Le gène égoïste, le phénotype étendu et la vision de Richard Dawkins de l’évolution

Dossier présenté par David dans l’épisode #151.

Introduction

Je vais donc aujourd’hui vous parler de sélection naturelle et en particulier de la vision de Richard Dawkins de la sélection naturelle dans son livre « the extended phenotype ».

Je tiens à préciser que je n’aurai pas le temps de traiter l’intégralité des sujets abordés par Richard Dawkins, loin de là. Si le sujet vous intéresse, je pense qu’on peut faire facilement encore un ou deux épisodes là-dessus. Je vais aussi déborder sur d’autre sujets périphériques et réflexions personnelles qui me semblent intéressants pour essayer de donner un sens global à ce dossier.

Je pense que vous le savez, on résume souvent la sélection naturelle en trois grands principes formulés entre autre par Leventine : mutation, hérédité, sélection.
Tout cela s’inscrit dans la lignée de l’explication de l’origine de la complexité du vivant… qu’en quelques mots on pourrait résumer par :

  • A l’origine était le fixisme
  • Avec l’accumulation des découvertes de fossiles, des premières notions de transformisme des espèces apparurent, entre autre chez Buffon dans son texte sur l’âne
  • Une notion d’évolution fût par la suite formulée par Lamarck qui l’accompagna malheureusement de mécanismes explicatifs : « l’hérédité des caractères acquis », « la génération spontanée » par la suite invalidés
  • Ce fût suivi, dans la seconde moitié du 19ème siècle, par une première formulation de la sélection naturelle par Darwin qui malheureusement n’abandonna pas l’hérédité des caractères acquis et donna même de moins en moins d’importance à la sélection naturelle, cette innovation majeure au fil des éditions de l’origine des espèces.
  • Ensuite l’hérédité des caractères acquis perdit progressivement en popularité entre autre suite aux expériences de Weismann
  • Puis dans les années 30 – 40 la Théorie synthétique de l’évolution qui intègre la théorie Medenlienne de l’hérédité devint le paradigme dominant

Petite réflexion préalable sur la scientificité et le statut de ces deux concepts que sont l’évolution et la sélection naturelle :
Il y a pas mal de définition de ce que peut être la science, on en a entre autre parlé avec Ruxandra. On peut parler, entre autre, de succession de paradigme comme Kuhn (sociologique), on peut aussi parler de méthode expérimentaleClaude Bernard) ou l’on peut parler de falsificabilité (philosophique/ontologique ? K. Popper) et je n’en cite que quelques unes…

On pourrait passer un épisode entier à débattre du positionnement de l’évolution ou de la sélection naturelle vis-à-vis de ces différentes définitions de la science… Ça serait très intéressant mais on n’aura pas le temps dans ce dossier, néanmoins il me semble important de revenir sur une différence importante entre évolution et sélection naturelle.

