“Plus c’est gros, mieux c’est ?” Lunettes astronomiques et télescopes pour l’astronomie


Dossier de Johan dans l’épisode #171.

Pour commencer un petit rappel sur le spectre électromagnétique. Les ondes lumineuses sont plus ou moins énergétiques et finalement la partie que nous pouvons voir (appelée bien à propos le visible) est très petite par rapport à tout les photons que nous pouvons observer venant du ciel. Dans cette partie visible, une différence entre ces ondes se manifeste à nos yeux par une différence de couleur. On va mesurer cette différence  de “couleur” par un paramètre appelée longueur d’onde appelée λ, directement reliée à l’énergie du photon. Ce soir, on va surtout parler surtout des instruments observant la lumière dans la partie visible et autour du visible : ultra-violet (un peu plus énergétique que le visible) et infrarouge voire micro-onde (un peu moins énergétique que le visible).

Mais on observe le ciel dans absolument toutes les parties du spectre électromagnétique : en ondes radios (beaucoup moins énergétique que le visible), en rayon X, en rayons gamma (beaucoup plus énergétique que le visible). Cependant, on sort alors du domaine de l’astronomie « optique » (avec des miroirs et des lentilles en verre) et il faut utiliser des instruments différents. Des antennes pour les ondes radios, comme le radiotélescope du Very Large Array, immortalisé dans le film Contact avec Judie Foster. Des détecteurs spécifiques comme ceux équipant les satellites XMN-Newton et Integral pour les rayons X ou gamma. On ne parlera pas non plus ici de télescopes captant d’autres particules que des photons, comme des télescopes à neutrino.

Lunette astronomique ou télescope ?

 

Commençons par l’information à retenir de la soirée. Quelle est la différence entre une lunette astronomique et un télescope ? La lunette est un appareil en qui va utiliser une lentille comme optique d’entrée dans l’instrument, pour focaliser les rayons de lumière au foyer, alors que le télescope va utiliser un miroir concave. Donc la lunette est un appareil en transmission (la lumière va traverser une lentille) alors que le télescope est un appareil en réflexion (la lumière va être réfléchie sur le miroir).

Comment marche une lunette ? Il s’agit en fait d’un microscope dont l’objet est toujours à l’infini (si vous vous rappelez du dossier Podcast science 159 sur les microscopes). Donc en gros deux lentilles (c’est-à-dire deux loupes), une en entrée (l’objectif) et une en sortie (l’oculaire). Dans le télescope, l’objectif (la première lentille est remplacée par un miroir). On va maintenant un peu faire d’optique et d’histoire pour comprendre comment et pourquoi on est passé de l’un à l’autre.

Pourquoi il faut que ça soit le plus gros possible ?

 

Deuxième question la plus importante de la soirée. On va faire quelque chose qui est naturel pour un physicien mais qui peut paraître un peu abscond : on va considérer un même phénomène physique (la lumière) auquel on va appliquer deux théories différentes mais qui décrivent toutes les deux ce phénomène. C’est ce qu’on appelle la dualité onde-corpuscule.

Figure 1 : Diffraction d'une onde (vague) par un obstacle (rochers)
Figure 1 : Diffraction d’une onde (vague) par un obstacle (rochers)

