Extremely Large Telescopes : des cathédrales pour l’astronomie

Billet diffusé dans le cadre de la soirée Radio-Dessinée “Instruments scientifiques : cathédrales du XXIe siècle ?“, au CERN le 23 août 2014


Quand on parle d’une cathédrale scientifique à un astrophysicien, il pense tout de suite à la future génération des très grands télescopes, les Extremely Large Telescopes (ELT).

Des instruments pharaoniques

Les travaux pour ces instruments scientifiques, parmi les plus grands jamais construits, ont commencé tout récemment. Il faut imaginer leur miroir comme des immenses poêles à paëlla, jusqu’à 40m de large, composé de plusieurs centaines d’alvéoles qui font la taille d’un humain environ. Cette immense poêle à paëlla est enfermée dans une coupole de 80m de haut.  Le tout est placé en haut de certaines des plus hautes montagnes terrestres, comme le Mauna Kea (plus de 4000m) à Hawaii ou dans le désert d’Atacama (3000 m) au Chili.

Source : Site humoristique Xkcd

Ils seront trois dans un premier temps :

– le thirty meter telescope (télescope de trente mètres, américain  et canadien), prévu pour 2018 à Hawaii.

– le Giant Magellan Telescope (26m, américain, australien, coréen) dont la construction n’a pas encore commencé.

– le European Extremely Large Telescope (E-ELT, 39.6m), qui devrait être achevé en 2021 et dont les travaux ont commencé le 19 juin dernier. Il sera construit au Chili, tout près du plus grand télescope européen actuel (le Very Large Telescope, composé de 4 télescopes de 8m chacun). Il est construit par l’ESO (European Southern Observatory) organisation européenne dédiée à l’astronomie et en particulier à la construction des télescopes au sol. Jusqu’en 1980, la division télescope de l’ESO était d’ailleurs située… ici même, au CERN, avant de déménager en Allemagne.

Avant de commencer, pour que vous vous rendiez bien compte de la taille de l’E-ELT et pour rendre hommage aux communicants de l’ESO, je voulais présenter ces images mettant en comparaison l’E-ELT, les Very Large Telescope avec… tous les monuments auxquels vous pouvez penser.

L’E-ELT et les VLT à Paris (arc de Triomphe)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Bruxelles (Atomium)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Vienne (Cathédrale Saint Stephen)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Pise (Tour de Pise)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Rome (Colisée)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Barcelone (Cathédrale de la Sagrada Familia)

E-ELT and VLT sizes compared with Sagrada Familia.
Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT au Caire (Pyramides)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Sydney (Opéra)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à New York (Statue de la liberté)

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Crédit : ESO

L’E-ELT et les VLT à Berlin (Porte de Brandburg)

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Crédit : ESO

Bon en dehors du côté amusant, c’est vrai que ça donne bien une idée de la taille de l’ELT : c’est vraiment aussi gros qu’une cathédrale !

Mais au fait. Il en manque un non ?  Bon alors, j’ai décidé de donner un coup de main à la com de l’ESO et je vous présente en exclusivité :

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D’après une image de l’ESO

L’E-ELT et les VLT à côté du jet d’eau de Genève !

L’idée de base de mon dossier, c’était de vous présenter tout ce qu’on s’attend à trouver avec les ELT (et il y a plein de choses). Et puis je me suis dit que j’allais plutôt vous parler de ce qu’on ne s’attend pas à trouver avec les ELT.

L’idée m’est venue d’un article très intéressant de Martin Harwit, professeur à Cornell : La croissance de la compréhension en astrophysique (je vous encourage très vivement à le lire si vous comprenez assez bien l’anglais). Il fait une petite histoire de l’expansion de l’espace des paramètres d’observation, qui permet la plupart des découvertes en astrophysique, d’ailleurs de façon assez fortuite.

Ce qu’on ne s’attend pas à trouver avec l’ELT

Qu’est-ce que c’est que cet espace des paramètres ? Un être humain, sans instrument, c’est un peu limité. Il ne peut voir que la lumière visible (on ne voit ni les rayons X, ni les ondes radios par exemple). Il ne peut pas voir de petites variations de couleurs. Il ne peut pas voir ce qui est  trop petit, ce qui est trop loin (seulement les étoiles très lumineuses et très proches de nous) ou même ce qui est trop grand (la première carte totale du fond diffus cosmologique date de la fin du XXeme siècle). Il ne peut pas voir ce qui est trop rapide (typiquement 24 images/seconde) ou ce qui est trop lent (essayer de regarder les montagnes pousser). Toutes ces grandeurs (résolution spatiale minimale et maximale, résolution temporelle, résolution dans le spectre lumineux, …) constituent l’espace des paramètres d’observation. En fait, l’instrumentation scientifique, c’est avant tout étendre cet espace des paramètres.

En astrophysique, on était dans un univers tout petit, et Galilée a décidé de pointer une lunette vers le ciel. Et là, on s’est aperçu que tout était beaucoup plus grand que prévu. Et un jour on a découvert les rayons X et les ondes radios, et quelqu’un s’est dit « et si on regardait le ciel avec ? » On a inventé des télescopes capables de capter la lumière invisible à l’œil nu. Capables de capter des photons venant d’objets vraiment très loin donc vraiment très vieux. Capables de faires des poses très rapides et on s’est aperçu que certains objets clignotaient dans l’univers. A chaque fois, l’univers où l’on se trouve s’en trouve grandi, non seulement en termes de distance, mais surtout dans le fait que le même univers peut être regardé à nouveau avec des yeux totalement neufs.

