravo, c’est ça, superbe merci.

R : Wow ok d’accord.

N : Donc en premier “Raw”

8. Données brutes     

JPU : Oui ça veut dire les données brutes. [grésillements] Ça ressemble à du bruit de la télévision quand il n’y a plus d’émission et qu’on s’est endormi le soir. [le son s’arrête].

Maintenant tu mets Noise. [grésillements]

9. Bruit     

Ça ressemble quand même beaucoup, c’est un bruit blanc. Ensuite on va soustraire ce bruit blanc aux données brutes et on va avoir “Signal”. [une fréquence avec un léger grésillement]

10. Signal     

On sent que c’est bruité mais là il y a une fréquence qui sort et donc il y a de l’information.

J : Et donc il y a une fréquence là et plusieurs autres petites qu’on n’entend pas ?

JPU : Oui bien sûr.

R : Ce n’est pas un son pur.

JPU : Ce n’est pas un son pur, à partir de ça on voit qu’il y a quelque chose et on va pouvoir faire une analyse harmonique de ce truc-là, chercher les fréquences là où il y a de la puissance et c’est là où on va trouver de l’information. Si on pointe dans différentes zones du ciel, ça ne va pas être exactement le même signal et c’est là où il y a de l’information sur la répartition spatiale de ce signal qui va nous donner ensuite comme spectre la courbe en cloche qu’on a déjà vue. Donc ça c’est intéressant parce que ça prouve de façon concrète ce que ça veut dire de faire du traitement de signal. On a deux trucs qui se ressemblent où on a l’impression qu’il n’y a rien et en fait quand on modélise le bruit et qu’on comprend le bruit, on va pouvoir le soustraire et on va pouvoir faire apparaître une information dans laquelle il y a du contenu scientifique.

J : Parce que les premières observations du fonds diffus cosmologique les gens pensaient que c’était du bruit et il a fallu d’autres analyses pour montrer qu’il y avait des fréquences dedans ?

JPU : Je ne connais pas bien l’histoire mais c’est vrai qu’au début, c’est Penzias et Wilson,  c’est en 1965 la première détection, qui étaient des ingénieurs chez Bell, ils ne connaissaient pas la théorie donc ils ne recherchaient pas quelque chose et donc pour eux c’était un bruit qu’ils ont essayé de soustraire tant bien que mal et ce n’est qu’après qu’ils sont rentrés en contact avec des gens à Princeton en particulier James Peebles qui les a aiguillés, et là ils se sont rendus compte qu’ils avaient fait une découverte majeure.

Bon donc ça ce sont des sons qui existent. On peut jouer comme ça, on peut les utiliser à des fins de vulgarisation et puis on peut les utiliser dans des compositions. Pour revenir au travail qu’on avait fait avec Eddie Ladoire, on a utilisé plein de spectres, des spectres de galaxies,… dès qu’on a des spectres on a de l’information et on peut s’amuser à les écouter. Alors souvent il faut les transposer.

J : Est-ce qu’il y a des fréquences survivantes de cette époque-là ? Est-ce qu’il y a des grandes fréquences très lentes qui traversent l’univers ? Est-ce qu’il y a une oscillation de tout l’univers en même temps ?

JPU : Alors il y a des modes de longueurs d’onde qui sont plus grands que la taille de l’univers observable, ça ça existe. Dans les années 2000, à l’époque où je travaillais avec Jean-Pierre Luminet, Roland Lehoucq, Jeffrey Weeks, on se posait la question de savoir quelle était la forme et la taille de l’univers, ce que l’on appelle en math la topologie de l’univers. Donc on a un espace, on apprend avec la relativité générale et l’étude de la cosmologie des choses sur sa géométrie, mais en fait quand on a une géométrie il y a parfois plusieurs topologies qui sont compatibles avec une même géométrie.

Couverture Nature n°425 (Source : Nature)
Couverture Nature n°425 (Source : Nature)

Donc on s’était posé la question parce que c’est une propriété de l’espace qui n’est pas fixée par les équations de la relativité générale, donc on s’était demandé si observationnellement on pouvait s’amuser à mettre des contraintes sur la taille et la forme de l’univers et en 2003 on a publié un article qui a fait la couverture de Nature, c’était top. En prenant les premières analyses du satellite WMAP, il manquait de la puissance aux grandes échelles et il y avait des corrélations entre différents modes, le quadrupôle, l’octopôle, il y avait des anomalies et tout ça, et en fait on avait un modèle qui était un modèle d’une 3-sphère, donc une sphère à 3 dimensions, avec la topologie de l’espace de Poincarré, donc ce fameux dodécaèdre, on avait proposé que finalement c’était ça la forme de l’univers. A l’époque où on avait publié c’était tout à fait en accord avec toutes les observations et puis une fois qu’on avait ce modèle-là ça prédisait d’autres signatures qui n’étaient pas accessibles à l’époque. Avec plusieurs années de travail et de meilleures données, dont les données de WMAP en 2005 et en 2009 on a prouvé que ce n’était pas le cas et avec Planck aussi ça confirme que ce n’est pas le cas.

N : C’est la publication qui disait que l’univers était un ballon de foot ?

R : Non pas un ballon de foot, un dodécaèdre de Poincarré. Pour la petite histoire quand même, il se trouve que c’est, je crois, le premier article que j’ai lu une fois que je me suis retrouvé en formation de journalisme scientifique. Du coup j’ai lu ça, je me suis pris la tête pour essayer de comprendre ce que signifiait ce truc, j’avais à peu près jamais entendu parler de 4D moi. Quand on sort d’études de mathématiques on sait très très bien ce que c’est qu’un espace à n-dimensions mais un espace à 4 dimensions on a du mal. Je me suis pris la tête à essayer de comprendre ce que ça voulait dire. Pour les néophytes c’est très difficile à comprendre c’est juste qu’en 4 dimensions on a le droit de faire des choses…

JPU : Là c’est en 3 dimensions, c’étaient vraiment les topologies de l’espace, ce sont les topologies de l’espace à 3 dimensions.

Une projection d'un hypercube (dans une image bidimensionnelle).
Une projection d’un hypercube (dans une image bidimensionnelle).

R : Mais quand même on a besoin de la quatrième dimension pour le faire. Pour prendre un exemple plus simple que tout le monde peut comprendre, imaginez que vous prenez un cube, c’est pas un cube mais c’est pareil (hypercube), c’est aussi compliqué avec un cube, et qu’on colle l’une à l’autre les faces qui se retrouvent en face l’une de l’autre, vous prenez deux faces vous pouvez le faire, en tordant le cube ça peut éventuellement le faire, vous prenez deux autres faces vous pouvez encore le faire en tordant méchamment mais celles d’après ça ne passe plus. Mais en 4D ça passe. Enfin bon bref, je me souviens que j’avais quand même un peu transpiré et encore plus transpiré quand j’avais essayé d’expliquer ça aux non-matheux qui étaient avec moi dans la formation. Donc c’est un souvenir assez émouvant.

 

JPU : Mais c’était une aventure vraiment sympa, et tu parlais du ballon de football et c’est vrai que c’est ce qui est resté pour pas mal de gens parce que c’est devenu un peu célèbre. C’est le problème quand vous publiez dans ce genre de journaux, après ça attire des journalistes. Il faut que je le retrouve parce que j’avais trouvé ça extraordinaire, c’est à dire qu’après c’était dans tous les journaux et c’est la première et la dernière fois, jusqu’à présent, on ne sait jamais ce que la vie nous réserve, que j’étais dans The Sun, un tabloïd anglais. Ce qu’il faut imaginer c’est qu’un dodécaèdre c’est un polyèdre qui est fait avec des pentagones et donc on avait fait un dessin pour expliquer aux gens qu’on pouvait paver la 3-sphère avec des dodécaèdres donc il y avait une analogie qui était faite d’un pavage d’une 2-sphère avec des pentagones. Donc les gens ont vu ça et ils ont dit “c’est le football shaped universe” et donc il y a un type qui était un commentateur de foot anglais qui a écrit un article sur nous : cosmos is football shaped, c’est le titre de l’article et la citation c’est “cosmology seized that soccer is more important than life and death“, et qui est la conclusion d’une étude scientifique dans Nature. [rires] Comme quoi la science peut vous mener à tout, comme on n’est pas loin des phases finales de l’euro… Tous les moyens sont bons pour faire de la vulgarisation et parler de l’univers c’est surtout ça qu’il faudra retenir de cette émission.