L’évolution (définie comme la transformation des espèces d’êtres vivants qui se sont succédés à la surface de la terre avec les générations) relève, au moins en partie (puisque ça inclut que le processus est toujours en cours aujourd’hui), de la constatation, au même titre que la présence de points lumineux dans le ciel, la formation de notre système solaire, ou l’existence de Clovis… Comme les deux dernières, c’est d’ailleurs une constatation historique (ça s’inscrit dans le temps)… Ça explique qu’elle soit régulièrement attaquée car avec un peu de mauvaise foi ou d’aveuglement, il est toujours possible de remettre en cause une constatation historique. Je pense que je n’ai pas besoin de vous donner d’exemples. 
En l’absence de machine à voyager dans le temps (faudra d’ailleurs qu’on se fasse un épisode SF, physique et voyage temporel) c’est une constatation qui, bien évidement, ne peut se faire qu’en analysant les traces laissées par ces événements historiques (les fossiles principalement) et par l’intermédiaire de la technique (issue elle aussi de découvertes scientifiques telles que des méthodes de datation).
Il ne faut néanmoins pas prendre ça pour une faiblesse de l’évolution. C’est une constatation historique établie au delà du doute raisonnable (en tout cas en l’état de nos connaissances). Pour énerver nos matheux, il y a infiniment plus d’éléments attestant de l’existence de l’évolution que de traces de sources directes mentionnant l’existence de Clovis.
De l’autre côté, pour la sélection naturelle, cela dépend comment on la formule : si on la résume en annonçant que le mécanisme permettant d’expliquer l’histoire évolutive du vivant est la présence de réplicateur (d’entité produisant des copies d’elles même) ayant les trois caractéristiques (mutation, hérédité, sélection) précédemment citées, on reste plus ou moins dans la constatation historique. En fait, on se retrouve dans une quête intéressante mais sans fin, consistant à trouver des explications évolutionnistes pour différentes caractéristiques des êtres vivants puis à analyser les traces laissées par ces événements historiques pour les valider… C’est très intéressant mais ça ressemble à la quête de Sisyphe.
Chaque caractère auquel une explication évolutionniste a été apportée n’est que le prélude à l’explication d’un autre caractère.

Si au contraire, on laisse l’histoire évolutive de côté et que l’on postule qu’un être vivant évolue si, et uniquement si, il transmet certaines de ses caractéristiques de manière héréditaire quand il se réplique, que ces caractéristiques son soumises à des mutations et qu’elles influent sur sa capacité à se répliquer, on se donne alors la possibilité de tenter de réfuter cette théorie en cherchant à obtenir une évolution chez des êtres vivants qui ne seraient pas soumis à l’un ou l’autre de ces critères. Là aussi la démarche est très intéressante mais pas forcément aisée. Allez supprimer toute forme de sélection ! Je vous souhaite bonne chance. Mais surtout, elle laisse la possibilité qu’une autre caractéristique du vivant indispensable (à l’évolution) soit ignorée. Pour vous donner un exemple absurde : si un parapsychologue postulait que le psi, qu’il imaginerait caractéristique de tout être vivant, soit un quatrième critère lui aussi indispensable à l’évolution on ne pourrait pas vraiment le réfuter. Bien sûr, si un parapsychologue avançait une telle hypothèse, la discussion s’orienterait sur la question de l’existence du psi… Mais postulons cette fois que la membrane plasmique est indispensable à l’évolution ou je ne sais quelle caractéristique de l’ADN et vous pouvez imaginer qu’il serait difficile de tester des êtres vivants sans membrane plasmique…
Une solution pourrait éventuellement nous être apportée par l’exobiologie.

Mais en attendant il me semble qu’il existe une troisième approche complémentaire des deux précédentes : la généralisation de la sélection naturelle. Partir, cette fois-ci, du principe que n’importe quel réplicateur transmettant ses caractéristiques de manière héréditaire, mutant et soumis à une sélection, va se mettre à évoluer… La différence avec la première définition que j’ai proposé consiste à ne pas se limiter au vivant. C’est l’approche de la sélection naturelle que propose la vie artificielle mais c’est aussi parfaitement dans la logique de la manière dont Dawkins la présente. L’avantage c’est qu’ici il ne s’agit plus de la déconstruire mais de la recréer. On n’est même plus dans de la modélisation de la sélection naturelle, on peut carrément l’expérimenter, l’étudier l’observer ailleurs que dans le vivant.

Ces trois approches ne sont pas opposée les unes aux autres mais complémentaires et ont toute les chances de mutuellement profiter de leur interaction.

Opter pour l’une ou l’autre va néanmoins nous forcer tantôt à concentrer notre attention sur des question différentes en lien avec la sélection naturelle telles que, pour la dernière, la quantification des variations, la définition plus précise de ce qu’on entend par évolution, l’importance de la reproduction sexuée pour obtenir de la complexité.
Alors que l’approche plus histoire évolutive de la sélection naturelle va peut-être davantage s’interroger sur les équilibres ponctués ou la dérive génétique, et, bien sûr la biologie fonctionnelle.

