Quand votre étron s’envole : 50 ans d’ingénierie spatiale à l’épreuve de la défécation

 

Dossier présenté pendant l’émission radio dessinée spécial caca au Palais de la découverte le 29 Mars 2017 (podcast # 292), à partir de 1h49 d’émission.

Ce n’est pas parce que l’on part dans l’espace que les fonctions vitales s’arrêtent. On a toujours besoin d’aller aux toilettes. Cela dit, même le besoin peut être légèrement différent. En effet, pour la vessie, l’envie d’y aller commence, sur Terre, lorsque l’urine commence à appuyer sur le “bas” de la vessie. Dans l’espace, pas de pesanteur, donc pas de “bas de la vessie”. En fait, on ne commence à avoir envie d’y aller que lorsque la vessie est pleine à raz bord et que le liquide presse sur la vessie de tous côtés. Par contre, à ce moment là, ça peut être tellement plein que la pression bouche l’urètre, ce qui entraine des catheters et des appels avec des chirurgiens sur Terre car vous avez la vessie, “prête à exploser”. Bref, comme on le voit lorsque la gravité s’en va, les problèmes commencent.

Les terribles sac à caca de l’espace

Et vous n’êtes jamais à l’abri d’une attaque d’étron flottant, comme le montre ce dialogue issu du transcript de la mission Apollo 10. Apollo 10 est la dernière mission de préparation avant l’alunissage de Apollo 11 et l’objectif de la mission est de faire le premier orbite lunaire. L’équipage est composé de Thomas Stafford le commandant, John Young et Eugene A. Cernan. Ces deux derniers marcheront plus tard sur la lune et Cernan, qui est mort en 2017, est même le dernier humain à y avoir marché, lors d’Apollo 17. À ce moment, ils sont alors encore en orbite lunaire. [Traduit par moi. Transcript original en anglais]:

L’équipage d’Apollo 10 : Thomas Stafford, John Young et Eugene A. Cernan

Cernan: “et donc au moment où l’on sort de l’orbite lunaire, il y a beaucoup de choses que l’on peut faire. On peut couper le courant… et ce qu’il arrive c’est que…”

Stanford : “Oh ! Qui a fait ça ?”

Young : “Qui a fait quoi ?”

Cernan : “Quoi”

Stanford : ”Qui a fait ça ?” [rires]

Cernan: “D’où ça vient ?”

Stafford: “Vites donnez moi une serviette. Il y a un étron flottant dans les airs.”

Young: “C’est pas moi. C’est pas un des miens”

Cernan: “C’est pas un des miens non plus.”

Stafford: “Le mien était un peu plus collant que cela. Jette le.”

Young: “Mon dieu”

Le sac à caca

Et 8 minutes plus tard:

Young : “Et ils ont dit que l’on pouvait le faire quand on le voulait ?”

Cernan : “Ils ont dit a 1h35. Ils nous ont dit que… Voila un autre de ces satanés étrons ! Les gars, c’est quoi votre problème ! Donnez moi une …”

[Young et Stafford rigolent]

Stafford : “Il était en train de flotter ?”

Cernan : “oui”

Stafford: “Le mien était un peu plus collant que cela.”

Young: “Le mien aussi. Il était dans le sac.”

Cernan: “Je ne sais pas à qui c’est. Je ne peux ni en prendre ni en rejetter la paternité.”

Young: “Mais qu’est ce qu’il se passe ici !”

