Dossier: les biais cognitifs

Dossier présenté par Alan dans l’épisode 10.

Pas d’actualité particulière pour le sujet dont je souhaite parler aujourd’hui mais plutôt une petite réflexion qui a tendance à m’obséder sur ces aspects psychologiques et neurologiques de la pensée humaine qui font les qualités et les défauts de notre compréhension des mystères de ce monde…

Vous n’êtes jamais agacés par quelqu’un qui vient vous dire, juste après la découverte d’un nouvel élément “Ah mais je le savais depuis le début!” ? Je ne sais pas vous, mais moi j’ai en général envie de secouer la personne et de lui répondre “Alors pourquoi tu ne l’as pas dit dès le début? Eh patate!”… Cela peut bien sûr refléter une réalité: la personne savait effectivement depuis le début, mais ne l’a pas dit pour une raison ou une autre (la peur de se tromper par exemple), mais il se peut également que la personne soit simplement victime d’un phénomène connu, d’un biais cognitif amnésique: le biais rétrospectif.

Il s’agit là d’un des nombreux biais cognitifs. Il y en a tellement qu’il n’est pas possible de les traiter en un seul dossier. Alors je propose de démarrer une saga: on ouvre le dossier aujourd’hui, et on le complétera petit à petit, pas forcément dans l’épisode de la semaine prochaine, mais à chaque fois que ça vient, jusqu’à obtention d’un bon gros vrai dossier complet.

Donc, les biais cognitifs, disais-je. Commençons par quelques définitions. Qu’est ce qu’un biais? Si j’en crois notre ami Wikipedia, “dans diverses disciplines, un biais est une erreur systématique ou une simplification”

Et “cognitif”? l’adjectif que tout le monde utilise mais que pas tout le monde ne comprend… Cognitif, c’est tout ce qui se rapporte à la cognition. Et pour compliquer les choses, la définition même de “cognition” varie énormément d’un dictionnaire à l’autre. Je retiens pour ma part qu’il s’agit de l’ensemble des processus mentaux derrière le traitement mental de l’information; tout ce qui permet de manipuler les idées: perception, langage, mémoire, raisonnement, prise de décision. En résumé, cognitif = relatif aux processus mentaux de traitement de l’information.

Un biais cognitif est donc une tendance de la pensée humaine à commettre des erreurs de jugement et donc à prendre de mauvaises décisions à cause soit de raccourcis de la pensée, d’influence sociale, de préjugés, ou de facteurs de motivation.

On a commencé à parler de biais cognitifs en 1972, lorsque les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky ont pu démontrer de manière systématique que la prise de décision ne s’appuie que partiellement sur la pensée rationnelle et le raisonnement. Cela remettait en question la théorie du choix rationnel, espèce de doctrine alors en vogue chez les idéologues des sciences économiques.

C’est la démonstration, s’il en fallait une, que nos cerveaux ne sont pas des processeurs d’ordinateurs. On généralise, on simplifie, on créer des modèles, on extrapole. Et tout en nous participe de notre processus de décision, pas juste les faits, mais également nos émotions, nos croyances, nos expériences, nos préjugés. Du coup, nos choix sont tout sauf rationnels: on a toujours 36’000 raisons de faire un mauvais choix. On a vu le biais rétrospectif ou l’effet “je le savais depuis le début”, mais il y a plein d’autres biais cognitifs:

le biais de négativité par exemple, qui fait que les expériences négatives nous marquent plus que les expériences positives. L’exemple classique: “Je choisis toujours la mauvaise file à la caisse du supermarché”. En réalité, si on tenait une statistique documentée, on s’apercevrait, pour la plupart d’entre nous, que la plupart du temps, tout se passe bien, on est dans une file qui avance aussi vite que les autres. Mais cela ne frappe pas l’imagination, du coup, on ne s’en souvient pas. Par contre, le coup où ça traîne, on s’en souvient et à force de ne se souvenir que des expériences négatives, on finit par croire qu’on n’a jamais de chance. (Déniché dans “Stumbling on Happiness” de Daniel Gilbert, en français “Et si le bonheur vous tombait dessus”)

le biais d’optimisme qui fait qu’on continue de se marier même si on sait que pratiquement un mariage sur deux se termine par un divorce. C’est ce même biais qui fait croire aux fumeurs que le cancer, c’est pour les autres. Ce même biais toujours qui nous fait croire qu’on préfère croire qu’on a une chance de gagner au loto (et du coup qu’on achète un billet) plutôt que 14’000’000 de chances de perdre. (Voir à ce sujet: http://www.charlatans.info/proba.shtml)

– J’aime bien le biais de confirmation d’hypothèse aussi. Très intéressant celui-là. On cherche par tous les moyens à valider ce qu’on croit déjà et on accordera beaucoup plus d’importance à une opinion qui nous conforte dans notre croyance. En fait, le concept a évolué dans le temps: historiquement, une série d’expériences dans les années 1960 suggérait que les sujets étaient biaisés dans la mesure où ils tendaient à choisir des réponses qui confirmaient leurs croyances, comme je viens de le dire. Mais d’autres travaux, par la suite, ont démontré qu’il s’agit davantage d’une espèce de phénomène de pensée à sens unique qui fait qu’une fois qu’on est branché sur une explication, on n’arrive tout simplement plus à voir la réalité autrement. C’est ce qu’on évoquait il y a 3 semaines en parlant de Mandelbrot: pour ma part, je suis convaincu que c’est le biais de confirmation d’hypothèse (les anglophones disent juste “biais de confirmation”) qui ont empêché tous les autres mathématiciens de découvrir la géométrie fractale, tant la géométrie euclidienne les empêchait d’explorer d’autres pistes. Découvrir des choses en partant de rien semble finalement assez simple par rapport à découvrir des choses malgré l’existant. Je me demande parfois si ce n’est pas cela qui empêche d’arriver à une grande théorie unifiée: c’est tellement difficile de faire marche arrière une fois qu’on commence à s’accrocher à des explications… A contrario, c’est également sans doute ce biais qui explique qu’on ne s’étonne pas de ce que Columbo sache tout de suite qui est l’assassin… C’est simplement parce que nous le savons déjà!

Bref… Ce dossier n’est pas fini, il y a tellement de biais cognitifs fascinants, comme l’escalade d’engagement par exemple (qui explique que plus on a investi, plus on continue d’investir, même si c’est dans un investissement qui n’a aucune chance). Sujet à suivre, donc, dès que l’occasion se présente.

En attendant, pour en savoir plus sur les biais cognitifs, je vous recommande la lecture de “Predictably Irrational” de Dan Ariely, disponible en français sous le titre “C’est (Vraiment) moi qui décide?

Bonne lecture!

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