Je vous laisse garder ça en tête et je me lance maintenant dans un petit plaidoyer pour la vision de Richard Dawkins de l’évolution.

Un mot sur le contexte : Dawkins a écrit the Extended phenotype pour étendre la théorie qu’il avait présentée dans le gène égoïste et répondre aux critiques qu’elle avait suscité. R. Dawkins a précisé à de nombreuses reprises qu’il considère ce livre comme l’oeuvre majeure de sa carrière. Le fait que Dawkins revienne beaucoup sur son idée du gène égoïste et passe beaucoup de temps à répondre à des critiques donnent à l’ouvrage un côté parfois compilation et il arrive que le lien entre différentes parties ne soit pas complètement évident. Il mentionne aussi dans la préface que l’ouvrage s’adresse essentiellement à des chercheurs, des gens déjà familiarisés avec la sélection naturelle. (Il y mentionne aussi qu’il écrit toujours en s’adressant à une lectrice virtuelle).

Pour en finir avec le contexte il faut préciser que le phénotype étendu a été publié en 1982, et que depuis c’est plutôt la vision de l’évolution non centrée sur les gènes donc opposée à celle de Richard Dawkins qui finalement a triomphé. Je vais donc vous présenter une vision de la sélection naturelle qui est sûrement, de nos jours, assez minoritaire même chez les biologistes évolutionnistes.

Le premier élément qu’il faut retenir, c’est que le titre du gène égoïste était très mal choisi et, qu’impact mis à part, il aurait tout aussi bien pu s’appeler le truc altruiste, ou encore plus justement le machin qui est sélectionné. Vu qu’on ne parle ici ni d’égoïsme au sens courant du terme (Dawkins l’a suffisamment répété) ni, non plus de gène au sens courant du terme (ce sur quoi Dawkins a, je trouve, moins insisté mais ce qui me semble au moins aussi important).

L’autre point sur lequel Dawkins insiste en permanence c’est qu’il ne prétend pas proposer une nouvelle vision de la sélection naturelle, radicalement incompatible avec la précédente, mais plutôt nous amener à la considérer selon une nouvelle perspective. L’image qu’il décrit fréquemment est de nous faire changer notre vision d’un cube de Necker.
Bref l’ambition de Richard Dawkins est ici de nous proposer une vue de l’évolution ni plus ni moins correcte que les théories orthodoxes mais plus éclairante, au moins pour certains.
Il précise aussi que sa théorie ne sera pas testable dans le sens où il ne sera pas possible de concevoir de test permettant de la valider ou de l’invalider, au détriment des théories orthodoxes. C’est la même chose, vu autrement.

Mais après cette très longue précision sur le contexte, ce que vous attendez sûrement c’est que je précise un peu la vision que défend Dawkins de la sélection naturelle. Ici, et dans le gène égoïste, ce qui l’intéresse, c’est l’identification du réplicateur. On considère généralement que c’est sur la réplication (reproduction pour les êtres vivant) des êtres que s’applique la sélection naturelle. Pour Richard Dawkins pas vraiment, il centre l’évolution sur les gènes qui se répliquent pendant les mitose et méiose cellulaire.

