Dossier: SIDA – les causes d’une épidémie

Dossier de l’épisode #63.

I – L’épidémie

 

Premiers cas déclarés à Los Angeles

Fin 1979, un médecin de LA, le Dr Weisman, remarque l’augmentation des cas de syndrome mononucléosique chez ses patients homosexuels.

Le syndrome mononucléosique cliniquement, correspond à un état de fatigue, accompagné d’une augmentation de la taille des ganglions, de myalgies, et de fièvres. Du point de vue biologique, il retrouve chez ces patients une diminution d’une sous-catégorie des globules blancs, les lymphocytes T CD4 +.

Chez ces patients, ce syndrome mononucléosique est accompagné de diarrhée et de mycoses anales et buccales. Il faut savoir que les champignons ne s’attaquent normalement pas au corps à ces endroits là, ils sont rapidement détruits par le système immunitaire. Quand on a des mycoses au niveau buccal, c’est systématiquement (ou presque) parce qu’on a un affaiblissement de l’organisme qui devient incapable d’empêcher leur développement.

Ces signes d’immunodépression sont attribués par le Dr Weisman a priori à une infection par le Cytomégalovirus. Il s’agit d’un virus très répandu dans la population mondial, de la même famille que l’herpès, et a priori inoffensifs, saufs dans certaines situations inhabituelles, notamment d’immunodépression.

Les causes de ce syndrome mononucléosique avec immunodépression restent obscures pour le Dr Weisman.

A l’automne 1980, l’un de ces cas est hospitalisé à la suite d’une grave pneumonie. Là, un autre médecin, à l’hôpital de los Angeles, le docteur Gottlieb rapproche ces cas d’un autre malade hospitalisé au début de l’année avec une même diminution de lymphocytes T4, et le même diagnostic, une pneumocystose à pneumocystis carinii, maladie opportuniste rarissime. Il était homosexuel également.

Le docteur Gottlieb contacte le département de santé publique du comté de LA, qui retrouve dans ses fichiers un cas similaires. On est donc à 3, diagnostiqués avec cette infection grave et rarissime, et cette immunodépression. Aucune explication n’est trouvée. Et l’affaire en reste là sans autre suite.

Le temps passe et 2 autre patients similaires sont hospitalisés, ce qui nous porte à 5 patients au total, atteints de pneumocystose à LA. Tous sont des homosexuels masculins, tous sont jeunes (la trentaine), et tous présentent cette même immunodépression, liée en fait à une diminution d’une catégorie de GB, les lymphocytes T CD4+. Aucune explication n’est retrouvée par les Dr Gottlieb et Weismann. Les deux médecins prennent alors la décision d’envoyer un article au CDC américain, le center for desease control, équivalent de l’InVS français, institut national d’épidémiologie.

L’article arrive sur le bureau de James Curran, alors responsable des MST au CDC, qui est alors chargé de réfléchir à l’opportunité d’une publication nationale.

La légende dit qu’il a pris connaissance de l’article, il l’a annoté par un “Hot stuff” (ou “truc chaud”, ou « c’est du lourd ») et appuie sa publication. La suite des évènements lui donne évidemment raison. Mais cet article passe relativement inaperçu dans la communauté médicale. Il faut signaler que l’article n’est pas publié en première page et que toute mention aux homosexuels a été retiré afin d’éviter une stigmatisation de la communauté gay pour des faits encore incertains.

L’article rapporte entre autre : “que l’apparition de la pneumocystose chez ces 5 individus, précédemment sains et sans signes cliniques d’immunodépression est inhabituelle” L’infection par CMV est citée comme facteur étiologique possible, voire probable. Son rôle dans la pathogénèse demeure “énigmatique”. La conclusion est prudente et prophétique : “Dysfonction de l’immunité cellulaire [=immunodépression] liée à une exposition commune qui prédispose les individus aux infections opportunistes“.

Difficulté ainsi de relier les cas à d’autres dans le pays.

C’est la première publication mondiale concernant le VIH, elle est datée du 5 juin 1981. Cependant, encore une fois elle est trop discrète et n’a pas d’écho réel.