Au XVIIe siècle, Isaac Newton défend l’idée que la lumière est décrite par un flot de particule (les photons) alors que Christiaan Huygens assure qu’elle est décrite par une onde. En fait, au XXe siècle, les travaux d’Albert Einstein et de Louis de Broglie vont permettre de déduire que « tout le monde a gagné », ce qui est plutôt rare en physique. Les deux descriptions de la lumière sont vraies et on va utiliser l’une ou l’autre en fonction des cas (en fait de Broglie étend cette dualité pour n’importe quelle particule, ce qui lui valu son prix Nobel). Par exemple, si on veut mesurer ce qu’on appelle la pression de radiation, c’est à dire la force communiquée par un flux lumineux sur un objet (c’est faible, mais sur des longs temps en l’absence d’autre force, comme pour les sondes spatiales, ca peut faire de l’effet), il est assez simple de compter la force apportée par chaque photon et de multiplier par le nombre de photons. Par contre, pour le phénomène d’interférence, on a besoin de considérer la lumière comme une onde. LA théorie ondulatoire prédit que si vous faites passer la lumière par deux trous, vous n’allez pas récupérer la somme des deux trous éclairant uniformément le plan derrière, mais des interférences, c’est à dire des endroits où les deux ondes s’ajoutent (zone plus lumineuse que ce à quoi on s’attendrait) et des endroits où les deux ondes se soustraient (zones sombres). C’est de l’optique « ondulatoire ».

Revenons à nos moutons. Donc pour comprendre pourquoi plus grand c’est mieux, on va d’abord utiliser une vision corpusculaire. Gagner en diamètre, c’est gagner en surface collectrice de photons. Et comme la surface d’un cercle de rayon R, c’est π R2,on gagne très vite : si on prend un diamètre 2 fois plus grand, on collecte 4 fois plus de photons. Un télescope de 8 m collecte 64 fois plus de lumière qu’un télescope de 1m. Donc on peut voir des objets de plus en plus faibles, de plus en plus loin.

Figure 2 : Fonction d'étalement du point, ou image d'une source ponctuelle à travers un télescope.
Figure 2 : Fonction d’étalement du point, ou image d’une source ponctuelle à travers un télescope.

Maintenant, en théorie ondulatoire, il y a le phénomène appelé diffraction qui n’est pas d’ailleurs spécifique à la lumière (voir figure 1). Quand une onde traverse un obstacle, on va considérer que chaque point de cet obstacle peut être considéré comme une source (dite secondaire) qui va ré-émettre à son tour : c’est pour ça qu’il y a des vagues dans la partie cachée derrière le rocher (flèche rouge). Ces ondes vont interférer entre elles. Et donc, on peut montrer que l’image d’une étoile ponctuelle à travers une ouverture circulaire n’est pas un point, mais une sorte de tache comme on peut le voir en Figure 2. Cette tache s’appelle très à propos la fonction d’étalement du point.

Le rayon rfep de la tache centrale de cette fonction va dépendre de trois paramètres, la longueur d’onde λ (la gamme de “couleur” dans laquelle on regarde) et le diamètre de la lunette (ou du télescope) D et la distance focale f de la lentille ou du miroir (distance entre le miroir et l’endroit où il focalise les rayons).

rfep = λf/D

Comment déterminer alors la résolution d’un télescope ? On définit cette résolution comme la distance minimum entre deux objets qu’il va pouvoir séparer (vous pouvez essayer de jouer à « combien j’ai de doigts » avec un ami qui s’éloigne et au bout d’un moment, vous aurez la résolution de votre œil).

Figure 3 : Schéma expliquant la résolution angulaire
Figure 3 : Schéma expliquant la résolution angulaire

Plutôt que la distance, on va introduire la distance angulaire, c’est à dire la distance telle qu’elle nous apparaît dans le ciel entre ces deux objets (l’angle sur la sphère du ciel, mesuré en degrés, ou en minutes de degrés ou même en secondes de degré). On a explicité cette distance sur la figure 3. Cette distance angulaire est tout simplement la distance entre ces deux objet divisée par leur distance à l’objectif du télescope (ceux qui se souviennent de leur cours de trigonométrie m’objecteront qu’il manque un sinus ou une tangente, mais il faut se rappeler que ces angles sont très petits, bien inférieurs au degré et qu’on peut donc approximer ainsi).