Avant de vous expliquer pourquoi, il faut préciser ce que Richard Dawkins entend par gène (et donc pourquoi le gène égoïste était un très mauvais titre), car comme je vous l’ai annoncé il n’est pas ici question d’une séquence d’ADN codant pour une protéine comme il en est souvent question.
Richard Dawkins reprend la classification de Benzer qui différencie :
cistron unité minimum de fonction : code pour une protéine
– recon unité minimum de recombination
– muton unité minimum de mutation

Auquel il ajoute un nouveau concept, le gène, qui est un truc (morceau d’ADN situé sur un même chromosome tout de même) dont l’effet phénotypique a une influence sur ses chances de réplication et dont l’effet phénotypique est suffisamment stable avec les réplications.
Le gène est donc pour Richard Dawkins par définition quelque chose qui se réplique, qui a un effet phénotypique, qui influe sur ses chances de reproduction et qui transmet cet effet phénotypique de manière héréditaire. Par ailleurs, le fait qu’il subisse des mutations et que son effet phénotypique soit donc susceptible de changer est ici précisé de manière implicite. Il est donc inutile de tenter de contredire Dawkins en expliquant par exemple qu’un gène n’a pas forcément d’effet phénotypique (critique souvent formulée) il en a pour lui par définition. Un morceau d’ADN n’en ayant pas ne serait pas un gène au sens ou l’entend Dawkins… Après on pourrait lui opposer que le gène qu’il décrit n’existe pas (mais je pense que c’est difficilement défendable) ou que l’unité qu’il décrit n’est pas intéressante à étudier…

Je pense que c’est déjà à peu près clair pour tout le monde mais le terme égoïste est bien évidement une formule de style. Richard Dawkins, qui ne prête bien sur aucunement de volonté ou de conscience à ses gènes, indique juste par ce terme qu’étant donné qu’il sont, tel que je l’ai précédemment décrit, disons le réplicateur minimum, c’est sur eux que repose l’essentiel de la pression de sélection naturelle.

L’autre notion contre laquelle se bat Dawkins c’est que l’idée qu’il présenterait serait un déterminisme génétique fort. Nous serions entièrement déterminés par nos gènes. Il insiste sur le fait qu’il ne nie pas que que des déterministes culturels puissent être tout aussi forts et irréversibles que des déterminismes génétiques (exemple des Jésuites ? ).
De même, plus généralement, il insiste sur le fait que si les variations génotypiques sont une cause de variation phénotypique, l’effet des ces variations peut être modifié, augmenté, annulé par des facteurs environnementaux, y compris les effets d’autres gênes. Je vous demande de garder ça en tête pour le moment où l’on abordera la question de l’épigénétique.
Undoubtedly genetic variance is a significant cause of much phenotipic variance in observed populations, but its effect may be overridden, modify, enhenced or reverse by other causes. Genes may modify the effects of other genes and may modify the effect of the environment. Environmental event, both internal and external, may modify the effect of genes and may modify the effects of other environmental events.

Educational or other cultural event may be as irreversible, in some circumstanced, as genes are populary thought to be (jesuits ex).

Ces précautions étant prises, intéressons nous rapidement aux différentes entités sur lesquelles la sélection naturelle est susceptible de s’appliquer.
La biosphère de la planète terre dans son ensemble, c’est ce que l’on appelle, je crois, l’hypothèse Gaïa de Lovelock. Pour Dawkins, c’est une utilisation complètement erronée de l’idée d’évolution (en temps que phénomène généré par la sélection naturelle), dans la mesure où, a priori, Gaïa ne se réplique pas. Pour que ça marche, il faudrait imaginer que les planètes envoient régulièrement de la vie à travers l’espace, vie qui, elle même, s’installe sur d’autres planètes et répète le processus. C’est envisageable mais l’on n’est plus du tout dans le cadre de l’évolution de la biosphère terrestre. On ne peut prétendre qu’il y a de l’oxygène pour qu’il y ait de la vie à moins d’imaginer que les premières formes de vie étaient programmées pour aboutir des millions d’années plus tard à d’autres formes de vie utilisant de l’oxygène, et que cette étape est utile à l’ensemencement de la vie au niveau spatiale. Bref on se retrouve avec une vision de l’évolution terrestre qui tient presque plus du créationnisme que de la science.

