Les téléphones portables démagnétisent les cartes de crédit – info ou intox ?

La réponse au quiz est disponible dans l’épisode 393.

Rappel : cette chronique a été pré-enregistrée sur un ordinateur portable, Eléa ne pouvant pas participer à l’épisode en live pour cause de voyage. Veuillez nous excuser la qualité du son !

Les téléphones démagnétisent les cartes de crédit – INFO ou INTOX ?

Avant de commencer, parlons en un peu, de ces fameuses cartes de crédits. Si pratiques pour faire ses achats, aussi bien à distance qu’en magasins, surtout en cette période pré-Noël – vous en conviendrez – la carte de crédit s’est imposée partout en France.
Si bien qu’aujourd’hui, on peut même payer “sans contact” sa baguette de pain chez le boulanger chaque matin. Tellement que – quand des gens comme moi se retrouvent sans arrêt à avoir leur fonction sans contact désactivée pour une raison obscure et inexpliquée, et forcés de taper notre code sur la machine, on passe désormais pour aussi énervant que des retraités en train de sortir  une par une leurs pièces de 2 centimes dans la file du supermarché aux heures de sortie de travail. Vous voyez ce que je veux dire je pense.

La carte de crédit, fleuron de la technologie moderne

Mais il n’en a pas toujours été ainsi ! Alors retraçons un bref historique de la carte de crédit : selon Wikipédia (oui, il faut commencer quelque part), la première carte de paiement aurait été développée par Western Union, aurait été en métal, et daterait de 1914. Ce n’est pas sourcé, et je n’ai pas encore trouvé de thèse sur l’histoire des cartes de crédit, même si j’aurais beaucoup aimé. Mais il a existé des cartes embossées (avec des bosses pour coder de l’information), ainsi que des cartes à code barre.

En 1967, les français inventent la carte bleue. Littéralement, la CB parce qu’elle était de couleur bleue. Pour la première fois, elle permet aux français de retirer de l’argent sans se rendre physiquement dans une banque, fonctionnant par embossement, c’est à dire grace à une inscription en relief. En 1971 arrive la carte de paiement à piste magnétique, permettant d’encoder les informations sur une bande magnétique. Petit aparté et petite anecdote, il paraît que Forrest Parry, un ingénieur de la société IBM travaillait depuis quelque temps sur la façon de fixer une piste magnétique sur une carte en plastique. Frustré de ses échecs, c’est sa femme Dorothea, un fer à repasser à la main qui lui suggéra d’utiliser la chaleur du fer pour fondre la bande magnétique dans le plastique. Un pragmatisme qui aura eu des conséquences sur tous nos modes de vie 🙂 

La repasseuse – Pablo Picasso (j’en profite pour vous instruire : Picasso n’a pas fait que des carrés colorés… même si ce tableau n’a rien à voir avec notre sujet.)

Et en 1974, la première carte à puce est brevetée par Roland Moreno, un français (même si le concept est décrit dès 1947 par un ingénieur britannique : des pistes de cuivre imprimées sur de la bakélite).

Dans les années 1980 (et beaucoup de sites ne sont pas d’accord sur la date) se généralise la carte à puces et on installe des TPE (terminaux de paiement électroniques) chez les commerçants. Dans les années 1990, on rajoute le code, pour plus de sécurité, et finalement, la technologie sans contact débarque vers 2004. Utilisant le principe NFC (near field communication ou communication par champ proche en français), au grand damne des plus méfiants d’entre vous qui craignent pour la sécurité de leur carte bancaire dans la rue.

Le TPE – l’invention qui vous permet de ne plus jamais regarder votre banquier en face.


Juste pour vous mettre à jour, depuis 2010 la Carte Bleue n’existe plus, car “CB” est intégralement racheté par VISA. Le logo existe toujours sur les cartes et désigne désormais le terme “carte bancaire”, d’ailleurs vous pouvez customiser votre CB pour qu’elle soit de toutes les couleurs.

En gros, votre carte de crédit peut fonctionner soit grâce à une bande magnétique, soit par une puce électronique, soit par une antenne d’émission NFC (near field communication)

Donc comment ça fonctionne ?

Pour une bande magnétique, il s’agit d’une fine couche de matériau (des microparticules ferromagnétiques comme l’oxyde de fer), disposées dans une substance liante. En appliquant un champ magnétique à ce mélange, on peut changer l’orientation des particules, et donc encoder de l’information. C’est ce qu’on appelle la rémanence – sans autre champ magnétique pour venir perturber la disposition des particules, l’information va pouvoir être gardée un certain temps. Comment on code ? Hé bien en 0 et en 1, comme en informatique. Je vous invite à consulter ce lien pour plus de détails.