De la même façon, on peut définir la taille angulaire de la fonction d’étalement du point comme :

rfep, ang = λ/D

Prenons donc deux étoiles très proches (un système double) et imaginons un astronome en train d’essayer de se demander s’il s’agit d’une seule étoile ou de deux. Nos deux étoiles ponctuelles vont donner comme image à travers le télescope deux taches (chacune de taille angulaire λ/D donc), séparées d’un angle égale à la distance angulaire des étoiles (voir schéma 3, l’angle est bien le même).

Dans la Figure 4, on a représenté cette image dans plusieurs cas de figure : deux étoiles observées avec des télescopes de taille 1m, 2m et 4m. La distance angulaire ne change pas, contrairement à la taille des taches. Si les taches sont trop grosses (figure 2, à gauche), elle vont être confondues jusqu’à n’apparaître que comme une seule tache pour l’astronome. Si les deux taches sont toutes petites (figure 2, à droite) on va bien pouvoir les séparer.

Donc si la distance angulaire vaut moins d’un rayon angulaire, on ne verra qu’une seule tache au lieu de deux. La séparation minimale du telescope est donc  :

Séparation = 1.22λ/D ≈ λ/D

Figure 4 : Taches de diffraction de deux étoiles à une distance fixe, observées avec des télescopes de taille 1,2 et 4 mètres. En bas, on a mis une coupe horizontale, ou les taches des deux étoiles indépendamment sont en ligne noire et la tache des deux étoiles ensemble en rouge. Pour un petit télescope, (1m, à gauche), les deux taches sont très grosses et on a l’impression de n’avoir qu’une seule tache. Pour un grand télescope (8m , à droite) les taches sont bien plus petite et se séparent bien.
Figure 4 : Taches de diffraction de deux étoiles à une distance fixe, observées avec des télescopes de taille 1,2 et 4 mètres. En bas, on a mis une coupe horizontale, ou les taches des deux étoiles indépendamment sont en ligne noire et la tache des deux étoiles ensemble en rouge. Pour un petit télescope, (1m, à gauche), les deux taches sont très grosses et on a l’impression de n’avoir qu’une seule tache. Pour un grand télescope (8m , à droite) les taches sont bien plus petite et se séparent bien.

Donc plus on a un télescope grand, plus on peut séparer des objets proches en distance angulaire. Voila pourquoi c’est mieux d’avoir un telescope. Cette séparation n’est pas seulement pour utile distinguer des étoiles doubles, mais pour voir des détails dans le ciel. On ne distinguera pas un cratère sur la lune s’il est plus petit en distance angulaire que cette distance. Autre exemple, on a mis très longtemps à voir la séparation entre les anneaux de Saturne, car les espaces étaient trop faibles pour pouvoir être distingués correctement.

En fait, il s’agit exactement de la même chose que la résolution d’une image numérique. Si vous décrivez une image de même taille avec 100×100 pixels ou avec 10×10 pixels, des détails vont disparaître car un même pixel sera une moyenne de l’information comprise dans 100 pixels auparavant. De la même façon, la taille de la fonction d’étalement du point a une grande influence car elle mesure la taille des plus petits détails accessibles. On voit aussi que contrairement au microscope, le grossissement n’est pas très important. Avec la même analogie de l’image numérique, si vous avez une image de résolution pourrie, ca sert à rien de la grossir trop : vous n’allez pas gagner en détail, vous allez juste faire apparaître le manque de détails.

Pour vous donner quelques chiffres (ceux qui ont commencé à jouer à « combien j’ai de doigts » avec leurs amis, revenez, je donne la réponse), la pupille de l’oeil fait environ 5 millimètres de diamètre, donc en lumière visible (ce qui correspond à λ = 600 nanomètres), on a une résolution angulaire de environ 0.5 minute d’arc (soit 30 secondes d’arc, soit 1/120 = 0.008 degrés) ce qui veut dire qu’on peut distinguer 2 points espacés de 1 millimètre à 6 mètres d’écart (bon, c’est vraiment très optimiste, pas la peine de prendre rendez vous chez l’ophtalmo si vous y arrivez pas, la limite étant plutôt de 1 ou 2 minutes d’arc en réalité). Un télescope de 10m (c’est à dire 2000 fois plus grand que notre œil) en lumière visible, sera capable d’atteindre 0,015 seconde d’arc, soit 0.000004 degré, et pourra distinguer 2 points espacés de 1 millimètre à … 12 kilomètres.

