Il faut éteindre son téléphone en avion : Info ou Intox ?

Je ne sais pas si vous avez souvent pris l’avion, mais le travail de mes parents quand j’étais plus jeune a fait que j’ai eu cette opportunité assez souvent au cours de ma vie. Au point que les très célèbres consignes de sécurité protocolaires avant chaque décollage sont à présent inscrites en moi, aussi sûres que si elles relevaient de l’instinct de survie. Avant de décoller dans cette grosse boîte volante, il faut bien s’attacher, il faut bien relever sa tablette, et surtout IL FAUT ETEINDRE SON TELEPHONE PENDANT TOUTE LA DUREE DU VOL. Et sur ce point, les hôtesses étaient intransigeantes, demandant soigneusement à l’époque à chaque passager d’éteindre ses appareils électroniques, m’interdisant jusqu’à ma game boy color, alors que Pokémon version bleue était souvent la seule distraction qui rentrait dans le filet en face de moi pendant le vol. 

Le reprenant plus tard dans ma vie, je constate que les consignes ont légèrement changé : on nous recommande désormais de passer nos appareils électroniques en mode avion. 

Je pense notamment au très affligeant clip de sécurité d’Air France (pour d’autres raisons et notamment parce que je le trouve un peu cliché dans sa représentation de l’hôtesse de l’air)

… mais c’est une autre question 😀 

Alors que s’est-il passé ? Pourquoi ce changement ? M’aurait-on menti dans mon enfance ? Je suis partie explorer le grand internet mondial pour le savoir. 

Pour répondre à cette question, il me semble qu’il faut d’abord que j’explique comment fonctionne un téléphone portable. Un téléphone, c’est en résumé une radio bi-directionnelle, c’est à dire qui permet d’émettre et de recevoir des fréquences radio simultanément. A courte distance, les deux radios pourraient se parler entre elles, comme c’est le cas pour les talkie walkie. Mais à plus longue distance, pour que cette transmission de fréquences se passe, il faut des antennes qui reçoivent et transmettent le signal, ce qu’on appelle des antennes relais. Toutes les communications reposent sur le fait qu’il y ait suffisamment d’antennes relais entre l’émetteur et le récepteur. Ces antennes sont divisées dans l’espace en “mailles” de communication, et le nombre de ces mailles varie entre les régions rurales ou dans les régions urbaines. Un article ici.

Quand vous êtes statique et au sol, le relais se fera d’antenne à antenne suffisamment vite pour que ça vous paraisse quasi instantané, mais imaginez solliciter ces antennes relais en vol à une vitesse de 800km/h, ça pourrait peut-être interférer avec les communications au sol… théoriquement. Et puis on arrive à un niveau de sophistication des télécommunications qui permet de passer par satellite et de diffuser les informations sans problèmes jusqu’au milieu de la jungle birmane, donc ce ne serait pas suffisant pour expliquer cette interdiction stricte.

Et puis pour un truc aussi dangereux qu’une boîte de conserve volante, vous pensez bien qu’on s’est assuré à l’avance que les bandes d’émission de fréquence ne soient pas les mêmes pour les gens et les pilotes d’avion… les pilotes eux mêmes communiquent très bien avec le sol en vol. 

Alors il y a bien eu des preuves d’interférence entre les appareils électroniques personnels des passagers, spécifiquement s’ils émettent des fréquences entre 800-900MHz, mais ce uniquement pour les cockpit des appareils qui n’étaient pas protégés. Les téléphones GSM qui fonctionnaient avec la 2G, vous vous souvenez peut être, faisaient ce buzz étrange lorsqu’on les mettait près d’une radio ou d’un autre appareil électronique – annonçant que quelqu’un allait recevoir un appel. Imaginez ce buzz dans les écouteurs de pilotes à un moment crucial du vol… Pas cool. Mais depuis, les modèles d’avion ont évolué aussi, et tous les cockpits sont isolés des interférences potentielles ( article)

Le fait de devoir tout éteindre pendant le décollage et l’atterissage est donc plus une précaution, à ces deux moments cruciaux du vol où l’avion est le plus susceptible d’avoir un problème. Pragmatiquement, même si les chances d’interférence sont désormais minime, cela permet d’être sûrs de ne pas tenter le diable – car au rythme où sortent les nouveaux appareils électroniques, il est virtuellement impossible de tester toutes les configurations possibles d’un vol et des appareils de ses passagers en amont – de plus, cela assure l’attention complète de tous les passagers en cas d’urgence. 

