#psPlaisir – Robin : le plaisir des maths

Billet diffusé dans le cadre de l’émission radio-dessinée #psPlaisir le 16 janvier 2016 à Lausanne

La chronique de Robin démarre à 1:26:52
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Le plaisir des maths

« Si je suis malheureux, je fais des maths pour devenir heureux. Si je suis heureux, je fais des maths pour le rester. »
Alfred Rényi

 

S’il est des plaisir que beacoup partagent, ou peuvent comprendre même s’ils ne sont pas adeptes (je peux comprendre qu’on aime le footing, ne me demandez surtout pas de m’y mettre), le plaisir que l’on peut trouver à faire des maths semble échapper au plus grand nombre. Et pourtant… écoutez ces mathématiciens parler de leurs recherches : « Finalement, nous arrivons au paradis des mathématiciens : ce sont les problèmes qui, à force de réflexion, ont engendré des idées nouvelles qui, souvent, dépassent de façon incommensurable le problème qui leur a donné naissance. » Jean Dieudonné

Paradis. Et oui.

J’essaye quotidiennement de faire comprendre au plus grand nombre pourquoi on peut trouver du plaisir à faire des maths, à en discuter, même en amateur. En montrant la variétés des sujets étudiés, en essayant de faire comprendre quelques étapes d’un raisonnement particulièrement élégant, voire une démonstration entière. En montrant comment des ponts a priori complètement innattendus peuvent apparaître entre deux objets qui rien ne semblait lier. En présentant également des paradoxes, des résultats fortement contre intuitifs, qui peuvent nous paraître monstrueux avant de peut-être nous séduire quand nous les avons apprivoisés. En montrant comment les maths changent notre vision du monde, peuvent éclairer d’un jour nouveau des questions intimes, comme notre rapport au hasard ou à l’infini. Bref, avec tout ce qui plaît également à la plupart des mathématiciens. Ceux-ci essaient parfois de partager ce plaisir, via des analogie, comme Alain Connes, par exemple qui dit

“J’ai autant de plaisir à déchiffrer des partitions de Chopin que des livres d’équations.”

 

L’une des analogies la plus fréquente dans les propos des mathématiciens qui décrivent leurs recherches est celle de la montagne. Un théorème, une nouvelle théorie, sont des sommets, des cols, que l’on a réussi à gravir, et d’où l’on dispose d’une vue plus ou moins intéressante sur le paysage alentour. Plusieurs voies peuvent bien sûr y mener : on a ainsi des centaines de démonstrations du théorème de Pythagore. Montagne impressionnante en son temps, elle est maintenant un sommet équipé de toutes part, que l’on peut probablement atteindre par une route goudronnée, je soupçonne même l’existence d’une buvette. Des groupes scolaires sont traînés là-haut, plus ou moins de force, par remonte-pente. Reste que quand on prend le temps de montrer le paysage, de passer par une démonstration innattendue, il est tout à fait possible d’en profiter encore et encore…

Cette métaphore m’intéresse, car elle se poursuit bien, et permet, je pense, de faire sentir les différents plaisirs que l’on peut trouver en mathématiques (à condition, bien sûr, de trouver un mimum de plaisir en montagne).

Les mathémticiens sont des explorateurs, des pionniers, des cartographes, découvrant des mondes, gravissant des sommets inconnus, sans savoir s’ils y parviendront, équipant les voies, traçant des routes quand le terrain commence à être maîtrisé. Ce sont des montagnards aguerris, capables d’escalader des parois verticales, de partir plusieurs jours dans des conditions extrêmes, équipés de jumelles, de cordes, de pioches et de piolets (voire de dynamite).

William P. Thurston décrit bien ces plaisirs multiples : « Il y a une joie réelle à faire des mathématiques, à apprendre de nouvelles méthodes de pensée qui expliquent, organisent et simplifient. On peut ressentir cette joie en découvrant de nouvelles mathématiques, (…) ou en trouvant une nouvelle façon d’expliquer (…) une structure mathématique ancienne. » Dans les contemplatifs, rêveurs, on trouve Gaston Darboux : « Je compterai toujours, pour ma part, au nombre des heures les plus douces, les plus heureuses de ma vie, celles où j’ai pu saisir dans l’espace et étudier sans trève quelques-uns de ces êtres géométriques qui flottent en quelque sorte autour de nous. ». Et bien sûr Poincaré, parce que je ne peux pas ne pas le citer, vous le savez : “Une théorie est bonne lorsqu’elle est belle”

 

Et moi, je suis un guide de moyenne montagne. Alors on équipe les voies pour que le plus grand nombre puisse profiter, on enseigne des rudiments d’escalade sur des rochers-école, histoire que les personnes intéressées puissent partir elles-même un peu en exploration, dans des lieux adaptés : pas trop abrupts, variés, avec des sommets accessibles. Chacun pourra alors trouver son plaisir : goût de l’effort, de l’endurance, pour certains, exploration technique pour d’autres, contemplation de paysages, la faune, la flore, l’histoire des premiers explorateurs…. Je n’ai pas le temps de donner des exemples, j’espère avoir mis un peu de tout cela dans mes interventions de PS.

J’espère surtout que cette analogie vous permettra au moins de comprendre des choses essentielles : d’abord, il n’y a pas qu’une façon d’apprécier les maths, que ce soit ou non votre domaine. Les mathématiciens ont des profils variés, des goûts et des aptitudes différents, mais ils aiment tous les maths. On peut très bien y trouver du plaisir, même sans gravir seul les plus hauts sommets. Autre chose importante à retenir : c’est dur. Bouchez 3 secondes les oreilles sensibles, mais je dois utiliser cette expression : « on en chie ». Surtout quand on n’est pas habitué, pas motivé, que pas un seul membre de l’entourage ne connaît la montagne. Surtout quand on n’a jamais eu la chance de contempler des paysages superbes, qu’on ne comprend pas l’intérêt de monter pour redescendre juste après. Il y a aussi les aptitudes, bien sûr, la condition physique, l’entraînement. Mais c’est dur pour tout le monde. « Il n’y a pas de voie royale pour les matéhmatiques » , aurait dit Euclide à un roi qui voulait un enseignement plus court et plus simple, puisqu’il était roi et n’avait pas que ça à faire.

Mais tous les gens ayant déjà été submergé d’émotion par le paysage découvert d’un coup au sommet d’une montagne vous le diront : ça en vaut la peine.

Finissons par une citation disons… osée d’André Weil, qui je l’espère fera plaisir même à ceux que je n’ai pas convaincu :

« Tout mathématicien digne de ce nom a ressenti, même si ce n’est que quelquefois, l’état d’exaltation lucide dans lequel une pensée succède à une autre comme par miracle… Contrairement au plaisir sexuel, ce sentiment peut durer pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. »

 

 

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