Histoire et défis du nucléaire civil

Dossier présenté par Y dans l’épisode #99.

LogoCe dossier retrace les découvertes qui ont permis l’exploitation de l’énergie nucléaire sous forme de réacteurs à des fins civiles, tente de faire un état des lieux de la filière électronucléaire et esquisse quelques futurs possibles.

Un peu de théorie

Fission nucléaire

La fission nucléaire consiste à casser un noyau d’élément “lourd” en deux noyaux instables pour en récupérer l’énergie d’après la fameuse équation d’Einstein: E=mc2. En effet, la fission s’accompagne d’une perte de masse et l’énergie équivalente est essentiellement transmise sous forme d’énergie cinétique (200 MeV) ainsi que 2 MeV par l’éjection de 2 ou 3 neutrons.

Le réacteur récupère cette énergie sous forme de chaleur, par le mouvement des noyaux au reste du combustible et à la structure. Elle est ensuite transmise à un caloporteur: eau légère ou lourd, sous pression ou bouillante, sodium, gaz… qui circule dans le circuit primaire (320 °C et 155 bars pour l’eau sous pression) puis échangée au circuit secondaire qui entraîne turbine et alternateur afin de produire de l’électricité. Pour le modèle le plus répandu d’eau légère sous pression, le rendement global atteint est d’environ 33%.

L’Uranium n’est pas un choix, il s’agit du seul élément fissile disponible à l’état naturel mais uniquement pour son isotope 235. D’ailleurs sa fission peut être spontanée mais à un taux très faible.

Les neutrons produits par la fission se diffusent dans le coeur du réacteur pour entretenir la réaction en chaîne, ou être capturés par des atomes du milieu pour former des isotopes radioactifs. Les plus dangereux sont les transuraniens, instables, dont le cycle de vie se déroule suivante plusieurs chaînes de désintégration. Le Plutonium en fait partie.

La radioactivité

Logo ISO Radiation (source Wikipedia)Un dernier point de théorie sous forme de rappel de l’émission 32 concernant la radiation.

Découverte en 1896 par Henri Becquerel, confirmée par Pierre et Marie Curie en travaillant sur l’Uranium et le Radium, la radioactivité regroupe plusieurs types de radiations:

  • alpha: noyau d’hélium ou hélion, stoppée par une simple feuille de papier
  • béta: béta moins (électron énergétique fortement ionisant) ou plus (positron), interceptée par une feuille d’alunium
  • gamma: rayonnement électromagnétique à fréquence élevée et donc très énergétique et inionisant, simplement atténué par des épaisseurs importantes de plomb ou de béton

De nombreux radionucléides se cachent derrière les isotopes des éléments de la table période: soient à l’état naturel, soient générés comme produits de fission dans un réacteur… Leur radioactivité se caractérise par leur période de décroissante radioactive (ou demi-vie) qui réprésente le temps moyen de désintégration de la moitié des radioéléments présents dans un échantillon.

Plusieurs unités de mesures sont utilisées en fonction des effets que l’on veut mettre en évidence:

  • le becquerel comme unité d’activité radiative, nombre de désintégrations par seconde
  • le Gray comme unité de dose absorbée, équivalent à joule par kilogramme
  • le Sivert comme unité de dose efficace d’après l’effet biologique des radiations sur les organes et les tissus

Pour la petite anecdote, la radioactivité étant utilisée en médecine pour la première fois (en imagerie), dans les années 1930, on vendait l’eau naturellement radioactive et même des fontaines à eau au Radium pour s’assurer une bonne santé. La commercialisation de produits contenant du radium a été interdite en France en 1937 hors utilisation médicale.

Les premiers pas

Aux Etats-Unis

1942 – Première fission contrôlée par le physicien Enrico Fermi à l’université de Chicago.

1944 – Dans le contexte du projet Manhattan Alvin Weinberg propose un dispositif à eau sous pression pour produire de l’électricité.