 

Pendant ce temps à New-York

NYC comporte plusieurs écoles de médecine, alors qu’il n’y en a que deux à LA. Le rapprochement des cas y est plus difficile qu’à Los Angeles…

Cependant plusieurs indices de l’épidémie naissante transparaissent, et l’un des premiers d’entre eux vient d’une technicienne de pharmacie, Sandra Ford qui prévient en 1980 le directeur du service des maladies parasitaires de son service que la consommation de pentamidine (traitement de la pneumocystose) explose à New-York. Le mémo ne donne rien.

Dr Linda Laubenstein, qui dès 1979 observe des cas de Sarcome de Kaposi, au total 8 cas jusqu’en 1981. Le sarcome de Kaposi est une maladie de la peau rare, cancéreuse, touchant habituellement les hommes âgés. Ici les hommes sont jeunes, tous homosexuels. Les cas sont donc très énigmatiques pour le Dr Laubenstein.

Après concertation avec d’autres médecins New-Yorkais, ils préviennent le CDC d’Atlanta. Dr James Curran est chargé d’un groupe de travail sur le sarcome de Kaposi et les infections opportunistes (KSOI). Une nouvelle publication est faite par le CDC à la suite du rapprochement avec les cas de New-York. Cette fois les homosexuels sont évoqués, et de nouveaux cas sont rapprochés : Elle s’intitule “Sarcome de Kaposi et Pneumocystose chez les homosexuels à New-York et en Californie. Elle évoque 26 cas de sarcome, dont 8 décès. Et 8 nouveaux cas de pneumocystose.

Parallèlement, une première publication a lieu dans le New-York Times « Un cancer rare chez 41 homosexuels »

Ces deux publications du 3 et 4 juillet 1981, alertent réellement la communauté scientifique, et gay, et l’opinion publique. Aucune explication n’est trouvée, le virus CMV est toujours évoqué, ainsi que les poppers consommés par cette population. Personne n’a d’explication. D’autres agents viraux sont mentionnés : EBV (qui donne des lymphomes), et virus de l’hépatite B, qui se répand par voie sexuelle et sanguine.

L’été 1981 s’écoule dans l’attente et l’inquiétude. Tout le monde espère que ce début d’épidémie est lié à une contamination environnementale, une exposition à un agent toxique, et non à une infection par un germe contagieux…

A la fin de l’été, un nouveau rapport est publié : les prévisions les plus pessimistes sont dépassées : plus de 100 cas et la létalité observée est supérieure à 40%, les survivants sont tous en mauvaise passe. Pire, deux cas sont rapportés à Copenhague, au Danemark. La situation empire (fréquence des cas augmente avec des diagnostics rétrospectifs).

Les premiers articles scientifiques spécialisés vont commencer à sortir et la traque du germe va commencer.

L’épidémie commence

On parle à cette époque du Gay Cancer, ou de la Gay-Related Immune Deficiency (GRID). Les scientifiques cherchent un agent infectieux, à transmission sexuelle, pouvant être responsable de ces cancers, sans succès. Les explications liées à une cause environnementale : exposition à un toxique (notamment les poppers) sont a priori écartées par le CDC qui mène des expériences sur la souris, et par les données épidémiologiques (pas de consommation de poppers systématique). La recherche biologique et biochimique sur les humeurs et tissus prélevés des malades ne donne rien. Seule la lymphopénie T4 est mise en évidence systématiquement, l’homosexualité, et le sexe masculin. Aucun agent inhabituel n’est systématique retrouvé (outre les germes opportunistes, qui n’expliquent pas l’immunodépression, et sont variables selon les cas).

Pendant ce temps, le nombre de cas augmente, aux US et dans le monde. Les capitales européennes sont touchées : Paris et Londres notamment. De nombreux diagnostics rétrospectifs ont lieu.

En Novembre 1981 : 159 cas.

Début 1982, toujours pas d’explication, et on franchit les 200 cas.

Courant 82, des premiers cas sont relevés chez des non-homosexuels. Il s’agit de drogués, ou des haïtiens, notamment en Floride, et à Haïti. Une première femme est également contaminée.

