#psSortDuPlacard – The Velvet Rage – La difficulté de grandir gay dans un monde hétéro

La chronique d’Alan démarre à 1:07:58.
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Billet présenté dans le cadre de l’event #psSortDuPlacard le 27 juin 2015


« Je suis homo ». Trois mots. Parfois si difficiles à articuler…

Saviez-vous que jusqu’en 1990, l’homosexualité était classifiée comme maladie mentale par l’OMS ?

On a fait du chemin depuis, mais il y a encore du boulot. Se découvrir et s’accepter homo aujourd’hui et se construire sereinement n’est pas simple : même si on ignorait les horreurs proférées par les bigots de tout poil, « pédé » reste tout de même dans le top 10 des insultes spontanées en France.

pstest_01-Velvet-Rage.pngGrandir homo dans un monde hétéro, pour le psychologue Alan Downs, auteur de The Velvet Rage, c’est avant tout grandir seul. Grandir sans modèles auxquels s’identifier.

On compare souvent l’homophobie au racisme. La comparaison a ses limites. Quand vous grandissez noir dans un pays blanc, ou l’inverse,  vous vous sentez sans doute un peu extraterrestre, mais vous êtes en général entouré de gens qui vous ressemblent. Et même s’ils ne vous ressemblent pas, vous avez autour de vous des gens qui se sont interrogés sur votre différence et vos souffrances et qui font de leur mieux pour vous aider. Quand vous êtes homo, en revanche, vous êtes vraiment seul, littéralement, dans certains cas : en 2006, un jeune sur 4 annonçant son homosexualité aux Etats-Unis se faisait chasser du domicile familial !

Dessin réalisé à la volée par Puyo pendant la présentation d'Alan
Dessin réalisé à la volée par Puyo pendant la présentation d’Alan

 

05 - Alan Downs

Alan Downs  est Docteur en psychologie, diplômé de l’Université du Nebraska en 1989.

Cela fait plus de 20 ans qu’il officie comme praticien clinicien. En tant que gay lui-même, séropositif, sauvé de justesse par l’arrivée des trithérapies – après avoir vu mourir pratiquement tous ses amis – il s’est spécialisé dans la question de l’homosexualité masculine et a écrit des livres de « self-help » destinés à cette population en particulier, notamment The Velvet Rage: Overcoming the Pain of Growing Up Gay in a Straight Man’s World, cité par différentes sources comme l’ouvrage de référence en la matière, malheureusement introuvable en français.

Refusant pendant longtemps d’accepter son homosexualité, il a vécu dans le placard pendant des années et a même épousé une « Beauty Queen » – une reine de beauté – de son école, sincèrement convaincu – et l’environnement très religieux de sa famille y est sans doute pour beaucoup – que s’il trouvait la femme de sa vie et qu’il l’épousait, il changerait (plus de détails ici).

 

Théorie avancée dans The Velvet Rage

La théorie qu’il développe dans The Velvet Rage, postule que grandir homo (ou bi)  dans un monde hétéro engendre forcément de la souffrance.

Selon l’auteur, les homos passent par 3 phases, qui expliquent beaucoup de leur traits communs (notamment les tendances à la dépression et au suicide / relations de coeur passionnelles et compliquées / besoin de perfection, besoin de suraccomplissement … )

Ces 3 phases — ou états — sont les suivantes :

  • En phase 1, on est  « Envahi par la honte » ;
  • En phase 2, on cherche à  « Compenser la honte » ;
  • En phase 3, enfin, il s’agit de « Cultiver l’authenticité ».

Les phases 1 et 2, ne respirent pas le bonheur… Mais ça va mieux en phase 3.

Examinons tout cela en détail :

Phase 1 : envahi par la honte

Chaque gay (ou bi) a grandi dans un monde qui n’acceptait pas, voire rejetait, un aspect fondamentalement constitutif de son identité. Chaque homo a compris très jeune qu’il y avait quelque chose de fondamentalement non-conforme en lui, et développé la croyance que ce quelque chose est fondamentalement inacceptable : on a vite fait d’intérioriser l’homophobie ambiante et d’adopter la croyance qu’on ne mérite pas d’être aimé.

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Alors la plupart des homos cachent – au moins un temps – cet aspect de leur identité, juste histoire d’être aimés, en restant persuadés que si les gens les aiment, c’est parce qu’ils ne « savent pas ». En gros, la croyance pourrait être formulée comme ceci : « Il y a quelque chose en moi de tellement faux, que si vous le saviez, vous ne pourriez pas m’aimer ».