R : Juste, vous avez parlé très très vite des modes de vibration, peut-être quand même de s’arrêter là dessus 3 minutes parce que c’est quelque chose qui est disons évident pour des physiciens, à peu près intuitivement compréhensible pour des musiciens mais on peut peut-être y aller plus doucement.

L’idée c’est de dire que suivant la forme et la taille d’un objet, il va pouvoir vibrer de façon assez naturelle à une certaine vitesse. C’est à dire que vous prenez une longue ficelle, elle va vibrer plus lentement qu’une ficelle plus courte tendue de la même façon. Vous prenez un tambour il va y avoir des ondes qui vont faire des aller-retours à une certaine vitesse et la forme fait qu’à certains endroits ça ne va pas vibrer aussi bien, ça ne va pas se déformer comme il faut et que suivant la fréquence qu’on lui donne, la vitesse qu’on essaie de donner, la façon qu’on a de faire vibrer un objet, que ce soit en une, deux ou trois dimensions, ça va fonctionner plus ou moins bien. Donc quand on parle des modes ce sont les fréquences qui fonctionnent bien avec la forme d’un objet. Je pense que c’est quand même bien de le préciser.

Quatre premiers modes de vibration d'une corde.
Quatre premiers modes de vibration d’une corde.

JPU : Voilà, c’est ça, donc tu prenais l’exemple de la corde, si je prends une corde d’une certaine longueur, la plus petite fréquence avec laquelle cette corde peut vibrer, c’est ce qu’on appelle la fréquence fondamentale. C’est elle qui va vous dire si c’est un la ou un do, puis ensuite il y a les harmoniques, ça va aussi vibrer avec la fréquence double, la fréquence triple et ainsi de suite…

R : Je ne rentrais pas là dedans moi…

JPU : Mais ça nous permet aussi de relier à ce qu’il se passait au début de notre discussion. En fait la puissance relative qu’il va y avoir dans chacun des modes va nous donner la couleur du son, ce sont ces harmoniques-là qui vont donner le timbre d’un instrument. C’est à dire qu’un la d’un violon ce n’est pas un la de trompette et c’est pas un la de n’importe quel autre instrument. Parce que la composition de ces modes harmoniques, donc de ces autres modes de vibration, ne sont pas dans le même dosage et c’est ça qui fait qu’on entend toujours un la mais avec une couleur différente. Ça c’est important. Je donne un truc pour les gens qui auraient envie de passer des concours dans les années à venir, souvent on se dit : si je prends une guitare, ce qui émet le son c’est la corde qui vibre. Parce qu’on parlait de cordes vibrantes et de Pythagore et on dit toujours “comme la corde qui vibre” mais en fait la corde qui vibre n’émet pas de son, le son il est quasiment inaudible, en fait ce qui vibre c’est vraiment la table d’harmonie. Donc là encore la corde qui vibre c’est ce qui va exciter cette membrane qu’est la table d’harmonie et c’est elle qui produit vraiment le son. Comme elle a une forme qui n’est pas simplement une corde, les harmonies et les modes de vibration propres de cette cavité sont beaucoup plus riches.

N : Tu corrigeras ce que je dis parce que je n’y connais strictement rien, à peu près autant que Robin en astrophysique, mais pour avoir l’idée de ce que fait comme bruit une corde qui vibre c’est à peu près le bruit que fait une corde de guitare électrique quand elle vibre et qu’elle n’est pas branchée.

JPU : Exactement. Mais ça c’est pas de l’astrophysique, c’est de la guitare. Si vous n’êtes pas convaincu, quand vous prenez un diapason, vous tapez un diapason, vous le tenez dans vos doigts vous n’entendez quasiment rien, vous le posez sur la table et là vous entendez le son. Il est clair que le diapason c’est l’excitateur qui va exciter l’objet qui vibre qui est la table d’harmonie.

Diapason qui vibre, Unisciel

Pour ceux qui connaissent un peu la physique il faut voir la table d’harmonie comme un filtre qui est excité à une certaine fréquence, c’est un oscillateur forcé avec une fréquence donnée qui est donnée par la corde. Le diapason, normalement tu veux un diapason qui fait la, après bien sûr il va y avoir des harmoniques vu qu’il a une certaine forme. Mais la corde aussi va avoir des harmoniques, ce que je veux dire c’est que la fréquence fondamentale avec laquelle tu vas exciter c’est celle qui va être donnée en gros par la longueur et la tension de ta corde. Ça c’est juste pour revenir à notre ami Pythagore et comme tu es un matheux, on ne va pas parler de ça parce que c’est chiant, mais le fait qu’on puisse décomposer en modes comme ça tout signal périodique c’est derrière les théories de Fourier en particulier et de décomposition modale. Ça c’est vachement important parce que c’est au centre de pleins de développements mathématiques contemporains et en particulier d’un point de vue de la musique c’est ce qui explique qu’on puisse faire des synthétiseurs par exemple. Quand vous avez un synthé, en fait il va avoir une bande de sons purs, donc des fréquences sinusoïdales et il sait comment les agencer en terme d’harmoniques pour reproduire un son qui ressemble plus à un son de piano ou à un son de violon. En fait c’est complètement synthétique, on a fait la bonne balance, on a pris des violons et on a mesuré “toutes” les harmoniques, en fait il y en a une série infinie, on s’arrête à un moment, plus on ajoute d’harmoniques plus on a un son qui ressemble à celui de l’instrument.

J : C’est grâce à ça aussi qu’on fait des mp3, c’est à dire qu’on coupe à partir d’une certaine fréquence et on arrête…

JPU : En fait dès que tu vas enregistrer à un moment tu dois enregistrer une quantité finie d’informations donc tu vas devoir choisir.

On va continuer, donc on a des objets qui vibrent, maintenant on va parler de points. Bon là c’est de la mauvaise foi, on peut justifier tout et n’importe quoi pour raconter des histoires. La musique c’est des points, vous êtes d’accord ? La musique c’est des points ?

R : Heuuu… [rires]

JPU : C’est des lignes avec des points ?

J : Ça oui d’accord.

R : Oui d’accord. Les notes quoi.

JPU : C’est comme ça qu’on écrit la musique. Ah les étoiles ce sont des points ! C’est super

[rires]

R : Manque plus que les lignes.

Une page de Cello II, Atlas Elipticalis, John Cage
Une page de Cello II, Atlas Elipticalis, John Cage

JPU : On fait des lignes et on appelle ça des constellations et on raconte des histoires et puis on sait que les constellations ça ne représente rien et donc on peut s’amuser à se dire que ce sont des points et on peut faire plein de choses, plein de gens se sont amusés. C’est maintenant qu’on peut parler de John Cage par exemple parce que lui il a vraiment fait ça, il  a été encore plus de mauvaise foi que moi parce qu’il ne l’a pas simplement dit, il a écrit de la musique, il a écrit des disques et en plus ça se vend.

JPU : Je vais vous faire écouter un truc de John Cage.