Pour une puce électronique, il s’agit d’un bout de plastique sur lequel est déposé un circuit intégré. Un mini-ordinateur sur plastique quoi.  Consulter un article sur le fonctionnement des cartes à puces.
Sur ce circuit, comme sur un disque dur sont stockées des informations de façon physique. Mais ça marche plutôt comme une série de composés électroniques, qui, lorsqu’ils sont parcourus par un courant électrique se mettent dans une configuration logique correspondant à  0 ou 1 qui peut encoder de l’information.


Alors je n’irai pas plus loin car je ne comprends moi même que très vaguement le principe de ce type de stockage, j’ai été bluffée par l’absence de clarté des articles sur ce sujet. J’en appelle à vous poditeurs/poditrices si vous avez les connaissances de venir faire un dossier dans le futur. Mais en tout cas, c’est physique, gravé dans le marbre (sauf que c’est pas du marbre), et a priori pas perturbable par des magnétique.

Pour le sans contact, le NFC : il fonctionne avec deux éléments, le lecteur de carte, qui envoie un champ magnétique alimentant le récepteur, qu’on appelle un “tag” – qui va répondre en modulant son impédance (sa résistance au passage du courant électrique), un peu comme s’il déclinait son identité, puis interrompre la communication. Les cartes de crédit ont désormais toutes cette antenne incluse, mais vous pouvez demander à votre banque de désactiver la fonction.

Le sans contact, ou comment ne plus donner d’argent à ton boulanger.


La CNIL recommande l’utilisation d’un étui spécial à carte de crédit pour limiter tout risque qu’un champ magnétique étranger, indésirable et malveillant puisse solliciter votre tag, mais pour que ça fonctionne il faut être à 3 ou 4 cm du lecteur. Donc si personne ne vous emprunte votre carte, vous devriez être en sécurité. 

Johan avant de fini la chronique m’a demandé si NFC c’était la même chose que l’identification par radio-fréquence (RFID) qui permettait dans les années 40 d’identifier un avion de guerre lorsqu’il pénétrait un espace aérien. La NFC est un type de RFID, plus sécurisé puisqu’il est à courte portée (moins de 10cm). Pour plus d’informations sur la NFC, cliquez ici.

Alors, dans ces trois choses – que peut-on démagnétiser ? 

Pour le NFC, on peut “solliciter” le tag, mais il ne contient pas d’autres informations que son identité propre, a priori… donc c’est peu probable qu’on casse quelque chose, à part l’antenne de transmission, à force de l’utiliser. 

Pour la puce, le stockage de l’information n’est pas de nature magnétique, donc pas possible de démagnétiser quoi que ce soit. 

Reste donc la bande magnétique ! Qui, comme elle est magnétique… doit bien pouvoir se -magnétiser.

Et par démagnétiser, on entend, perturber l’information telle qu’elle était codée auparavant. 

Et comme pour tout souvent, les physiciens ont une mesure pour ça : le champ coercitif, en science des matériaux, c’est à dire l’intensité du champ magnétique qu’il est nécessaire d’appliquer à un matériau pour annuler son aimantation. Toujours sans rentrer dans les détails car il faudrait un épisode complet à ce sujet, sachez qu’il existe plusieurs types de bandes magnétiques : les LoCo (Low Coercivity) et les HiCo (High Coercivity), dont les matériaux d’encodage sont différents.

– Les LoCo  (les bandes un peu brûnatres) sont peu chères, faciles d’accès, encodées dans un champ magnétique de faible intensité (300 oersted, soit 0,03 Tesla, ou 30000 µTesla) et même faciles à reprogrammer, et portent des choses comme les tickets de transport, souvent… Je peux vous dire qu’elles se démagnétisent très facilement, et certaines personnes disent même qu’elles se reprogramment facilement avec une machine (qui côute tout de même plus 200 euros) – donc il y a de la marge avant que votre faux abonnement illimité soit rentabilisé.

– Le Hi-Co sont plus sécurisées (bandes noires), encodées dans un champ magnétique de haute intensité (2750 oersted, soit 0,275 Tesla, ou 275000 µTesla ) et surtout présentes dans les abonnements, les cartes de crédit…

L’oersted (du nom du physicien danois Hans Christian Orsted qui a découvert le lien entre l’éléctricité et le magnétisme) – est une unité de mesure du champ magnétique. En système international, ce sont des ampères par mètres. 