1949 – l’amiral Hyman Rickover se voit présenter plusieurs projets de réacteurs à fission nucléaire. Le choix fait à l’époque est guidé par des impératifs militaires: les techniques nécessaires doivent être suffisamment maîtrisées voire rudimentaires pour une mise en oeuvre rapide, le réacteur doit être compact pour son installation dans un sous-marin, et surtout produire un maximum de plutonium pour les bombes atomiques. Finalement rien de civil dans le choix du réacteur à eau sous pression.

1954 – premier réacteur connecté au réseau électrique: Obninsk URSS, 5 MWh

1957 – premier réacteur civil Shippingport de 60 MW à Pittsburgh

1960 – montée en puissance rapide aux Etats-Unis: Dresden 600 MW, et une unité de 1100 MW en construction dès 1966.

Après une dizaine d’années de production d’énergie, le déploiement industriel du réacteur était en marche, seuls quelques physiciens continuaient la recherche et le développement d’alternatives avec d’autres objectifs: plus stable, moins de déchets à vie longue, en un mot: moins dangereux.

Le cas Français

Dès 1971, un coup d’accélérateur est donné par le gouvernement qui décide la construction de réacteurs au rythme de 3 par an afin de rendre le pays moins dépendant du pétrôle. Son prix flambe: +12% le 14 février 1973, puis double le 16 octobre et double encore le 22 octobre 1973. En mars 1974, Pierre Messmer annonce la construction de 13 centrales de 1000 MW en deux ans.

La France a la première industrialisé le processus au point de construire des réacteurs en série – une sorte de coup de poker qui assure une rentabilité sans égale ainsi qu’une gestion du risque optimale – à condition que la série ne souffre pas de tares de conception. À contrario, il n’y a pas deux réacteurs identiques aux États-Unis.

En 2006, la production française a atteint un maximum avec 450 TWh annuel.

Les réacteurs en service

Une centrale regroupe plusieurs réacteurs afin de mutualiser les infrastructures et le personnel: accès à l’eau, approvisionnement en combustible, piscine de refroidissement.

Une tranche est composée de plusieurs bâtiments: bâtiment réacteur, salle des machines pour la production d’électricité, bâtiment pour le combustible et la tour appelée aéroréfrigérant.

Quelque soit les techniques mises en oeuvre, le refroidissement est un aspect essentiel car il s’agit d’éviter la fusion du coeur. Cette condition impose l’installation des centrales à proximité de cours d’eau au débit suffisant et dont la température de l’eau est assez froide. L’eau de mer est évitée à cause de la corrosion. L’installation est donc soumises aux risques de gel et d’innondation.

  • REP Réacteur à eau pressurisée: Etats-Unis, France
  • REB Réacteur à eau bouillante: Japon
  • CANDU Réacteur canadien à eau lourde pressurisée et uranium naturel, non enrichi: Canada, Corée du Sud et divers unités
  • RBMK Réacteur de grande puissance à tubes de force, soviétique, maximum 1500 MW: Tchernobyl, encore 11 en activité en 2010 et 1 en construction à Koursk
Schéma de principe d’un réacteur à eau pressurisée (source Wikipedia)

La sûreté

Dans le domaine de l’industrie électronucléaire, les objectifs de la sûreté sont de garantir au maximum:

  • que le réacteur reste dans son domaine de fonctionnement normal
  • qu’une sortie de ce domaine n’ait pas de conséquences inacceptables
  • assurer la protection environnementale du personnel et de la population
  • empêcher la dissémination de la radioactivité dans la nature

Les moyens mis en oeuvre interviennent à tous les niveaux: depuis la conception, la validation des constructions, l’usage de défenses redondantes face à un risque… Par exemple, le risque de dissémination suite à une fusion du coeur (à 2’300 °C) est limitée au maximum par l’empilement de plusieurs barrières de protection: la gaine qui entoure le combustible, la cuve du réacteur, l’enceinte en béton, le soclon en béton pour la récupération du magma. Des mesures opérationnelles et organisationnelles complètent les éléments matériels.

