Dossier – Histoire évolutive de l’audition chez les vertébrés

Dossier de Marcon dans l’épisode #67.

 

Inspiré de “Un coup de gueule plein les oreilles” de Stephen Jay Gould

Nos oreilles nous permettent d’entendre les sons qui se propagent dans l’air, et cela vaut également pour la plupart des vertébrés terrestres. (Les poissons eux ressentent les vibrations de sons propagés dans l’eau, grâce à leurs organes de la ligne latérale.)

Dans l’histoire des vertébrés terrestres, aucune saga évolutive n’égale celle de l’audition, car elle combine de fascinantes énigmes et leur solution au moyen d’une excellente documentation fossile. Deux transitions majeures, apparemment impossibles, ont notamment pu être élégamment expliquées.

La première s’est produite à la naissance de la vie terrestre et pose l’énigme suivante: “Comment des êtres vivants ont-ils pu passer de la perception de vibrations au moyen d’une ligne latérale courant tout le long du corps, à l’audition de sons au moyen d’oreilles?” En d’autres termes, comment de nouveaux organes peuvent se former sans antécédents apparents?

La deuxième transition est intervenue lors de la dernière innovation majeure dans le plan d’organisation anatomique des vertébrés et pose cette fois-ci l’énigme: “comment des os qui permettent l’articulation de la mâchoire supérieure et inférieure chez les reptiles ont-ils pu migrer dans l’oreille des mammifères pour devenir le malleus et l’incus (le marteau et l’enclume), deux des trois osselets formant la chaîne conduisant les sons du tympan jusqu’à l’oreille interne?” Comment en d’autres termes, des organes peuvent-ils changer de place et de fonction, sans compromettre l’intégrité fonctionnelle de l’animal?

Comment même imaginer des formes intermédiaires? Il est impossible de manger sans articulation de la mâchoire. Les créationnistes se sont même fondés sur cette différence entre reptiles et mammifères pour proclamer que l’évolution était impossible. Mais la pensée conventionnelle étant plus bornée que ne l’est la nature, nous allons voir dans ce dossier comment se solutionne ce genre de problème:

La clé de l’énigme se situe dans le fait qu’un organe peut avoir plusieurs fonctions mais également qu’une fonction peut être remplie par plusieurs organes.

Par exemple certains animaux comme les serpents peuvent entendre grâce à leurs poumons. Et comme nous allons le voir plus tard, si à présent vous avons des oreilles, on le doit à nos ancêtres reptiliens immédiats qui étaient capables d’entendre, ou plus exactement de ressentir les vibrations dans l’air, grâce à leurs mâchoires.

Penchons-nous donc sur la première et dernière étape de l’édification anatomique de l’oreille moyenne des mammifères et qui apporteront les réponses aux deux énigmes citées précédemment.

I.L’origine des os auditifs chez les premiers vertébrés terrestres

L’audition des sons dans un milieu de faible densité comme l’air pose un problème physique majeur: Car dans l’air les ondes sont de faible pression. Or pour que les vibrations soient transmises au sein des liquides emplissant la cochlée (sans rentrer dans les détails, il s’agit d’un organe de l’oreille interne en forme hélicoïdale), il est nécessaire d’avoir des vibrations de pression relativement importantes, comme dans l’eau. Comment alors réaliser cette conversion?

Les vertébrés terrestres recourent à deux grands mécanismes pour réaliser cette conversion.

Tout d’abord ils recueillent les sons grâce à la membrane du tympan.Celle-ci a une superficie relativement grande. Et après avoir traversé l’oreille moyenne, ces ondes sont transmises à l’oreille interne par l’intermédiaire d’une ouverture bien plus petite qu’on appelle “fenêtre ovale”

Deuxièmement, la conduction des vibrations depuis le tympan jusqu’à la fenêtre ovale est effectuée au moyen d’une série d’os,qu’on appelle chez les mammifères, le malleus, l’incus et le stapes (ou marteau, enclume et étrier à cause de leur ressemblance avec ces objets) Ces osselets agissent à la façon de leviers pour augmenter la pression des ondes qui se dirigent vers le système nerveux central.

Oreille moyenne
1. Tympan 2. Marteau-enclume-étrier 3. Trompe d’Eustache 4.Muscle du marteau

 

Les poissons possèdent une oreille interne, mais pas de tympan, ni d’osselets, ni d’oreille moyenne. Ils “entendent” par le biais des organes se trouvant le long leur ligne latérale, qui leurs permettent de détecter les mouvements de l’eau produits par les ondes sonores dans ce milieu de forte densité. On en arrive donc à notre première énigme qui est de savoir comment les osselets de l’oreille moyenne ont pu se former au cours de l’évolution des vertébrés terrestres,et apparemment à partir de rien?