R : Juste parce qu’elle n’a pas été enregistrée, Anne qui a fait une intervention très pertinente pour parler de 4’33”, l’œuvre de John Cage la plus difficile à interpréter puisqu’il s’agit de ne rien faire pendant 4 minutes 33.

JPU : Oui.

J : Je l’ai jouée à Polytechnique.

JPU : Ah tu l’as jouée ? Bravo, excellent. [rires]

N : Mon père l’a en vinyle.

JPU : Ah ouais, bien ! [rires] J’en veux une copie.

N : Le vinyle vieillit assez mal parce que du coup ça fait un peu de bruit maintenant, je crois que sur l’autre face c’est de la musique fait à base du petit train xylophone pour enfant qui fait de la musique quand on le fait bouger, quelque chose comme ça.

JPU : Voilà donc on va écouter un peu de ça. Là c’est une plaisanterie mais en fait on peut réfléchir un peu à ce que ça signifie quand même, on écrit de la musique avec des points, je ne sais pas si vous avez vu des partitions de musique contemporaine, ce ne sont plus des portées et des points. Par exemple Penderecki, si vous aimez, moi j’adore Penderecki, je suis un fan, vous avez vu les partitions de Krzysztof Penderecki ? Vous allez voir, il y a des clusters, il y a des trucs qui ressemblent à des arbres.

Penderecki
Partitions de Krzysztof Penderecki, écouter une de ses œuvres

J’ai une collection de partitions là, on vous en montrera dans le dossier. Tout ça ce sont des partitions de musique. En fait ça ressemble à des dessins, des paysages, des pictogrammes, des machins. [rires] Ça vous fait rire hein !

N : On dirait les notes de Robin les partitions de musique là.

R : Exactement.

J : John Cage c’est sympa.

JPU : C’est sympa.

J : On dirait une carte topographique quasiment oui.

R : Stockhausen ?

JPU : Stockhausen c’est super connu, je voulais en parler tout à l’heure, je l’adore.

R : A un moment il va falloir aller se coucher aussi.

Treatise, Cornelius Cardew

JPU : Je vous engage à chercher : Cornelius Cardew sur youtube, Treatise. Vous allez voir la partition défile et il y a des gens qui jouent dessus. On ne va pas l’écouter maintenant, ça dure 20 minutes, mais vous allez vous rendre compte qu’on peut écrire de la musique de plein de manières différentes et que ça donne des choses différentes.

JPU : Ca ça veut dire une chose, c’est qu’une partition de musique c’est une représentation de ce qu’on va écrire, on a choisi un langage et ça permet d’écrire. On a décidé qu’il y avait des points, que ces points correspondaient à des fréquences, on a écrit des blanches et des noires et ça voulait dire qu’il y avait des temps qui étaient double, moitié, et ainsi de suite.

Page 183 de ‘Treatise’ de  Corenlius Cardew, Crédit image : Spiral Cage
Page 183 de ‘Treatise’ de  Corenlius Cardew,
Crédit image : Spiral Cage

J : En plus ça ne correspond pas vraiment aux mêmes fréquences selon les instruments.

JPU : En fréquence fondamentale si normalement.

J : Oui mais il y des instruments comme la clarinette par exemple…

JPU : Ah oui ça ce sont les instruments transpositeurs, c’est simplement qu’ils n’ont pas appelé les notes de la même façon. A partir de là ça veut aussi dire qu’on s’interdit de jouer des quarts de note, des trucs continus, qu’on s’interdit de jouer certains rythmes par exemple.

J : Ah oui c’est vrai, comment est-ce qu’on écrit ça sur une partition, un tiers ?

JPU : Eh ben on l’écrit pas, il faut inventer un signe. Donc si vous lisez les partitions de Penderecki par exemple, il y a plein de coups d’archet qui n’existent pas, il a des tables avec des coups d’archets, des signes qui veulent dire un quart de ton etc. Donc à un moment il était limité par l’écriture dans ce qu’il voulait faire exprimer. Tu parlais de mp3 mais un mp3 c’est un codage numérique d’un certain signal analogique qu’est le son, et bien en fait une partition de musique c’est aussi une codification de ce que je veux écouter. C’est pour ça qu’il y a des interprétations différentes d’une même chose écrite. Il y a beaucoup plus dans ce que tu joues que dans ce qui est écrit.

J : Oui.

JPU : Voilà, donc il y a une part d’interprétation. J’avais lu tout un truc sur je ne sais plus quel morceau de Beethoven où ça commence par 3 croches qui sont reliées. Donc au solfège on nous apprend que 3 croches liées ça fait 1 temps et demi et on le joue comme ça, mais pourquoi est-ce qu’il n’a pas écrit une noire pointée ? Il y a des traités entiers pour savoir pourquoi il a écrit 3 croches plutôt que noire pointée et comment est-ce qu’il faut les jouer ? Ça veut dire que si intentionnellement il les a marquées, il voulait dire quelque chose. Jouer de la musique ce n’est pas simplement reproduire ce que la partition vous dit, il y a toute une partie d’interprétation et c’est ça qui fait l’artiste et on peut se dire qu’on a le droit d’écrire la musique de manière différente.

Partition Atlas Elipticalis John Cage
Partition Atlas Elipticalis John Cage

John Cage il s’est amusé et donc dans ce truc qui s’appelle Atlas Elipticalis, il a fait des constellations de notes, des clusters de notes, donc il a fait des dessins, il a mis des petits points. Cherchez Atlas Elipticalis, vous verrez sortir les partitions de John Cage, vous verrez à quoi ça ressemble. Vous pouvez écouter, si vous arrivez à lire ce qu’il joue c’est bon.

N : On est parti ?

JPU : Quand tu veux.

Atlas Elipticalis, John Cage

JPU : Ecoutez ça, c’est merveilleux. Donc vous voyez on peut justifier à peu près tout et n’importe quoi, et c’est beau.

Philippe Glass avait écrit un truc qui s’appelait Orion, il a pris des cartes du ciel, il a tracé des lignes dessus, il a demandé aux gens de le jouer, c’est bien, c’est pas mal.

Orion, Phlippe Glas

J : Ah oui ?

JPU : Oui, Olivier Messiaen dans un truc qui s’appelle Eclair sur l’au-delà il a un truc qui s’appelle Le Sagittaire, alors là il a demandé à l’orchestre de se mettre en petits groupes comme la constellation du sagittaire. Les gens se sont amusés à ça.

Eclair sur l’au delà, Olivier Messiaen (Le Sagittaire à partir de 7’25”)

