Éthologie

Dossier réalisé par Agatha, présenté pendant l’émission podcast Science #303

 

Une « brève » histoire de l’éthologie

Pourquoi les animaux font ça ? Vaste question !

L’éthologie, qu’est-ce donc ? Du grec « ethos », mœurs et « logos » le  discours,  désigne l’étude du comportement animal. C’est une discipline scientifique ayant pour objet d’étude le comportement, l’observation et l’expérimentation comme méthodes et s’appuie sur la théorie de l’évolution.

Mais comment définir le comportement exactement ? Un comportement est une sortie motrice en réponse à un stimulus. Il contribue au maintien de l’homéostasie, l’équilibre interne  de l’individu et est directement observable et objectivable, c’est à dire que l’on peut le quantifier. On peut par exemple mesurer un temps de latence avant d’aller toucher un objet, le nombre d’interactions entre congénères, le nombre de cris poussés par un animal dans une situation nouvelle, etc…

Le mot « éthologie » apparaît en 1854 pour la première fois sous la plume d’Isidore Geoffroy St Hilaire, naturaliste du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) de Paris, créateur du Jardin d’acclimatation et fils d’Etienne Geoffroy St Hilaire dont on reparlera ensuite.

En guise d’introduction à cette discipline, qui a réellement commencé à émerger au début du XXe siècle, faisons un inventaire des différents courants d’idée, des grands débats et des échanges musclés qui ont contribué à sa fondation.

Les naturalistes du XVIIIe et XIXe siècles : le combat pour l’évolution

L’ère des encyclopédistes: où l’homme cherche sa place et fait inventaire de son savoir

Au XVIIIe siècle, la « philosophie des Lumières » rayonne partout en Europe : la libre pensée est encouragée et la volonté de cartographier, inventorier, classer les savoirs humains de ce siècle lance la grande mode des encyclopédies.

Page de présentation de “L’histoire naturelle” de Buffon

Le premier à se lancer dans l’aventure de l’Encylopédie est Georges-Louis Leclerc,  Comte de Buffon (1707-1788). Administrateur du Jardin des plantes et du Cabinet du Roy,  Il agrandit le MNHN de Paris et surtout rédige l’Histoire naturelle avec quelques collaborateurs (Daubenton, de Montbeillard, de Saint-Fond, Bexon, etc.), publiée en 36 volumes parus entre 1749 et 1789 et qui l’occupera toute sa vie.

George-Louis Leclerc, Comte de Buffon

Succès critique et publique incroyable : les deux premiers volumes connurent trois rééditions successives en six semaines, et  furent traduits en plusieurs langues. Rien que ça ! A partir de 1799, des versions abrégées pour enfants virent même le jour. Novateur ce Buffon !  Son traité fera autorité pendant des générations. Comme beaucoup de naturalistes de l’époque, il était multi-casquettes et étudia, en plus du monde animal et végétal, les différents âges de l’Homme ainsi que les époques de la nature et de la Terre, ce qui lui vaudra d’être censuré par les autorités religieuses de l’époque (parce que bon, faut quand même pas trop rigoler non plus).

Même si Buffon restera longtemps le maître incontesté en la matière, un autre duo entra dans la danse, avec l’Encyclopédie : il s’agit de Denis Diderot (1713-1784) et Jean le Rond d’Alembert (1717-1783). Avec ses 28 volumes, elle connut un succès encore supérieur, mais était très différente dans la mesure où elle traitait de sujets plus larges et ne se limitait pas uniquement aux sciences naturelles.

Denis Diderot
Jean le Rond d’Alembert

 Le combat pour l’évolution : transformistes vs fixistes, un affrontement musclé !

Carl von Linné

Nous l’avons vu, avec l’avènement du Siècle des Lumières, L’Homme cherche sa place dans le règne animal, dans l’histoire de la

Vie, partagé entre observations naturalistes et dogmes religieux. Le paradoxe de cette époque est superbement illustré par le suédois Carl von Linné (1717-1778) que Stövers décrit ainsi dans la biographie qu’il lui dédia en 1792 : « Dieu créa, Linné arrangea ».

