Laisser le noyau de l’avocat dans le guacamole empêche ce dernier de s’oxyder. Info ou intox ?

Noyau d'avocatInfo ou intox? Les deux mon capitaine, ça dépend de quoi on parle… Si on parle de la surface de guacamole qui se trouve directement sous le noyau, alors c’est une info. Mais on s’en fout un peu, ça ne représente que 4-5 cm2… Si en revanche, on parle de l’intégralité du bol de guacamole, alors c’est une Intox. Mais ça n’a rien à voir avec la magie du noyau, hein, vous pourriez théoriquement mettre une ampoule électrique à la place, ça marcherait aussi, pour autant qu’elle fasse parfaitement barrage entre l’air ambiant et la chair du fruit. Comme toujours sur ce genre de sujet, les histoires que racontent l’Internet mondial sont à peu près aussi fiables que ce que pourrait vous raconter un quidam un dimanche matin à 4 heures, dormant sur le trottoir dans son propre vomi derrière le bar. Chacun y va de ses croyances, partageant ses opinions de manière plus ou moins véhémente, mais il n’y a en général rien de solide pour étayer les positions. C’est juste à celui qui crie le plus fort. En parlant de crier, j’ai failli pousser un tonitruant “Info!” triomphant il y a quinze jours en tombant sur une source que je considère comme fiable, The Straight Dope, le magazine qui se bat contre l’ignorance depuis 1973 et qui déplore dans sa tagline que cela prend plus de temps que prévu. À cette question précisément, que lui posait une certaine Nicki férue de recettes de cuisine en 2005, le Straight Dope a répondu :

“Est-ce que ça marche? Oui. A cause d’une raison exotique bien cool? Non.”

J’avoue que j’ai failli relayer tel quel. Mais j’ai quand même lu l’article jusqu’au bout.

“La plupart des fruits et légumes, indique l’article, changent de couleur lorsque leur chair est exposée à l’air, à cause de l’oxydation. C’est à dire en réaction à l’oxygène présent dans l’air.”

Tiens, pour faire mon Professeur Von de service, j’ajouterais que le nom même de l’oxygène a un rapport avec le phénomène. On doit le terme à Antoine Lavoisier, qui l’a construit en 1774 à partir du préfixe oxy-, du grec ancien oxus (« aigre, acide »), et du suffixe -gène du grec ancien gennan (« qui engendre »), c’est-à-dire « formeur d’acide ».

“Certains fruits et légumes, reprend le Straight Dope, à travers la plume de sa rédactrice Una, comme l’avocat, sont plus susceptibles que d’autres au changement de couleur car ils contiennent une enzyme, la tyrosinase, qui agit sur les phénols présents dans la chair de l’avocat, changeant leur structure chimique et, en passant, leur couleur.”

C’est technique, hein, on s’en tape un peu, mais pour celles et ceux que ça intéresse, les phénols (ou polyphénols ou anciennement juste “tanins”), sont des molécules présentant un arrangement particulier d’oxygène et d’hydrogène sur un atome de carbone.

Il y a donc deux coupables dans ce processus de brunissement, poursuit Una : l’enzyme dans l’avocat et l’oxygène dans l’air. La logique suggère que si le noyau empêche le brunissement, alors l’un des deux phénomènes suivants doit se produire: soit le noyau modifie chimiquement le guacamole, ou il empêche simplement l’oxygène d’accéder au guacamole. Je voulais d’abord faire quelques expériences, continue Una, mais mon rédacteur en chef m’a convaincue que c’était inutile, car cela avait déjà été fait dans un livre, The Curious Cook par Harold McGee. McGee a fait toutes sortes d’expériences de guacamole avec et sans noyau et il est arrivé à la conclusion que le secret résidait simplement dans le fait que le noyau bloquait physiquement le passage de l’air et empêchait donc l’oxydation. En fait, le meilleur moyen d’éviter une intrusion d’oxygène consiste à recouvrir le guacamole d’un film plastique adhérent à la préparation pour empêcher l’air de circuler. On peut également s’en prendre à l’autre coupable, l’enzyme, de différentes manières : la réfrigération ralentira son action (mais l’avocat supporte assez mal les basses températures). Porter l’avocat à ébullition pourrait également ralentir l’effet de l’enzyme, mais là encore, un guacamole bouilli, c’est paraît-il plutôt amer. Il reste une stratégie : l’enzyme n’aime pas l’acidité. Ajouter du jus de citron ou de limette au guacamole ralentira la réaction de l’enzyme à l’oxygène (…)

 

References

  • “Keeping Freshness in Fresh-Cut Produce,” USDA Agricultural Research Magazine, February, 1998.
  • Lidia Dorantes, PhD., Lidia Parada, MSc., Alicia Ortiz, PhD. Post Harvest Compendium, Chapter 30 Avocado: Post-Harvest Operation, report for the Information Network on Post-Harvest Operations, Food and Agriculture Organization of the United Nations.
  • On Food and Cooking: The Science and Lore of the Kitchen by Harold McGee, 1984.
  • The Curious Cook: More Kitchen Science and Lore by Harold McGee, 1992.