Fin 1982, une étape importante va être franchie avec les premières contaminations de patients hémophiles. Les hémophiles sont des patients souffrant de trouble de la coagulation, et nécessitant des dons de sang réguliers.

Les homosexuels ne sont donc plus les seuls touchés. Ce qui commence à inquiéter sérieusement l’opinion et la presse, qui pour éviter la panique évite le terme d’épidémie et insiste sur le nombre encore faible de victimes, et leur appartenance à des groupes à risques : les 4H : homosexuels, hémophiles, héroïnomanes, haïtiens. Je reparlerai du cas d’Haïti.

La contamination des hémophiles est très importante. Elle  prouve le caractère viral du germe, car le sang avant d’être donné, est filtré, et seuls peuvent rester les virus, qui sont trop petits pour être retenus dans les filtres.

La propagation de l’épidémie va se poursuivre, en 1983, 5000 malades dans le monde (dont 3000 sur le sol américain), 1984 12000 malades dans le monde et isolation du virus par les équipes françaises du professeur Montagnier (cocorico). Tous ces chiffres sous-estiment la catastrophe puisqu’ils sont basés sur le nombre de SIDA, et non de séropositifs…

II – Les causes de l’épidémie

La découverte du virus

 

On a identifié l’agent responsable du SIDA en 1983.

Le VIH est un rétrovirus. Cette famille de virus est très particulière car elle possède une enzyme unique dans le monde du vivant (on sait maintenant que d’autres espèces, notamment des bactéries possèdent également cette enzyme) : la transcriptase inverse ou reverse transcriptase. Cette enzyme permet de synthétiser de l’ADN à partir d’ARN. Cette caractéristique est cruciale, car elle remet en cause le dogme fondamental de la biologie moléculaire qui veut que le flux de l’information au niveau de la cellule suive toujours le même chemin à savoir ADN vers ARN vers protéines. Ce dogme ne permet pas les trajets en sens inverse.

La découverte de ce virus par les équipes de l’institut Pasteur est fascinante.

Comment a-t-elle eu lieu ? Les scientifiques de l’équipe de Montagnier, dont Jean-Claude Chermann et Françoise Barré-Sinoussi vont avoir l’idée de cultiver des cellules de divers tissus de malades, notamment de lymphocytes tirés des ganglions hypertrophiés d’un malade.

Ces cultures lymphocytaires ne sont possibles que depuis les années 70 du fait de la connaissance et de la mise à disposition des facteurs de croissance nécessaire (notamment l’IL-2), et que cherchent-ils : une activité reverse transcriptase ? Parce qu’en 1980, l’équipe de Robert Gallo aux US a isolé, pour la première fois, un rétrovirus, le HTLV-1, responsables de leucémies, chez l’homme. Ils font un pari osé, que cette épidémie est due à un rétrovirus également.

La coïncidence entre ces découvertes est frappante. La reverse transcriptase, découverte en 1970, les progrès en culture cellulaire et notamment lymphocytaire de la dernière décennie, et l’existence de rétrovirus humains en 1980, vont conditionner les découvertes de l’équipe Montagnier d’une manière phénoménale.

Cette influence est telle que selon certains auteurs, si l’épidémie s’était déclaré quelques années plus tôt, il est probable que le virus n’ait pas pu être découvert, isolé, ce qui aurait eu des conséquences encore pire (tests diagnostics, traitements, …).

Dans les cultures de l’institut Pasteur, une activité reverse-transcriptase transitoire est observée. Aussitôt, les cellules sont observées au microscope électronique, et là, incroyable, on observe un virus, nouveau, pour la première fois. C’est le VIH-1. Sa découverte sera annoncée dans Science en mai 1983 sous le nom de LAV (Lymphadenopathic associated virus). Le VIH-2 quant à lui ne sera découvert qu’en 1985 sur des patients africains séronégatifs et pourtant malades.

On a un coupable : le VIH-1. On connaît rapidement ses modes de transmission : sexuelle, sanguine, et materno-fœtale. Mais depuis quand ce virus est-il apparu ?