Démonstration de l’utilisation d’un sac à caca [source: Packing for Mars de Mary Roach qui l’a trouvé dans les archives de la NASA]

Bref, les problèmes d’étrons volants sont pris sérieusement en compte par la NASA, qui met ses ingénieurs à l’étude du problème. Les premiers vols sont suffisamment courts pour utiliser des couches. Mais dès que les vols deviennent plus longs qu’une journée, il faut trouver une solution. Et les sac à caca Apollo firent leur entrée. Le principal problème en l’absence de gravité est la séparation. Bref sur Terre, au bout d’un moment, la gravité aidant, la séparation intervient et… ça tombe. Mais là, il faut trouver une solution. Donc les sacs à caca spatial était en fait des sacs avec une ouverture circulaire et adhesive et deux petites “encoches” dans le sac pour y mettre les doigts et aider à la séparation. Bref, pas très agréable. Surtout qu’il faut imaginer que vous êtes 3 dans un espace grand comme l’intérieur d’une voiture. Mais ce n’est pas fini. Vous imaginez bien qu’il n’est pas question de mauvaises odeurs, car on ne peut pas ouvrir la fenêtre. Donc il faut fermer hermétiquement le sac. Mais le soucis avec ça, c’est que la fermentation dans le sac va produire des gaz, un peu comme vos intestins. Mais il faut absolument éviter la production de gaz dans un sac fermé, on imagine avec horreur une explosion de

Jim Lovell

sac à caca dans une capsule fermée. Il s’agit donc de verser ensuite du germicide et de malaxer le tout pour bien le mélanger. Jim Lovell, un astronaute des programmes Gemini et Apollo a raconté à Mary Roach pour son livre Packing for Mars: The Curious Science of Life in the Void:

“un test pour vérifier si vous aviez un bon ami était de tendre le sac à votre co-équipier et de lui faire mélanger le germicide avec votre matière fécale. Moi je répondais: “Écoute Franck, là je suis occupé tu vois.””

Comme vous pouvez imaginer ce n’étais pas un moment agréable. La plupart des astronautes évitait d’aller aux toilettes. Le même Lovell raconte que l’un de ses co-équippiers s’est retenu pendant 9 jours de déféquer, mais à fini par craquer.

Comment s’en débarrasser ?

Pour l’urine, c’est un peu différent, il y avait une sorte de préservatif dans lequel on urinait puis une valve qui envoyait la chose directement dans l’espace, par un trou dans la capsule [voir Urine Dump nozzle sur la figure ci dessous]. On va pouvoir faire un peu de physique ici, entre deux histoires de pipi-caca. La troisième loi de Newton ou loi de principe des actions réciproques stipule que:

Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d’intensité égale, de même direction mais de sens opposé, exercée par le corps B.

Extérieur du module de commande d’Apollo 10

C’est la base du principe des fusées, le moteur propulse les gaz avec une certaine force et par ce principe, les gaz poussent la fusée avec la même force, mais dans la direction opposée. Frédéric était venu nous faire un épisode sur les fusées et son exemple était très bien choisi : lancer des briques sur un skateboard est un moyen de propulsion tout à fait valable (mais fatiguant). Donc lorsque vous éjectez de l’urine dans l’espace, votre urine influence votre déplacement par ce principe. Alors certes un petit pipi de quelques centaines de grammes, ça va pas changer de beaucoup la course d’une capsule de 40 tonnes. Mais bon si vous mettez 3 personnes pendant 4 jours (temps du trajet pour aller à la lune) il faut tenir compte de cela dans le calcul de la trajectoire. Jim Lovell (encore lui) était à bord d’Apollo 13. Vous savez c’est celui qui est joué par Tom Hanks dans le film Apollo 13. Apollo 13 est connu pour ne jamais avoir atteint la Lune, car ils ont eu un accident sur le chemin aller et ils n’ont pu revenir que par miracle en utilisant des trajectoires millimétrées, calculées en direct depuis la Terre (vous pouvez voir le film pour plus de détails). Jim Lovell raconte donc qu’au retour [toujours traduit par moi] :

Jim Lovell, représenté à l’écran par Tom Hanks, dans le film Apollo 13

Le sol, désireux de ne pas perturber notre trajectoire de retour, nous a dit de ne pas déverser le moindre déchet par dessus bord. Nous avons utilisé notre ingéniosité pour stocker l’urine. Il y avait trois sacs dans le module de commande; nous en avons trouvé six petits dans le module lunaire, puis nous avons relié un réservoir de condensat PLSS [Primary Life Support System, l’ensemble d’équipements chargés de maintenir en vie les astronautes durant leurs sorties extravéhiculaires] à des tuyaux longs et finalement nous avons utilisé deux gros sacs conçus pour drainer l’eau restante des PLSS après la première EVA [sorti extra-vehiculaire] lunaire [qui n’a jamais eu lieu, donc].  On était content de rentrer à la maison car on commencer à manquer de place pour le stockage.