La deuxième entité que RD envisage est l’espèce comme réplicateur. On rappelle qu’une espèce est un ensemble d’organisme inter-fécond. Les espèces disparaissent et se répliquent dans la mesure ou d’autre espèces apparentées peuvent leur survivre. Il y a hérédité et variation entre espèce et il a, vraisemblablement, une part d’aléatoire dans les caractéristiques variant entre une espèce et son parent dans l’arbre phylogénétique. Dawkins en conclut qu’il y a évolution par sélection naturelle à ce niveau. Mais il y ajoute un bémol. La reproduction des espèces par extinction et spéciation est en général un processus bien plus long que la reproduction des organismes, ou autre… Du coup ça semble pour Dawkins un cadre pour une évolution assez lente, peu susceptible d’expliquer l’apparition d’organes complexes par exaptation par exemple.

Ensuite on pourrait parler de groupe d’organismes au sein d’une espèce. En dehors du cas des jumeaux et des insectes sociaux qui partagent le même matériel génétique, on est dans le cadre de la sélection de groupe. Généralement la sélection de groupe est utilisée pour expliquer des formes de coopération ou d’altruisme. Pour défendre son point de vue (à savoir qu’elle n’est pas pertinente), RD utilise une analogie que je trouve assez parlante. Imaginez une population de meuniers et de paysans faisant pousser du blé. La méthode de la sélection de groupe consisterait à subdiviser cette population en sous groupe interfécond et expliquer que l’augmentation de la taille des groupes les mieux équilibrés compense les pressions de sélection interne. ça marche mais c’est compliqué mathématiquement.
La vision centré sur les gènes va, elle, se contenter de dire qu’un environnement constitué de trop de meuniers sera favorable à la réplication des paysans faisant pousser du blé et inversement. L’environnement d’un gène est entre autre constitué des autres gènes du coin.
Les deux approches sont valables mais la seconde me semble plus intuitive. Je ne sais pas ce que vous en pensez ?

There are 2 general ways in wich harmonious coopération came about. One way is for harmonious complex to be favored in comparison to disharmonious complex. The other way is for separated parts of complex to be favored over the presence, in the population, of other parts witch wich they happend to harmonise.

Il y a aussi l’exemple du sex ratio, soit on considère que des populations mal équilibrées seront contre-sélectionnées, soit on considère que dans une population ou le ratio femelle-mâle est déséquilibré, les gènes qui contre-balancent ce déséquilibre seront sélectionnés.

Si l’on descend encore un peu, on peut envisager l’organisme comme entité. Pour Dawkins, l’organisme est indiscutablement le véhicule, le support de la réplication, mais pas l’entité répliquée. Il le considère moins pertinent que le gène pour plusieurs raisons. Dawkins recherche en effet un réplicateur produisant des copies ayant un effet phénotypique stable influençant la capacité de ce réplicateur à se multiplier. Or, pour lui, la reproduction sexuée ne remplit pas vraiment le critère de stabilité. Il n’y a pas réplication mais quelque chose de plus complexe. On s’y met à deux, on se mélange… Alors que la pression de sélection doit avoir le temps de s’exercer sur le phénotype sur plusieurs générations… Ici le phénotype sera différent dès la prochaine génération. Pour ce qui est de la reproduction asexuée des bactéries ou des archées, l’argument est présenté différemment : les recombinaisons (crossover) ne permettaient pas non plus à leur phénotype d’être suffisamment stable.

Descendons encore un peu et arrivons au niveau cellulaire. Dans le cas d’organismes unicellulaires, le problème est le même que précédemment. Dans les autres cas, il faut généralement distinguer méiose et mitose, pour la méiose on peut difficilement parler de copie identique, pour la mitose la réplication est généralement limitée dans le temps mais l’on reviendra en fin de dossier là-dessus.

L’intérêt de la cellule risque aussi de rentrer en conflit avec l’intérêt de l’organisme. Les cancers sont de bons exemples de cas de sélection naturelle au niveau cellulaire.

