“Tous les ingrédients doivent être à température ambiante pour réussir la mayonnaise – Info ou Intox ?”

Vous pouvez réécouter cette chronique dans l’épisode 455 de Podcast Science.

On fait pas de mayo sans casser des oeufs : 

Vous savez, il y a des conversations comme ça, dans la vie quotidienne, qui ont vraiment le potentiel de partir en cacahuète… le covid, les vaccins, le pass sanitaire… la meilleure façon de faire un Kouglof, le pot au feu, ou la paëlla…

Mais rien ne battra jamais les controverses sur la mayonnaise. Vous savez, cette sauce blanc-jaunâtre crémeuse et grasse dont on assaisonne les oeufs mimosa, les frites, les okonomyakis parce qu’aucun de ces plats, isolé, n’est assez calorique. 

Parmi les idées reçues sur la mayonnaise, on retrouve toutes sortes de choses : des directives sur l’ordre des ingrédients du type “il faut toujours mettre l’oeuf et l’huile en premier, puis incorporer le vinaigre” ou encore “il faut toujours mettre l’oeuf et le vinaigre, puis rajouter l’huile” – certains vous diront même qu’il faut fouetter la mayonnaise dans un seul sens pour que ça prenne… ou encore : “qu’il faut que tous les ingrédients soient à température ambiante”. 

Sur marmiton.org, un site de cuisine populaire, on trouve d’ailleurs cette fameuse indication au début de la recette : “Etape 1 : Les ingrédients doivent être à température ambiante” 

Pareil dans des livres de cuisine célèbres, comme Jean-Pierre Coffe qui nous dit dans son livre “SOS cuisine” :  “la mayonnaise est l’une des sauces les plus connues, souvent la plus ratée. On a raconté énormément de sottises sur les raisons de ces déboires, davantage encore sur les techniques visant à les éviter… “

Son “truc”, nous dit-il dans un petit encadré : “quel que soit l’assaisonnement de la mayonnaise – citron, moutarde, vinaigre… il est impératif de commencer par monter les jaunes d’oeufs et l’huile à même température, sans aucun autre ingrédient.”

Une chose est sûre, on ne fait pas de mayo sans casser des oeufs !

La réponse des auditeurs : 

Appliquant ce conseil à la lettre, l’une de nos auditrices Lucie nous a envoyé ses expérimentations

“Salut Podcast science ! Histoire de pas être la fille qui pose une question et qui ensuite attends juste la réponse, j’ai fait de la mayonnaise. Plein de fois. Pour la science hein, évidemment.
Tous les essais sont faits dans le même bol, avec un montage à la fourchette (sauf si vraiment ça marche pas, où j’ai tenté de bourriner au batteur électrique :D).
Ma recette de mayonnaise est très très con, un jaune d’oeuf, une demi cuillère à café de moutarde, une pincée de sel, et un démarrage à l’huile d’olive puis de l’huile de colza, en ajoutant l’huile progressivement en très petit filet au début – et ensuite j’en ai marre j’y vais plus généreusement, parce que si ça a pris, bah ça marche quoi qu’il arrive. A priori. Aherm. En tout cas c’est grossièrement 150ml d’huile en tout, pour un jaune.
Là, j’ai tenté aussi avec seulement colza, mais je sais pas si c’est un biais : comme je trouve que ça marche mieux en commençant à l’huile d’olive, bah je rate plus souvent si je fais 100% colza. Est-ce que l’huile d’olive a des propriétés particulières sur la mayonnaise, ou c’est moi qui hallucine ?
Autre truc auquel j’ai pas pensé, la fraîcheur des œufs, qui du coup n’est pas du tout, du tout contrôlée. Enfin ils sont mangeables crus hein, mais je sais pas combien de jours avaient chacun d’entre eux.