Botaniste spécialiste des organes sexuels des fleurs, il est à l’origine du Systema naturae, publié pour la première fois en 1735 et augmenté à de nombreuses reprises. Linné est aujourd’hui célèbre pour avoir mis en place la nomenclature binomiale encore utilisée aujourd’hui qui désigne toute plante ou tout animal par un nom latin composé du Genre et de l’espèce (comme mettons, Bubo bubo, qui désigne le hibou grand-duc).  Un effort à saluer ! Mais, il faut bien l’avouer, sa classification est basée sur des ressemblances morphologiques, mais pas forcément très phylogénétiques. Cependant Linné revendique avoir recréé ce type de classification pour révéler la perfection de la création divine. En effet,  en tant que défenseur du courant du  fixisme, Linné est persuadé que les espèces sont restées « fixées » dans le temps, telles qu’elles ont été créés par Dieu lors de la genèse.

Malgré ce respect à la lettre des textes bibliques, on décèle tout de même dans ses travaux une volonté de mieux comprendre l’organisation des différentes espèces. Linné s’essaiera ainsi à une classification de l’Homme, qu’il placera dans le même groupe que les autres primates. Il subdivisera malgré tout Homo sapiens en plusieurs sous-catégories classées en rangs plus ou moins inférieurs (le racisme était plutôt mainstream à l’époque), à savoir Africanus, Americanus, Asiaticus, Europeanus ainsi que Ferus (regroupant les enfants sauvages) et Monstrosus.

Etienne Geoffroy Saint Hilaire (alias mon chouchou)

On retrouve tout  au long de l’histoire de l’éthologie, cette fascinante quête pour définir la différence entre l’Homme et l’animal. Cependant, d’autres courants de pensée, opposés au fixisme apparurent progressivement.  L’opposition la plus vindicative, digne d’un roman feuilleton torturé, est celle qui opposa le Chevalier Etienne Geoffroy Saint Hilaire (1772-1844) au Baron Georges Leopold Chretien Frédéric Dagobert Cuvier dit Georges Cuvier (1769-1832).

Professeur au MNHN de Paris en 1793 (lui aussi !), on lui doit la création de la Ménagerie du Jardin des Plantes de Paris. Homme de terrain, il intègre la campagne d’Egypte menée par Bonaparte en 1798 et recense les poissons du Nil. En 1827, il escorte à travers la France la girafe offerte à Charles X, à pied, de Marseille à Paris. Il collabore avec Georges Cuvier, qui devint son assistant (et un peu sa groupie), avant que leurs divergences de pensées les opposent radicalement. Geoffroy St Hilaire recherche ardemment des structures osseuses similaires chez des espèces de groupes différents en utilisant l’anatomie comparée. Sa théorie : Les animaux actuels sont tous issus d’un même plan d’organisation. BOUM !

Homologies entre différents squelettes, illustrées dans l’ouvrage de Geoffroy St Hilaire. Il observe des similitudes anatomiques indiquant une origine commune à ces structures.

Geoffroy St Hilaire défend donc le courant du transformisme, qui croit en l’évolution des espèces. Et en cela aucun compromis possible ne pourra être fait avec le fixisme, soutenu par Cuvier !

Georges Cuvier (alias le Kéké)

Cuvier jouit aussi d’une réputation d’homme de science brillant : Il est l’un des fondateurs de l’Anatomie comparée, membre de la Royal Society, il a donné son nom à la période géologique du « Jurassique » et met en place la technique permettant de dater les fossiles. Il a son nom gravé sur la tour Eiffel avec 71 autres messieurs à avoir bouleversé les sciences et techniques du XVIIIe siècle aussi. Le swag ultime. Ce qui est amusant, c’est que lui aussi utilise l’anatomie comparée dans ses études mais il n’arrive pas du tout aux mêmes conclusions que son compère. Pour lui, pas de plan d’organisation communs à tous les êtres vivants, mais plusieurs, d’après lesquels tous les animaux auraient été modelés. Cuvier, du fait de son influence, tenta de bloquer toute diffusion des idées transformistes (il a un peu pourri Lamarck). Il s’illustra dans une jolie bataille publique de bons mots et de noms d’oiseaux avec Geoffroy St Hilaire lors de la « controverse des crocodiles de Caen ».

Deux autres figures restent à évoquer pour finir de débroussailler l’émergence de la théorie de l’évolution: Jean Baptiste de Lamarck (1744-1829) et de Charles Darwin (1809-1882). Lamarck était aussi professeur au MNHN de Paris, on lui doit l’invention du terme « biologie » pour désigner les sciences du vivant et il réalisa une impressionnante classification des invertébrés. Mais si Lamarck est resté dans les mémoires, c’est aussi et surtout pour ses girafes. Je m’explique. Il rédigea 4 lois dans son ouvrage Philosophie zoologique (1809), dont les idées principales sont les suivantes : le développement des organes et leur efficacité se fait en fonction de l’utilisation de ces organes, et tout ce qui est acquis du vivant de l’animal est conservé et transmis aux générations suivantes.