Pour évaluer un risque, des scénarios complexes d’incidents, combinant défaut matériel et erreurs humaines sont échaffaudés sous forme d’études probabilistiques de sûreté. Après expérimentation, ces études permettent de quantifier la marge de sécurité par rapport à la probabilité d’apparition d’une ou plusieurs défaillances. Ces évaluations mettent en évidence que l’erreur humaine aggrave le bilan de la défaillance initiale.

Depuis 1956, l’AIEA assure une coopération internationale entre les différentes agences nationales responsables de la sûreté de leur parc nucléaire afin de mutualiser l’expérience acquise.

En France, l’autorité de sûreté nucléaire réalise des contrôles de routine sur site ainsi que des visites décennales (10 ans) pour évaluer l’état du réacteur selon le principe annoncé: le risque pris à la conception ne doit pas augmenter avec le vieillissement de l’installation. Le réacteur est à l’arrêt plusieurs mois et des échantillons-témoins du métal de la cuve sont testés. Autre principe de sûreté: toujours comparer les résultats de mesure avec les prédictions obtenues par simulation.

Les accidents

Malgré toutes les mesures prises, des événements non souhaités surviennent dans l’exploitation d’une centrale avec une grande variété de conséquences. Pour les qualifier, une échelle internationale des événements nucléaires INES a été définie en 1990.

Échelle internationale des événements nucléaires (Source Wikipedia)

Entre les accidents médiatisés et les incidents les plus discrets, on nommera notamment la première fusion de coeur à Three Miles Island en 1979 (niveau 5), la catastrophe de Tchernobyl, les fusions de réacteurs de Fukushima Daiishi (niveau 7), et par exemple les nombreuses alertes à Fessenheim: plus de 40 de niveau 1 entre 2004 et 2010.

Tchernobyl: état des lieux

Le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale Lénine surchauffe à 100 fois sa puissance normale. Une première explosion de vapeur soulève son couvercle en béton de 1200 tonnes à 15 m de haut. L’hydrogène contenu dans le coeur explose à son tour. Le bâtiment est soufflé et l’incendie rejette les radioéléments dans l’atmosphère jusqu’à 1,2 km d’altitude. Les rejets cessent le 6 mai.

Aujourd’hui 26 ans après la catastrophe, le nouveau sarcophage en poutrelles métalliques à 1,5 milliard d’euros est en cours d’assemblage pour recouvrir l’actuel complètement fissuré. Emballage final prévu en 2015, garantie: un siècle.

Des projets de démantèlement sont bien dans les cartons mais la complexité de la tâche et la toxicité du site nécessitent des moyens et des outils hors norme.

Fukushima: l’improbable se produit

Le 11 mars 2011, le Japon subit le plus violent séisme connu à ce jour, les réacteurs 1, 2, 3 de la centrale de Fukushima Daiichi sont stoppés automatiquement et les pompes de refroidissement continuent d’être alimentées par les génératrices Diesel de secours qui seront emportées par le Tsunami 30 minutes plus tard.

Le lendemain, une explosion souffle le bâtiment du réacteur numéro 1 suite à une accumulation d’hydrogène: le coeur a fondu et un nuage radioactif se répand. Les jours suivants, les réacteurs 2 et 3 fondent à leur tour, le bâtiment 4 explose. Preuve que même à l’arrêt, un réacteur reste dangereux: le refroidissement doit être maintenu, bien que les besoins d’extraction de chaleur soient moindres.

En juin 2011, la décontamination de l’eau utilisée pour le refroidissement d’urgence commence. En octobre 2011, une enceinte est construite autour du réacteur numéro 1 pour limiter les rejets. Le 16 décembre 2011, l’état d’arrêt à froid est déclaré: 37 °C pour le réacteur 1 et 69 °C pour les 2 et 3.

De larges régions du Japon sont maintenant contaminées par des niveaux de radiation inquiétants, essentiellement du césium 134, de période de 2ans, et 137, de période de 30 ans, que l’on retrouve dans toute la chaîne alimentaire. Il est à noter que 80% de la radioactivité rejetée s’est dispersée dans l’océan.

