La culture dans le monde animal

Dossier publié dans l’épisode #132.

Avant toute chose, précisons que l’on ne limite pas ici cette culture au spectre du ministère de la culture mais qu’on entend plutôt culturel par opposition a naturel, c’est a dire que l’on parle de tout ce qui est de l’ordre de l’acquis et non pas de l’inné.

La culture humaine inclut donc non seulement les tableaux de Léonard de Vinci, Game of Thrones et les écrits de Victor Hugo mais aussi l’agriculture, les hauts-parleurs ou les écouteurs que vous avez utilisés pour suivre ce podcast, la langue dans laquelle vous l’avez compris (ou dans laquelle vous lisez ce dossier), les vêtements que vous portez sans doute (si vous ne nous écoutez pas sous la douche), et la ville dans laquelle vous vivez…

Apres avoir terminé cette énumération, on peut avoir envie de faire le parallèle avec les réalisations de certains insectes sociaux tant elles sont impressionnantes, on peut citer en vrac :

  • l’architecture : fourmilières et autres termitières sont de véritables chefs-d’oeuvres architecturaux;
  • l’agriculture : les fourmis entretenant des cultures de champignons;
  • l’élevage : les fourmis, toujours elles,  pratiquent dans certains cas l’élevages de pucerons;
  • la langue : comme la fameuse danse des abeilles qui leur permet de signaler les endroits intéressants où collecter de la nourriture…

Et pourtant tout cela n’est pas de la culture… Les colonies de fourmis d’une même espèce construiront inlassablement leurs fourmilières de la même manière… Pas d’acquis non plus au niveau des abeilles : elles n’auront pas besoin d’apprendre à danser et pratiqueront inlassablement leur vol de la même façon, quelle que soit la ruche.

On pourrait croire alors que la culture de champignons ou de pucerons se rapprochent davantage de nos cultures humaines… En effet, elle n’est pas systématique : il existe des variantes entre différentes populations d’une même espèce de fourmis, certaines pratiquant l’élevage ou l’agriculture tandis que d’autre ne le font pas… Et la jeune reine partant fonder sa fourmilière emporte même précieusement un échantillon de champignon à partir duquel une agriculture pourra être redéveloppée …

Qu’est ce que la culture?

Mais avant de nous pencher sur ces questions, il faut préciser ce qu’est la culture ! Dans son livre, Damien Jayat rapporte deux définitions, la première définit la culture comme étant un : “comportement observé régulièrement chez plusieurs membres d’un groupe et absent d’au moins un autre groupe sans que cette absence puisse s’expliquer par des facteurs écologiques”, la seconde, elle, fait carrément référence au mode de transmission de ces comportements : basé sur l’apprentissage social et la transmission d’information.

Pour résumer, on recherche des comportements qui comportent des variantes locales n’étant pas déterminées par l’environnement et surtout qui sont transmissibles sans intervention humaine (on serait sinon dans le domaine du dressage…)

Avec ces définitions en tête, comment tester si le caractère A et sa variante le caractère B sont culturels ? C’est théoriquement assez simple :

  • Il suffit de prendre une partie de la population α pratiquant le comportement A et de l’introduire dans la population B. Si cela n’affecte aucunement le comportement des individus ß et α alors il ne s’agit pas de  comportement culturel mais d’un comportement déterminé génétiquement;
  • Ensuite, il faut inverser la totalité des populations : introduire la population α dans l’environnement B’ où réside la population ß et voir si cette dernière adopte le comportement B et vice versa. Si cette inversion provoque l’apparition du comportement A dans la population (ou même chez certains individus uniquement) ß et/ou vice versa, alors le comportement ß est programmé génétiquement passe de l’état latent à l’état exprimé en fonction de critères environnementaux (il peut ou pas être latent dans toute la population).