D’abord, des variations sur les températures :

Avec huile d’olive et colza

  • Oeuf et moutarde au frigo (6°), huiles température ambiante (24°), ordre d’arrivée des ingrédients traditionnel  -> ça marche nickel
  • Tout à température ambiante (23°), ordre d’arrivée des ingrédients traditionnel  -> ça marche nickel
  • Tout au frigo à 6° : les huiles figent, je découvre qu’elles solidifient en passant grosso merdo la barre des 13°, donc je ressors les huiles et je reprends quand elles sont liquides, , ordre d’arrivée des ingrédients traditionnel -> ça marche nickel, quoique j’ai eu une petite frayeur, je trouve que c’est un peu plus lent que d’habitude à prendre. Je regrette de pas avoir chronométré, piètre expérimentaliste que je suis…

Version seulement colza :

  • Oeuf et moutarde au frigo (6°), huile température ambiante (22°), ordre d’arrivée des ingrédients traditionnel  -> gnééé je préfère avec de l’huile d’olive au début, je grogne mais j’y arrive
  • Tout à température ambiante (20°), ordre d’arrivée des ingrédients traditionnel  -> ça patine un peu, mais je pense que c’est parce que j’en ai ma claque de galérer à la fourchette. Je sors le batteur électrique, vwwziouiiiiz, ça marche.

Et en bonus, l’essai de la mort inspiré par Eléa

  • Tous les ingrédients dans le bol au départ, à température ambiante, et je fais la mayonnaise au batteur. Je dois dire que j’y croyais pas, mais ça marche, en s’acharnant un peu et en inclinant le bol pour battre une fraction du mélange. Le batteur est au max de sa vitesse, et c’est plus long que l’autre méthode ^^. Pour le coup, j’ai vraiment mesuré 150ml d’huile cette fois, seulement colza.”

Mais au fait, c’est quoi une mayo ?  

La mayonnaise est définie comme ceci : une sauce froide, à base d’huile en émulsion dans un mélange de jaune d’oeuf et de vinaigre, ou de jus de citron. Dans certaines régions, on y ajoute de la moutarde, et selon Hervé This (un physicien chimiste très versé dans les aspects “moléculaire” de la gastronomie, on appelle cela une rémoulade, et non plus une mayonnaise. 

Selon la définition officielle de la mayonnaise commerciale, il faut que cette sauce soit composée à 78,1% (bon entre une fourchette de 70 et 80% d’huile)

Peu importe ce qu’on y met, l’objectif est toujours le même : créer un mélange homogène (à l’oeil nu du moins) entre deux fluides qui ne sont pas supposés se mélanger : une phase aqueuse, une phase huileuse.
Vous avez déjà fait l’expérience chez vous : l’eau et l’huile, ça ne se mélange pas tout seul. Pareil pour le vinaigre et l’huile. En mélangeant bien fort, vous arrivez bien à faire illusion, en séparant toutes les goutelettes d’huile pour qu’elles se mélangent… mais attendez un peu et les deux phases se séparent rapidement : huile en haut, vinaigre en bas. Très agaçant ! 

Une seule solution : rajouter ce qu’on appelle un émulsifiant. Un émulsifiant, c’est un espèce de Hulk qui va chopper des molécules d’eau d’un côté, des molécules de gras de l’autre côté, et les forcer à se maintenir ensemble. Lorsque vous faites une émulsion, imaginez un paquet de Hulk qui entoure une goutelette de gras. Entre chacun de ces paquets de gras circule la phase aqueuse, et se produit un truc un peu contre intuitif : en mélangeant deux liquides correctement émulsionnés, vous vous retrouvez avec un truc plutôt solide. 

Réaliser une émulsion stable est un objectif qui répond à toutes sortes d’équations physiques compliquées, que je ne vais pas vous détailler ici, mais retenez qu’il faut créer un environnement dans lequel suffisamment de corps gras soit séparé en gouttelettes, puis enrobé d’émulsifiant pour tenir dans une autre phase. C’est ce qu’on appelle “L’effet mayonnaise“.

Cela va générer la texture que vous connaissez bien.
Pour savoir si une mayonnaise n’est plus bonne, il suffit de regarder la texture : si deux phases se séparent, ou que ça devient jaune, voire brun, si l’odeur devient trop acide ou que le pot commence à sentir mauvais… c’est que ce n’est plus le moment !

Et pour votre culture personnelle, sachez que la mayonnaise ne se congèle pas, car l’émulsion va probablement s’effondrer et elle aura une texture étrange… mais il paraît qu’on peut la ré-émulsionner quand même avec une machine. Je n’ai jamais essayé, après tout une fois qu’on a le secret, ce n’est pas si difficile à faire ! 