Plus bas, on a le gène qui, vu la façon dont Dawkins le décrit, est par définition un réplicateur idéal.

Ensuite en descendant encore, on arrive aux Bases azotées que l’on peut difficilement considérer comme candidat crédible en raison entre autre de l’instabilité totale de leur effet phénotypique.

Dawkins mentionne aussi un autre réplicateur potentiel sur lequel la sélection naturelle s’applique et vous le connaissez déjà : le mème, la fameuse réplication des idées (le terme idée n’est pas parfaitement valable, RD serait vent debout contre ce résumé mais c’est assez parlant pour ce qu’on va mentionner ici et ça permet de se détacher des stupides mèmes internets). On en a déjà parlé de nombreuse fois (voir le dossier de Franck dans Podcast Science et mes dossiers du côté de vie artificielle et scepticisme scientifique :p ). Mais il me semble qu’avoir précisé la notion de gène chez Dawkins nous en apprend beaucoup sur sa vision des mèmes. La principale critique que l’on oppose généralement à la mémétique est la suivante : où sont les mèmes… RD ne répond pas vraiment à cette question, il explique juste qu’ils ont un support physique continu ou discontinu quelque part dans notre cerveau. Mais finalement discontinuité mise à part et encore… (un gène doit être présent sur un même chromosome pour être stable et j’imagine que ses parties ne doivent pas être trop éloignées les une des autres en raison des crossover potentiels mais il ne me semblerait pas complètement absurde dans la vision de RD d’imaginer des gènes discontinus), discontinuité mis à part donc les gènes ne sont guère plus précis que les mèmes. Ça peut être une critique importante mais il me semble que c’est aussi très éclairant.

Voilà pour l’idée de base même si il y’a encore plein de choses que je n’ai pas traitées. Passons maintenant à ce que le phénotype étendu apporte de nouveau.
En langage dawkinien, le gène est le réplicateur tandis que l’organisme est donc le véhicule, l’entité qui permet pratiquement la réplication du gène.
Pour ce qui est du génotype d’un gène, on pourrait vouloir le limiter à la synthèse de protéïne. Dawkins défend ici au contraire l’idée qu’il est pertinent de parler de phénotype d’un gène en dehors de son véhicule. L’environement d’un gène et sa zone d’influence ne s’arrêtent donc pas à l’organisme dans lequel il se trouve. L’exemple le plus marquant va être à chercher du côté des parasites dont nous parle parfois Taupo dans ses Freaky Friday Parasite. Le nématomorphe va, par exemple, dans un cycle complexe, manipuler son hôte, un grillon, pour l’amener à se jeter dans l’eau où il pourra lui même se reproduire. En partant du principe, ce qui semble indiscutable, que ce comportement est au moins en partie programmé génétiquement chez le nématomorphe, le phénotype va donc jusqu’à inclure le pilotage du comportement d’un autre organisme pour assurer la réplication du géne.

Ensuite se pose une autre question qui amène pour moi des réflexions très intéressantes. Les copies d’un gène ont, elles, le même statut quand elles se trouvent dans le même véhicule ou quand elles ne s’y trouvent pas. Faut-il considérer vos gènes et ceux de votre vrai jumeau comme une seule entité ou pas. Quel va être le statut d’organismes tel que le fraisier qui va généralement se reproduire par reproduction asexuée à l’aide de stolon (une petite tige qui part d’un fraisier pour créer un autre fraisier un peu plus loin toujours connecté au précédent et partageant le même patrimoine génétique).

