Dossier – La caféine

Molécule de caféine (Wikipedia)
Molécule de caféine (Wikipedia)

Dossier présenté par Alan dans l’épisode #35

Est-il vrai qu’un sachet de thé trempé une 2e fois ne contient plus de théine? La théine et la caféine ont-elles les mêmes effets? Est-il vrai qu’un Red Bull fait effet 6 heures après sa consommation? Qu’un long jus de chaussette contient plus de caféine qu’un ristretto? Que la caféine a des pouvoirs amincissants étonnants? Enfin, n’est-il pas un peu surprenant que ce breuvage étrange ait envahi pratiquement toute la planète, qu’on en consomme une quantité invraisemblable chaque jour malgré (ou grâce) à son effet psychotrope? Ça fait un moment que j’entends tout et son contraire sur la caféine. Cette fois, je voulais en avoir le coeur net et en brave podcasteur scientifique, j’ai donc mené ma petite enquête. On va commencer par les fondamentaux: pour un chimiste, la caféine est une molécule. C8H10N4O2 si vous voulez tout savoir. Elle répond au doux nom de “1,3,7-triméthylxanthine”. Pour le reste du monde, cette molécule s’appelle caféine, théine, guaranine, matéine, méthylthéobromine ou encore méthylthéophylline. Ces termes sont tous parfaitement synonymes et cela répond déjà à l’une de nos questions: caféine = théine = guaranine (que l’on trouve dans le guarana, une plante brésilienne aux mille et une vertus). La caféine et la théine, c’est donc la même chose. Mais, étonnamment, boire du café ou du thé n’a pas les mêmes effets quant à l’assimilation de la caféine. Un petit détour par Wikipedia s’impose:

L’effet sur l’homme de la caféine provenant du thé est plus doux et plus progressif que celle provenant du café. Cette différence s’explique essentiellement par le fait que le thé contient une grande quantité de tanins qui ralentissent l’assimilation de la caféine. De plus, bien que le thé contienne plus de caféine que le café à poids égal, une portion habituelle en contient beaucoup moins car le thé est normalement bien plus faiblement infusé. À côté de l’intensité de l’infusion, le type de thé, les conditions de croissance, les procédés de transformation et d’autres variables influent également sur la teneur en caféine. Il n’y pas de relation entre la couleur d’un thé et sa teneur en caféine. Ainsi des thés tels que le pâle thé vert japonais gyokuro, contiennent bien plus de caféine que d’autres thés plus foncés tels que le lapsang souchong qui en contient très peu.

Comme dirait notre ami Marc Montangero 😉 :

Que se passe-t-il chimiquement?

La toile d'araignée sous caféine (Wikipedia)
La toile d’araignée sous caféine (Wikipedia)

La caféine est une molécule de la famille des méthylxanthines et la plupart des méthylxanthines sont utilisées comme pesticides aussi bien par l’homme que par les plantes elles-mêmes.  On pense que la caféine est utilisée pour empoisonner les parasites et les décourager de s’en prendre à nouveau à la plante qui la produit. Dans le cas où ils survivent à la métabolisation de la caféine, évidemment. Parce que la caféine est toxique pour les cellules végétales, elle est stockée dans des compartiments spéciaux appelés vacuoles, sortes d’armoires à pharmacie qui gardent la caféine à l’abri du reste de la plante et ne la libèrent qu’en cas de besoin. La plante qui produit la caféine ne profite donc pas du petit coup de boost bien utile au réveil du lundi matin 😉

Avez-vous déjà vu cette image de la toile d’une araignée qui a pris de la caféine? On se rend bien compte qu’elle ne tourne pas très rond…

Certains plus grands animaux sont également très sensibles à la caféine, qui est carrément toxique pour les chevaux et les chiens (comme la théobromine pour ces derniers, qu’on trouve dans le chocolat)

Et chez nous autres ?

La caféine, comme pesticide, est sans doute très efficace  contre certains insectes, vertébrés, bactéries et champignons mais cela ne protège manifestement pas la plante contre le plus redoutable de ses prédateurs: la caféine n’empoisonne pas l’être humain aux doses auxquelles nous la consommons (même le lundi matin 😉  ) Au contraire, elle crée même une dépendance: la caféine empêche  l’enzyme phosphodiestérase de désactiver une substance messagère,  l’adénosine monophosphate cyclique (AMPc en court), ainsi que quelques-unes de ses copines, mais on ne va pas s’y attarder. Or l’une des actions de l’hormone du stress, l’adrénaline, est justement d’augmenter le niveau d’AMPc  dans les cellules. Donc, en inhibant la désactivation de ces AMpc, la caféine potentialise l’action de l’adrénaline et nous donne un coup de fouet. A plus hautes doses, ceci dit, et en cas d’usage prolongé, elle peut générer de l’anxiété, des tremblements musculaires, des palpitations, un rythme cardiaque accéléré. Dans ces conditions, l’absence de caféine entraîne rapidement une sensation de manque accompagné des maux de tête, d’une impossibilité à penser clairement et de mauvaise humeur.