Si ces deux critères sont vérifiés, on a de bonne chance de se trouver face a des comportement acquis (culturels)…

Cette idée en tête, revenons vers nos fourmis adeptes de l’agriculture… L’hypothèse culturelle ne résiste ici pas à l’expérimentation et l’on constatera rapidement que nous sommes dans le second cas (un comportement inné latent s’exprimant sous certaines conditions environnementales). En effet n’importe quelle fourmilière ne pratiquant pas l’élevage ou l’agriculture mais faisant partie d’une espèce la pratiquant s’y adonnera immédiatement si elle est mise en contact avec le bon champignon/puceron…

On n’est donc pas ici dans le domaine de l’acquis mais dans les facteurs environnementaux (présence ou non de pucerons) qui vont conditionner le développement de ce que l’on pourrait appeler le super-organisme “fourmilière”.

Alors, pratiquement parlant, qu’est ce que pourraient être ces caractères culturels, ces comportements susceptibles de varier selon les groupes d’une espèce donnée ?

  • On peut penser à des outils utilisés uniquement par certaines populations;
  • Des modes de communication spécifiques à une population donnée;
  • Des formes d’interaction sociale différentes;
  • Des techniques de chasse;
  • Des routes migratoiress;

Mais si faire ce genre d’expérience avec des souris, des insectes voire des oiseaux est relativement aisé, il est bien plus complexe de se livrer à des expériences similaires avec un groupe de singes ou de cétacés. Un chimpanzé introduit artificiellement dans un nouveau groupe a de très forte chances de s’en voir exclu illico-presto, la seconde possibilité la plus probable étant qu’il se fasse purement et simplement massacrer par sa gentille famille d’accueil. On imagine aussi qu’il n’est pas franchement aisé, logistiquement parlant, de déplacer un groupe de baleines d’un océan à l’autre juste pour voir si leur chant ou leur comportement s’en trouve affecté…

Bref, au final, on a principalement testé avec succès des groupes de poissons, le comportement culturel étant ici les routes migratoires empruntées, et des oiseaux, en étudiant cette fois les variation de leurs chants.

Mais l’on arrive à des résultat assez proches avec un candidat à la culture un peu plus surprenant, l’un des animaux préférés des laboratoires : la drosophile. Des expériences menées en laboratoire montrent en effet que certaines mouches sont capables d’imiter leur congénères dans le choix de leur partenaire sexuel.

L’expérience en question consiste (ici en résumé) :

  • À peindre deux mâles drosophiles de deux couleurs particulières;
  • De présenter l’un d’eux en train de s’accoupler avec une drosophile à une troisième drosophile (réduite au rôle de voyeuse);
  • De présenter à la voyeuse l’autre mâle en train de se faire rejeter par une partenaire potentielle;
  • De laisser choisir la drosophile entre deux mâles différents des précédents et colorés de la même façon que les précédents.

La drosophile va alors généralement choisir comme partenaire celui qui se trouve être de la même couleur que celui qu’elle vient de voir en train de s’accoupler.

On se trouve face à un comportement assez basique mais qui semble bien correspondre à notre définition minimale de la culture (de l’imitation).

Pour éviter d’avoir à considérer comme culturels des comportements trop éloignés de ce que l’on entend par “culture”, certains chercheurs proposent des définitions plus restrictives :

Damien Jayat rapporte deux séries de définitions :

Celle, assez perméable, de Susan Perry et Joseph Manson qui proposent 4 critères interchangeables (il suffit pour eux que l’un de ces critères soient vérifié pour qu’un comportement soient considéré comme culturel) :

  • Variation intergroupe;
  • Apparition et diffusion d’un comportement;
  • Transmission entre individus;
  • Observation d’un individu.

Et celle, beaucoup plus stricte, de Danchin et Wagner, qui demande de cumuler quatre critères :

  • Apprentissage social;
  • Transmission inter-générationelle;
  • Généralisation;
  • Durabilité du comportement;

Vous l’aurez compris, il n’y a pas de définition parfaite et incontestable de ce qu’est la culture (une fois encore, la définition que l’on choisira dépend beaucoup de ce que l’on souhaite étudier).