Les premiers vertébrés, les premiers poissons n’avaient pas de mâchoires. Ils formaient un groupe dont le nom scientifique est agnathe, qui veut dire littéralement “sans mâchoire” Les survivants d’aujourd’hui de cette première radiation évolutive sont les lamproies et les myxines.

Lamproie

Chez ce type d’animaux, la bouche est donc dépourvue de toute garniture osseuse, et une série d’ouvertures branchiales figure à l’arrière de celle-ci. Chaque branchie est soutenue par 2 os organisés en une branche inférieure et une branche supérieure, leurs pointes étant dirigées vers l’avant et leur articulation se faisant au milieu (imaginez 2 allumettes formant le signe “<“) Cet arrangement d’os rappelle celui de la mâchoire supérieure et inférieure chez un vertébré typique.

A cause d’un registre fossile relativement pauvre, on ne sait pas avec certitude si les mâchoires et les arcs branchiaux représentent des spécialisations distinctes qui auraient été engendrées par le même système de développement embryologique, ou si les mâchoires se sont formées par la migration vers l’avant de l’arc branchial le plus antérieur, de façon a encadrer la bouche. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les mâchoires et les arcs soutenant les branchies sont des structures homologues. C’est à dire qu’elles sont apparues dans l’évolution à partir de la même origine et représente le même organe sous différentes formes.

Trois preuves soutiennent cette homologie:

1/ L’embryon édifie les cartilages précurseurs des mâchoires et des arcs branchiaux, non pas à partir du mésoderme (source tissulaire de la plupart des os) mais à partir de cellules migratrices provenant de la crête neurale de la tête en cours de développement.

2/ Les deux types de structures sont faites d’une pièce supérieure et d’une pièce inférieure, se recourbant sur l’avant et s’articulant au milieu

3/Les muscles qui ferment les mâchoires sont homologues de ceux qui contractent les fentes branchiales.

Si les mâchoires des vertébrés représentent un arc branchial antérieur, un autre élément crucial du crâne dérive aussi de ces structures de soutien des branchies. En effet la partie supérieure de l’arc branchial suivant dans la série, constitue chez les poissons à mâchoires, l’hyomandibulaire, un os qui joue un rôle de coordination et de soutien, puisqu’il relie les mâchoires à la boîte crânienne.

Jusqu’à présent ces détails anatomiques peuvent sembler éloignés de l’origine des osselets auditifs, mais nous y arrivons…

Les mammifères possèdent trois osselets auditifs dans l’oreille moyenne: le marteau, l’enclume et l’étrier (malleus, incus et stapes)

Or le stapes est l’homologue de l’hyomandibulaire des poissons. En d’autres termes, un os originellement apparu en tant que soutien branchial, a évolué de façon à relier les mâchoires à la boite crânienne, puis a changé à nouveau de fonction, de façon à transmettre les sons, lorsque l’eau a été remplacée par l’air.

Une telle transition parait inconcevable, mais pour comprendre comment elle a pu se produire, il faut oublier le vieux modèle d’évolution appliqué au cas du cheval et de l’homme (marche du progrès): Ces représentations donnent l’impression que l’évolution consiste uniquement au perfectionnement d’une fonction donnée, dont la nature reste inchangée au cours du temps, car elle partent du plus petit et pas très fonctionnel, pour conduire au plus grand, plus complexe et magnifiquement agencé. Autrement dit dans ce genre de modèle, le cerveau reste toujours un cerveau, et les dents restent toujours des dents, mais ces organes deviennent de plus en plus efficace dans leur fonction.

S’il est vrai que l’on peut parfaitement envisager qu’un organe déjà existant se perfectionne de cette façon continue, la question qui se pose est de savoir comment quelque chose d’inédit peut se réaliser. Comment les organismes peuvent-ils s’aventurer dans un milieu véritablement nouveau où va se faire sentir le besoin de fonctions qui n’existaient pas jusque-là?

Pour cela il faut envisager un mécanisme changeant les fonctions de parties déjà existantes. L’évolution ne consiste pas toujours à développer une structure en partant d’un stade rudimentaire. Elle doit souvent se saisir d’une structure fonctionnant parfaitement bien dans l’accomplissement d’une tâche donnée, pour l’affecter à une autre fonction.