Un peu d’histoire maintenant

 

Figure 5 : Grande lunette de l’observatoire de Yerkes (Wisconsin, Etats-Unis)

On associe souvent la découverte de la lunette astronomique à Galilée. En fait, il semble que l’italien Giambattista della Porta et d’autres avant lui avaient déjà développé des « lunettes d’approche ». Mais Galilée fut l’un des premiers à les tourner vers le ciel pour observer les étoiles en 1609. Le télescope est inventé juste un peu plus tard en 1671 plus ou moins par Newton (l’idée est proposée avant, mais c’est lui qui construisit le premier prototype). Au début on va plutôt favoriser les lunettes, jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Les lunettes utilisées par Galilée ont une lentille objectif d’environ 10 cm. Elles vont grossir exponentiellement, un peu en mode course à l’armement, jusqu’à arriver à la fin du XIX ème à la lunette de Yerkes aux États-Unis (1897, Figure 5) qui fait 102 cm. Le problème des lentilles est qu’on ne peut pas trop les courber. Donc, qui dit grandes lentilles, dit aussi grandes distances focales, c’est à dire distance entre la lentille et le foyer de l’image. Donc la lunette de Yerkes fait ainsi 19,4 m, qu’il faut réussir à faire rentrer dans une coupole.

La plus grande lunette jamais construite le fut pour la grande exposition universelle de 1900 (comme la Tour Eiffel le fut pour celle de 1889). Elle faisait 1,25 m de diamètre pour 57 m de focal. Mais elle était trop grande pour être manœuvrée donc on l’a mis à l’horizontale et on a mis un miroir de 2m devant (un miroir plan donc ce n’était pas un télescope, juste une lunette mal foutue). Bon c’était vraiment pas pratique et en fait elle servait surtout à faire de la vulgarisation (c’était quelque chose à l’époque, la vulgarisation scientifique). Elle a été mise à la poubelle peu après l’exposition universelle mais les lentilles ont été retrouvées récemment dans les caves de l’observatoire de Paris. Bref, c’était la lunette de trop.

Figure 6 : Dispersion de la lumière (source : articles Wikipedia Dispersion et Dark Side of the moon)

Il y a plusieurs problèmes dans l’utilisation des lunettes astronomiques. Déjà on l’a vu, c’est très encombrant à cause de ces problèmes de longueur focale. Ensuite, comme tout instrument en transmission, les couleurs ont tendance à se séparer au passage de la lentille (Figure 6). Ca ajoute des défauts chromatiques qui rende l’image encore plus flou. Enfin, si la lentille est trop grosse, et comme on ne peut la tenir que par les bords, elle a tendance à s’affaisser sous son propre poids.

Pourquoi alors a t’on attendu si longtemps pour toutes les remplacer par des télescopes ? En effet, ceux ci minimisent les effets chromatiques, on peut les tenir sur toute la surface vu qu’il y a qu’un seul côté qui sert, ce qui limite les déformations des optiques et enfin, on peut les courber plus, ce qui limite un peu la distance focale. En fait, les miroirs des telescopes étaient vraiment pas au point et étaient réalisés en métal, ce qui introduisait beaucoup d’aberrations. En 1857, Foucault (le physicien, celui du pendule, pas le philosophe ni l’animateur télé) pas invente un procédé qui permet de déposer un revêtement d’argent sur du verre réglant ainsi ce problème. C’est donc reparti pour la course à l’armement, avec le l’observatoire du mont Wilson en  qui construit par exemple un télescopes de 2.54m en 1920 qui vont jusqu’aux 8m du Very Large télescope (VLT) européen dans le désert d’Atacama (un grand plateau à 5000m d’altitude) et au 10 m du Keck américain à Hawaii au sommet du Mauna Kea. La taille des télescopes en fonction de l’année est illustrée sur la Figure 7. On voit nettement la progression exponentielle des diamètres.

diametre_annee_telescope
Figure 7 : Diamètre des lunettes et télescope en fonctions de l’année de fabrication (Merci à Julien Lozi d’avoir collecté ces données)

Comment choisis-t-on la position des télescopes ?