JPU : On parlait de points, il y a quelque chose qu’on avait fait, on ne va pas l’écouter parce que c’est inaudible mais j’avais pris un catalogue de galaxies, ce sont des ensembles de points et donc au départ la matière est plutôt homogène et puis ça va former des grandes structures, avec des vides, des filaments. Donc j’avais une bande comme ça, la longueur le long de la bande c’est la distance par rapport à notre galaxie, donc plus on s’éloigne plus on est dans l’univers lointain et jeune donc de plus en plus homogène, on voit la structuration des galaxies. Donc j’avais pris cette bande et je me suis dit : je vais utiliser ça comme un codage midi et donc ça me donne des notes de piano qu’on joue comme ça et poumpoumpoum ça fait un truc complètement inaudible, c’est vrai que c’est inaudible. Il y a trois ans, j’étais à l’observatoire du Cap en Afrique du Sud, il y avait une dame, Wanda Diaz qui est costaricaine, et elle est aveugle, et elle est astronome, elle a fait une thèse d’astronomie. Elle faisait de l’astronomie observationnelle et vers 27 ans elle a eu une maladie et elle est devenue aveugle. On a pas mal discuté et donc je lui ai fait écouter ça, je lui ai demandé à quoi ça lui faisait penser, en fait c’est la seule personne que je connaisse qui m’ait dit “en fait là tu as des distributions de notes qui sont homogènes et ça se structure, et on voit que tes notes se mettent en structure d’éponge”. J’étais complètement sur le cul bien sûr, c’est la seule personne qui me dit que ça représente exactement ce qu’on joue et en fait cette personne est assez extraordinaire. Vous vous rappelez le film Contact avec Jodie Foster et Elie qui écoute avec les radiotélescopes. En fait Wanda fait exactement pareil c’est à dire que comme elle ne peut pas voir, elle fait des calculs, elle a un logiciel de sonification, elle transforme ses observations en musique. Si elle a des spectres d’absorption ça va lui donner la fréquence, le temps c’est en gros la distance depuis l’observateur donc elle va avoir ces données-là et elle peut par exemple calculer des intervalles de courbes à l’oreille. Elle m’a fait la démonstration, elle m’a montré la courbe, je l’ai mise dans Mathematica, j’ai fait deux trois trucs, j’ai eu l’intégrale, elle elle a utilisé son logiciel, elle a écouté et ensuite elle a sorti de tête le résultat de l’intégrale et j’ai trouvé que c’était bluffant. Comme quoi on peut calculer aussi avec ses oreilles mais ça prouve encore ce que je disais au départ, quand on n’a pas accès à certains sens on n’a pas accès à toute la réalité mais on peut transformer des informations.

R : Ca va complètement avec l’astronome aveugle.

JPU : Ah mais elle c’est l’incarnation de l’astronome aveugle, on s’est vus plein de fois après, je lui ai raconté plein de choses qu’on avait faites, en fait elle le vivait complètement. Elle ce qui est extraordinaire c’est que quand elle fait des conférences elle fait des conférences dans le noir absolu sans slides, et donc elle fait écouter des choses aux gens et elle les met dans un univers où ils ne peuvent pas voir. Elle dit qu’en fait si les gens ne peuvent pas se mettre du côté de la perception du monde des aveugles, il faut que vous soyez dans les mêmes conditions, que vous ayez une préhension de ma conférence qui n’est basée que sur l’écoute [Ted Talk de Wanda Diza]. Et donc elle fait des conférence comme ça et je trouve que c’est très très joli parce que c’est vrai qu’on n’a pas la même relation à ce qui est visible qu’à ce qui est audible. D’ailleurs c’est un truc que je trouve assez fabuleux, quand vous allez au concert, c’est un effort d’écouter parfois c’est à dire qu’il faut rester concentré, si vous ne restez pas concentré, vous n’arrivez pas à écouter tout le temps, ça demande un effort particulier, alors que paradoxalement vous ne pouvez pas fermer vos oreilles. Vous êtes obligés d’entendre mais c’est difficile d’écouter, c’est un peu comme avec les gens quand ils vous parlent, vous ne les entendez pas, vous ne les écoutez pas toujours.

J : Alors qu’au cinéma on peut fermer les yeux mais c’est moins difficile de voir.

JPU : C’est ça oui, il parait que Kant se plaignait beaucoup du fait qu’on ne pouvait pas fermer ses oreilles, ça le dérangeait, ça l’empêchait de se concentrer, on ne sait pas si c’est vrai.

C’est assez paradoxal parce qu’on a ce sens qui est l’ouïe, on ne peut pas s’en abstraire, on est toujours dérangé par les voisins qui font du bruit en plein milieu de la nuit, ça nous empêche de dormir. Alors qu’ils peuvent danser…

J : Alors que les voisins qui ont des lasers dans leur maison c’est pas gênant.

JPU : D’un autre côté rester concentré sur de la musique ça demande un gros effort, plus que de regarder des images passer. Donc je pense qu’il y a une relation différente au son et à l’image.

Voilà, après on peut jouer plus, il faut jouer plus ! La question suivante qu’on pourrait se poser c’est : est-ce qu’on peut entendre ou écouter des théories physiques ? Parce qu’au départ je suis quand même un théoricien moi, j’aime les équations, les courbes,…

J : C’est vrai que ça fait beaucoup trop d’observations aujourd’hui.

JPU : Est-ce qu’on peut s’amuser à faire ça ?

R : Ben oui…

JPU : Si je pose la question et vu la mauvaise foi de ce soir, on sait qu’on va pouvoir le faire !

N : Toute une partie des équations, particulièrement les équations différentielles se prêtent plutôt bien à l’écoute à mon avis.

JPU : Ca c’est une première chose, certaines équations de type différentielles qu’on va appeler des équations d’onde ou des équations de propagation, les solutions de ces équations vont être des choses qui représentent des signaux qui vibrent. Donc ça on peut s’amuser à faire la transposition et puis à les écouter. C’est clair que c’est une chose qu’on peut faire. Il y a pas mal de gens qui ont essayé de faire ça, je vais donner deux trois exemples de musiciens, des gens que j’adore. Le premier c’est Edgard Varese, est-ce que vous le connaissez ? C’est un des plus grands compositeurs français… C’est vrai ? C’est pas vrai ?

Anne : Si c’est le plus grand je ne sais pas…

JPU : J’ai pas dit le plus grand, un des plus grands. Moi j’adore Edgard Varese, quand on dit ça ça veut juste dire qu’on l’aime, on n’est pas là pour mettre des médailles mais il a fait des choses extraordinaires. Il y a une pièce que je trouve fabuleuse qui s’appelle Ionisation, qu’il a écrite je crois en 1929-1930, là, si vous regardez la partition de musique, ça ne ressemble pas à une partition de musique, ça ressemble plutôt à un spectre que vous auriez mesuré en faisant de la spectro dans un laboratoire. Donc vous avez comme un spectre d’absorption, j’ai un morceau de la partition ici, ça ressemble à ça, ce sont des courbes.

Partition Poème électronique, Edgard Varèse
Partition Poème électronique, Edgard Varèse

J : Du coup les notes ne comptent plus en fait.

JPU : Ce sont des mouvements… Moi je compare ça à un spectre d’absorption, ici j’ai un spectre d’absorption de quasar, ça ressemble énormément. D’ailleurs c’est intéressant parce qu’on voit que c’est vraiment les années 30, c’est quand même un âge d’or de la physique, on découvre la mécanique quantique, on comprend la matière et ainsi de suite. Il dit qu’il décide d’appeler sa musique “son organisé” et qu’il n’est pas un musicien mais un travailleur en rythme, fréquence et intensité. Donc un physicien expérimentaliste c’est comme ça, il travaille avec des rythmes, des fréquences et des intensités. C’est clair que c’est le départ d’une musique où l’on va faire de la musique électroacoustique, on va utiliser des ordinateurs. Il va y avoir toute une branche de la musique qui va vraiment travailler avec ça et ça va aller de la musique concrète, on parlait de Stockhausen tout à l’heure, il va y avoir toute une musique, on va travailler les sons avec les ordinateurs pour pouvoir faire des univers sonores. Là il est clair que les règles ne vont pas être les mêmes parce qu’on va pouvoir additionner les sons, les multiplier… On va pouvoir faire plein de choses qu’on fait avec des signaux, interférer des sons, ce qu’on ne peut pas faire avec des instruments de musique de façon simple. Donc Ionisation c’est une pièce, si vous vous plongez dedans, l’ionisation d’un atome c’est l’acte d’arracher ses électrons en le bombardant de photons sous l’effet du rayonnement. Si vous pensez fort à ça et que vous écoutez cette pièce, vous êtes en fait à l’intérieur d’un atome et vous allez avoir les transitions de niveaux énergétiques des électrons et le rayonnement qui est émis et tout ça. Donc c’est tout à fait dans l’air scientifique de l’époque qui est la mécanique quantique et la compréhension de la structure de la matière. Tu en mets un petit bout ? Tu as l’enregistrement mais c’est comme tu veux. [musique]

Au début ça part lentement, tu peux avancer un petit peu.