Le stapes de l’oreille moyenne a donc suivi une évolution de ce type, en passant du statut d’os robuste de soutien, à celui d’os auditif fin.

L’hyomandibulaire, qui fut une structure soutenant une branchie, a évolué pour devenir une pièce servant à ancrer les mâchoires sur la boîte crânienne. Mais il s’est trouvé qu’il était positionné juste au voisinage de la capsule otique, contenant l’oreille interne. Or la matière osseuse, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec son apparition dans l’évolution, peut relativement bien transmettre des sons.

D’ailleurs bien qu’il ait eu pour fonction première d’attacher, l’hyomandibulaire s’est aussi prêté à d’autres rôles. Chez les raies, l’eau de mer est absorbée par un petit orifice de forme ronde (le spiracle), situé juste en avant des autres fentes branchiales. L’hyomandibulaire aide ici à pomper ce courant d’eau et à le faire pénétrer dans la cavité buccale, et de là, à le faire ressortir par l’ensemble des fentes branchiales. Chez d’autres poissons, les dipneustes, situés dans une branche évolutive plus proche de notre phylogenèse, l’hyomandibulaire peut aider à faire s’emplir d’air les poumons de ces animaux.

Mais revenons au stapes. Les premiers tétrapodes terrestres connus proviennent de l’Est du Groenland où ils ont été trouvé dans des roches âgées de 360 millions d’années. Ce sont ces fossiles à qui l’on a donné les noms d’Ichthyostega et d’Acanthostega.

Ichthyostega
Acanthostega

Chez certains d’entre eux les stapes étaient préservés dans la position qu’ils occupaient durant la vie de l’animal.Ces os étaient chez eux, robustes et épais, et non pas minces comme lorsqu’ils sont essentiellement adaptés à l’audition. Ce stapes originel servait encore comme antérieurement, de pièce d’ancrage, et avait probablement, comme le suggère la chercheuse Jennifer Clack (qui est l’une des chercheuses ayant trouvé des Acanthostega au Groenland) un rôle à jouer dans l’audition étant donné que sa base est étroitement associé à la capsule otique[auditive]. (elle estime également qu’ils devaient avoir une troisième fonction puisqu’ils avaient probablement un rôle à jouer dans la respiration)

Par la suite,comme cela s’est produit indépendamment dans plusieurs lignées de vertébrés terrestres, la mâchoire supérieure s’est fermement soudée à la boîte crânienne. Le stapes/hyomandibulaire n’ayant alors plus d’utilité pour lier la mâchoire au crâne, il a alors pu se perfectionner dans son rôle auditif

II.L’origine des osselets de l’oreille moyenne des mammifères

L’histoire du stapes est déjà assez étonnante, car d’un rôle de soutien des branchies, il est passé à celui de pièce d’ancrage des mâchoires sur la boîte crânienne puis à celui d’un os permettant d’entendre les sons transmis dans l’air.

Mais celle des deux autres osselets de l’oreille moyenne est encore plus curieuse.

Le marteau et l’enclume (malleus et incus), étaient des pièces faisant partie des mâchoires chez les premiers vertébrés. Ils jouaient un rôle dans l’articulation des mâchoires supérieure et inférieure, et c’est toujours leur fonction chez les amphibiens, les reptiles et les oiseaux actuels.

Bien entendu on ne les nomme pas marteau et enclume chez les reptiles,mais os articulaire (homologue du marteau) et os carré (équivalent de l’enclume) . L’os carré est un os de la mâchoire supérieure reptilienne tandis que l’os articulaire est un os de la mâchoire inférieure reptilienne.

Cette transition peut paraitre impossible à première vue, mais elle s’observe parfaitement bien dans les archives fossiles et dans l’embryogenèse des mammifères actuels.

Tout d’abord, l’homologie des os de la mâchoire reptilienne et des osselets de l’oreille des mammifères a été découverte par des anatomistes et embryologistes allemands.