Le truc ultime pour faire une mayo  

Concernant cette histoire de températures, la question a en fait été solutionnée très scientifiquement en 1921 par un certain Mark. Un chercheur qui a suivi la formation d’émulsions d’huile dans le jaune d’oeuf, toutes les 10 secondes, au microscope, dans plusieurs circonstances – tirant 4 conclusions : 

  • Lorsque la proportion oeuf/huile est au dessous d’un certain seuil, l’émulsion se forme peu importe la température ou la méthode de mixage. 
  • Si la quantité d’huile excède un seuil minimum, la phase continue reste l’huile, et l’émulsion ne se fait jamais. 
  • Si la proportion d’huile et d’oeuf est maintenue entre le minimum et le maximum, alors la formation d’une émulsion stable devient dépendante de la température ou de la méthode de mixage. 
  • Si on ajoute du vinaigre pour diluer l’oeuf, alors la quantité d’huile qu’on peut avoir au départ augmente
    (MARK, K. L. 1921. Emulsification in mayonnaise.  J. Home Ec. 13, 447) 

Bref, l’essentiel dans tout ça pour que l’émulsion se forme, c’est donc d’introduire l’huile suffisamment lentement en battant pour bien séparer les gouttelettes d’huile entre elles. La température n’a donc pas réellement d’importance tant que l’on respecte ce principe. 

Des micro-détails de pratiques montrent ensuite un rôle du battage, de la taille du bol, ou de la proportion d’assaisonnement (vinaigre ou moutarde) sur la viscosité finale… mais ça, du moment que votre mayo ne s’effondre pas, tout va bien n’est ce pas ?

En réalité, vous pourriez mettre tous les ingrédients ensemble dans un verre, et monter votre mayonnaise avec un petit batteur pour faire mousser le lait, et vous obtiendrez une mayonnaise parfait, puisque l’huile et la phase aqueuse se mélangeront progressivement, petit à petit.

“La quantité d’huile incorporée à la mayonnaise est un facteur crucial, avec la taille des gouttelettes, pour augmenter la consistance de l’émulsion. Pour que la mayonnaise tienne, la quantité d’huile de ne doit pas dépasser 17 fois la quantité d’eau (soit un peu plus de 94 %), sans quoi l’eau ne peut plus accueillir les gouttelettes d’huile[“ Wiki

Aux origines de la mayo : 

Mais au fait, d’où ça vient la mayonnaise ? Après quelques recherches, je suis tombée sur une interview de Pierre Leclercq, un historien de l’alimentation de l’Université de Liège. 

Qui nous raconte qu’à l’origine des sauces crémeuses se trouve la rémoulade : une sauce chaude ou froide, composée d’une base d’huile, de vinaigre, de sel, de câpres ou d’anchois, parfois de moutarde…
On trouve la recette suivante dans “MASSIALOT, Le cuisinier royal et bourgeois, Paris, 1693, p. 70, 71.” :
« À plusieurs Filets de Poisson, on fait une sausse qu’on appelle Ramolade, composée de Persil haché, de la ciboule hachée, des Anchois hachez, des Capres hachées, le tout mis dans un plat, avec un peu de sel, de poivre, de muscade, d’huile & de vinaigre bien délaiez ensemble : & après avoir dressé les Filets dans son plat, on les arrose de cette Ramolade ; & à quelques plats on y ajoûte du jus de Citron, pour les servir froids.” 

Au XVIIIe siècle, un autre français Vincent la Chapelle transforme cette rémoulade pour lui incorporer du “velouté”, à savoir un roux – un mélange de beurre et de farine qui sert d’épaississant pour les sauces. On s’approche donc plus d’une consistance crémeuse que la vinaigrette rémoulade, mais il faudra attendre la recette du cuisinier André Viard en 1806 dans son livre “Le cuisinier impérial” pour que la rémoulade perde l’anchois, les câpres et le roux, et incorpore du jaune d’oeuf pour la texture.

Les historiens estiment qu’il s’agit là de la première recette de sauce à base de jaune d’oeuf de l’histoire de la cuisine. Et là, franchement… ce n’est pas rien quand on peut mettre une date sur les choses.

D’ailleurs, c’est lui qui propose d’ores et déjà une méthode pour faciliter l’émulsion: ajouter l’huile cuillerées par cuillerées… comme quoi, pas la peine de réinventer l’eau chaude, ça fait au moins 200 ans que les cuisiniers avaient trouvé le truc de la mayonnaise idéale, dans leur quête d’onctuosité… 

Et peut être même plus. 