Les comportements culturels dans le monde animal

Après cette longue discussion sur ce qu’est la culture, attardons-nous sur des exemples convaincants de cultures dans le monde animal, car il y en a.

Chez les grands singes chimpanzés :

Pour commencer, certains singes en captivité ont appris à manier la langue des signes… Ils semblent maîtriser un vocabulaire conséquent, parfois plusieurs centaines de mot set d’exprimer des volontés Mieux, on a vraisemblablement constaté une transmission de ce langage de parent à enfant.

Si le sujet vous intéresse, vous pouvez regarder des vidéos très touchante d’une femelle gorille prénommée Koko.

Néanmoins, ces exploits sont à considérer avec circonspection :

  • La relation qu’entretiennent les singes étudiés avec les expérimentateurs ont sans doute parfois amené ces derniers à surinterpréter les actions de certains singes (les exploits rapportés les plus impressionnants ont été observés en dehors d’un environnement strictement contrôlé) ;
  • Par ailleurs, on n’est pas ici dans le cadre d’une observation en milieu naturel et l’on se rapproche donc davantage du dressage.

Les primates :

À l’état naturel justement, des petits singes, les singes vervet, davantage éloignés de nous que les gorilles ou les chimpanzés, semblent capable d’un langage relativement complexe… Il savent, par exemple, désigner des aigles, des guépards et des serpents et il semblent même capables, à l’aide d’une combinaison de sons, d’effectuer des généralisations et d’indiquer la présence d’un prédateur volant ou terrestre… Malheureusement, rien n’indique qu’il existe des variations de ce langage.

Finalement, les comportement culturels documentés les plus marquant sont ceux de nos plus proches cousins, les chimpanzés… On en compte de très nombreux :

Leurs préférences alimentaires peuvent varier selon les groupes, et ce, même si les proies potentielles présentes sont identiques. Certaines populations consomment et chassent par exemple l’antilope alors que d’autre éprouvent une indifférence totale vis-à-vis de cet animal et n’auront même pas l’idée de s’attaquer à une antilope blessée pourtant incapable de fuir.

Les techniques d’épouillage varient fortement et l’on a pu observer l’apparition et la propagation de nouvelles pratiques.;

Les exemples les plus marquant concernent l’utilisation d’outils :

La brochette de fourmis est un plat de gourmet pour les chimpanzés. Pour cela, les chimpanzés utilisent des petites tiges de bois qu’ils coupent à la longueur voulue et les plongent ensuite dans la fourmilière. Il existe néanmoins de nombreuses variantes à cette technique et certains singes vont tailler en pointe un côté de la baguette et/où au contraire constituer une sorte de balayette de l’autre côté.

De même le cassages de noix est une activité complexe qui nécessite l’utilisation coordonnée de deux outils (un “marteau” et une “enclume”) et qui comporte de nombreuse variantes tant sur les matériaux utilisés (bois, pierre…) que sur la technique à proprement parler (positionnement des noix).

Mais l’utilisation d’outils chez les chimpanzés ne se limite pas à ces baguette de bois et à ce systèmes de marteaux et d’enclumes : certains groupes peuvent utiliser jusqu’a 42 outils différents.

Les oiseaux chanteurs :

Plus loin de nous dans l’arbre du vivant les oiseaux chanteurs sont eux aussi capables de comportement culturels. Leur chant n’est pas inné et l’on peut constater des variations locales ainsi qu’un apprentissage à partir du chant du groupe, voire dans certain cas, étonnamment, à partir du chant d’autres espèces avoisinantes.