En 1837, Karl Bogislaus Reichert, en étudiant l’embryologie des mammifères écrit:

“Nous avons rarement rencontré de cas, en anatomie animale, où une pièce embryonnaire subit un changement de forme aussi important que celui qui affecte les os de l’oreille des mammifères. On aurait du mal à le croire…Et pourtant, cela se réalise effectivement”

Et s’il parle de “changement de forme” c’est parce que grâce à ses travaux, il a observé que chaque embryon de mammifère retrace, au cours de son développement, les étapes de l’histoire évolutive qui ont conduit des os de la mâchoire à des osselets auditifs. Il constata donc que tous les os de l’oreille proviennent des deux premiers arcs branchiaux. Le marteau et l’enclume dérivent du premier (et donnent les mâchoires des vertébrés) et l’étrier provient du second (qui donne l’hyomandibulaire des poissons) Il a remarqué que la mâchoire inférieure se forme à partir d’un précurseur appelé “cartilage de Meckel” (en l’honneur d’un anatomiste allemand de la génération précédente de Reichert). Le processus d’ossification de la mâchoire se réalise ensuite sur le côté du cartilage de Meckel. Pendant ce temps, la partie postérieure du cartilage, qui forme donc l’extrémité arrière de la mâchoire inférieure chez l’embryon du mammifère, s’ossifie également, puis se détache pour devenir le malleus de l’oreille moyenne.

C’est ce qu’a observé Reichert, et cela a depuis été confirmé des milliers de fois. Difficile de fournir des preuves plus directes que celle-ci!

De plus, si ce processus est tout à fait terminé au moment de la naissance chez les mammifères placentaires, chez les marsupiaux, lorsque le minuscule kangourou ou opossum, pénétre dans la poche de sa mère, ses futurs osselets auditifs sont encore attachés aux mâchoires, et servent encore à l’articuler! Ce n’est que par la suite que ces os vont migrer dans l’oreille, et que la nouvelle articulation des mâchoires se forment.

Cette transition est l’une des mieux établies dans l’évolution des vertébrés, grâce à la combinaison des données de la paléontologie, de la physiologie et de l’embryologie, si bien que ses fondements sont d’une solidité incontestable.

Et l’un des traits les plus importants de cette histoire est la notion de redondance et d’emplois polyvalents. Cette notion de redondance est à la base de l’innovation évolutive, et c’est d’ailleurs le thème central de ce podcast.

Selon les créationnistes, la transition entre les reptiles et les mammifères est impossible car les malheureux intermédiaires n’auraient alors pas d’articulation correcte de leurs mâchoires. Mais la notion de redondance suggère une solution qui parait alors évidente.

On peut donc faire une prédiction théorique au sujet des formes intermédiaires que l’on pourrait s’attendre à trouver dans les archives fossiles: Chez les mammifères actuels, les mâchoires s’articulent par le biais de l’os squamosal (à la mâchoire supérieure) et l’os dentaire (à la mâchoire inférieure). Chez les autres vertébrés, cette articulation se fait grâce à l’os carré (à la mâchoire supérieure) et à l’os articulaire (à la mâchoire inférieure), lesquels sont destinés à devenir l’incus et le malleus de l’oreille mammalienne.

Supposons donc que les ancêtres des mammifères aient possédé une articulation dentaire-squamosal, tout en gardant fonctionnelle l’ancienne articulation carré-articulaire: cela aurait donné des animaux intermédiaires dotés d’une double articulation. Grâce à cette redondance, l’arrangement carré-articulaire aurait alors pu être abandonné pour se spécialiser dans la fonction auditive.

Cette supposition a réellement été avancée par les paléontologistes, à un moment où aucun fossile d’intermédiaire entre les reptiles et les mammifères n’avait été retrouvé.

Les formes intermédiaires dans les archives fossiles sont relativement rares, et cela pour des raisons que j’avais déjà expliqué lors du dossier sur les arguments avancés habituellement par les créationnistes (le processus de fossilisation est un événement rare, et par définition une espèce intermédiaire ne persiste pas longtemps à l’échelle géologique). Mais concernant la transition entre les reptiles et les mammifères, les strates géologiques apportent des données assez abondantes, si bien que la prédiction théorique des paléontologues a pu être testée, et elle a été vérifié: Chez le groupe des therapsides cynodontes, on retrouve par exemple, une tendance à la réduction et au relâchement de l’os articulaire et de l’os carré, mais également dans le même temps, on observe que le dentaire de la mâchoire inférieure grossit et s’étend vers l’arrière pour entrer en contact avec la mâchoire supérieure. (Chez les mammifères le dentaire représente la totalité de la mâchoire inférieure. Chez les reptiles, la mâchoire inférieure comprend plusieurs éléments post-dentaires, qui ont tous été réduits, puis supprimés ou dispersés chez les mammifères)

De nombreux cynodontes ont édifié une seconde articulation entre le squamosal et un élément post-dentaire appelé le supra-angulaire: Cette articulation ne correspond pas à celle du squamosal et du dentaire des mammifères, mais elle montre que, bien que les créationnistes pensent le contraire,il est apparu de multiples sortes d’intermédiaires (et donc, s’il était encore besoin de le rappeler, que l’évolution ne se fait pas de façon linéaire)

En fait, ce sont seulement deux ou trois genres de cynodontes qui présentent une évolution vers une articulation mammalienne, et l’un d’eux porte le nom de Diarthrognathus, dont le nom est tout à fait clair, puisqu’il signifie “mâchoire à double articulation”.