Petite annecdote: le robot d’intervention en milieu irradiant disponible et proposée par la France progresse lentement et l’équipement de son bras doit être adapté à chaque tâche: conclusion, on préfère encore faire intervenir des hommes même au péril de leur vie. La catastrophe aura mis en évidence la difficulté de réagir face à l’inconnu et d’imaginer des solutions et des procédures dans de telles conditions.

Le chantier de décontamination et de démantèlement commence dans la foulée, 3’000 ouvriers travaillent dans des conditions hostiles. Il faut encore:

  • édifier un sarcophage
  • maintenir le refroidissement, des systèmes de secours ont été ajoutées
  • confiner l’eau radioactive accumulée dans les souterrains
  • injecter de l’azote en continu pour prévenir l’explosion de poches d’hydrogène
  • consolider les piscines pour éviter leur rupture à l’occasion d’un prochain séisme
  • surveiller le magma du combustible
  • extraire les dizaines de tonnes de combustible dégradé des trois réacteurs

Rendez-vous dans 25 ans pour faire le point.

De multiples inconvénients

Des déchets encombrants

En France, 20’000 m3 de déchets radioactifs sont produits annuellement, toutes activités confondues et notamment médicales: à 90%, des outils et vêtements diverses, principalement contaminés par le Césium 137 dont la période est de 30 ans. Ces déchets sont actuellement vitrifiés ou coulés dans du béton pour un stockage en surface pour au moins 300 ans dont une surveillance plus particulière les 10 premières années. L’essentiel étant de s’assurer de la non contamination de l’eau de ruissellement. En 2030, ces stockages devraient représentés 2,7 millions de m3.

Concernant les déchets à vie longue, ils attendent leur destin en refroidissant en piscines depuis la fin des largages en mer en 1969. Plus de 5’000 tonnes de déchets finaux hautement radioactifs sont stockées à La Hague.

En 1991, la France confie à l’ANDRA, établissement public indépendant, la mission de trouver le site de stockage des éléments radioactifs à vie longue, pour au moins 200’000 ans: le choix se porte sur une couche d’argile imperméable, homogène et paisible, à 500 mètres de profondeur sous la commune de Bure dans la Meuse. Un laboratoire souterrain a été creusé pour valider les calculs et estimer la facture: le coût de 36 milliards d’euro est maintenant articulé.

Les travaux scientifiques réalisés sont jugés excellents par les organismes de contrôle: 70 laboratoires ont participé aux recherches… mais EDF balaye tout cela en voulant creuser plus vite, plus fort avec des tunneliers et surtout moins cher. En effet, le principe de pollueur/payeur pointe du doigt EDF, Areva et le CEA qui accumulent les déchets depuis bientôt 60 ans.

En 2010, les Etats-Unis ont remis en cause le choix du site argileux profond, qui semblait faire l’unanimité jusque là: le doute s’installe.

Démantèlement: un mécano dangereux

Le démantèlement est lui aussi qualifié par une classification de l’AIEA:

  • niveau 1 “fermeture sous surveillance”: le combustible est retiré, 99% de la radioactivité est donc évacuée du site, l’accès est très restreint
  • niveau 2 “libération partielle ou conditionnelle”: seules des restrictions d’accès aux zones irradiées sont mises en place, en effet des poussières peuvent persister dans la cuve et dans le bâtiment réacteur
  • niveau 3 “libération totale et inconditionnelle”: tout équipement radioactif a été démonté et évacué

Au niveau 3, le site devient un bâtiment industriel ne présentant plus de risque. Ce niveau sera probablement atteint en France en 2025 pour le tranche Chinon A1 contruite en 1963 et stoppée en 1973 – par ailleurs devenue Musée de l’Atome.