 

La première raison c’est les astronomes, comme tout le monde, préfèrent passer leurs vacances à Hawaii plutôt qu’en Sibérie, même quand on leur paye le voyage.

Plus sérieusement, il y a 3 raisons :

La première est qu’il faut un lieu avec peu d’humidité car ça diminue la transparence du ciel et favorise l’apparition les nuages. Bon c’est pas mal vrai pour Atacama, un peu moins pour Hawaii. Un peu lié à ça, il faut qu’il fasse beau le plus souvent possible. Le deuxième, c’est que, on va le voir, l’atmosphère limite la résolution du télescope. Et comme la pression diminue beaucoup avec l’altitude, en montant de quelques kilomètres, on enlève déjà beaucoup d’atmosphère. On avait déjà remarqué ça depuis longtemps et par exemple, l’observatoire du Pic du Midi dans les Pyrénées à 2800m date des années 1870. Le troisième, qui n’était sans doute pas encore un gros problème en 1870, c’est qu’on doit être le plus loin possible des villes pour se protéger de la pollution lumineuse. Une anecdote à ce propos : au moment des grandes coupures d’électricité de 2003 à New York, beaucoup de gens ont appelé la mairie et les pompiers pour dire qu’ils voyaient une lueur dans le ciel. Il s’est avéré qu’il s’agissait de la voie lactée ce qui était totalement inhabituel dans le ciel de New-York. Donc il se trouve que Hawaii et le plateau d’Atacama remplissent bien ces critères et devraient accueillir aussi la prochaine génération de télescopes. Il est aussi nécessaire d’avoir un lieu dans chaque hémisphère car comme vous le savez, on ne voit pas les mêmes étoiles.

Mais un autre lieu est de plus en plus envisagé… la base franco-italienne Concordia à 3200 m d’altitude en antarctique. En effet, on est haut, il fait souvent beau, on est très très loin de toute pollution lumineuse. Des projets sont envisagés pour faire de l’astronomie là-bas, même si c’est moins vendeur pour les vacances (surtout qu’un hivernage dure de février à octobre en totale autonomie avec des records de température à -80°C).

Comment gagner encore en résolution : l’optique adaptative, les télescopes spatiaux, l’interférométrie…

 

Quelques lignes pour décrire des techniques d’amélioration de la résolution. Quel est le problème de l’atmosphère ? Elle va avoir tendance à déformer ce qu’on appelle le front d’onde, c’est à dire la surface dessinée par tous les photons qui ont été émis au même moment par l’étoile (et hop ! théorie corpusculaire de la lumière). En traversant l’atmosphère, certains photons vont prendre plus de retard que d’autres, et finalement ils vont arriver sur le miroir pas exactement au même moment. Donc c’est exactement équivalent à la situation où on aurait pas d’atmosphère mais qu’on utilisait un miroir tout cabossé. Ce qui va avoir comme conséquence d’élargir et de déformer la fonction d’étalement du point que l’on a vu. On va maintenant avoir comme séparation :

Séparation atm ≈ λ/r0

(et hop ! on est repassé en théorie ondulatoire) où r0 est le paramètre de Fried. Ce paramètre augmente si les conditions d’observation sont bonnes. Mais même pour des conditions excellentes, on va avoir r0 = 20 cm. Ça veut dire que même si vous avez un télescope immense et des conditions d’observations parfaites, vous aurez la résolution de la lunette de Galilée. Il fallait faire quelque chose pour ça.