Excréments et origine de la Lune

Bon, mais de toute façon, même en mission nominale, pour les sacs à caca, il fallait attendre la prochaine station service. En l’occurence, pour les missions Apollo 11, 12, 14, 15, 16 et 17, la Lune. Ils ont donc abandonné leurs sacs à caca. 96 sacs à caca ornent donc la lune à ce jour.

En effet, en libérant du poids il est possible de prendre des roches lunaires en plus. On en a ramené 380 kg en tout. Même si la science n’était pas du tout le but premier des missions lunaires (il a d’ailleurs fallu attendre la dernière mission pour envoyer le premier scientifique dans l’espace, Harrison Schmitt). Qu’à-t-on appris de ces matériaux ? La première chose que l’on voulait montrer, c’était que la Lune était issue de la Terre. Les roches montrent que la composition de la Lune est proche de celle de la Terre, mais pas suffisamment pour qu’elle soit uniquement composée de roches terrestres, et qu’un autre corps a sans doute été incorporé. La théorie la plus admise jusqu’à récemment était qu’un impact géant avec une autre planète, aujourd’hui disparue, nommée Theia, très tôt dans l’histoire de la Terre aurait arraché suffisamment de matériau qui se serait alors placé en orbite. Avec le temps, ce matériau se serait alors compacté en un satellite à partir des roches de Theia et de la Terre, expliquant la composition légèrement différente, mais proche.

Image d’artiste de l’impact avec Theia pour créer la Lune

Cependant, en 2012 la ré-analyse d’échantillons provenant toujours des missions Apollo montre que la Lune a la même composition isotopique du titane que la Terre, ce qui va plutôt à l’encontre de la théorie de l’impact géant, ou en tout cas met des contraintes fortes sur sa taille. En 2017, une hypothèse alternative est proposée, celle d’une série d’impacts moins cataclysmiques : chaque impact forme un anneau de débris (formés principalement de matériaux terrestres) qui se rassemblent chacun en un petit satellite, qui finissent par se rejoindre et fusionner tout à tour en un unique satellite, la Lune. Bref, ce n’est pas encore tout à fait clair mais on utilise toujours les cailloux d’Apollo pour ces recherches. 

Toilettes actuelles

Toilettes de l’ISS

Bon mais depuis il y a eu la navette, et depuis récemment, l’ISS. On a remplacé la gravité par une aspiration, pour le problème de la “séparation”. Mais pour le décollage et l’atterrissage, c’est comme dans les avions, pas question de se lever. Pareil pour les sorties extra-véhiculaires aussi. Donc dans ses cas là, c’est couche pour tout le monde. C’est un problème que prend la NASA très au sérieux et récemment, elle a lancé un grand concours, le space poop challenge, pour trouver des solutions innovantes pour les sorties extra-véhiculaires longues, avec 30’000 dollars à la clef. Et puis des fois, bah les toilettes tombent en panne, comme en 2008, où l’on a du faire venir une pièce de plomberie de rechange depuis la Terre en navette spatiale. En attendant, les astronautes ont utilisé les toilettes du Soyouz. Et au pire, il reste toujours les horribles sacs à caca d’Apollo.

Limitations des résidus de l’alimentation

En fait, cela a donné lieu à beaucoup de recherches à la Nasa pour trouver des repas légers, mais aussi “à faible résidus”. Et ça inclue le gaz, bah oui. Car contrairement à un mythe tenace qui voudrait que “dans l’espace, personne ne vous entend péter“, le gaz dans l’espace est dangereux.