L’essentiel des déchets à traîter lors du démantèlement est le métal de la cuve dont l’alliage contient du Cobalt. Lors de l’exploitation, l’isotope Cobalt 60 est produit par capture de neutrons et est très radioactif avec une période de désintégration de 5 ans. Son niveau de radiation retourne à un niveau acceptable après environ 50 ans. La cuve représente tout de même des dizaines de milliers de tonnes, à comparer aux 3’000 tonnes de la tour Eiffel…

Finalement l’expérience d’un démantèlement d’un réacteur de deuxième génération ayant atteint sa durée de vie maximum ainsi que les outils manquent encore: pour ne pas exposer le personnel à un risque inconsidéré, la conception de robots spécialisés est envisagée.

Le coût du nucléaire

Dans le domaine, la transparence n’est pas de mise: aucune estimation du coût du kilowattheure n’existe et même EDF refuse de communiquer sur le sujet. Mais EDF revend à ses concurrents 0,042 euros le kilowattheure, à 80% d’origine nucléaire. Sur ce montant, 5% sert au provisionnement du démantèlement et 15% pour le retraitement et le stockage des déchets, les 80% restant représentant la valeur du combustible et les charges d’exploitation. On notera que les coûts de recherche et développement civils et militaires souvent sur fonds publics sont implicitement acquis.

Concernant les déchets, la solution retenue d’un stockage réversible assurant une inspection régulière et un possible retrait des fûts est coûteuse et n’est pas encore intégrée dans le prix de vente actuel… tout comme le démantèlement dont l’estimation de 15% du coût de construction utilisée aux Etats-Unis a été revue par le Royaume-Uni. Pour ce pays, le stockage et le démantèlement évalués à 85 milliards d’euros en 2008 est passé à 103 milliards d’euros en 2012.

  • Estimation du démantèlement de Zion aux Etats-Unis: 1 milliards d’euros
  • Démantèlement de la centrale de Brennilis en cours en France: 480 millions d’euros déjà dépensés

Mais Fukushima a aussi mis en évidence les insuffisances des mesures de sécurité: niveau à satisfaire, rapport entre coût des mesures et risque couvert. Une estimation d’un accident nucléaire en dizaine de milliards d’euros est parfois lancée mais les assureurs sont-ils en mesure de l’estimer plus justement que l’opérateur ? Finalement, les mises à niveau des mesures de sûreté pour les centrales existantes peuvent induire un coût difficilement prévisible.

Bien sûr, la durée d’exploitation impacte énormément le coût réel du kilowattheure: les électriciens espèrent pouvoir exploiter les réacteurs de deuxième génération jusqu’à 60 ans… mais seuls 24 centrales sur 389 ont passé la barre des 40 ans, le retour d’expérience sur les risques induits et les coûts d’entretien est donc encore trop faible.

Des choix difficiles

Voici divers points ou risques qui montrent que rien n’est parfait en ce monde:

  • Le zirconium est utilisé en alliage comme gaine pour les pastilles de combustible, il supporte très bien la corrosion sans intercepter les neutrons: un choix contestable mais jamais remis en cause. Il assure un bon rendement en condition normal mais empire une situation critique de refroidissement du coeur abaissant la température de fusion des barres de combustible et augmentant la production d’hydrogène par thermolyse de l’eau…
  • Le niveau de protection des piscines où sont entreposées les combustibles irradiés semble insuffisant pour leur dangerosité: simples hangars ou alors dans le bâtiment réacteur comme à Fukushima. Comme prévu par des estimations, leur sécurisation doit intervenir dans la semaine en cas d’incident.
  • Depuis Fukushima, les autorités de sûreté s’intéresse au cumul simultanné des risques naturels comme un séisme et une innondation. En France, Fessenheim et Tricastin en sont deux exemples.
  • Le risque de prolifération inquiète: usage militaire ou bombes sales. Mais les compétences, le matériel et les installations ne passent pas inaperçues.
  • Les installations ou les moyens de transport peuvent être la cible d’attaque terroriste

Et l’avenir ?

Malgré tous les problèmes cités, le nucléaire semble incontournable aujourd’hui pour assurer le niveau de consommation d’énergie électrique en croissance constante dans le monde. En ayant l’avantage de rejeter peu de CO2, la filière doit maintenant assurer la sûreté pour convaincre le grand public et trouver une solution pérenne au traitement des déchets.