Ionisation, Edgard Varese

JPU : Il y a des moments qui sont intenses il y en a qui ne le sont pas. Donc ça, ça nous a amené vers la mécanique quantique et une chose qu’on a appris au XXe siècle avec la mécanique quantique c’est que toute particule est aussi une onde, donc tout vibre. L’essentiel est fait de vibrations donc chaque particule, que ce soit un électron, un noyau atomique, va avoir des propriétés qui sont les mêmes que celles de toute onde, donc finalement tout s’écoute. Ca va même plus loin, c’est à dire que les développements aujourd’hui en physique théorique autour de la compréhension de la théorie de la gravitation, qui cherchent à formuler une théorie de la gravitation qui est quantique, vont donner que finalement tout est vibration, l’espace-temps lui-même pourrait être la résultante de cordes qui vibrent, on appelle ça la théorie des cordes. Donc autant dire que si ce sont des cordes qui vibrent, on a bouclé la boucle. Dans ce cas-là, pour reprendre Pythagore on pourrait dire que tout est musique, puisque l’univers ce serait l’essence de cordes qui vibrent et donc de modes de vibration qui seraient aussi quantifiés avec un fondamental, deux fois, trois fois…

Peut-être qu’ils n’avaient pas si tort que ça. Ce qui est drôle c’est qu’il y a plusieurs compositeurs qui se sont inspirés de tous ces développements cosmologiques et scientifiques donc on parlait de Stockhausen, il y a une œuvre qui s’appelle Ylem, qui est basé sur la théorie des univers cycliques de Gamov dans les années 50. On parlait tout à l’heure du fond diffus cosmologique, il y en a un qui a entendu le fond diffus cosmologique c’est Franck Zappa. C’est bien Franck Zappa non ? Je l’adore. Il a un album qui s’appelle The big note [Lumpy Gravy en fait]. On a découvert le fond diffus cosmologique donc c’est ce fond d’ondes électromagnétiques qui a une température de 2,7K et je ne sais pas où il a lu ça mais il a dit qu’en fait l’univers vibre en si bémol mais 4928 octaves au dessous de la big note. C’est un peu comme un mantra, l’univers chante un si bémol 4928 octaves sous le si bémol qu’on peut entendre… [rires] Il a tout un univers complètement ésotérique ou tout pourrait être l’essence de la big note, c’est génial. Si vous écoutez Franck Zappa, et que vous vous rappelez de tout ce qu’on a raconté sur Pythagore, Aristote, Platon et tout, en fait vous le voyez d’un œil nouveau. Il a des tirades… Spider dit : Everything in the universe is made of one element, which is a note, a single note.

Et ça continue comme ça, c’est génial. Donc voilà, ça ce sont des choses qu’on peut relier, ça montre des liens qui sont complètement inattendus, on ne sait pas si Zappa connaissait Pythagore et on s’en fout d’ailleurs, mais on voit que quelque part il y a un moment où les gens arrivent aux mêmes conclusions en passant par des chemins complètement différents. On voit que ces liens entre sciences et musique ils vont être multiples, c’est pour ça qu’on peut creuser, on va bientôt s’arrêter, mais on pourrait en parler des heures. On avait le fil historique sur l’évolution des théories scientifiques, on avait le fil avec les mathématiques, on a parlé théorie des nombres, des gammes musicales et ainsi de suite. Il y a d’autres aspects avec les mathématiques, il y aurait tout l’espace des symétries par exemple. En math quand on veut décrire un espace on peut aussi le décrire à partir des symétries qui laissent invariantes les figures, en particulier depuis Klein c’est une façon de retrouver les groupes de symétrie et ainsi de suite. En musique on peut faire la même chose, on peut prendre une ligne, on peut la jouer à l’envers, on peut la renverser, on peut la transposer, et donc ça ça va donner ce qu’on appelle les groupes musicaux et il y a plein d’œuvres qui utilisent ça, bien avant le concept même de groupes en mathématiques.

R: Aujourd’hui il y a quand même des gens qui osent prendre une partition et la tourner à 45° par exemple et regarder ce que ça donne.

JPU : Voilà, donc ça a été fait bien avant eux.

R : Oui il y a des gens qui font ça.

J : J’arrive pas à comprendre en fait parce que pour moi c’est juste plus dur pour lire les portées… [rires]

R :  Voilà et ben tu le fais quand même et tu vois où atterrissent les notes, c’est à dire sur des lignes ou pas sur des lignes.

image02J : Ah oui d’accord tu décales les notes sur une “portée infinie”.

R : Ouais voilà…

JPU : Tu peux t’amuser à faire ça.

J : Tu coup tu as des notes qui sautent d’octaves…

R : Les intervalles entre les notes changent, c’est absolument n’importe quoi. C’est à dire qu’en gros si tu as une mélodie, tu tournes à 90°, tu fais un accord, si tu fais un accord tu tournes à 90° ça te fait une mélodie et si tu fais un truc entre deux ça te fait des notes plus rapides avec des intervalles plus grands ou des trucs comme ça. Il y a des gens qui font ça et en plus ils sont payés pour.

JPU : Ah ça c’est la beauté du geste. Mais tu sais ça ils n’ont pas attendu qu’on découvre les groupes et tout ça pour le faire, Mozart, Bach… J’ai un très bel exemple de Bach, la notion de fugue est basée sur ce concept de transformer des motifs, mais simplement un canon. Le canon qu’on appelle canon éternel, c’est une mélodie sur un cylindre. Ben oui c’est ça un canon.

J : Oui c’est une mélodie qui est plus courte ou plus longue que le signal…

JPU : C’est ça. Dans l’offrande musicale de Bach il y a un mouvement qui s’appelle le canon du crabe et donc il y a une mélodie qu’on peut jouer dans un sens, on peut la jouer dans le sens inverse, on peut les jouer en même temps. En fait quand on regarde la mélodie on voit qu’elle a une structure de ruban de Möbius.

Canon cancrizans, l’offrande musicale, Jean-Sébastien Bach, interprété par Paul Ziffer

Mozart il a une œuvre qui s’appelle les canons en miroir (Der Spiegel), la musique n’a qu’une seule portée, il y avait deux violonistes qui s’asseyaient l’un en face de l’autre, la feuille était posée au milieu et ils jouaient ensemble ce qui fait qu’en fait ils se croisaient donc la même voix donnaient les deux voix de violons et ça faisait un duo.

Der Spiegel, Wolfgang Amadeus Mozart

Donc ça a été hyper exploité par la musique avec une apothéose avec ce qu’est la musique sérielle. C’est à dire qu’en gros on va prendre une série de douze notes qu’on va se donner comme ça et puis on va faire jouer des groupes de symétrie, des groupes de transposition et on va voir toutes les séries de douze notes qui viennent de cette série là et à partir de ça on va se donner des libertés sur la répétition de certaines notes ou sur les rythmes et on va composer de la musique. C’est tout un mouvement qui va utiliser à l’extrême des symétries de morceaux et il y a des mathématiciens ou des gens à l’IRCAM qui analysent ces œuvres musicales sous cet angle-là, celui de leur structure mathématique, quel type de groupes de symétrie et tout ça. Je ne sais pas si ça permet de comprendre mieux la musique mais on voit qu’il y a des structures et on revient finalement à une des questions du départ c’est : est-ce que le fait qu’on découvre qu’il y a des structures mathématiques derrières ces choses-là ça les rend plus belles ou pas ? Ou est-ce que ça révèle quelque chose sur la nature ? On n’en sait rien, mais dans tous les cas ça nous questionne.

