La chimie de l’amour

Mini-dossier publié dans le cadre de la soirée radio-dessinée “L’Amour est dans la Pipette“, enregistrée en public à Paris, à l’Espace des Sciences Pierre-Gilles de Gennes avec le collectif Strip Science le 23 mars 2013

L’amour… Le sujet interroge depuis toujours les poètes, les peintres, les écrivains, cinéastes, chansonniers, les artistes en général… Et la science, qu’en dit-elle? Le phénomène va-t-il perdre de sa magie si on l’examine avec sérieux et rigueur? Pas dit… Comment prendre l’amour à la légère… Après tout, si nous sommes réunis ce soir, c’est que nous sommes le fruit d’une lignée ininterrompue de femelles et de mâles qui ont partagé leurs gamètes en s’aimant très très fort d’une manière très spéciale. Il faut un puissant moteur pour garantir le renouvellement des générations et la pérennité de l’espèce. On s’aime très fort, on aime très fort nos enfants, qui à leur tour trouveront le grand amour, s’aimeront très très fort d’une manière très spéciale et aimeront leurs enfants… Et chez l’humain moderne, c’est encore un peu plus compliqué, on est capable d’aimer sans qu’il soit forcément question de reproduction…

Ah les affaires de cœur…

De cœur? Pas exactement… C’est plutôt dans le cerveau que ça se passe. Eh oui, l’amour est un drogue! Observez  à l’IRMf le cerveau de quelqu’un d’amoureux, on dirait le cerveau de quelqu’un sous cocaïne!

Les manifestations cérébrales de l'amour passion (Image Scientific American)
L’amour-passion à la moulinette de la neuroimagerie, selon une étude de Stephanie Ortigue de l’Université de Syracuse

Lorsque l’on éprouve l’amour-passion, l’aire tegmentale ventrale du sujet (un élément essentiel du circuit de la récompense) s’emballe et lâche des salves de dopamine et de noradrénaline, activant non seulement le plaisir et le désir mais anéantissant à la même occasion tout sentiment de tristesse, ce qui aide à se mettre dans l’ambiance.

Le sang se charge de cortisol, l’une des hormones du stress, permettant au sujet d’être parfaitement à son affaire, de ne penser à rien d’autre, et d’oublier ses éventuelles douleurs.

Le noyau accumbens lâche sa sauce – si j’ose dire – en rafale… L’ocytocine – l’hormone de l’attachement, de la fidélité, de l’engagement, dont Mathieu nous avait un peu parlé aux tous débuts de Podcast Science et dont David va nous parler dans un instant – l’ocytocine, donc, va non seulement favoriser l’attachement et la confiance mais également réduire la peur.

Simultanément, le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus balance de la vasopressine, une hormone proche de l’ocytocine mais aux effets très différents. Elle va agir sur l’attraction, l’excitation sexuelle et réduire l’anxiété.

campagnols amoureuxD’ailleurs, c’est marrant… Lorsqu’on gave des d’ocytocine et de vasopressine des campagnols des prairies encore célibataires (ces petites bêtes sont réputées pour leur monogamie),  ils dénichent presque instantanément leur campagnol(e) pour la vie!

Revenons à nos cerveaux humains amoureux, et à leur cocktail chimique… On a pu montrer qu’ils ont un très bas niveau de sérotonine, comme chez les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (les fameux TOC qui obligent leurs victimes à se laver les mains 14 fois de suite ou à vérifier 18 fois qu’elles ont bien fermé la porte à clé). Cette quasi absence de sérotonine favorise les comportements hardis et les pensées obsessionnelles… Quand on est vraiment amoureux, cela occupe toutes nos pensées…

Le processus met moins d’un cinquième de seconde à se mettre en place, et contrairement à une idée largement répandue, cette chimie de l’amour peut durer des dizaines années (bon, cette affirmation est basée sur une étude qui s’est intéressée de manière très approfondie à une dizaine de relations sur le long terme seulement. C’est peu. Impossible de savoir s’il s’agit d’un phénomène rare, mais au moins, on sait que pour ces dix-là, ce n’est pas impossible!)

Alors je ne sais pas vous, mais pour moi, le fait de savoir que ce cocktail neuro-chimique au dosage hyper-subtil se met à l’oeuvre en moins d’un cinquième de seconde quand on tombe amoureux, et peut nous faire voir le monde autrement pendant des dizaines d’années, le fait de savoir que cette orchestration parfaite de plusieurs zones de notre cerveau et de nombreux organes, accélère le rythme cardiaque, provoque cet intense picotement dans le bas-ventre, nous pousse à nous aimer très fort d’une manière très spéciale et peut-être à avoir plein d’enfants, n’enlève rien au phénomène de sa magie! Au contraire, je trouve cela encore plus beau et fascinant! Et bon, je pense que la science ne fait encore qu’effleurer la pointe de l’iceberg… On ne sait encore presque rien de l’amour…

Tant qu’à faire, poursuivons un peu notre exploration… Depuis le temps qu’on répète sur Podcast Science que la science n’est pas forcément barbante et rébarbative, mais qu’elle peut carrément être sexy, voici une occasion de le prouver.