 

Diagnostics rétrospectifs

Epidémiologie

Rapidement, avant l’isolation du virus, les premiers résultats de James Curran permettent à partir d’études de cohortes d’identifier deux réseaux principaux d’homosexuels basés à NYC et LA au centre du maillage des différents patients contaminés. Et au centre de ce réseau, ils parviennent à identifier celui qu’ils considéreront comme le patient zéro : Gaëtan Dugas, un commissaire de bord canadien. Très actif sexuellement, on estime qu’il pourrait avoir contaminé 250 partenaires par ans jusqu’à sa mort en 1984. Même prévenu de sa contagiosité, il a poursuivi ses pratiques à risques adoptant un comportement de vengeance.

Cependant, l’hypothèse de Gaëtan Dugas comme patient zéro ne tient pas, des cas antérieurs sont découverts aux USA, et il est impossible de relier Gaëtan Dugas au foyer africain.

 

Littérature médicale

De même, les études se multiplient pour tenter de dépister dans l’histoire les premiers signes d’une infection par le VIH. Par l’analyse de la littérature médicale, tout d’abord. En effet, si certaines infections opportunistes révélant SIDA sont peu spécifiques et probablement peu reliables à une infection par le virus (ex : tuberculose, pneumocystose (moyens de diagnostic manquant, signes classiques de pneumonie)), d’autre le sont telles que le sarcome de Kaposi.

Dès lors, il s’agit de traquer dans l’histoire les cas de sarcome de Kaposi, à la recherche d’indices supplémentaires.

Cette maladie dermatologique a été décrite pour la première fois en 1872 par un médecin viennois, Dr Kaposi. Les lésions cutanées qui caractérisent cette maladie sont assez typiques, et prêtent peu à la confusion avec une autre maladie.  Le Dr Kaposi a donc rencontré 5 cas de sarcome de Kaposi à Vienne en 1872. On ne sait pas grand-chose de ces cas, notamment leur orientation sexuelle, activité professionnelle, etc. Cependant, s’il est évident que ces cas étaient atteints d’ID, il n’y a aucune preuve formelle qu’il se soit agit d’un SIDA.

 

Une autre série de cas est décrite en 1882, 10 ans après. Sur les 12 cas, 11 sont des hommes adultes, entre 20 et 40 ans. On ne connaît pas leur orientation sexuelle. Cependant, ces cas provenaient tous de Naples et ses environs, comme Vienne, villes abritant probablement des communautés homosexuelles parmi les plus importantes de l’époque.

Nouvelle série de cas, début du siècle cette fois répondant aux critères diagnostics du SIDA : 7 cas de 24 à 58 ans, atteints du sarcome de Kaposi, mais également d’autre maladies opportunistes telles que tuberculose disséminée. Ces hommes étaient en lien avec l’Italie, et ont tous décédés de leurs infections, assez rapidement.

 

Il n’y a plus d’autre épidémie similaire de sarcome de Kaposi dans la littérature occidentale avant celle qui apparaîtra en 1979 à New-York.

 

En revanche, les médecins occidentaux s’accordent pour dire que l’Afrique a connu une épidémie de sarcome de Kaposi au milieu du XXème siècles, dans une forme agressive, et notamment au niveau du Congo et de la RDC, pays soupçonnés d’être à l’origine de l’épidémie. Cette épidémie pourrait avoir débuté en 1948, ou plus tard, les sources divergent. Toutefois, dès 1984, des tests sérologiques ont été effectués sur ces sarcomes de Kaposi africains, et se sont révélés inférieurs ou égaux à la moyenne de séropositivité dans la population générale. Si le sarcome de Kaposi est un bon moyen de détecter les immunodépressions, il n’est pas très spécifique du VIH, du moins en Afrique. Fausse piste donc…

 

Diagnostics sérologiques

La seule preuve formelle d’une infection par le VIH reste la mise en évidence dans le sérum d’anticorps dirigés contre lui, à défaut de pouvoir mettre le virus en évidence lui-même (cf. : les difficultés de découverte du VIH).