Les français sont-ils des génies culinaires depuis toujours et ont-ils inventé toutes les sauces ? Ou ont-ils juste eu l’obstination de tout recenser dans des livres, très tôt, pour accéder à la gloire et diffuser leurs plus grandes oeuvres ? Je ne saurai trancher.
En tout cas, en ce qui concerne l’idée de faire une émulsion à base de jaune d’oeuf, elle ne viendrait pas des cuisines de la royauté française mais… de la pharmacie arabe. 

Au XVIe siècle on trouve des recettes d’onguents, inspirées de recettes de pommades appelées les loochs. Les Looch (lock), ce sont des médicaments sirupeux, adoucissants, composés d’une émulsion et d’un mucilage. 

On retrouve par exemple ce remède dans un ouvrage du 17e : Les secrets du seigneur Alexis Piemontois, revue, & augmenté d’une infinité de rares secrets, Rouen, Jean Berthelin, 1637, p. 548.

“« Contre blessure ou escorcheure de peau par eschauffement, & par long chemin, és pieds, ou entre les cuisses. Prens vn mortier de plomb, & vn pilon de plomb, mets en iceluy mortier de l’huile rosat, & un moyeu d’œuf, lesquelles choses tu moudras tant qu’elles soyent espaisses : & qu’il y ait quelque portion dudit plomb meslee avec ledit vnguent. Et quand il sera espais comme emplastre, tu l’estendras sus du linge deux & prime : puis la mets sus le mal, & continuë cecy par trois iours, iusques à tant que l’escorchure soit guarie8. »”

Une autre recette de Looch de jaune d’œuf se retrouve chez Antoine BAUMÉ, Éléments de pharmacie théorique et pratique, Paris, 1762, p. 763.

On pese dans la même fiole l’eau et le syrop, et l’on met l’huile dans une autre fiole. On délaie le jaune d’œuf dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, et l’on ajoute une petite cuillerée de l’eau mêlée avec le syrop. Lorsque ce mélange est bien délayé, on met l’huile peu-à-peu, et on l’incorpore avec le jaune d’œuf : on agite le pilon jusqu’à ce que toute l’huile soit entrée dans le mélange, qu’il ne paroisse aucun globule d’huile, que la matiere soit bien unie, et qu’elle soit devenue épaisse et volumineuse. Alors on la délaie avec le reste de l’eau mêlée de syrop, et l’on ajoute l’eau de fleurs d’orange sur la fin. On met ce looch dans une fiole.”

Nos génies culinaires français auraient donc copié chez les pharmaciens pour faire progresser la cuisine ! Quand on dit qu’être chimiste, c’est de la cuisine… on voit encore qu’il n’y a qu’un pas entre ces deux disciplines ! 

Quant à l’origine du mot “mayonnaise”, certains y voient une référence à la ville de “Port Mahon” prise en 1756 par le duc de Richelieu, certains y voient une déformation de “bayonnaise” (de la ville de Bayonne, donc…), d’autres encore font l’hypothèse d’une déformation du mot “moyeu” qui désignait le jaune d’oeuf…  impossible de trancher, on restera donc avec de vagues pistes !
On pourrait lancer un #etymogastro sur twitter pour expliquer les étymologies des recettes de cuisine, après l’étymozoo et l’étymophyto…

Mayo 2.0 :

Et voilà chers auditeurs, maintenant, vous savez que le secret de la mayonnaise réussie, ce n’est pas la température, ce n’est pas de faire une prière à la lune en dansant sous la pluie. Si vous ratez votre mayo, c’est simplement que votre émulsion n’a pas pris parce que vous n’avez pas pu séparer deux phases.

Dans l’industrie, des centaines de tests ont été réalisés pour supplémenter les mayonnaises d’huile de poisson et lutter contre les déficits en vitamine D, pour ajouter des goûts, des couleurs, des conservateurs… la seule limite, ce sera toujours un peu d’émulsifiant !

En connaissant cette astuce, vous pouvez même réaliser des mayonnaises vegan sans oeufs, en utilisant des protéines de lécithine de soja, ou de l’aquafaba de pois chiche… Pour une mayo 2.0, illustrant la réinvention permanente de nos arts culinaires… !

Bref, le gras c’est la vie, et la mayo… probablement aussi !

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