Système de toilette du Soyouz

Quand vous êtes à trois dans un espace limité, il faut limiter la production de gaz déjà pour l’odeur, mais aussi et surtout le methane si vous ne voulez pas risquer un incendie. Mary Roach parle dans son livre du spécialiste Edwin Murphy qui étudia la question dans les années 60 en faisant manger des flageolets à des volontaires en leur mettant un cathéter pour mesurer les éjections. Il s’agissait non seulement de mesurer le volume, mais aussi la composition. Donc la moitié des personnes ne produisent pas de méthane. Plus impressionnant, il a annoncé à la conférence Conference on Nutrition in Space and Related Waste Problems de 1964 qu’il avait trouvé une personne qui ne pétait jamais ! Je cite Murphy :

“Un des sujets, particulèrement intéressant pour des recherches plus poussées, n’a pas produit de flatulence après 100 grammes de flageolet [poid à sec].”

Par comparaison, Mary Roach explique que, “durant le pic de flatulence (5 à 6 heures après la consommation de flageolets) il est produit en moyenne entre 0.25 L jusqu’à presque 0.75 L de gaz. La fourchette haute est donc presque 2 canettes de coca de pet. Dans un espace confiné. Où vous ne pouvez pas ouvrir la fenêtre.”

Système de toilette de la navette spatiale

Donc Murphy a écrit des recommandations très spécifiques pour la sélection d’astronautes orientée vers certaines personnes particulièrement résistantes. Malheureusement, il semble que ses recommendations ont été ignorées. Par contre, pour des raisons de sécurité, la NASA a pendant longtemps banni les nourritures produisant trop de gaz, comme les haricots, le choux, les choux de Bruxelles et les brocolis. Bon depuis la règle a été assouplie et on mange n’importe quoi sur l’ISS.

Mais là encore, la troisième loi de Newton revient. Est-il possible dans l’espace, de se propulser avec notre tuyère interne. Cela parait peu probable car on y arrive pas en propulsant de l’air avec nos poumons, qui peuvent contenir jusqu’a 6 L d’air, à comparer au ridicule 0.75L au maximum par l’autre bout.

Mais Mary Roach, investigatrice de l’impossible, a demandé à Roger Crouch, astronaute de la navette spatiale, ce qu’il en pensait:

“Mes gènes m’ont doté d’une grand capacité à émettre des sous-produis de la digestion. Sachant cela, je me suis dit que l’on devrait le tester. Dans ce qu’il m’a semblé être une éjection particulièrement volumineuse et rapide, j’ai échoué à bouger de façon sensible.” Crouch décrit que peut être, ses vêtements l’ont empêché de donner tout son potentiel. Malheureusement, le fait que les deux vols qu’il a effectués étaient mixtes l’a découragé de se mettre nu pour recommencer. Le célèbre astronaute canadien Chris Hadfield dans un ask me anything sur reddit a aussi répondu à la question de savoir si l’on pouvait se propulser avec un pet et répond : We all tried it – too muffled, not the right type of propulsive nozzle [Nous avons tous essayé – trop étouffé, ce n’est juste pas le bon type de tuyère de propulsion].

 

Sources:

Surtout le livre de Mary Roach : Packing for Mars: The Curious Science of Life in the Void (non traduit)

Le transcript original d’Apollo 10 sur l’épisode de l’étron volant

James Lee Broyan, Jr. Waste Collector System Technology Comparisons for Constellation Applications pdf ici

Le Space poop challenge de la NASA et la réponse avec humour de Pochep Philippe et Marion Montaigne Pr Moustache

Pleins d’histoires d’Apollo sur le site history.nasa.gov

L’article Théorie de l’impact Géant de wikipedia sur l’origine de la Lune

L’étude de 1969 Intestinal hydrogen and methane of men fed space diet par Calloway DH et Murphy EL

Le traitement du problème par Marion Montaigne aka Professeur Moustache

Les dessins du dossier

 

 

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