Donc ça c’est un lien avec les mathématiques, on a parlé des choses qui vibraient donc ça veut dire que toute la théorie de l’acoustique doit être comprise. Il faut savoir comment un instrument vibre et donc là le développement des sciences a énormément profité de la compréhension de la corde vibrante. On avait fêté Sophie Germain à l’IHP cette année, elle s’est posée la question de savoir comment les surfaces vibrent, ça c’est le début de l’acoustique, et puis l’aspect de savoir comment on perçoit la musique, pourquoi est-ce qu’on va avoir des émotions, pourquoi est-ce que ça va nous évoquer des choses ? Là c’est plutôt en lien avec la neurophysique. Ce qui est intéressant c’est qu’on va balayer les sciences, des mathématiques jusqu’au cerveau en passant par la physique et aussi la cosmologie parce qu’il y a cette harmonie des sphères qui reste entre les deux. C’est pour ça que ça m’intéresse et je trouve que c’est un bon sujet pour vulgariser un peu toute la science.

Pour finir je vais terminer sur deux choses, parce qu’il faut retourner à l’homme, là c’est nous qui parlons, c’est de la musique qui est faite par des êtres humains, la musique dont on a parlé c’est principalement de la musique occidentale donc c’est aussi très lié à notre culture. Souvent quand vous rencontrez des gens que vous ne connaissez pas, ils vous parlent de musique, vous savez quelqu’un qui aime la même musique que vous c’est quelqu’un qui vous ressemble un petit peu d’une certaine façon. L’humanité ne s’est pas gênée d’essayer de dire aux extraterrestres quelle musique elle aimait. Vous savez qu’en 77 on a lancé la sonde Voyager et à l’intérieur il y avait le Golden Record qui était un disque sur lequel il y a tout un message pour les extraterrestres et puis derrière il y a un disque avec de la musique et donc on peut se demander, il y a eu un groupe de travail à la NASA, dirigé par Carl Sagan, pour savoir quelle musique envoyer aux extraterrestres. Quelle musique est-ce que vous enverriez-vous aux extraterrestres ?

Le Voyager Golden Record (à droite) et son couvercle (à gauche) expliquant comment le lire.
Le Voyager Golden Record (à droite) et son couvercle (à gauche) expliquant comment le lire.

J : On avait fait un épisode sur Voyager.

JPU : Ah vous avez déjà fait un épisode sur Voyager ?

J : On sait la réponse du coup… Il y avait beaucoup  de Bach.

JPU : Il y avait beaucoup de Bach, il est médaille d’or, il y a 3 morceaux de Bach.

R : Normal.

JPU : Ensuite médaille d’argent Beethoven et après c’est Mozart. Après il y a plein de choses, il y a ce qu’on appellerait aujourd’hui de l’ethnomusique, il y a des chants, je ne sais pas, d’Azerbaïdjan, du Pérou, de Nouvelle-Guinée et tout ça… (playlist du Golden Record)

N : Ce qui est marrant, c’est dans un cadre fictionnel mais quand même, on a même imaginé la musique comme moyen de communication dans rencontre du troisième type.

JPU : Exactement, mon film préféré ! L’idée dans rencontre du troisième type c’est que quelque part c’est le moyen de communication au delà de tout langage, en fait il va être utilisé comme vecteur et en modulant un thème musical qui se répète on va réussir à coder de l’information et finalement à s’échanger un langage. Je trouve que c’est une très belle idée qui va d’ailleurs dans le sens d’envoyer de la musique aux extraterrestres. Il y a un truc qui détonne quand même là dedans c’est que tout ça est introduit par un discours du président Jimmy Carter. [rires]

Maintenant vous comprenez pourquoi quand les extraterrestres débarquent sur terre, ils parlent anglais, c’est parce qu’il y a un discours du président Jimmy Carter sur le golden record.

J : Mais il y a aussi du français dessus.

JPU : Il y a du français.

J : Il y a une phrase en français qui dit “salut tout le monde”, de façon un peu bizarre, un peu étrange.

JPU : C’est ça il y a des phrases de différentes langues pour montrer qu’il y a une diversité des langues, c’est un très beau travail. Il y a un livre qui s’appelle Mumurs of the earth, ce n’est pas traduit en français, qui a été écrit par Sagan et qui explique tout le message, toute la codification et comment on peut le déchiffrer si on est intelligent.

R : Il n’y a pas les nombres premiers dessus aussi ?

La plaque embarquée à bord des sondes Pioneer 10 et 11
La plaque embarquée à bord des sondes Pioneer 10 et 11

JPU : Si si il y a les nombres premiers, une codification des nombres, on apprend les additions. Vous pouvez mettre des objets, d’accord mais il faut trouver quelle taille ils ont, donc il faut trouver un étalon universel donc ils partent du principe que la fréquence la plus présente dans l’univers c’est la raie à 21 cm de l’hydrogène, il y a un truc qui doit vous faire comprendre que c’est de l’hydrogène et qu’en gros on arrive à expliquer ce qu’est un mètre et ainsi de suite. Parce que si vous communiquez il faut donner tous vos codes, un système d’unités ce n’est pas quelque chose d’universel, c’est quelque chose de construit avec les aléas, ça dépend de la taille de la planète sur laquelle on est et ainsi de suite, donc de pesanteur historique. Il faut transmettre ça aux extraterrestres, on ne peut pas dire “c’est le haut, c’est le bas, ça mesure deux mètres, tiens voilà un être humain qui fait 1m80, tout ça il faut le définir à partir de 0 et c’est ce qu’ils ont essayé de faire et je trouve que la démarche est vraiment intéressante sur le comment est-ce qu’on peut définir à partir quasiment de rien qui nous sommes nous en tant qu’êtres humains.

N : La question qui se pose sur la musique sur ce truc de voyager, un peu pour les écrits aussi, ce n’est pas envisageable qu’ils n’aient pas de récepteurs à sons ?

JPU : Ils n’ont peut-être même pas d’oreilles, on n’en sait rien.

J : C’est ça.

R : Ils n’existent ptet même pas !

JPU : Peut-être qu’ils n’existent pas mais c’est un peu poétique cette histoire parce que cette sonde est sortie du système du système solaire il y a une dizaine d’années maintenant. Avant qu’elle trouve un endroit où il y ait potentiellement des gens c’est une chose, et puis maintenant il faut être clair qu’il y a probablement de la vie ailleurs dans l’univers ça c’est quasiment sûr, mais dans les banlieues proches c’est probablement de la vie microscopique, ce n’est pas de la vie en surface,… Donc si c’est découvert par des amibes par exemple, ça va être difficile pour eux de décoder le message. Mais cette histoire d’extraterrestres elle me plait beaucoup parce qu’on a l’impression qu’on parle aux autres mais en fait on parle de soi. Je pense que c’est exactement ça que fait la musique, c’est à dire que quelque part on est dans une relation où en ayant cette notion d’altérité, savoir qui est l’autre, on a plutôt une question sur l’identité, savoir qui on est nous même donc qu’est-ce que c’est que d’être humain. Et je trouve que c’est vachement important aujourd’hui où les gens ne se posent plus beaucoup la question, alors qu’à l’époque où on découvrait de nouveaux continents, de nouveaux peuples, à chaque fois il y avait cette réflexion, ce sont des gens qui nous ressemblent mais qui sont différents, est-ce qu’ils sont humains, est-ce qu’ils ne sont pas humains, comment est-ce qu’on définit l’humain. Peut-être que c’est un discours qu’on a oublié aujourd’hui dans notre société, qu’est-ce qui fait qu’on est nous ? Je pense que ça c’est un bel exemple de telles réflexions qu’on peut avoir. Ca c’était ma première conclusion.