Même si on ne retrouve rien d’aussi impressionnant qu’avec les grand singes, ont observe ici aussi de l’utilisation d’outils et non-seulement l’utilisation de pierre pour casser des coquillages ou la construction de nids, mais aussi une construction d’outils assez complexes telles la taille de brindilles ou de feuilles pour chasser des insectes dans des endroits autrement inaccessibles.
Les cétacés :

Le langage des dauphins, je pense que vous le savez déjà, est particulièrement complexe, il existe sur trois modes différents :

  • les sifflements;
  • les cliquetis;
  • les grincements

Il existe des variations locales et il est probable que les dauphins aient un systèmes de noms (il semble que chaque dauphin répète fréquemment son nom et que pour l’appeler, un autre dauphin fera précéder et suivre ce nom d’un préfixe et d’un suffixe pour éviter toute confusion, on en serait presque à se demander si le langage dauphin ne comporte pas des équivalents de nos monsieur, madame et autre monseigneur).

 

Et même si la complexité de leur langage semble moindre, il en est de même pour le reste des cétacés; je ne reviendrai pas ici sur le chant des baleines mais on pourrait le citer. De même, on a aussi analysé le langage des orques et montré qu’il peut être stable sur au moins 6 générations.

 

Mais l’élément le plus surprenant concernant les cétacés est sûrement une technique de chasse utilisée par certains dauphins : on pourrait croire que l’utilisation d’outils se limite aux oiseaux et aux grands singes et qu’il serait impossible de faire de même sous l’eau… Pourtant, il existe un contre-exemple particulièrement intéressant : la chasse à l’éponge des grands Dauphins de Shark Bay.

Il semble difficile pour un Dauphin d’utiliser des outils et pourtant environ 5% des Dauphins de Shark Bay, principalement des femelles, utilisent une technique originale qui consiste à protéger son rostre avec une éponge puis racler les fond marins pour attraper de petits poissons.

Cette technique semble être transmise de mère en fille, ce qui n’est pas étonnant concernant le caractère matrilinéaire de l’organisation sociale des dauphins de Shark Bay. Et l’hypothèse d’une transmission d’ordre génétique à pu être écartée grâce à une comparaison des génotypes des membres des groupes pratiquant et ne pratiquant pas cette forme de chasse.

On trouve de nombreux autres exemples de techniques de chasse qui semblent être culturelles chez les cétacé (que ce soit la chasse aux phoques par échouage des orques où la chasse via filet de bulles des baleines à bosses).

Mais l’anecdote la plus amusante concerne sûrement ces dauphins qui ont appris à aider à signaler aux pêcheurs quand remonter leur filet pour récupérer les poissons rejetés à la mer et qui semblent par ailleurs transmettre cette technique de chasse pour le moins originale à leur descendance.

Conclusion

Tous ces animaux partagent quelques similitudes pouvant laisser penser à des formes de convergence évolutive dans des environnements pourtant complètement distincts (maritime, aérien et terrestre) :

  • une encéphalisation élevée (un rapport masse du cerveau sur masse totale élevé);
  • Une période de sevrage représentant une part très importante de leur vie (ce point étant néanmoins moins vrai pour les oiseaux chanteurs);
  • Des interaction sociales complexes au sein du groupe;
  • Passer le test du miroir (qui consiste à vérifier si un animal est capable de reconnaître son reflet dans un miroir et montre l’existence d’une forme de conscience);
  • Une capacité à imiter;
  • Une espérance de vie post ménopause élevée pour les femelles.

Et bien sûr donc, des indices divers montrant des formes de culture. Reste à expliquer comment tout ces éléments sont corrélés. Une piste pourrait être indiquée par Susan Blackmore qui, quant à elle, cherche à expliquer la mémétique. Pour elle, l’homme est le seul imitateur généraliste et c’est cette caractéristique qui a créé une pression de sélection vers une encéphalisation élevée,  qui par ailleurs a rendu possible le développement (par sélection naturelle) de notre culture (outils, utilisés, langages utilisés…) que l’on peut réduire, dans le paradigme utilisé par Susan Blackmore, à la mémétique.

Bibliographie résumée :
– La théorie des mèmes de Susan Blackmore
Les animaux ont-ils une culture ? de Damien Jayat
Ces belles intelligences de Maddalena Bearzi et Craig Stanford (moins intéressant)

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