 

On s’est donc affairé à analyser tous les échantillons de sérums congelés dont on disposait, pour traquer les premiers cas d’infections.

 

Aux US, les études épidémiologiques de James Curran du CDC, ont établis les premiers cas de SIDA à 1978, mais une étude montre que sur 1129 échantillons prélevés en 1971 aux USA, 14 étaient déjà séropositifs. Les premières contaminations sont donc très antérieures au patient 0 Gaëtan Dugas, qui a débuté sa période d’activité sexuelle vers 1972. On estime à 1968 l’arrivée du VIH aux US.

Le plus ancien diagnostic rétrospectif de certitude d’une infection par le VIH remonte à 1959. Il s’agit d’un sérum prélevé à cette date sur un patient mâle dont on ne sait rien, sauf qu’il vivait en République Démocratique du Congo, et qu’il a été prélevé à l’occasion d’une campagne de vaccination. C’est d’ailleurs dans cette même région d’Afrique, Le Congo et la république démocratique du Congo (pays bordant le fleuve Congo), qu’a éclaté l’épidémie du VIH-1, à peu près simultanément à l’épidémie américaine. La sous-médicalisation des pays a reporté la date de constatation de l’épidémie qui existait probablement à bas bruit bien avant son explosion aux USA.

D’autres preuves certaines d’infections anciennes existent : il y a par exemple des prélèvements biopsiques réalisés sur un marin norvégien qui témoignent d’une infection par VIH-1 type M, en 1966.

Ce sont des exemples parmi quelques-uns. Il y en a d’autre, aussi aujourd’hui on sait que des contaminations par le VIH ont eu lieu bien avant l’épidémie des années 70, mais qu’elles n’ont pas donné lieu à des propagations massives du virus au sein de la population.

 

Phylogénétique

Outre les cas sporadiques cités, et d’autres, les études de phylogénétiques, basées sur des formules statistiques étudiant les séquences génétiques des virus permettent de dater l’apparition du virus chez l’homme. Ainsi on peut, à partir de différentes souches du virus, et connaissant la vitesse d’évolution du virus qui est de l’ordre de 1/1000 nucléotides par ans, d’évaluer statistiquement une période au cours de laquelle serait apparu chez l’homme ce premier virus. Les résultats pour le VIH-1 donnent une fenêtre allant de 1885 à 1935 suivant les études.

On sait que le virus existait chez l’homme bien avant les années 70. On sait que l’épidémie ne s’est déclarée qu’au cours des années 70. Même en Afrique, on sait grâce aux prélèvement sérologiques congelés, en Haïti aussi, que l’explosion épidémique que l’on a connu s’est fait à peu près simultanément pour Haïti, ou quelques années à peine avant pour l’Afrique, dans ses trois foyers initiaux : USA, Afrique et Haïti. Alors que le VIH existait chez l’homme déjà les années 60.

 

            Alors pourquoi une “pandémisation” aussi brutale et tardive?

La réponse réside dans le principe qu’une maladie due à un parasite est étroitement dépendante des comportements et mode de vie de son hôte. Cela peut paraître évident, mais c’est pourtant la clé de cette épidémie. Prenons par exemple, le comportement alimentaire et fécal. L’hygiène alimentaire et l’élimination des eaux usées a permet de faire disparaître d’Europe de nombreuses maladies qui y sévissait autrefois, comme le choléra.

En revanche, par exemple, on continue à domestiquer le chat, qui vectorise la toxoplasmose. L’existence de la plupart des germes infectieux au sein de notre population est liée à certains comportements qui vont permettre ou empêcher sa transmission et sa multiplication.

Si l’on élimine une mutation du virus qui serait devenu plus virulent, ce qui est peu probable (compte-tenu de la similarité entre les souches précoces et actuelles),

Quelles modifications de nos modes de vie permettent-elles d’expliquer l’émergence du virus à l’échelle mondiale dans les années 70 ?