Après réévaluation de toutes ces données par un comité d’experts, la FAA (Federal Aviation Administration (FAA) ) a publié un communiqué de presse autorisant, en 2013, l’utilisation de tous les appareils électroniques à toutes les phases du vol, à l’exception des téléphones portables s’ils ne sont pas en mode avion.

Rien n’a été communiqué sur l’autorisation des appels en vol, car cette question est sous la juridiction d’un autre organisme, la FCC (Federal Communications Commission (FCC)), même si cette autorité a brièvement considéré lever l’interdiction des appels en vol en 2007, mais l’a finalement maintenue, faute de preuves suffisantes qu’il n’y aurait pas d’interférences avec les systèmes de communication au sol. (Notons qu’il n’y a pas non plus de preuves qu’il y a une interférence). On est donc là dans un cas de pure principe de précaution.)

Malgré les restrictions diverses, selon une étude de la Airline Passenger Experience Association et de la Consumer Electronics Associations publiée en 2013 avançait que parmi les personnes sondées, 30% des passagers oubliaient régulièrement d’éteindre leurs appareils dans leurs sacs pendant les vols. Ces oublis n’ont pour le moment jamais résulté, à ma connaissance, en un accident de communication. 

Certaines mauvaises langues sur internet soutiennent que la seule raison pour laquelle les téléphones sont interdits, c’est pour nous faire payer des communications en vol, très très chère. Encore une opération des grands lobbies pour nous empêcher de communiquer gratuitement ! A cet argument, je peux vous dire que beaucoup d’avions proposent maintenant le wifi à bord, et que certaines entreprisent tentent même de développer de nouvelles antennes relai à bord, inspirées des pico-cells, des mini-antennes relai courte portée, qui transmettraient les appels téléphoniques via l’internet de bord. En attendant, réjouissons nous de ne pas pouvoir passer 12h à côté de Tatie Laurence qui radote à sa belle fille comme il serait formidaaaaable qu’elle fasse des enfants très prochainement. C’est vrai, vous vous imaginez un vol où tout le monde pourrait téléphoner ? Ce serait l’enfer ! 

Dans l’épisode 142, comme nous l’a rappelé Florian, un de nos auditeurs (que je remercie pour son mail), Tupe et Alan s’étaient déjà lancé dans une discussion à ce propos : et c’est vrai si c’était si dangereux que ça, on confisquerait carrément les téléphones à l’entrée non ? D’ailleurs, dans un sketche que j’adore, une fausse hôtesse de l’air essaye d’expliquer aux passagers, excédés de ne pas pouvoir utiliser leurs appareils que les avions sont magiques et qu’on ne veut pas courir le risque de casser ce phénomène qui nous permet de nous déplacer sans savoir comment.

Donc pour clore cette chronique, rassurez vous, oublier votre téléphone allumé dans votre sac pendant un vol ne devrait pas impacter la navigation. Et que votre voisin utilise son téléphone pour jouer à Candy Crush à côté de vous pendant le décollage ne devrait plus vous excéder plus que ça. Il ne faut désormais plus éteindre son téléphone en avion, c’est une intox – même s’il vous est recommandé de le mettre en mode avion pour éviter tout problème. 

https://www.livescience.com/5947-real-reason-cell-phone-banned-airlines.html
https://theconversation.com/using-your-phone-on-a-plane-is-safe-but-for-now-you-still-cant-make-calls-98136

Je vous quitte sur cette petite pensée de l’humoriste Gad Elmaleh.

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