Les effets physiologiques de la caféine chez l’humain

(informations tirées de l’article “Physiological Effects of Caffeine” de l’Encyclopédie des Sciences Alimentaires et de la Nutrition en 10 volumes, 2e édition, en vente sur Amazon pour la modique somme de 4’210$ 😉

D’abord, l’article, qui date de 2003, donne quelques chiffres qui m’ont paru intéressants: quelque 1.7 milliards de tasses de café sont consommées chaque jour dans le monde! Ce chiffre date d’il y a 8 ans, mon petit doigt me dit que Starbucks et Nespresso aidant, ce chiffre n’a pu qu’augmenter depuis…

Deuxième surprise, les plus gros consommateurs ne sont pas ceux qu’on croit! Les finlandais consomment 60’000 tonnes de café par année soit l’équivalent de 11.2 kg de café vert par personne par an, contre 5 kg seulement pour les italiens. (4.4 pour l’Espagne, 5.6 pour la France, 7.5 pour la Suisse.)

La caféine ingérée est absorbée et distribuée à travers tous les tissus du corps en quelques minutes et éliminée en quelques heures.

Environ 4% est éliminée via l’urine, le reste est métabolisé, avec une demi-vie de 2 à 6 heures pour un adulte en bonne santé.

En d’autres termes, admettons que j’aie un métabolisme moyen: je bois un express à 14h et j’absorbe environ 40 mg de caféine. À 14h et des poussières, on va dire 14h30,  la caféine est déployée dans mon organisme. Mon foie se met à la processer. En admettant que je n’aie pas repris de café entre temps – ce qui est hautement improbable –  après 4 heures, soit vers 18:30 heures, la moitié de la caféine absorbée est éliminée. Il en reste 19.2 mg en circulation (yep, à cette heure-là, les 4% éliminés par voie urinaire sont déjà loin). Après encore 4 heures, soit  à 22.30 heures, il en reste la moitié de la moitié, soit 9.6 mg. 4 heures plus tard, 2h30, plus que 4.8 mg… Et je me demande pourquoi je n’arrive pas à dormir!

La demi-vie de la caféine dans l’organisme est prolongée chez les femmes enceintes et les personnes ayant un foie malade. Elle est au contraire raccourcie chez les fumeurs. La consommation de café caféiné augmente le temps nécessaire pour trouver le sommeil tout en raccourcissant la durée du sommeil à proprement parler, plus particulièrement chez les sujets plus âgés.

Wikipedia (version en anglais) nous en dit encore un peu plus sur les mécanismes d’actions de la caféine sur le cerveau: le mode d’action principal de la caféine, peut-on y lire, est un antagoniste des récepteurs d’adénosine dans le cerveau (l’adénosine est une molécule qu’on trouve dans tout le corps et qui joue un rôle important dans le métabolisme. Au niveau cérébral, elle joue un rôle très particulier et possède ses récepteurs spécifiques. En gros, quand l’adénosine se fixe sur ses récepteurs, clic: on a envie de dormir). La caféine traverse facilement la barrière hémato-encéphalique (c’est à dire la barrière présente chez tous les vertébrés terrestres, dont nous, et qui sépare la circulation sanguine du système nerveux central). Une fois dans le cerveau, la caféine squatte les récepteurs d’adénosine sans les activer et hop, on se sent moins fatigué. Mais ça ne veut pas dire que les besoins en sommeil diminuent pour autant. On est toujours aussi fatigué, mais on ne le sait pas.

Un peu compliqué tout ça, on va ressortir du cerveau et explorer les effets globaux.

Effets de la caféine prise avec modération

La quantité précise de caféine nécessaire pour produire les effets varie évidement beaucoup d’une personne à l’autre en fonction de la taille, du poids et de la tolérance à la caféine, mais également en fonction de la rapidité de l’estomac, de différences génétiques dans le métabolisme, des autres contenus de l’estomac, et du métabolisme de la caféine à proprement parler.