Deux petits éléphants partageant les même gênes sont-ils équivalents à un éléphant deux fois plus gros du point de vue de la sélection naturelle ? Pour Dawkins, la différence réside dans le développement et donc la spécialisation, l’apparition d’organes complexes. Imaginons un organisme unique s’étendant perpétuellement sans jamais avoir besoin pour ça de se scinder en deux. Des mutations auront lieu, avec le temps le génotype d’une cellule d’une extrémité de l’organisme sera sûrement aussi différente que possible que celui d’une cellule de l’autre extrémité. la sélection naturelle va agir sur cet organisme. Mais le véhicule ne sera pas au niveau de l’organisme entier mais plutôt au niveau cellulaire : la pression de sélection va augmenter la capacité de ces génotypes à produire des cellules capables de se reproduire efficacement dans un environnement donné mais a aucun moment elle ne va les pousser à travailler ensemble.

Par contre, si maintenant on imagine un petit talus qui éjecte un morceau de lui-même, qui à son tour constitue un nouveau talus l’intérêt de l’ensemble des gènes du talus va être de créer un véhicule capable d’éjecter un maximum de copie d’eux-mêmes quitte à se sacrifier pour ça.

On est dans quelque chose de similaire à une fourmilière créant des ouvriers stériles dont la finalité est d’assurer la reproduction de leur cousins.

Petite réflexion, il me semble que ça explique aussi assez bien l’intérêt des graines ou autres œufs pour générer des organismes complexes, ça permet le développement en gros. Et l’on comprend que des organismes vivipares n’aient pu apparaître qu’une fois cette étape du développement inscrite quasi irréversiblement dans leur histoire évolutive.

Alors, qu’est-ce qui pose problème à nombre, nombre de biologistes (en particulier de biologisted fonctionnels, vous vous souvenez la fameuse formule de biologiste évolutionniste ?) dans cette théorie. Ainsi qu’à des non biologistes d’ailleurs :
Comme je vous l’ai expliqué Dawkins s’en défend, sans doute entre autre car c’est devenu une insulte, mais à mon sens, et pour pas mal de personnes, sa théorie a quelque chose de réductionniste, un réductionnisme, tout à fait compatible avec un émergentisme faible. Le réductionisme, disons entre la physique et la chimie, c’est de dire que les lois qu’on observe en chimie s’expliquent par les lois qu’on observe en physique. L’émergentisme fort, appliqué à ce même domaine serait de considérer au contraire que c’est impossible, tandis que l’émergentisme faible serait de considérer que c’est théoriquement possible mais pratiquement au delà de nos capacité de calcul, voir de nos capacités cognitives. Il me semble que même si il n’appuie pas là-dessus il y’a un peu un émergentisme faible, donc une forme de réductionnisme chez Dawkins. Il y’a beaucoup de personnes que ça ne gêne absolument pas, mais il reste chez certain un soupçon de vitalisme : l’idée que les êtres vivants ont des caractéristique irréductibles…
On retrouve un peu cette critique dans une déclaration d’Ernst Mayr :

“The term (gene as replicator) is, of course, in complete conflict with basic Darwinian thought…Since the gene is not an object of selection (there are no naked genes) any emphasis on precise replication is irrelevant. Evolution is not a change in gene frequencies as is claimed so often, but the maintenance or improvement of adaptedness and the origin of diversity. Changes in gene frequency are a result of evolution, not its cause. The claim of gene selection is a typical case of reduction beyond the level where analysis is useful.” Mayr

Mais il y’a au moins deux autres idées dans ce passage : ce que propose Dawkins est une réduction inutile (je vais essayer de vous convaincre du contraire plus tard). Et l’idée qu’il n’y a pas de naked gene, de gènes nus…