Jean-Baptiste de Lamarck (le bafoué)

C’est l’exemple des girafes. En forçant sur leur cou elles feront grandir petit à petit leur organe et atteindront les branches les plus hautes. Il y a ici un mécanisme intentionnel : la girafe a l’intention de manger, pas d’allonger son cou ou ses jambes. L’usage intensif  de son cou est censé lui permettre d’atteindre son but. Lamarck parle de loi d’usage et de non- usage. La théorie de la sélection naturelle développée par Charles Darwin dans son ouvrage De l’origine des espèces (1859) est bien différente.

Charles Darwin (la rockstar)

Pour reprendre l’exemple des girafes, Darwin, lui, affirmait que les individus ayant des cous plus longs avaient plus de descendants, car, ce caractère (avoir un long cou) procure un avantage à l’animal. Cependant, à l’origine, l’apparition du  long cou, ne résulte pas de l’usage d’un organe ou du but à atteindre par l’animal mais bien du hasard ! Il y a variabilité au sein des girafes : certaines ont des longs cous, d’autres non. Celles qui ont de longs cous sont avantagées en cas de disette car elles peuvent atteindre les feuilles les plus hautes, elles vivront alors plus vieilles et pourront se reproduire, et là, le caractère ainsi sélectionné, sera transmis aux générations suivantes s’il est avantageux.

En haut, la vision de Lamarck où les girafes allongent leur cou à force de s’en servir, En bas, la vision de Darwin: le hasard fait apparaître des girafes plus grandes que d’autres et seules celles avec un long cou survivent, les autres meurent car non adaptées à leur environnement.

A l’aube du XXe siècle, et après des débats houleux, il apparaît que l’Homme et l’animal ont trouvé leur place au sein de la classification et que, le plus grand nombre adopte le mécanisme de la sélection naturelle pour expliquer l’extraordinaire diversité et adaptabilité des espèces vivantes. Une fois ce terrain d’entente (difficilement) trouvé, les naturalistes peuvent se lancer dans d’autres débats et se poser de nouvelles questions ! Taïaut !

Le tournant du XXe siècle et l’émergence de l’éthologie

De la parcimonie et de ces animaux qui nous jouent des tours

Après avoir tenté tant bien que mal de classer les animaux, les scientifiques du XXe siècle, s’intéressent de plus en plus à leurs comportements. Doucement, des règles méthodologiques se mettent en place et vont lentement façonner la discipline. Parfois, les avancées se font via l’émergence de cas surprenants et d’anecdotes inattendues.

L’une des plus notables est celle du cheval Hans, dont le propriétaire, le professeur de Mathématique Wilhelm von Osten assurait qu’il savait additionner, soustraire, multiplier, faire des fractions, dire l’heure, savoir quel jour on était, différencier les tonalités musicales, lire, épeler et comprendre l’Allemand. Rien que ça ! L’affaire se déroule en Allemagne en 1904 et  Hans qui se produit en spectacle de rue, finit par attirer l’attention de la presse européenne. C’est l’attraction du moment ! A tel point que plusieurs scientifiques commencent à trouver l’histoire franchement louche. Mais où se trouve donc la supercherie ?

Willhelm von Osten pose avec son cheval Hans

L’histoire prend une telle ampleur que Le conseil de l’éducation de Berlin, à la demande de von Osten, lui-même, envoie la « Commission Hans »,  un jury d’experts composé de 13 personnes pour trouver l’astuce : le directeur de l’Institut de psychologie de Berlin, Carl Stumpf, le zoologiste Oskar Heinroth, un vétérinaire, plusieurs officiers de cavalerie et un directeur de cirque. Ils concluent en septembre 1904 qu’il n’y a aucun trucage. La polémique reprend de plus belle. Stumpf mande Oskar Pfungst, l’un de ses collaborateurs psychologues afin de faire toute la lumière sur l’affaire. Pfungst et Stumpf (répétez-le 40 fois pour voir), à l’aide d’une méthodologie expérimentale rigoureuse, tentent de découvrir le secret de Hans en l’isolant, en utilisant un autre expérimentateur que von Osten, en cachant la vision du cheval ou encore en lui posant des questions dont ni le cheval ni l’expérimentateur ne connaissent la réponse (on parle de méthode en « double aveugle », encore utilisée aujourd’hui pour réduire les biais d’interprétation des expériences). Au final, c’est quand il ne voit pas l’expérimentateur, quand la distance avec ce dernier augmente et quand celui-ci ignore la bonne réponse, que l’animal se trompe le plus.