Une dose orale de 200 mg (c’est à dire deux grands cafés de cafetière) réduit les temps de réaction de manière significative: 4% environ pendant 30 minutes, de 15% environ dans les 30 à 60 minutes et de 18% pendant 60-90 minutes. Les effets disparaissent en général dans les 3 heures (même si, comme on l’a vu, la caféine reste présente dans l’organisme plus longtemps).

Des études ont également conclu à une amélioration des performances physiques (notamment une augmentation de l’endurance de quelque 40-51% chez les coureurs et les cyclistes après un dosage de 9 milligrammes de caféine par kilo de masse corporelle). Le CIO a d’ailleurs classé la caféine comme substance dopante si le seuil de 12 milligrammes par litre d’urine est atteint (ce qui selon mes petites recherches correspond quand même à l’ingestion de 600 mg de caféine 1 à 2 heures avant le contrôle, soit 10-30 espressos. On est tout de même assez loin d’un usage normal.)

Sinon, le citrate de caféine (sel à base d’acide citrique et de caféine) est utilisé dans le traitement à court terme de l’apnée de la prématurité (c’est à dire l’absence de respiration chez les prématurés.)

La caféine est également connue pour potentialiser d’autres substances actives. Il me semble que c’est un peu moins courant ici, mais ailleurs sur la planète, on trouve facilement des analgésiques contre les maux de tête (paracétamol, aspirine) qui incluent de la caféine dans leur formulation. On combine également la caféine avec de l’ergotamine pour le traitement des migraines, avec de l’éphédrine pour stimuler la perte de poids et on s’en sert aussi pour limiter les effets de somnolence de certains antihistaminiques (anti-allergiques) .

Enfin, des études (ici et ) ont montré qu’une consommation accrue de caféine protège le foie, aussi invraisemblable que ça puisse paraître, notamment chez les alcooliques, les personnes souffrant d’obésité ou d’hémochromatose (une maladie héréditaire qui se caractérise par la surcharge de fer dans les organes, principalement le foie). Le mécanisme exact de cette protection est encore inconnu.

Il semblerait que la caféine ait des effets sur la mémoire, mais ce que j’ai trouvé est tellement controversé (selon les études, l’impact sur la mémoire est positif ou négatif), que je préfère ne pas en parler.

Surdoses de caféine

J’allais me lancer dans la rédaction de cette section quand j’ai reçu un coup de fil d’une personne chère, mais qui s’est un peu éternisée. Du coup, pas de section surdose dans mon sujet, désolé 😉 On relèvera juste qu’outre la désaccoutumance pénible qu’on a probablement tous subi une fois ou l’autre, les effets néfastes de la caféine peuvent être extrêmement graves allant de la simple intoxication aux troubles psychiatriques avancés en passant par les troubles du sommeil.

Quelle dose pour quelle boisson?

Ne perdons pas de vue les autres questions initiales? Un grand jus de chaussette contient-il davantage de caféine qu’un ristretto hyper-corsé?

Voyons un peu ce tableau piqué sur Wikipédia (les chiffres ne correspondent pas exactement à ceux que j’avais trouvé dans l’encyclopédie trouvée plus haut et sur lesquels j’avais basé mes différents calculs, mais ce n’est pas grave, c’est juste pour avoir une idée des proportions.

Teneur en caféine de différents aliments et boissons
Produit Portion Caféine par portion (mg) Caféine par litre(mg)
Chocolat noir 1 barre (43 g) 31
Chocolat au lait 1 barre (43 g) 10
Chocolat chaud 207 ml 52 25035
Café moulu 207 ml 80–135 386–652
Café filtre 207 ml 115–175 555–845
Café décaféiné 207 ml 5 24
Café expresso 44–60 ml 100 1691–2254
Thé vert ou Thé noir43 177 ml 30-53 169
Coca-Cola Classic 355 ml 34 96
Red Bull 250 ml 80 320

 

Donc la réponse est oui: il y a plus de caféine dans un long café filtre que dans un petit espresso, même si l’express, plus concentré, contient davantage de caféine par litre.

Les vertus amincissantes du café?

Alors là, sincèrement, aucune idée… L’idée a l’air d’être très en vogue sur les forums, les sites de clubs de fitness et les devantures de certaines pharmacies. Mais de mon côté, je n’ai rien trouvé qui saute aux yeux dans les différentes sources scientifiques que je consulte si ce n’est la potentialisation de l’effet de l’éphédrine. Si cela intéresse quelqu’un, je creuserai volontiers davantage, sinon, en ce qui me concerne, je vais considérer que c’est juste du vent, comme souvent, et que s’il suffisait de s’enduire les bourrelets de caféine pour retrouver sa silhouette, ça fait longtemps que la pratique se serait généralisée.