Figure 8 : Principe de l’optique adaptative (source : page sur ce sujet sur le Site de l’observatoire de Paris avec pas mal de photos)

Donc on a développé l’optique adaptative. L’idée, c’est que la lumière après le télescope, va se réfléchir sur un miroir déformable. C’est une surface réfléchissante très fine avec des petits actionneurs en dessous qui permettent de la tordre de la manière que vous voulez. Ensuite, la lumière est envoyée sur une lame séparatrice qui va en prendre une partie (par exemple une “couleur” que vous ne souhaitez pas observer) et l’envoyer vers un analyseur de surface d’onde qui va lui dire quelle partie de la surface est déformée et comment. L’autre partie va vers l’image scientifique, celle grâce à laquelle vous voulez apprendre des choses sur l’objet observé et que vous voulez donc aussi parfaite que possible. Ensuite l’analyseur de surface d’onde renseigne le miroir déformable sur les corrections à faire en temps réel. On travaille donc en boucle fermée et l’idée est d’aller plus vite que les déformations de l’atmosphère (donc plus de 100 corrections par secondes).

Le principe est élégant et il a été développé dès 1953. Seulement, la réalisation était tout même assez compliquée, donc il a fallu attendre 1990 pour avoir la première image astronomique d’un télescope limité en résolution seulement par sa taille (et non plus par l’atmosphère). C’était le 1.52m de l’observatoire de Haute-Provence. Depuis, tous les télescopes de plus de quelques mètres sont équipés d’optique adaptative. Pour avoir une bonne estimation des déformations induites par l’atmosphère, il faut une étoile bien brillante pour ne pas être gêné par le bruit. Si l’étoile qu’on observe est très brillante, pas de soucis. Si elle est un peu faible, on peut prendre une de ses voisines (qu’on va appeler une Natural Guide Star, vous allez comprendre pourquoi Natural) en considérant que le chemin parcouru dans l’atmosphère est a peu près le même pour la lumière venant des deux objets. Si on a vraiment rien à proximité, on va créer une étoile avec un laser très très puissant (du coup, une Laser Guide Star) qui va se réfléchir sur les dernières couches de l’atmosphère (voir Figure 9). L’avantage, c’est qu’on contrôle sa bande lumineuse et qu’on peut donc régler notre laser et notre lame séparatrice pour que toute l’énergie du laser serve à l’analyse et qu’on ne soit pas du tout gêné par cette fausse étoile dans l’image scientifique. Pour faire du grand champ (c’est-à-dire observer de nombreuse étoiles en même temps), on envisage même de mettre plusieurs lasers sur un même télescope. Je vous conseille cette très chouette vidéo en time laps de tous les télescopes du mont Mauna Kea à Hawaii (12 différents, financés par des consortiums regroupant 11 pays) montrant tous les lasers partant vers le ciel.

Pour se débarrasser des problèmes de l’atmosphère, rien de mieux qu’en sortir. On a donc développé des télescopes spatiaux comme Hubble ou le télescope européen Herschel. Pour des raisons d’encombrement, ces télescopes ont un plus petit miroir que leurs équivalents terrestres mais ils n’ont pas l’atmosphère et peuvent donc profiter totalement de la taille de ces miroirs. D’autre part, ils peuvent observer 24/7 n’ayant pas de problème de météo ou d’interruptions pendant la journée. Hubble est le plus connu car il a pu être entretenu par le shuttle américain, ce qui lui a permis d’avoir une durée de vie exceptionnelle (il a été lancé il y a 24 ans et certains de ces instruments sont encore en service). Il a apporté énormément à l’astronomie (en 2011, il passait le cap des 10.000 publications avec comité de lecture ce qui en fait sans doute l’instrument d’astronomie le plus prolifique jamais construit). Il faut aussi parler du fait que certaines parties du spectre électromagnétique sont complètement absorbées par l’atmosphère (voir ce graphe). C’est particulièrement vrai pour l’infrarouge lointain (domaine du télescope Herschel). Dans ce cas, l’utilisation de satellites est obligatoire.