La deuxième c’est pour parler de quelqu’un que j’adore, c’est Jean-Luc Nancy, c’est un philosophe français contemporain, il s’était demandé pourquoi on aime la musique, il avait écrit un petit livre là-dessus. J’avais trouvé son explication, je ne sais pas si elle est scientifique, mais dans tous les cas je l’avais trouvée extrêmement belle et j’avais envie d’y croire, je vais vous la lire. Pourquoi vous aimez la musique ? Pourquoi tout le monde aime la musique ? C’est comme le chocolat il n’y a presque personne qui n’aime pas la musique. Il se pose cette question et il repart de l’enfance et il se dit que l’enfant pendant 9 mois est dans le ventre de sa mère, dans le liquide amniotique. Il y a très peu de lumière, donc vous ne voyez pas, peut-être qu’il y a des lueurs mais vous ne voyez pas. Mais il semblerait qu’on peut entendre, on ne sait pas exactement à partir de combien de mois de grossesse est-ce qu’on entend, mais le bébé entend dans les derniers mois vous pouvez lui parler, il bouge, il réagit. Mais la question est de savoir ce que vous entendez, si je parle à un bébé in utero, il va entendre ce son qui passe à travers le liquide amniotique, à travers le ventre de sa mère, il entend la voix de sa mère mais de l’intérieur. Donc quelque part ces sons sont déformés et si vous parlez et écoutez dans l’eau vous allez vous rendre compte que toutes les fréquences ne vont pas se propager, vous n’allez pas comprendre les mots mais vous allez quand même saisir quelque chose. Ce quelque chose que vous saisissez c’est la mélodie de la langue, c’est ce qu’on appelle la prosodie.

Imitation gestuelle (ligne continue) et vocale (ligne discontinue noire) de l'intonation d'un locuteur (ligne discontinue grisée). Source : CNRS
Imitation gestuelle (ligne continue) et vocale (ligne discontinue noire) de l’intonation d’un locuteur (ligne discontinue grisée).
Source : CNRS

Quelque part, pendant des mois, le seul contact que vous ayez avec l’extérieur c’est la prosodie de la langue de votre environnement et en particulier celle de votre mère. En fait on se rend compte si l’on prend des langues différentes, elles ont toutes des mélodies, des rythmes, des amplitudes qui diffèrent. Lui sa théorie c’est que la première mémoire que l’on ait d’une sensation c’est la sensation du son et qui est raccrochée à la sensation de cette vie que l’on avait avant de naître. Que quelque part c’est probablement ce que l’on recherche dans la musique et que parfois elle nous évoque des émotions, on va frissonner, on peut pleurer parfois quand on écoute de la musique, avoir peur, rire, sans savoir pourquoi. C’est quelque chose qui va vous chercher au plus profond de vos premières émotions. Je ne sais pas si c’est vrai, lui même dit qu’il ne sait pas si c’est vrai, mais moi je trouve que c’est tellement beau, que j’ai envie d’y croire voilà. J’ai envie de partir avec ça pour l’été comme théorie sur pourquoi on aime la musique et pourquoi est-ce qu’on recherche cette mémoire de ces premiers instants. Je sais qu’il y a des tests sur la reconnaissance des langues étrangères par les enfants.

J : Ma mère m’a dit qu’enfant ils avaient fait des tests sur moi pour vérifier si je réagissais plus à ma langue maternelle qu’à une autre langue. Ma mère dit que je me suis endormi. [rires]

R : Le mauvais cobaye.

JPU : C’est peut-être qu’elle te chantait des berceuses.

R : Je crois qu’il y même eu des tests de faits pour voir si un bébé se calme, je ne crois pas que ça a été fait à une grande échelle de manière sérieuse mais ils ont chanté des chansons que le bébé avait entendues in utero et d’autres et il se calme a priori plus quand ce sont celles qu’il a déjà entendues. Il y a des trucs qui passent c’est certain, mais ça voudrait dire que ça pourrait presque être vérifiable en faisant des liens entre les langues et les comptines, parce que ce sont les premières musiques qui calment. C’est marrant de voir que les comptines sont plus faciles à appréhender, on voit bien que les gamins accrochent avec les musiques qui nous paraissent les plus simples. Faire des liens avec les langues il y aurait des choses à chercher.

JPU : Exactement. Mais voilà je trouve que c’est beau parce que finalement la prosodie c’est la musique de la langue. Souvent on n’en a pas conscience parce qu’on s’intéresse au sens du mot, mais c’est ça qui est difficile quand on parle une langue étrangère. Pour parler anglais comme un anglais ou russe comme un russe il ne s’agit pas seulement de dire les mots et de bien les prononcer mais c’est aussi d’avoir toutes les intonations, toutes les fréquences. Je crois que ça ça a été étudié, c’est à dire l’amplitude en fréquences des différentes langues, ça c’est connu, je pense que ça joue. Si vous êtes dans une langue où vous atteignez beaucoup de fréquences, si vous apprenez une autre langue c’est peut-être plus facile alors que si vous avez une langue qui est très monotone je suis sûr que votre oreille n’est pas éduquée. C’est connu qu’il y a des peuples qui apprennent plus facilement les langues étrangères, est-ce que c’est lié à ça j’en sais rien, mais probablement. Mes enfants sont bilingues de naissance parce que leur mère n’était pas française et c’est vrai qu’ils apprennent extrêmement facilement les langues étrangères. Après tout ça c’est l’évolution du cerveau.

N : Dans l’esprit, en improvisation théâtrale il y a un exercice qui consiste à faire semblant de parler une langue et tout le jeu c’est de parler uniquement avec des intonations et en faisant des sons qui ressemblent vaguement à la langue en question et en effet on arrive à peu près à communiquer.

JPU : Tu peux nous faire quelle langue ?

N : Ah non là je pourrais pas.

JPU : Ah sisisisi vas-y.

N : Non mais là non.

J : J’ai déjà fait l’exercice et c’est horrible parce que ça donne l’impression d’être horriblement raciste parce qu’on simplifie une langue à l’extrême.

N : J’ai entendu un français qui avait bossé plusieurs mois pour faire ça, ce qu’on appelle un gromelot, en français, il parlait un truc, on avait l’impression d’entendre du français mais on ne comprenait rien. C’est très compliqué. J’ai des beaux-parents qui parlent une langue que je ne comprends pas et quand ils parlent à leur fille parfois j’essaie de comprendre et je comprends parfois certaines choses et ça la surprend mais je vois des réactions et des intonations que je reconnais. Parce qu’on n’est pas amorphes.

JPU : Donc vous êtes tous d’accord on a envie de croire en cette explication. [chorus de oui] Merci Jean-Luc Nancy. C’est quelqu’un d’extraordinaire, lisez ses livres.

Ben voilà, c’était un peu décousu, ça allait dans tous les sens, mais c’était juste pour parler de plein de choses qui me font plaisir.