Tremper deux fois son sachet de thé pour en extraire la caféine, mythe ou réalité?

Les conseils vont bon train un peu partout sur le web, sur les FAQ des marchands de thé et les sites américains de vie en mode d’emploi (par exemple sur ehow.com )

Selon ces différentes sources, il suffirait de faire tremper un sachet de thé dans pendant 1 minute dans de l’eau bouillante. La totalité de la théine du sachet en serait extraite et se retrouverait dans l’infusion. Après une minute, il suffit de jeter l’infusion après en avoir retiré le sachet et de re-tremper ce dernier dans une nouvelle tasse d’eau bouillante. Cette seconde infusion serait vierge de toute caféine.

Au risque de vous décevoir, ce n’est pas exactement à cela que la recherche suggère. En effet, il faut faire tremper le sachet pendant 5 minutes au moins pour en extraire 70% de la caféine. Et la seconde infusion, dont on se demande quelle reste de saveur elle pourra bien avoir, en contiendra tout de même au moins 23%. Donc, bof… Plus mythe que réalité, une fois encore, malheureusement…

Il y aurait certainement eu, comme toujours, encore beaucoup de choses à dire. Je crois avoir répondu à peu près aux questions initiales, ce qui est déjà pas mal. Je mourrai moins bête… J’aurais voulu creuser davantage sur la généralisation du café qui reste pour moi un mystère. Pourquoi la seule boisson disponible pendant les réunions de travail est-elle toujours le café? Et pas le jus de pommes ou le thé? Ça réveille, ça sent bon, c’est addictif. Peut-être que les réponses sont là au fond… Je boucle ce dossier 10 minutes avant l’enregistrement du podcast, aussi je vais en rester là pour cette fois-ci, mais il y a encore quelques papiers sur lesquels je suis tombé qui m’intéressaient bien et que je n’ai pas réussi à traiter. Si vous voulez poursuivre l’enquête, les voici:

[update du 24 septembre 2013: Xavier Durussel nous a déniché un Easter Egg sur la question le site du Pharmachien. Bonne lecture! http://www.lepharmachien.com/cafeine/]

Sources:

  • http://en.wikipedia.org/wiki/Caffeine
  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Caf%C3%A9ine
  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Cafeti%C3%A8re
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Decaffeination
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Health_effects_of_caffeine
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Adenosine
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Green_tea
  • http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9_vert
  • http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_coffee
  • https://www.23andme.com/you/journal/pre_caffeine_consumption/overview/
  • https://www.23andme.com/you/journal/pre_caffeine_metabolism/overview/
  • Caffeine addicts get no real perk
  • Why Plants Make Caffeine
  • http://www.ehow.com/how_4680902_tea-out-regular-caffeinated-tea.html (pas très scientifique, justement)
  • http://www.sciencedirect.com/science?_ob=ArticleURL&_udi=B782R-4B4YJ1Y-8K&_user=10420636&_coverDate=12%2F03%2F2003&_rdoc=1&_fmt=high&_orig=&_origin=&_zone=rslt_list_item&_cdi=15117&_sort=d&_docanchor=&view=c&_ct=1&_acct=C000050221&_version=1&_urlVersion=0&_userid=10420636&md5=f608e432624e1e81fa3495027dedabc9&searchtype=a
  • (tiré de http://www.amazon.com/s/ref=nb_sb_noss?url=search-alias%3Daps&field-keywords=978-0-12-227055-0&x=0&y=0 )
  • http://jap.physiology.org/content/71/6/2292.short (l’étude sur l’endurance des athlètes)
  • http://www.ata-journal.org/articles/ata/pdf/2010/01/ata100001.pdf (article qui m’a permis de faire le lien entre la quantité de caféine dans l’urine et le nombre de tasses de café correspondantes)
  • http://en.wikipedia.org/wiki/Decaffeination#Decaffeinated_tea (sur la décaféination du thé) et http://www.sciencedirect.com/science?_ob=ArticleURL&_udi=B6T6V-46JPB2K-D&_user=10420636&_coverDate=05%2F31%2F1996&_rdoc=1&_fmt=high&_orig=gateway&_origin=gateway&_sort=d&_docanchor=&view=c&_searchStrId=1743269425&_rerunOrigin=scholar.google&_acct=C000050221&_version=1&_urlVersion=0&_userid=10420636&md5=17ec63ac231c12574221a4f444649d9a&searchtype=a pour l’article original

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