Quelques chiffres de décembre 2011:

  • 433 réacteurs en service dans le monde,
  • 62 en construction en Chine, en Inde, en Russie et en Corée du Sud,
  • 499 en projets dans ces mêmes pays mais aussi aux Etats-Unis (34), en Grande-Bretagne (13), en Arabie Saoudite (16), en Italie (10), en Turquie (8) et dans plusieurs les pays d’Asie du Sud-Est

En 2009, le nucléaire représentait 13.5% de la production d’électricité mondiale et 34% pour l’Europe. Source: EDF Panorama de l’électricité.

Le réacteur EPR

Projet franco-allemand lancé en 1993, le European Nuclear Reactor conçu par Framatone ANP (maintenant Areva NP, en partenariat avec Siemens) est prêt dès 2001 pour la construction du prototype… Il faudra attendre près de 10 ans pour qu’intervienne la décision politique, assurant le bon timing par rapport au renouvellement du parc EDF.

D’une puissance de 1650 MW, c’est une version optimisée de la génération précédente (N4 Civaux et Siemens Konvoi), il produit 10% moins cher pour une durée de vie prévue de 60 ans, il produira moins de déchets et la redondance des équipements assurera une disponibilité de 92%.

L’essentiel de la sécurité du coeur est assuré par les quatre trains d’intervention conçus pour éviter la fusion du coeur, la double enveloppe et la cuve de récupération s’il devait y avoir fusion du coeur. 80% des équipements représentent des éléments redondants ou uniquement prévus en cas d’accidents – jusqu’à 4 pour la même fonction mais reposant sur des principes physiques et des sources d’énergie différentes: refroidir à l’eau, stopper les neutrons par du graphite, neutraliser avec du bore, électricité ou gravité.

Combustible: uranium enrichi à 5% ou MOX à 100%, Rendement: 36%

La construction du premier EPR en Finlande a été poussée par les industriels papetiers essentiellement, signée en 2003 et débutée en 2005. Le coût initial de 3 milliards d’euros a déjà doublé et aucune date de mise en service n’est vraiment articulée.

Le constat est accablant: après plus de 15 ans de pose, les industries européennes redécouvrent ce qu’est la construction de qualité nucléaire et les contraintes si particulières qu’imposent les autorités de sûreté nationales.

Depuis 2009, deux réacteurs EPR sont en construction en Chine et la mise en service pourrait intervenir dès 2014, le calendrier du chantier ayant été respecté jusqu’ici.

Rareté de l’uranium

Le minerai d’uranium (pechblende) est concentré à raison 3 grammes en moyenne par tonne de minerai dont 0.73% sous forme de l’isotope fissile 235. Les principaux gisements se situent en Australie, au Canada, en Russie, au Kazakhstan, au Niger et en Namibie mais la moitié des mines exploitées ont été mise en oeuvre avec 1980 et la teneur en uranium est de plus en plus faible pour un coût énergétique d’extraction croissant.

La production annuelle est actuellement de 54’000 tonnes, mais les projections sur les besoins croissants annoncent la consommation totale des 2,5 millions de tonnes de ressources connues en 2035.

Les réacteurs à neutrons rapides, de 4e génération, seraient une option pour poursuivre la production – car ils assurent un recyclage multiple des éléments et peuvent consommer le plutonium produit dans les réacteurs actuels. Par contre, il ne faudrait pas tarder à les mettre en service car il nécessite un minimum d’uranium pour initier la réaction.

La surgénération

Le principe de la surgénération est d’exploiter des isotopes fertils qui interceptent les neutrons produits pour devenir alors eux-mêmes des éléments fissibles et participer à la production de chaleur et à l’émission de nouveaux neutrons pour maintenir la réaction en chaîne. L’Uranium 238 en fait partie et devient alors Plutonium 239. Le combustible principal d’un surgénérateur est le Plutonium, son nom venant du fait que le bilan global produit plus de Plutonium qu’il n’en consomme, la production d’électricité devenant moins dépendante du prix de l’Uranium.