J’étais un peu déçu par cet article pour deux raisons: le titre d’abord disait “Info” sans préciser que cela ne concernait que la portion de guacamole directement en contact physique avec le noyau. Et d’autre part parce que le livre cité en référence (celui de 1992) est désormais introuvable, même dans les méandres du sous-sol de l’Internet mondial. J’ai trouvé celui de 1984, en revanche, et il n’y est pas question de telles expériences. Du coup, il faudrait soit croire l’auteur sur parole – ce qui me pose un peu problème – ou trouver d’autres sources fiables qui référencent également l’ouvrage. Et c’est le cas du seul et unique livre de cuisine que je possède, Cooking For Geeks, qui confirme, en  – en se basant sur la même source, précisément – que c’est bien la zone directement au contact du noyau qui est préservée de l’oxydation. Je me suis quand même dit que rien ne vaut l’expérience. Pas eu le temps de faire un guacamole, désolé, mais j’ai eu le temps d’acheter deux avocats, de les couper en deux et de les regarder vieillir. J’avais donc 4 moitiés d’avocat que j’ai laissées non-réfrigérées et à l’air libre de ma cuisine après les avoir apprêtées de la manière suivante : 1. Demi-avocat avec son noyau ; 2. Demi-avocat sans noyau. Laissé en plein air ; 3. Demi-avocat avec une ampoule électrique à la place du noyau. Mais bon, je n’ai pas réussi à faire un truc bien hermétique ; 4. Demi-avocat sans noyau, recouvert de jus de limette. Les résultats en photos :

On voit clairement qu’après 48 heures, seul le demi-avocat imprégné de citron-vert, est moins dégradé que les autres. Et même si la chair du demi-avocat n° 1 est effectivement nickel juste sous le noyau, le reste de l’avocat est quand même bien marron. Quant à l’ampoule, elle n’adhérait pas suffisamment à la chair pour empêcher l’air de circuler, et son pauvre avocat est dans le même état que sans protection du tout. Bref… Tout doute est désormais dissipé ;  on peut le clamer haut et fort, cette histoire de noyaux qui empêcherait la chair de l’avocat dans le guacamole de s’oxyder est bel et bien et définitivement une INTOX !! Podcast Science vous recommande donc de protéger votre guacamole autrement qu’à grands coups de croyances populaires infondées et de suivre les conseils de l’excellent blog Sweet Random Science pour planter le noyau d’avocat ainsi récupéré et voir pousser une magnifique plante verte. Last but not least, puisque nous y sommes et qu’une question entraîne entraîne une question, je ne résiste pas à l’envie de vous raconter vite fait l’histoire de l’avocat le plus communément vendu (en tout cas sous nos latitudes), celui dont la peau est pratiquement noire quand le fruit est mûr, l’avocat Hass. http://en.wikipedia.org/wiki/Hass_avocado   Il s’agit en fait d’une variété qui remonte à 1926, mise au point par un facteur californien, si si, un employé de la poste, jardinier amateur à ses heures perdues, du nom de Rudolph Hass. Il a obtenu cette variété via des greffes expérimentales en partant de semences d’une sous-espèce malheureusement inconnue. C’est à partir de la plante-mère qu’il a fait pousser que tous les avocats Hass de la planète descendent aujourd’hui. Particulièrement gras et résistants, ses avocats se vendaient jusqu’à 1$ pièce dans les années 30 (l’équivalent de 15$ aujourd’hui). En 1935, il a breveté sa plante-mère; c’était d’ailleurs le premier brevet pour un arbre en 1935. Mais l’une dans l’autre, il s’est fait avoir par ses partenaires et n’aura touché que 5’000 $ en tout et pour tout, quand bien même, le marché de l’avocat Hass pèse aujourd’hui un milliard de dollars par année rien qu’aux Etats-Unis. Pour payer son loyer, le brave Rudolph est donc resté facteur jusqu’à la fin de ses jours en 1952. Sa plante-mère lui a survécu pendant un demi-siècle. Elle est morte à l’âge respectable de 76 ans le 11 septembre 2002 après 10 ans de combat acharné contre le phytophtora, un micro-organisme  qui provoque le pourrissement des racines. Qu’elle repose en paix 🙂   Sources :

 

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