Uzan Ladoire Je fais aussi un peu de pub pour les étudiants qui ont travaillé avec Fabien et moi pendant toute l’année dernière, c’était un projet avec les étudiants de la classe d’écriture du Conservatoire de Paris donc des jeunes compositeurs. Puis on les avait mis en binômes des étudiants en math et en physique de l’université Pierre et Marie Curie et on les a fait composer ensemble. Les partitions sont sur mon site ainsi que toutes les œuvres que l’on va pouvoir écouter (ici partie Théâtre, films, musique etc., tout à la fin de la page) donc vous allez voir dans les œuvres il y a des trucs marrants. Il y a une œuvre qui s’appelle Arasaniit, ça ne vous dit rien du tout mais ça c’est parce que vous ne parlez pas inuktitut, c’est la langue des inuits, ça veut dire Aurore boréale donc c’est l’histoire d’un proton depuis le soleil jusqu’au moment où il va entrer en collision avec des composants de l’atmosphère pour émettre une belle lumière verte. Biogénèse qui est basée sur les théories sur l’origine de la vie extraterrestre. Il y  a un truc qui est très “Bach” ça s’appelle la Cantate des planètes, c’est très sur le côté harmonie des sphères, mais pour montrer l’évolution de la structuration de la matière ça commence dans un style qui est Bach mais ça finit dans un style Messiaen donc l’évolution du style tout au long de l’œuvre. Il y en a un que j’adore c’est Funky star, c’est vraiment funky, avec du violoncelle, il y a 3 étoiles qui ont trois couleurs différentes, il y a deux chanteuses et un chanteur qui représentent les étoiles chacune avec sa personnalité donc elles s’engueulent un peu et tout ça… Il y a une pièce très mathématique sur les attracteurs étranges, on était parti d’un motif musical qui a été codé ensuite on a pu étudier l’équation logistique en changeant les paramètres et donc pour des paramètres faibles les motifs sont presque identiques, pour des paramètres plus grands on va rentrer dans des régimes chaotiques de l’équation logistique. Il a utilisé ces motifs pour créer sa pièce avec des passages dans le chaos, des passages plus déterministes. C’est plus conceptuel. Il y a un truc qui s’appelle le grand sadique à tout casser qui est un très beau poème et qui raconte l’histoire d’une personne qui est prise de dépression et qui jette tout ce qu’il possède par la fenêtre jusqu’à se jeter morceau par morceau lui par la fenêtre et qui en fait est une façon de décrire la désintégration des particules, ça devait être un morceau avec compteur Geiger, ça ne s’est pas fait mais ça aurait pu être intéressant. Il y a un morceau qui s’appelle métaphore de la lumière qui là est basé simplement sur la notion de dualité onde-corpuscule dans la lumière, les percussions liées aux photons et la partie plus mélodique liée à la description ondulatoire de la lumière.

J : [Johan chantonne du Schubert qui le fait penser à ce concept]

JPU : Le dernier c’est spacetime oddity, c’est un space opera au sens propre du terme, il y a des gens qui vont explorer des trous noirs et il a été composé parce qu’on en parlait le lendemain de la mort de Davie Bowie. Space oddity (vidéo) est quand même un de ses morceaux emblématiques. on a joué avec l’idée de Major Tom et Ground Control qui échangent mais on est proche d’un trou noir donc il va y avoir des distorsions spatio-temporelles des fréquences, on ne se comprend plus très bien, on va tomber dans le trou noir. Il y a des extraterrestres qui débarquent, c’est hyper drôle.

Ca c’est un projet qu’on a fait l’an passé avec les étudiants pour mélanger de plein de façons des inspirations scientifiques et musicales. Mais si on écoute les pièces parfois on ne sait pas de quoi c’est inspiré si on ne vous le raconte pas, le but n’était pas de faire de la vulgarisation. Tout ça c’est en ligne et je fais de la pub pour eux parce que ce sont de jeunes compositeurs.

Voilà c’était une bonne occasion de parler de musique sans être focalisé sur un thème

N : C’était assez merveilleux.

R : Très bel épisode de vacances.

N : Je crois qu’on a pas de questions, les auditeurs sont allés se coucher au bout d’un moment. Il va nous rester la citation et puis on pourra conclure la saison en beauté.

JPU : Il fallait que je ramène une citation ?

N : Ah ben oui et pas de Platon, c’est déjà fait Platon.

JPU : Franck Zappa !

N : Vas-y

JPU : Je cherche. C’est la saison 6 ? Vous êtes en phase avec Games of Thrones c’est super. [rires] C’est pas l’épisode où je meurs ?

N : Le prochain épisode avec toi on le fait à l’IPH ?

JPU : Ah oui oui, j’aimerais bien qu’on fasse un épisode à l’Institut.

R&N : Nous aussi !

Modèles mathématiques de lIHP
Modèles mathématiques de l’IHP

JPU : Voir même qu’on fasse visiter l’Institut. J’aimerais bien qu’on fasse un truc autour de la collection de modèles mathématiques.

R : Grave. Hyper radiophonique en plus.

JPU : Hyper radiophonique. Il y a plein d’occasions pour ça puisque l’année prochaine 2017 nous fêterons le centenaire de la mort de Gaston Darboux mathématicien.

R : Que personne ne connait.

JPU : Cherchez sur google.

R : Mais c’est très bien d’en parler.

JPU : Il faut savoir qu’à l’IPH il y a un amphithéâtre Darboux donc c’est probablement un mathématicien qui a un lien avec l’Institut. Il a été un des grands contributeurs de la collection de modèles mathématiques. L’année prochaine on va l’honorer et il y aura tout un travail autour de ces modèles mathématiques. On est en train de composer un livre collectif avec beaucoup de photos qui expliquent un peu ce que sont ces modèles mathématiques, comment ils ont inspiré des artistes comme Man Ray, Max Ernst et beaucoup de surréalistes et puis il y aura plein d’activités. En particulier il y a des compositeurs qui ont voulu composer de la musique et des chorégraphies à partir de ces modèles, peut-être qu’on pourra les écouter aussi.

N : Il y a encore des auditeurs présents qui veulent que ce soit en public absolument.

JPU : Volontiers, mais alors volontiers, on peut faire une séance publique.

N : C’est bon c’est signé alors.

JPU : Ca tombe tout à fait à pic parce que la semaine dernière notre responsable de la bibliothèque Alexandra Miric me disait qu’elle aimerait bien qu’on ouvre l’Institut pour faire des lectures. Des textes plus littéraires mais de mathématiciens ou de physiciens, il y avait eu un truc récemment autour de Grothendieck à l’ENS, Poincarré a écrit des textes de philosophie, il y a pas mal de gens qui ont écrit des choses que l’on peut lire. on peut se faire une petite soirée à la bibliothèque avec quelques personnes intéressées, il faudra qu’on voit comment on s’organise comment on fait ça, mais on est ouvert pour vous faire visiter l’Institut et vous y accueillir.

N : C’est une bonne idée.

JPU : Bon la citation

Everything in the universe is made of one element, which is a note, a single note. Atoms are really vibrations, you know, which are extensions of the big note… Everything’s one note. Everything, even the ponies. The note, however, is the ultimate power, but see, the pigs don’t know that, the ponies don’t know that…

Very Distraughtening, album Lump Gravy, Frank Zappa

Traduction : “Tout dans cet univers est l’extension d’un seul élément, qui est une note, une seule note. Les atomes sont des vibrations, qui sont l’extension d’une Grande Note, tout est une note. Tout, même les poneys. La note, cependant, est le pouvoir ultime, mais  tu vois, les cochons ne le savent pas, les poneys ne le savent pas…

Ca me semble bien de finir sur Zappa pour partir en vacances.

N : Il n’y a rien à rajouter.

JPU : on prend tous notre combi VW, nos planches de surf et on part.

N : Sur ce on va conclure, comme la saison précédente vous avez tout l’été pour écouter Jean-Philippe Uzan, à l’aller, au retour, en voiture, avec vos enfants.

JPU : Merci à tous, pour moi c’était une super soirée.

N : La mauvaise nouvelle c’est que comme pour Games of Thrones vous allez avoir plusieurs jours à patienter sans épisodes. La saison 6 se clôture, on reprend à la rentrée pour la saison 7.

J : Suivez nous sur la page facebook si vous voulez savoir quand on reprend.

N : Voilà sur facebook, sur youtube, sur twitter, vous pouvez vous abonner sur itunes, j’ai vu qu’il y avait des gens qui commentaient sur itunes, coucou, n’hésitez pas à venir sur les autres réseaux ou on est un peu plus présents pour vous répondre et puis voilà passez un bon été, amusez vous bien et d’ici-là ma foi, que servir la science soit votre joie.

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