 

En Afrique

Evolution de la société

Avant la colonisation, et la christianisation, les unions durables sont rares en Afrique noire. Cependant, il y a un interdit sur la prostitution (donc quasiment pas de prostitution) et une fermeture sexuelle à l’étranger. Donc finalement, les cercles sexuels sont relativement fermés. Le modèle social rural en petits village favorise l’imposition et le maintien de ces interdits sociaux. La colonisation va considérablement bouleverser le modèle social africain, et la décolonisation encore plus.

 

L’indépendance de la RDC a lieu en 1960, et mène à l’exode rural, explosion de la prostitution en milieu urbain et à une déstructuration des systèmes sociaux. La colonisation est un réel traumatisme pour la société africaine, et les modes de vie sont considérablement bouleversés.

 

Développement de la médecine occidentale :

Seringues en verre, campagnes de vaccination. Mais limite : les hommes contaminés sont jeunes, alors que les vaccinés sont de tout âge.

 

Etats-Unis

Ces modifications ont touché la société africaine. Et peuvent expliquer l’explosion de l’épidémie, mais aux Etats-Unis ?

Mouvement Gay : Aux Etats-Unis, jusqu’aux années 1950, les homosexuels sont traités comme des malades. Ils sont soignés, de grès ou de force, par diverses méthodes, pouvant aller dans des cas extrêmes  jusqu’à la lobotomie. Mais jusqu’au début des années 80, un combat non-violent pour l’ouverture des mœurs est mené aux USA, et pour une meilleure tolérance des minorités, dont les homosexuels. AU début des années 80, la ville de San Francisco compte 100 000 homosexuels dont 50 000 dans le centre ville. Les bars gays se multiplient et un homme pouvait avoir plus de 100 partenaires par ans facilement. De tels regroupements homosexuels revendiqués sont inédits dans l’histoire de l’humanité. Le quartier dit de « Castro » et le Greenwich Village à New-York en sont des lieux célèbres. Et c’est à ces deux villes que correspond également, avec Los Angeles, les deux foyers de développement de l’épidémie.

Médecine : Hémophilie prévalence un peu moins de 1,5 pour 10 000, soit environ 15 000 personnes aux Etats-Unis. Plus de la moitié séropositifs en 1984, et 80% à SF. Porte d’entrée vers le monde normal. 10% des femmes d’hémophiles contaminées.

Drogue intraveineuse : développement des mœurs, mouvement hippie.

Transport aérien

Tourisme sexuel international.

On a bien un ensemble de comportements nouveaux qui sont au centre de la diffusion du VIH. Il n’est donc pas choquant d’imaginer que auparavant des contaminations aient pu avoir lieu, mais qu’elles aient eu besoin de ces différents facteurs, pour s’amplifier, et que ces différents facteurs n’existaient pas auparavant.

 

Haïti

On ne sait pas. Au début le virus reste cantonné aux lieux de tourisme. La théorie en vogue veut que ça soit un haïtien qui ait importé la maladie depuis le Congo ou les Haïtiens étaient émigrés dans les années 60, puis qu’un émigré haïtien ait ramené la maladie aux USA., mais l’étude de plusieurs centaines de sérums prélevés à l’occasion de la dengue de 1977 à 1979 montre un taux de séropositivité de 0%, alors que le même genre d’étude aux US montre des résultats de 1 à 4%.

Donc voilà les mécanismes qui ont conduit à l’éclosion de l’épidémie, venant d’Afrique, et gagnant les USA et Haïti, dans un ordre ou l’autre, se développant grâce aux évolutions de la société que j’ai cité. Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’à New-York comme à San Francisco, comme à Kinshasa, l’épidémie de SIDA s’est vue précédée d’une flambée des MST traditionnelles. Cela peut être due à l’immunodépression, mais cela peut être également du à la promiscuité sexuelle qu’on retrouvait dans ces zones, et dans ce cas, cela met en évidence la notion de conditions comportementales spécifiques, pouvant expliquer l’émergence du virus.