Figure 9 : Les 4 télescopes du VLT au Chili. L’un d’entre eux utilise son étoile laser (Crédit : ESO/S. Brunier)

Enfin, il faut parler de l’interférométrie. Cette technique consiste à utiliser simultanément la lumière de plusieurs télescopes en même temps en la faisant interférer. Deux télescopes éloignés l’un de l’autre d’une distance appelée la base B (qui peut valoir plusieurs dizaines de mètres en visible) pourront accéder à des détails de l’ordre de grandeur de λ/B. Cependant, cette nouvelle séparation ne veut pas dire qu’on aura une image à cette résolution puisqu’on aura une figure d’interférence avec des parties claires et des parties sombres. A partir de cette figure, on pourra déduire des informations mais il est assez évident que cela n’est pas équivalent à un télescope avec un miroir de taille B. Parmi plus gros interféromètres, on peut citer le Keck (2 miroirs de 10m avec une base de 80m), le VLT (4 télescopes de 8m et quatre auxiliaires de 1.8m avec une base allant jusqu’à 200m, voir Figure 9).

En conclusion

 

Les futurs télescopes qui arrivent :

Après le Very Large Telescope, l’Europe va construire le E-ELT, European-Extremely large Telescope (pour les noms suivants, voir la Figure 10). Il y a aussi un projet américain, le Thirty Meter telescope à Hawaï qui fait 30m comme son nom l’indique et un projet américano-australien au Chili de 24,5 m, le Giant Magellan Telescope. Ce n’est pas possible d’avoir une surface réfléchissante d’un seul bloc de cette taille et tous ces télescopes seront segmentés, c’est à dire composés d’une myriade de petits miroirs (798 miroirs de 1,45m de diamètre pour l’E-ELT).

L’avantage, c’est qu’on peut les bouger un peu pour commencer à faire de l’optique adaptative dès le premier miroir. L’inconvénient c’est que les petits trous entre les segments vont introduire d’autres aberrations.

Figure 10 : Possible futures noms de télescopes issus du site humoristique xkcd.com

Dans l’espace, il y aura bientôt le James Webb Space telescope, le remplaçant d’Hubble qui va pouvoir enfin prendre sa retraite. C’est un des plus gros satellite scientifique jamais envoyé. La taille de la plateforme est de 22 m de long pour 12 m de large (un court de Tennis, c’est 23.8m x 11m pour info). Le miroir, dépliable pour rentrer dans la coiffe d’une fusée, est composé de 18 segments hexagonales pour une taille totale de 6.5 m (Hubble, c’était 2.4m). Il devrait voler en 2018.

Les futurs télescopes moins possibles :

L’interférométrie spatiale (une constellation de satellites travaillant ensemble) est un projet dont on parle depuis très longtemps mais qui reste encore aujourd’hui trop difficile à réaliser techniquement. En effet, il faut contrôler la distance entre les différents miroirs de la formation à des précisions de l’ordre du micromètre. Les missions Darwin de l’agence spatiale européenne et Terrestrial Planet Finder de la NASA ont donc été abandonnées pour le moment avant qu’on ait résolu ces problèmes techniques.

Quelques liens :

 La vidéo en time laps sur les télescopes du Mauna Kea : http://fstoppers.com/space-out-with-this-timelapse-video-of-telescopes-shooting-lasers-into-space

 Sélection de photos prises par Hubble (bandes ultra-violette, visible et proche infrarouge) : http://hubblesite.org/gallery/album/

 Moins connus mais tout aussi impressionnant, une galerie de photos prises par Herschel (télescope spatial européen dans la bande infrarouge moyen et lointain) qui vient de prendre sa retraite : http://oshi.esa.int/#list=/images.html?q=favorites

Derniers épisodes