Il présente l’avantage de consommer les actinides mineurs, produits de fission génant de l’Uranium et du Plutonium. Au final, les déchets produits sont des éléments plus légers et moins dangereux en terme de radioactivité.

Superphenix est un réacteur prototype lancé en 1974 par Jacques Chirac alors premier ministre du président Valéry Giscard d’Estaing. En 1984, le chantier de Creys-Malville est fini, et la mise en service a lieu en 1985, le réacteur est connecté au réseau en 1986.

Après plusieurs fuites de sodium en 1987 et en 1990, il est mis à l’arrêt. Les tentatives de redémarrage seront contrées par une bataille juridique entre 1994 et 1997. Lionel Jospin, alors premier ministre du président Jacques Chirac, annonce l’abandon de la filière.

Ce prototype avait un rendement de 41 %, avec une production électrique de 1250 MW pour une réaction à 3000 MW thermique.

Coût de construction: 6,2 milliards d’euros, 53 mois de fonctionnement, démantèlement estimé à 2,5 milliards d’euros.

Dans le cadre des évaluations des technologies de 4e génération, un nouveau prototype sur la même technologie est en cours: ASTRID.

L’option sortie du nucléaire

Pendant près de 10 ans, aucune construction de nouvelle centrale en Europe ne se profilait jusqu’à l’appel d’offre de la Finlande en 2002: les coûts et la durée d’investissement semblaient rédhibitoires. En France, suite aux prolongations d’exploitation accordées pour les plus vieilles centrales, EDF attendait le bon moment pour lancer de nouvelles constructions.

Dans le reste du monde, les besoins énergétiques sont tels que les centrales en fin de vie doivent être remplacées aux Etats-Unis notamment, alors que la Chine construit des réacteurs tout azimut. Dès 2015, la France pourrait même avoir des difficultés à assurer son niveau de consommation en chauffage électrique en hiver, notamment par suite des arrêts des réacteurs allemands…

L’exemple de l’Allemagne est atypique: ce sont les électriciens exploitants qui ont négocié la sortie avec le gouvernement. L’opinion publique défavorable, l’absence de développement futur et l’hétérogénéité du parc peuvent expliquer ce choix, la rentabilité économique était loin d’être acquise.

L’exemple de la Suède est édifiant: le peuple vote la sortie progressive du nucléaire en 1980 et depuis, seul deux réacteurs sur 12 (à Barsebäck) ont effectivement été arrêtés. En 2001, l’arrêt du second a été repoussée jusqu’en 2005. Finalement en 2009, le gouvernement lève le moratoire sur la construction, mais uniquement dans le but de remplacer les anciens réacteurs en fin de vie.

De son côté, le Japon a subi une marche forcée hors du nucléaire depuis Fukushima: les réacteurs arrêtés régulièrement pour maintenance n’ont pas obtenu l’autorisation de redémarrer. En février 2012, seuls deux restaient en fonctionnement. Mais une annonce récente laisse penser que les coûts d’important d’électricité ou de combustible fossile pour les centrales thermiques deviennent difficiles à supporter.

De nombreux mouvements militants font pression sur les gouvernements pour stopper l’usage de l’énergie nucléaire et toute manipulation de la radioactivité (combustibles, déchets) qui représente un risque pour la santé publique. Les moyens proposés sont de favoriser les économies d’énergie, de développer les énergies renouvelables et provisoirement compenser avec des énergies fossiles comme le gaz en cogénération.

Vers la quatrième génération

Derrière l’EPR, une nouvelle génération s’annonce suite à l’initiative Forum Generation IV lancée par les Etats-Unis: régénérateur, surgénérateur, caloporteur au sodium liquide ou au gaz… les pistes sont nombreuses, plusieurs favoris se dessinent.

Les objectifs principaux sont:

  • porter le rendement global vers 50%,
  • être en mesure de consommer les déchets existants,
  • assurer un niveau de sûreté irréprochable.