Dessin réalisé à la volée par Sef pendant la soirée radio-dessinée
Dessin réalisé à la volée par Sef pendant la soirée radio-dessinée

En phase 1, en tant qu’homo, on cherche à éviter la honte. Par le déni la plupart du temps.

J’ai une confidence à vous faire. Limite une déclaration de conflit d’intérêt : je porte deux casquettes ici. Celle du podcasteur scientifique consciencieux qui vous fait le compte rendu de la lecture d’un ouvrage académique. Et celle aussi d’un gay qui a réussi à vivre dans le déni pendant très longtemps et qui peut témoigner de comment on vit tout cela de l’intérieur. J’avais réussi à me convaincre que mon orientation était un détail, un problème secondaire ; ce n’est qu’à l’âge de 42 ans que j’ai finalement réussi à prononcer ces 3 mots. Je suis homo. Comme beaucoup d’autres (mais sans doute un peu plus longtemps), j’ai « contourné la honte » par le déni. D’autres le font par le suicide.

Suicide : 4x plus fréquent que la moyenne chez les jeunes gays

 

Dessin réalisé à la volée par Inti pendant la présentation d'Alan
Dessin réalisé à la volée par Inti pendant la présentation d’Alan

Pourquoi avoir honte ? Parce qu’on manque furieusement de modèles. Quand j’étais ado, dans les représentations populaires, un homo, c’était la Cage aux Folles. Un vrai homme, c’était un type comme John Wayne. Et on ne l’imaginait pas embrasser un autre homme. Vous voyez souvent deux hommes qui se donnent la main dans la rue ou qui s’embrassent dans la file du supermarché ?

On commence à voir ça et là des personnages gay dans les séries télévisées, on progresse sur ce front. D’ailleurs, il n’y a pas eu un mois en 2013 et 2014 sans qu’une célébrité du show-biz, du sport, ou même d’Apple ne fasse son coming-out. Mais on est encore loin, très loin, de permettre aux jeunes homos de s’identifier à des modèles positifs.

Les homos sont interdits du don du sang dans de nombreux pays, quelles que soient leurs pratiques sexuelles.

L’homosexualité est un crime dans près de 80 pays, parfois passible de la peine de mort.

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Le Gay Bashing (c’est à dire taper sur un homo, lui briser quelques membres et quelques côtes, lui arracher quelques dents et si possible le défigurer, juste pour plaisir) est encore une réalité. Même ici. Même maintenant.

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Et je ne vais même pas aborder la question des religions et de la haine ouvertement assumée que la plupart d’entres elles proclament, au nom de l’amour du prochain… Contrairement à ce qu’on pourrait penser en constatant les progrès autour de nous, les raisons d’avoir honte ne manquent pas.

La fin de la phase 1 est marquée par le Coming Out. Etape indispensable pour passer à la suite.

Dessin réalisé à la volée par Mel pendant la présentation d'Alan
Dessin réalisé à la volée par Mel pendant la présentation d’Alan

 

Phase 2 : compenser la honte

18 - Im fabulousUne fois qu’on a accepté qu’on est gay, arrive la deuxième phase : « Compenser la honte ». On s’affirme. On fait tout ce qu’on peut pour se valider avec sa nouvelle identité, plus ou moins bien acceptée. On veut un maximum d’aventures, on veut être aimé par un maximum de conquêtes.

Les couples se font et se défont : on ne peut pas donner de l’amour quand on est profondément blessé dans ses émotions.

À ce stade, la passion est dévorante, dans ce qu’elle a de plus douloureux. On se sur-investit dans le travail. À la gym. On veut être le meilleur.

Atteints d’un syndrome de Peter Pan, on vise l’éternelle jeunesse. En phase 2, dans ma compréhension, on se trompe de combat : on essaie de se prouver qu’on est authentique, qu’on est à l’aise – voire fier – de son orientation, alors qu’en fait, on essaie de prouver au monde entier qu’au fond, on vaut quelque chose et qu’on mérite d’être aimé. On en fait beaucoup trop pour essayer de se sentir « validé » dans le regard des autres.

 

Phase 3 : cultiver l’authenticité

La phase 3 démarre avec un Moment eureka, celui où on se dit « Vous savez quoi ? Il n’y a rien que je puisse ajouter à ce que je suis pour que vous puissiez m’aimer. Je ne peux être que moi-même. Je dois être moi-même. Vous devrez m’aimer comme cela ».