 

III – L’origine du virus

 

Apparition des maladies infectieuses

 

Certaines sont vieilles comme l’homme. C’est le cas par exemple des bactéries pyogènes, qui touchaient déjà les mammifères et continuent de toucher l’homme, comme par exemple dans la scarlatine, due à un streptococcus. C’est aussi le cas du paludisme, lié à un protozoaire (Plasmodium Falciparum, pas une bactérie donc), qui touche aussi le singe, ou des vers intestinaux, qui touchent également le singe ou certains autres mammifères. On parle de transmission verticale. Parce que ces maladies ont suivi l’évolution des mammifères jusqu’à nous.

Et il y a des maladies dites nouvelles. On peut tracer leur apparition chez l’homme. Il y a quatre critères de définition d’une maladie nouvelle :

  • Soit, elle échappait au regard médical, on ne pouvait pas la diagnostiquer par manque de moyens techniques, donc en pratique la maladie « n’existait » pas (ex toxoplasmose cérébrale IRM et sérologie).
  • Soit, c’est une maladie ancienne qui a changé de manifestation. Par exemple, les épidémies de grippe, qui est une maladie très ancienne, probablement aussi ancienne que l’homme. L’encéphalopathie léthargique chinoise a fait 500 000 morts, et elle est due à une mutation du virus de la grippe. On parle d’une nouvelle maladie.
  • Soit c’est une maladie qui n’existait pas quelque part, et a tout d’un coup gagné une nouvelle zone géographique. Par exemple la syphilis, bien qu’elle ait probablement existé en Europe avant la découverte de l’Amérique d’après des recherches récentes, ne s’y est véritablement propagé qu’un retour des conquistadors espagnols qui l’ont ramenés des indiens d’Amériques.
  • Soit elle est absolument nouvelle. Nouveau germe, inconnu, ou transformation d’un germe commensal qui devient pathogène à la suite d’une mutation le plus souvent, ou d’une modification des habitudes de l’homme. La tuberculose, par exemple, est probablement apparue au néolithique, avec la domestication des bovins, qui étaient infectés par un germe Mycobacterium bovis, qui a ainsi pu se répandre chez l’homme. Même schéma pour la peste (rat et puces), ou la lèpre (buffle).

 

La piste des rétrovirus

Il existe 3 familles de rétrovirus : oncovirus, lentivirus et spumavirus. Leur ancienneté n’est pas connue. Certaines parties de notre génome contiennent leur génome, intégré et endormi depuis des millions d’années. Il est probable que nous ayons hérité de séquences codantes de rétrovirus ayant infectés nos ancêtres communs avec les dinosaures.

Les oncovirus d’aujourd’hui donnent des cancers, et peuvent infecter l’homme, comme par exemple le HTLV-1 (leucémie) découverts en 1980 par Robert Gallo.

Les lentivirus donnent des infections lentes et ont pour caractéristique d’être cytopathogènes. On connaît 5 sérogroupes de lentivirus infectants 5 groupes de mammifères : bovins, équidés, félins (FIV), caprins, primates (SIV), et VIH

On ne connaissait pas le FIV (non transmissible à l’homme) et le SIV (1985) avant le VIH. En revanche on connaissait le VISNA qui infecte les moutons d’Islande notamment.

Les spumavirus ne sont pas pathogènes et peuvent également infecter l’homme. Ils sont relativement peu étudiés, car aucune maladie ne découle de leur présence, du moins connue à ce jour.

 

Les analogies entre le VIH et le VIS permettent de déterminer un lien de parenté quasi-certain. Le VIH descend d’un groupe de SIV infectant le singe, alors que le VIH-2 est apparenté à un SIV infectant le mangabey. Le VIH serait donc une maladie nouvelle transmise horizontalement du singe à l’homme. Les autres théories sont considérées comme fantaisistes par la communauté scientifique, (virus fabriqué par la CIA par exemple), et pas vraiment étudiées. Comment s’est déroulé ce passage du singe à l’homme? Les explications sont nombreuses et faciles à trouver.