Hans Christian Orsted – c’est un peu grâce à lui que tu payes tes achats à Noël, alors dis merci !


Ce qui nous emmène à une autre question : un téléphone portable produit-il un champ magnétique ?
Oui, vous avez peut être tous déjà vu cette vidéo de poudre magnétique qui bouge à côté d’un iphone. Ou comme nous l’a fait remarquer un auditeur, réussi à attraper un trombone avec un côté de votre téléphone.
Ce champ magnétique est-il toutefois suffisant pour impacter la bande magnétique d’une carte de crédit ?

Et pour répondre à cette question, ce sont les études sanitaires sur les effets des ondes qui vont nous renseigner. Les mesures des risques encourus par le fait de porter constamment des téléphones portables ne datent pas d’hier et l’organisation mondiale de la santé estime actuellement qu’ils ne présentent pas de risques pour la santé. On n’a notamment pas démontré de lien entre l’utilisation des téléphones et l’occurence de cancers du cerveau par exemple (sur des durées d’étude de 15 ans.) 

Pour redonner quelques chiffres, l’Office fédéral pour la protection contre les rayonnements de la République fédérale d’Allemagne a fait mesurer l’exposition journalière d’environ 2000 personnes représentant toutes sortes de professions et dans des conditions variées d’exposition générale.

Toutes ces personnes ont été munies pendant 24 heures de dosimètres individuels. L’exposition mesurée variait dans d’importantes proportions mais la moyenne se situaient aux alentours de 0,10 μT. Cette valeur est mille fois plus faible que la limite normale de 100 μT recommandée pour la population générale et de cinq mille fois plus faible que la limite de 500 μT recommandée pour les travailleurs. Par ailleurs, il apparaît que l’exposition des personnes résidant au centre-ville n’est pas très différente de celle que l’on observe en milieu rural. Même dans le cas des personnes vivant à proximité de lignes à haute tension, l’exposition n’est guère différente de l’exposition moyenne de la population. (WHO)

A titre de comparaison, la valeur du champ magnétique terrestre est de 47µT en France, et varie entre 30µT et 60µT dans le reste du monde.

A 3cm de proximité, on estime que l’intensité du champ magnétique peut monter jusqu’à 2000µTesla dans des sèches cheveux ou des rasoirs électriques (plus importants que les micro-ondes ou les téléviseurs qui montent jusqu’à 50µTesla). Ces appareils sont insuffisants pour démagnétiser ne serait-ce que la Lo-Co.

Les aimants permanents, comme les magnets de frigo, ont une intensité d’environ 0,01 Tesla. Les magnets d’étuis de téléphone aimantés très puissants peuvent dépasser la valeur du champ coercitif des bandes Lo-Co, mais en théorie pas des bandes Hi-Co. Pour être certains, mieux vaut dans tous les cas éviter de frotter des aimants directement sur les bandes magnétiques.

Et pour votre culture générale, sachez que cette année, dans une publication du 12 juin 2019, dans la revue Nature un aimant de taille inférieure à celui d’un rouleau de papier toilette, réalisé dans un matériau supraconducteur, a battu un record mondial, atteignant un champ magnétique de 45,5 Tesla. Le précédent record était détenu par un aimant générant un champ de 45 Tesla… qui pesait 35 Tonnes.

Donc pour conclure, à moins que vous n’utilisiez un étui de portable super aimanté et que vous ne colliez votre carte de crédit dessus, votre carte ne devrait pas se démagnétiser. Erwan, en auditeur assidu, nous a envoyé un mail pour nous dire qu’à part le fait qu’il a failli la perdre deux fois en sortant son téléphone, voilà 3 ans qu’il a sa carte de crédit collée à son téléphone sans aucun souci. 

D’autre part… comme quasi plus personne n’utilise la bande magnétique en France, mais plutôt la puce de nos jours, comme le fait remarquer Frédéric dans la réponse au quiz qu’il nous a envoyée, vous n’avez rien à craindre : c’est une intox !

Et si après ça vous avez toujours peur ma foi… il ne vous reste plus qu’à installer une application de paiement sur téléphone portable, et vous n’aurez plus jamais besoin de trimballer les deux en même temps ! 😀

Payer par téléphone, pour toujours plus de facilité à vider votre compte en banque à Noël. Le progrès on vous dit.

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