19 - couv-maroc-hebdo-faut-il-bruler-les-homosPour atteindre le graal de la phase 3, on doit avoir répondu sincèrement à la question « Qui suis-je ? », « Qu’est-ce qui me rend heureux ? », s’accepter vraiment, profondément. Dépasser cette croyance initiale que l’on ne peut pas être aimé. On doit accepter qu’on peut être un homme même si on n’est jamais validé par son propre père. Qu’on peut être aimé même si des opposants de tout poil nous rappellent qu’on ne devrait pas exister.

Ce n’est qu’à partir de ce moment-là — moment qui, malheureusement, chez certaines personnes n’arrive jamais — qu’on peut vivre heureux et serein.

L’auteur offre une série de conseils aux homos pour passer paisiblement à l’étape  3 :

  • Abandonner son idéal de perfection. Cela n’intéresse personne. Quand on s’intéresse à un autre humain, aucun d’entre nous n’a envie de voir le masque de la perfection. Ce sont nos imperfections, notre vulnérabilité qui font de nous des gens auxquels on a envie de se connecter, dont on a envie de se rapprocher, avec qui on a envie de partager, qu’on veut protéger ;
  • Devenir adulte. Arrêter d’en vouloir au monde entier et à soi-même en particulier. Sortir d’une logique de culpabilité pour entrer dans une logique de responsabilité. Accepter que si on n’a pas pu se développer émotionnellement en tant qu’homme comme tout le monde, dans la vingtaine, et qu’à certains égards, on est restés coincé dans une très longue adolescence, il n’est pas trop tard pour le faire à la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine ou plus tard encore ;
  • Pouvoir en parler avec quelqu’un (ami, thérapeute, famille). On doit faire la paix avec sa propre histoire, et pour cela, il faut une occasion de la raconter. On a besoin de lieux sûrs où on peut être soi-même (métaphoriquement et dans la réalité) ;
  • Cultiver les émotions positives (ou plutôt la seule émotion positive qui est la joie, par opposition à la tristesse, au dégoût, à la peur et à la colère, envahissantes jusque-là).

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Dessin réalisé à la volée par Kam pendant la présentation d'Alan
Dessin réalisé à la volée par Kam pendant la présentation d’Alan

Ce que je retiens du livre

  • Même si on ne se reconnaît pas tous dans la chronologie proposée, le modèle théorique d’Alan Downs est très intéressant. Il se base sur un référentiel théorique énorme, des années d’observation clinique, son vécu propre, et je pense que cela donne des points de repères vraiment utiles aux personnes concernées ;
  • Ce que je retiens, aussi, c’est la difficulté des deux premières phases. Ou comment le fait que les gens, l’entourage, pensant bien faire pour la plupart, qui ne comprennent pas que l’immense majorité des homos n’ont pas choisi leur orientation, et qu’une bonne partie auraient préféré être hétéros, font du mal, en profondeur, à leurs proches homo, en refusant de les « valider ». Ce n’est pas l’homosexualité intrinsèquement qui génère de la souffrance mais la réponse de l’entourage et de la société ;
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Dessin réalisé à la volée par Phiip Lapin pendant la présentation d’Alan
  • J’ai retenu que les jeunes ont besoin de modèles. Et j’encourage tous les homos en paix avec leur sexualité à le dire. À montrer que nous ne sommes pas des monstres et que contrairement aux idées reçues, il n’est pas possible — pour la plupart d’entre nous — de nous distinguer du reste de la population. Et qu’il est possible d’être quelqu’un de très bien « même » si on est homo. C’est la raison de mon coming-out public aujourd’hui. S’il n’y a ne serait-ce qu’un auditeur du Podcast, torturé par ses questionnements et en perte de repères, j’aimerais pouvoir lui donner de l’espoir. Jeune auditeur / lecteur gay, si tu te reconnais, n’hésite pas à m’appeler, j’aurai du temps pour toi. Je t’assure qu’on peut être homo et heureux et c’est ce que je te souhaite, même si ça doit te prendre du temps 🙂
  • J’ai surtout retenu que les jeunes ont besoin d’amour et de validation. Alors, en tant que parents, amis, voisins, proches ou éloignés, quoi que vous fassiez ou disiez, les homos de votre entourage resteront homos. Vous n’imaginez sans doute pas par quoi ils sont passés avant de pouvoir vous en parler. Tout ce que vous pouvez faire, c’est les accepter comme ils sont, les aimer, les valider et les aider à s’accepter.

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Sources  et références

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