Voici en exemple, le réacteur exploitant le cycle du Thorium, le principe de ce type de réacteur repose sur un combustible à l’état liquide à base de sels fondus contenant des noyaux de Thorium qui joue aussi le rôle de caloporteur.

C’est le concept le plus sûr proposé actuellement:

  • l’emballement est simplement impossible: la quantité de combustible est régulée en temps réel, la dilatation du liquide diminue la réaction en chaîne
  • le circuit fonctionne à pression ambiante, une brèche a donc moins d’impact sur l’enceinte
  • en cas de panne électrique, un bouchon de glace fond et provoque la vidange dans des réservoirs assurant l’évacuation de la chaleur

En plus, il présente des avantages indéniables:

  • en juin 1965 le deuxième protype MSRE d’Oak Ridge fonctionnent 13’000 heures en ne rencontrant que quelques incidents mineurs
  • la disponibilité et le rendement sont bien meilleurs car les produits de fission peuvent être éliminés en continu du combustible liquide
  • le Thorium est plus abondant et mieux réparti sur la planète
  • la quantité de déchets à vie longue est 100’000 fois moindre
  • il peut consommer la majorité des déchets de la filière Uranium
  • un usage militaire est beaucoup plus complexe et les manipulations nécessaires sont dangereuses
Schéma de principe du réacteur à sels fondus MSRE testé à Oak Ridge (source Wikipedia)

Évidemment il reste des problèmes à résoudre: technique d’abord car l’alliage métallique dont serait constituée la cuve n’a pas fait toutes ses preuves, il devra résister à la corrosion et à l’irradiation pendant près de 60 ans, industriel ensuite car l’usine de traitement chimique en continu du combustible liquide doit encore être simplifiée pour une exploitation industrielle, et budgétaire enfin car il faudra trouver le financement pour la recherche et développement.

En comparaison, les milliers d’années d’expérience cumulée sur les réacteurs à eau pressurisée et la rentabilité immédiate semblent bien plus rassurantes qu’un prometteur prototype issu d’un laboratoire il y a plusieurs décennies.

Conclusion

L’industrie électronucléaire est un ensemble international complexe, la technologie atteint son niveau de maturité mais l’inertie et la résistance au changement est importante. Malheureusement tout l’argent investi dans la recherche nucléaire n’est orienté que vers la maîtrise du risque des réacteurs déployés. Des milliards d’euros sont levés pour un prototype de réacteur à fusion dont on nous annonce la maturité dans 50 ans… depuis plus de 30 ans ! Quasiment aucun investissement n’est orienté vers un réacteur à fusion assurant la meilleure sûreté et dont la mise en service pourrait intervenir dans les 10 ans. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact: les Chinois y travaillent.

Sources:

  • Wikipedia en Français – plusieurs liens dans le dossier
  • Science & Vie
    • Hors série 2001 Energie. Section “Nucléaire Le début des vraies questions”
    • Hors série 2003 Le siècle du nucléaire. Tout sur les centrales de demain
    • Numéro 1113, juin 2010, EPR Les 4 erreurs de la filière française
    • Numéro 1118, novembre 2010, Déchets nucléaires La cacophonie
    • Numéro 1123, avril 2011, Tchernobyl Et maintenant ?
    • Numéro 1124, mai 2011, Nucléaire français Les 6 leçons de la catastrophe japonaise
    • Numéro 1130, novembre 2011, Le nucléaire sans uranium
    • Numéro 1132, janvier 2012, Pourquoi la France risque désormais des black-out en hiver
    • Numéro 1135, avril 2012, Ne bradons pas l’enfouissement de nos déchets nucléaires
    • Numéro 1133, février 2012, Combien coûte réellement l’électricité nucléaire
    • Numéro 1134, mars 2012, Fukushima Un an après
    • Numéro 1136, mai 2012, Alerte à la pénurie, encart Uranium
  • Animations proposées par EDF
  • Jean-Marc Jancovici, expert des problématiques énergétiques, très présent dans les média

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