Lorsque des femmes vivent ensemble, leurs règles se synchronisent, info ou intox?

Si la semaine dernière, le quiz était un peu facile, j’en conviens, cette semaine, j’avoue que ça casse une idée reçue, chez moi le premier!

Au départ, il s’agissait d’une simple question d’auditeurs sur l’excellent podcast Naked Scientist. En gros la question était de savoir s’il y avait un quelconque avantage évolutif ou une autre explication au phénomène de synchronisation des règles chez les femmes qui vivent sous le même toit pendant quelques temps.

Pour y répondre, l’équipe de Chris Smith a fait appel à Jo Setchell, une anthropobiologiste de l’Université de Durham, en Angleterre, et sa réponse m’a pour le moins surpris, extraits:

La synchronisation menstruelle, aussi appelée phénomène du dortoir ou effet McClintock est un sujet fascinant. De nombreuses femmes vous diront qu’elles l’ont expérimenté, notamment les étudiantes vivant en dortoir qui ont commencé à avoir leurs règles en même temps.

Ceci dit, ce phénomène est controversé. En fait, il existe de nombreuses études qui prétendent démontrer que ce phénomène se produit chez l’humain et chez les laboratoires. Certaines études indiquent que cette synchronisation est contrôlée par des phéromones. Et bien, toutes ces études ont été fortement critiquées quant à leurs méthodes. En fait, si on utilise des méthodes statistiques correctes, aucune preuve de cette synchronisation n’a été trouvée à ce jour.

Jo Setchell conclut son intervention en indiquant qu’elle a elle-même a étudié des mandrills pendant plusieurs années, il s’agit de magnifiques primates proches des babouins (vous savez… Rafiki dans le Roi Lion…) qui vivent en petits groupes en forêt, au Gabon ou dans les pays limitrophes. Les cycles ont été soigneusement notés durant toutes ces années. On ne peut dégager aucun pattern particulier à l’analyse des données. Il n’y a pas de tendance à la synchronisation des règles. Chez l’humain, il s’agit probablement davantage d’une manifestation de notre capacité à voir des patterns partout, même là où il n’y en a pas, qu’à un soi-disant effet des phéromones.

J’avoue que je suis un peu resté sur ma faim, parce que bon, OK, on a plein de points communs avec Madame et Monsieur Rafiki, mais quand même… Du coup, je suis allé chercher un peu plus loin:

On appelle le phénomène (ou non-phénomène), l’effet McClintock du nom de Martha McClintock,  jeune doctorante en psychologie à Harvard qui en 1971 publia un premier papier dans Nature suggérant que les cycles se synchronisent avec le temps. Elle a étudié 135 étudiantes qui vivaient dans le même dortoir et a constaté une “augmentation significative de la synchronisation” du début des règles entre amies proches et colocataires. Elle a émis l’hypothèse que les phéromones pourraient être la cause du phénomène, soit des signaux hormonaux qui passeraient par le sens de l’odorat. Cette étude a été citée à plusieurs centaines de reprises. Pourtant, sur le plan méthodologique, il est désormais clairement établi qu’elle ne tenait pas la route. Mais elle a frappé les esprits. Un peu comme l’étude de Séralini sur les OGM aujourd’hui… Parfois, l’effet d’annonce suffit à laisser une empreinte quasi indélébile dans les esprits.

Par exemple, le biais suivant a été relevé, qui permet de démontrer une tendance à la synchronisation là où il n’en existe pas si on ne prend pas en compte les différentes durées de cycles. Admettons qu’on démarre l’étude le 1 octobre. Mme A a un cycle de 28 jours, qui a démarré le 27 septembre. Le prochain démarrera le 25 octobre et le suivant le 22 novembre. Mme B a un cycle de 30 jours, qui débute le 5 octobre. Le suivant démarrera le 4 novembre… On aurait vite fait d’en conclure que les deux sujets avaient un écart de 20 jours dans le début de leurs cycles au début de l’étude (5 octobre vs 25 octobre) et un écart de seulement 18 jours le deuxième mois de l’étude (4 novembre vs 22 novembre).

Bref, depuis, Une très large étude sino-américaine (Women do not synchronize their menstrual cycles, Z Yang, JC Schank – Human Nature, 2006 – Springer) conduite pendant plus d’une année dans des dortoirs universitaires chinois et respectant un protocole méthodologique strict et parfaitement transparent n’arrive  pas du tout aux mêmes conclusions. Il semblerait que seul le hasard puisse expliquer les dates de début et de fin des règles, cette histoire de synchronisation ne serait donc qu’un mythe…

L’autre truc que j’ai appris en creusant un peu, c’est que l’organe de Jacobson, commun à tous les mammifères et qui permet de détecter les phéromones, est atrophié chez l’être humain adulte et n’est plus connecté au cerveau par le moindre neurone. Il y a deux courants divergents chez les anatomistes, certains affirmant qu’il ne s’agit que d’un reliquat de l’évolution, d’autres affirment qu’il resterait tout de même fonctionnel même si on ne sait encore pas exactement comment. La question est loin d’être tranchée pour le moment, affaire à suivre…

Sources:

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