Si on parlait un peu science de l’orgasme?

On considère parfois les journalistes scientifiques comme des spectateurs plutôt que des acteurs de la science. Grave erreur! Certaines personnes sont prêtes à tout pour faire avancer la science. L’auteure américaine Kayt Sukel n’a pas hésité un instant à faire progresser les connaissances dans le domaine afin d’avoir de la matière pour son nouveau livre “This is your Brain on Sex” à paraître ces prochains jours. Elle s’est portée volontaire pour avoir un orgasme dans un scanner. Si si! Je vous passe les détails de la procédure… Mais cela a donné lieu à cette magnifique vidéo de 5 minutes qui montre un véritable feu d’artifice. Pas moins de 80 zones s’activent, c’est fascinant à regarder, on ne peut que rester scotché!

Que se passe-t-il au juste?

On peut découper l’orgasme en 4 phases : l’excitation, le plateau, l’orgasme et la résolution.

Petite explication au cas où il ne vous serait jamais venu à l’esprit de théoriser la chose…

L’excitation est la phase de montée du plaisir suite à des stimuli sexuels. Le cerveau stimule l’afflux de sang vers les organes génitaux, la pression sanguine augmente, les battements cardiaques s’accélèrent, la respiration aussi. Chez les deux sexes, les tétons durcissent la plupart du temps (particulièrement en cas de stimulation directe), selon les individus, la couleur de la la peau peut changer dans certaines zones, les muscles se tonifient. Chez les hommes, le pénis se met au garde-à-vous, partiellement ou totalement, dès les premières secondes de stimulation érotique. Chez les femmes, la réponse prend en général plus longtemps, de quelques minutes à quelques heures. Le clitoris, les petites lèvres et le vagin gonflent, l’utérus grandit et les parois vaginales commencent à se lubrifier.

Pendant la phase de plateau, la plus longue, caractérisée par un niveau d’excitation à peu près constant, un rythme cardiaque et une respiration toujours rapides, la sensibilité des organes génitaux est exacerbée, le système nerveux est presque complètement mobilisé chez les deux sexes, et envoie des signaux de plaisir au cerveau, plus particulièrement au circuit de la récompense, signaux si nombreux qu’ils finiront par produire l’orgasme.

Puis, c’est l’orgasme. Le cœur bat encore plus vite! Chez le Monsieur, elle se caractérise par la contraction du sphincter anal, de la prostate, des muscles à la base du pénis (qui avaient déjà connu des spasmes lors de la phase précédente) se contractent carrément et plouf – si j’ose dire -, c’est l’éjaculation, et une occasion de créer une descendance. La phase, chez l’homme, implique 3 à 10 secondes de plaisir intense. Chez la Madame, on assiste à une contraction de l’utérus, du vagin, des muscles pelviques et de l’anus. L’orgasme à proprement parler dure une vingtaine de secondes, et il peut y en avoir plusieurs.

La phase de résolution, enfin, permet aux muscles de se détendre, à la pression artérielle de revenir à la normale et au corps tout entier de se remettre de son état d’excitation. Pour la plupart des hommes, mais pas tous, cette phase est synonyme de période dite réfractaire… En gros, pour 3 secondes d’intense plaisir, l’appareillage est HS pour plusieurs minutes voire plusieurs heures. Ce phénomène se produit chez certaines femmes aussi, mais c’est moins systématique que chez les hommes.

Mais revenons un peu sur l’orgasme à proprement parler et intéressons-nous au chef d’orchestre de ce magnifique ballet chimique et des émotions qui l’accompagnent, le cerveau… Il s’en donne à cœur joie à grands coups de dopamine –  histoire qu’on en redemande – et d’ocytocine.  Un truc rigolo qu’on peut voir au PETscan (ou TEP pour tomographie par émission de positons), c’est que, aussi bien chez l’homme que chez la femme, le cortex orbitofrontal latéral se met en standby, inhibant toute velléité d’auto-évaluation, de raisonnement ou de contrôle… La bête prend littéralement le dessus! Plus aucune peur ou angoisse ne vient nous barrer le chemin. L’amygdale et l’hippocampe se détendent aussi, agissant sur les émotions. Avec des conséquences différentes pour le monsieur et la madame. Réduction de l’agressivité chez le premier, induction d’un état de transe chez la seconde.

Alors, c’est pas beau, la chimie de l’amour? Bon, je vous l’accorde, j’aurais pu faire plus poétique… Même si les nouveaux moyens d’observation du cerveau nous racontent une belle histoire, ce n’est pas encore du Verlaine… Alors pour finir sur une touche un peu plus geeko-poétique, voici une petite quote d’un auteur anonyme, glânée sur l’Internet mondial:

L’amour, c’est comme la chimie… Il faut deux corps pour avoir une réaction!

Sources et références

Derniers épisodes