Citons rapidement un chouette exemple de découverte fortuite due à l’agrandissement de cet espace de paramètres. En 1967, Madame Jocelyn Bell et son directeur de thèse Anthony Hewish construisent un radio télescope. Ils veulent analyser des phénomènes sur de courtes durées (inférieures à la seconde) pour étudier un phénomène appelé scintillation. On voit donc ici l’agrandissement de l’espace de paramètres, puisque personne n’avait jamais pensé à regarder le ciel ainsi (en combinant ondes radio et très courtes durées temporelles). Une fois qu’ils ont mis en marche l’instrument, ils trouvent un truc qui émet en clignotant très vite en ondes radios. L’émission est extrêmement régulière. Ils mettent du temps à vérifier que le signal est vraiment fixe sur la sphère céleste et que ce n’est donc pas une émission humaine. Et donc, à quoi ils pensent ? Oui, à la même chose que vous et ils le surnomment LGM-1 pour little green men. Bon au final, on va découvrir qu’il s’agit de pulsars, des étoiles en fin de vie et qui tournent en quelques millisecondes autour d’elles-même. Ces objets étaient compatibles avec les théories existantes, mais ils ne s’attendaient pas du tout à trouver ça et ce n’était pas pour ça qu’ils avaient construit l’instrument. L’utilisation d’un nouvel instrument leur a donc permis de tomber sur un truc invisible auparavant, mais qu’on voit comme le nez au milieu de la figure dans ce nouvel espace de paramètres.  Pour finir, cette découverte est aussi connue pour avoir valu le prix Nobel… à Anthony Hewish et à un de ses collègues, oubliant la femme de l’équipe, Jocelyn Bell. Un classique de l’histoire des sciences, mais qu’il ne faut jamais oublier de dénoncer.

Pour citer Martin Harwitt, quand il parle de découvertes astrophysiques majeures (c’est moi qui traduit) :

La plupart de ces découvertes ont été de grosses surprises, ce qui montre que l’anticipation théorique a assez peu à voir avec les découvertes. Ce qui importe le plus est la mise en place de puissants nouveaux outils.

Ça ne veut pas dire qu’en astrophysique, on n’a pas aussi nos Professeurs Higgs, qui prévoient un phénomène et attendent ensuite 40 ans que les instrumentalistes soient assez malins (et les contribuables assez généreux) pour que leurs prédictions soient vérifiées. Un exemple célèbre en astrophysique : la théorie d’Einstein avait permis dès 1911 de prédire la déviation de la lumière par un objet assez lourd. A l’époque, on en connaissait qu’un : le Soleil. Seulement, il fallait pour vérifier cet effet pouvoir observer des étoiles passant très près du Soleil, ce qui n’est pas simple (la luminosité du Soleil fait qu’en plein jour, les beaux ciels étoilés sont assez difficiles à apprécier). Il fallait attendre donc un évènement rare : une  éclipse solaire totale et où le soleil est justement à proximité d’étoiles particulièrement brillantes (en gros un amas d’étoiles brillantes, le Soleil, la Lune et la Terre en alignement). Cet événement rare à eu lieu le 29 mai 1919 et le physicien anglais Eddington avait prévu 2 expéditions simultanées pour l’observer, une au brésil et une sur l’île africaine de Principe. Après analyse, les résultats sont annoncés le 7 novembre 1919 à la Royal Society de Londres, sous le portrait de Newton. Les résultats sont décisifs et prouvent pour la première fois, à la fois les limites de la théorie de Newton et la justesse de celle d’Einstein. Il faut comprendre qu’un an après la fin de la seconde guerre mondiale, cette annonce de la victoire de la théorie d’un jeune allemand sur l’indéboulonnable théorie Newtonienne en place depuis 2 siècles a été ressentie comme un drame national.  Du jour au lendemain, comme Higgs un siècle plus tard, cette annonce fait immédiatement passer Einstein du statut d’astrophysicien inconnu du grand public à celui de star planétaire.

Illustration du journal London news date du 22 novembre 1919. Le principe de la lentille gravitationnelle créée par le soleil est expliqué (en unités impériales, ça donne un petit charme désuet). La bande d’observation de l’éclipse totale de 1919 correspondant au passage de l’ombre de la Lune sur la Terre est représentée sur une carte. En bas, on voit une photo de l’éclipse.

Bon, mais il reste tout de même que plein de découvertes en astrophysique et en science d’une manière générale sont de grandes surprises. Et c’est tant mieux ! Aussi impressionnantes que sont ces prédictions, si les découvertes révolutionnaires en science devaient à chaque fois être spoilée par Messieurs Higgs et Einstein (et Brout, et Englert) 40 ans avant, ça serait un peu comme regarder chaque épisode de Game of Thrones avec quelqu’un qui  a déjà lu les bouquins.

Ce phénomène d’agrandissement de l’espace des paramètres n’est pas vraiment la sérendipité dont a parlé Alan. La construction de ces grandes poêles à paëlla que sont les ELT pour regarder les étoiles pourrait bien sûr révolutionner la façon de cuire la paëlla et permettre de trouver la solution à la faim dans le monde. Mais même si ce n’est pas le cas, la construction d’instruments énormes, comme les ELT, comme le LHC, permet d’étendre de façon extraordinaire cet espace des paramètres accessibles et de révéler quasiment à coup sûr des surprises dans le même domaine. Elle est donc nécessaire, quand bien même on n’a aucune idée de ce qu’on va y trouver.


Pour creuser un peu plus, le très intéressant article de Martin Harwit, The Growth of Astrophysical Understanding. A partir d’une analyse précise de l’évolution passée du savoir en astrophysique, l’auteur se permet des prédictions audacieuses sur les futures découvertes. C’est en anglais, mais c’est très compréhensible même sans avoir fait d’astrophysique et il y a beaucoup d’images. Il est disponible gratuitement ici.

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