Quand Ernst Mayr parle de gène nu je pense qu’il touche un point très important. Dans la sélection naturelle classique, la réplication est un processus interne. Un réplicateur est un réplicateur car il est autonome dans cette tache. c’est le cas des organismes, des espèces… Mais pas des mèmes ou des gènes. Dans un cas comme dans l’autre, on a une machinerie externe à la machinerie cellulaire dans le cas des gènes, l’être humain ou l’être vivant capable de copier des idées/mèmes dans l’autre, qui assure la réplication de quelque chose qu’on peu, à peu près, distinguer de lui.
Pour développer une image. Dans un cas, nous avons un robot qui récupère des matériaux un peu partout dans son environnement et fabrique un nouveau robot. Dans l’autre nous avons des petits robots et une usine à robot. L’usine fait des copies de petits robots tandis que les petits robots font des copies de l’usine. Bien sur l’usine ne peut pas vraiment marcher sans les robots et les robots travaillent dans l’usine, mais il y’a néanmoins une distinction. Pire il y’a plusieurs usines englobées les unes dans les autres. La machinerie cellulaire est la première usine. On peut néanmoins l’inclure dans une  usine plus grande appelée organisme qu’on peut éventuellement inclure dans une usine gigantesque appelée espèce.

– les autres critiques me semblent moins pertinentes mais je dois en oublier un certain nombre. Dawkins est trop théorique, trop philosophe ou trop mathématique pour certain. Il est aussi probable que sa personnalité médiatique et militant énerve pas mal.

Maintenant je vais vous citer quelques cas où, il me semble, sa théorie est éclairante. Des cas, donc, où parler en terme de sélection naturelle classique ne marche pas vraiment :
les virus entrent assez bien dans la théorie développé par RD, une forme de parasite
Ce que l’on apelle les “outlaws genes” c’est-à-dire des gènes qui se multiplient anormalement contre l’intérêt de l’organisme dans lequel ils résident et peuvent par exemple aboutir à des différences de ration mâle/femelle
La redondance au sein de l’ADN
Les échanges d’ADN entre bactéries
La présence d’organisme, les mytochondries, la chlorophylle ayant un ADN propre dans des macro organismes

Et il me semble que même l’épigénétique (prise dans son sens méthylation de l’ADN) pose moins de problèmes dans ce cadre. Je veux dire par là qu’il n’existe que deux possibilités soit ces facteurs épigénétiques ne sont pas transmissibles sur un nombre suffisant de générations, et, dans ce cas, ce sont juste des facteurs environnementaux plus ou moins stables comme le sont les autres gènes transmis, le climat ou les mitochondries transmises. Soit ils sont suffisamment stables et ça demande juste une extension de la définition déjà très flexible des gènes de Dawkins. Extension qui ne changerait pas grand chose il me semble au reste de sa théorie.
Ce qui serait vraiment gênant pour Dawkins, c’est qu’il ait une forme d’induction de caractères transmissible par l’environnement, qu’un mécanisme adapte automatiquement un organisme à un environnement jamais rencontré dans son histoire évolutive et transmette cette adaptation aux générations suivantes… Il me semble que ce n’est pas le cas de l’épigénétique…

Enfin pour terminer et pour boucler avec mon introduction je vais revenir très très rapidement sur les avantages que peut avoir cette vision en Vie Artificielle .

y’a une différence d’approche qui est, me semble-t’il,  assez intéressante. Pour revenir sur nos petites usines de toute à l’heure, dans un cas, la logique est de créer quelque chose qui se copie de manière autonome et l’on va se lancer dans des réflexions autour de comment créer un organisme capable de créer des copies de lui-même. Souvent va s’en suivre une sélection naturelle dans des cas de sélection open ended qui va aboutir à la création d’organisme de taille minimum et plus rien.

Avec la vision de Richard Dawkins on va pouvoir plus facilement s’abstraire de la question de la réplication et considérer qu’elle est assurée par un mécanisme externe et la question va devenir comment voir des formes de complexité émerger de notre mécanisme minimal. Ce sera pour un prochain épisode de vie artificielle mais je pense que mes tentatives personnelles en Vie Artificielle ressemble beaucoup à ce fallu cet éléphant s’étendant perpétuellement décrit par Richard Dawkins pouvant éventuellement ressembler à l’évolution d’une colonie de bactérie mais pas encore à un organisme pluricellulaire. Mais pour rentrer dans le détail ce sera un futur épisode de vie artificielle.

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