De plus, chez les plus anciens mammifères, le malleus et l’incus ne sont pas encore complétement indépendants, puisqu’ils sont encore fixés aux mâchoires et continuent à participer à l’articulation, comme c’est le cas chez Morganucodon et Megazostrodon, deux des plus anciens mammifères connus (qui ont le look d’une musaraigne) . Tellement anciens, que les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur la classification. Certains les considérent comme des reptiles mammaliformes car l’oreille moyenne ne comprend qu’un seul osselet (l’étrier), d’autres les considérent comme des mammifères car ils allaitaient leurs petits. Et si les Cynodontes sont des intermédiaires entre reptiles et mammifères, Megazostrodon est l’intermédiaire entre Cynodontes et mammifères…

Morganucodon
Megazostrodon

Ces animaux vivaient à la fin du Trias (Le Trias s’étend d’environ -250 millions d’années à -200 millions d’années) et c’est seulement à la fin du Jurassique (Le Jurassique s’étend de -200 à environ -145 millions d’années) qu’apparaissent les premiers mammifères avec une oreille typiquement mammalienne.

L’embryologie et la paléontologie apportent donc des données permettant de comprendre le “comment”. Mais il est intéressant également de saisir pourquoi une telle transition a eu lieu. D’autant plus qu’une oreille munie d’un seul osselet, le stapes, paraît bien fonctionner (comme chez les oiseaux)

C’est une question complexe, il est donc difficile d’apporter une réponse qui soit complète, mais un indice mérite qu’on s’y intéresse et illustre encore le principe de redondance:

Les pélycosaures, sorte de gros lézards avec une voile sur le dos et souvent considérés à tort comme des dinosaures, qu’ils ne sont pas (on les retrouve d’ailleurs souvent dans les jeux de dinosaures en plastique), sont nos ancêtres lointains, prédécesseurs des reptiles thérapsides qui ont conduit aux mammifères.

Le stapes des pélycosaures se trouve en contact étroit avec l’os carré de la mâchoire supérieure (précurseur de l’incus, donc).

Ce rapport se maintient voire s’intensifie quelquefois chez les thérapsides ultérieurs. Cela suggère fortement que le carré des ancêtres des mammifères, bien que participant en premier lieu à l’articulation des mâchoires, jouait déjà un rôle subsidiaire dans la transmission des sons.

Malheureusement on ne peut pas réaliser d’expériences sur des animaux éteints et on ne dispose pas de preuve directe que le carré participait à l’audition chez les ancêtres des mammifères. Par contre on sait avec certitude que le carré des reptiles peut transmettre des sons tout en servant à l’articulation des mâchoires, car c’est le cas chez plusieurs reptiles actuels (bien évidemment ces reptiles ne sont pas les ancêtres directs des mammifères, mais ils montrent la possibilité physique de transmission des sons par l’os carré et la réalité de cette redondance)

Les serpents par exemple, n’ont ni oreille externe, ni tympan, si bien que de façon un peu anthropocentrique, on a longtemps cru qu’ils étaient sourds. En réalité, la majeure partie de leur corps est sensible aux vibrations sonores, et celles-ci semblent être transmises à l’oreille interne par l’intermédiaire de leurs poumons (de grandes dimensions) mais également grâce à leur mâchoire inférieure en passant par le carré, puis le stapes.

D’autres expériences directes sur plusieurs espèces de lézards avaient également montré que les sons étaient transmis au cerveau par cette voie.

Nous arrivons donc à la fin de ce dossier qui a permis de montrer un autre des principes fondamentales de l’évolution, qui est l’exploitation des redondances. Les organismes ne sont pas parfaits: leurs organes peuvent remplir différentes fonctions, elles-même pouvant être remplies par différents organes. Et c’est un point très important à comprendre car c’est parce qu’il en est ainsi que l’évolution est possible chez les organismes pluricellulaires!

 

Source:

Comme Les huits doigts de la main – Stephen Jay Gould

 

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