 

La piste du chasseur de brousse

La viande de singe est consommée depuis longtemps en Afrique, et a fortiori en période de pauvreté. Les circonstances de contamination apparaissent dès lors : morsure, coupure lors de la préparation de la viande, autres pratiques chamanes (on parle de s’enduire l’entre-jambe de sang de singe). Il est donc probable qu’une contamination inter-espèce ait eu lieu. Biologiquement, c’est possible, comme le montre une récente étude publiée dans The Lancet en 2004, plutôt inquiétante. Elle montre que sur un échantillon de 1099 individus prélevés au Cameroun, 1% étaient contaminés par le Simian Foamy Virus, un spumavirus (donc rétrovirus parent du VIH et du SIV) qu’on croyait spécifique de divers singes dont le chimpanzé.

Cette contamination large montre que le passage de virus du singe à l’homme peut avoir lieu, et a encore lieu aujourd’hui, comme le pense les scientifiques à l’origine de l’étude, qui prônent l’abolition totale de la consommation de viande de singe pour prévenir l’émergence d’un nouveau virus.

Quelques détails matériels restent quand même à comprendre : il semblerait que les chimpanzés porteurs de l’ancêtre du VIH-1 proviennent du Cameroun alors que l’épidémie s’est déclarée au Congo, soit à quelques centaines de kilomètres de là. On ne sait également pas encore comment le VIS a pu s’adapter à l’homme, y-a-t-il eu des recombinaisons entre différentes souches simiennes, ou bien a-t-il suffit que le virus mute rapidement une fois passé chez l’homme ? Il est probable que soit apparu chez le chimpanzé un virus très proche du VIH1 actuel, et que ce virus se soit transmis à l’homme après seulement, mais pas de certitude à ce sujet.

Malgré les incertitudes demeurant à son propos, cette théorie reste la plus probable.

 

Théorie du vaccin contre la poliomyélite

A partir des années 60, les laboratoires américains ont élaboré et testé à partir de singes verts à proximité de Kinshasa un vaccin oral contre la polyomyélite. C’est également à cette période et dans ces environs que sont apparus les premiers cas de VIH en Afrique. La coïncidence est troublante, mais il est impossible d’affirmer que des chimpanzés on été utilisé afin de confectionner les virus, et que la contamination par l’intermédiaire de la prise du vaccin est possible.

Cette thèse défendue par Edward Hooper, mais est aujourd’hui abandonnée dans les publications et débats scientifiques.

 

Origine chez le singe

Reste maintenant à répondre à la question de l’arrivée du virus chez le singe. Pour ça, les études de phylogénétique sur des variétés du virus trouvés chez des singes de l’île de Bioko, au large du Cameroun (séparée du reste du continent depuis 10 000 ans), montrent que l’ancêtre commun des différentes souches (continentales et insulaires) a au moins 32 000 ans. Cette date est beaucoup plus éloignée que ce que l’on pensait auparavant. C’est une nouvelle assez mauvaise, compte-tenu du fait que beaucoup espéraient que le virus évoluerait relativement rapidement vers une forme moins pathogène, comme chez le singe actuellement.

 

Conclusion

 La rencontre entre l’Homme et le VIH a eu les conséquences désastreuses que l’on connaît. Pourtant, cette rencontre n’a pas eu lieu en 1981, lorsque s’est révélée au grand jour l’épidémie. Elle est probablement bien plus ancienne, et sa portée dramatique actuelle ne réside probablement que dans la conjonction des diverses mutations qui touchent nos sociétés et nos comportements.Le succès, même relatif, des thérapeutiques et des moyens de prévention dont on dispose aujourd’hui nous montre qu’un espoir est permis, et qu’il appartient à chacun de s’adapter à ce nouveau fléau.

 

Quelques liens et sources :

Histoire du Sida par Mirko D. Grmek +++

Sida en Haïti par Paul Farmer

L’origine des VIH et leur diffusion dans l’espèce humaine ++

Compilhistoire – Le S.I.D.A.

Origine du Sida – le VIH remonterait à 1931 (Choses très intéressantes, à prendre avec des pincettes)

Avant l’épidémie | hiv-sida.com

Dailymotion – DOCUMENT : LE MYSTERE … Sur la théorie du vaccin anti-polyo

The Origin of AIDS and HIV and the First Cases of AIDS

 

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