Pfungst en a donc déduit que c’est l’humain, qui d’une façon ou d’une autre, induit le comportement du cheval. Et en effet, Hans était capable de capter des détails très subtils, comme la respiration ou la tension musculaire de son auditoire, de telle façon qu’il savait quand il avait atteint la bonne réponse. Le public relâchait la tension quand il tombait juste.  Hans ne savait pas compter mais il savait faire bien plus que ça ! Cette anecdote a donc donné naissance à ce que l’on appelle « l’effet Clever Hans » et qui désigne des erreurs d’interprétation d’expériences.

Dans la même veine, on parle aussi du « Canon de Morgan » élaboré par le psychologue et éthologue anglais Conway Lloyd Morgan (1852-1936). C’est un principe de parcimonie : une activité comportementale ne doit en aucun cas être interprétée comme la conséquence d’une faculté mentale élaborée, si la même activité comportementale peut être conçue comme le fruit d’une activité mentale moins élevée. L’explication la plus simple doit donc être privilégiée.

Les behavioristes et les objectivistes : la bataille de l’inné et de l’acquis

Les recherches qui suivront auront pour sujet central celui de l’apprentissage. Qu’est-ce que l’animal sait de manière innée, dès la naissance, et que va-t-il être capable d’apprendre par acquisition.

Ivan Petrocitch Pavlov

Comme travaux précurseurs en matière d’apprentissage associatif, on ne peut que citer ceux menés par Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936). Ce chercheur russe menait des études de physiologie sur la digestion et le rôle chimique de la salive sur la digestion des aliments chez les chiens. Il fit une observation très intéressante : quand on apportait de la nourriture aux animaux, quelques instants avant d’y avoir accès les chiens se mettaient à saliver. Ils avaient associé la vue de la nourriture avec le fait de manger et cela déclenchait une réponse physiologique. Ici, on parle de stimulus inconditionnel pour la nourriture qui déclenche la réponse inconditionnelle qu’est la production de salive. Ensuite, il utilisa une cloche. Ce stimulus est neutre : il ne procure aucune salivation. Mais que se passe-t-il quand on combine les deux ?  Il a donc fait un test où à chaque fois que l’on apportait la nourriture aux animaux, un son de cloche se faisait entendre. On appelle cette phase d’apprentissage associatif un conditionnement. En effet, ici, l’animal va associer le stimulus de la cloche, avec la délivrance de nourriture et va saliver. A la fin de l’expérience, à chaque son de cloche, même si on ne présente pas de nourriture, l’animal va saliver. On parle alors ici de stimulus conditionnel (la cloche) qui va provoquer la salivation dans ce cas précis (réponse conditionnelle). Ces découvertes résulteront dans l’identification de ce que l’on appelle à présent « le réflexe de Pavlov », un réflexe conditionné par un apprentissage appelé également conditionnement classique. Afin de comprendre l’émergence d’un comportement, deux grands courants de pensée vont émerger et s’opposer radicalement : le behaviorisme et l’objectivisme.

Avant le conditionnement, le chien salive en voyant la nourriture, et le son de la cloche ne produit aucune réaction. Pendant le conditionnement, on associe le son de la cloche au fait de donner de la nourriture au chien qui se met à saliver; Après le conditionnement, le son de la cloche seul, déclenche la salivation du chien. L’animal a associé le son de la cloche à la nourriture, et la réponse physiologique immédiate ‘(la salivation) est déclenchée uniquement par le son associé de la cloche (qui est devenu un stimulus conditionné)

Le behaviorisme (de « behavior », qui veut dire comportement en anglais) est un courant originellement défendu par des psychologues, comme John Broadus Watson (1878-1958) qui voulait replacer la psychologie au même niveau que les « sciences dures », et voulait mettre en place une méthodologie rigoureuse entièrement basée sur l’observation des faits. Nulle place à l’introspection ici. Les behavioristes revendiquent l’observation objective comme méthode d’analyse et se refusent à prendre en compte les états mentaux de leurs sujets, leur subjectivité. Ils désignent par « boîte noire » tout ce qui relève des états mentaux de leurs sujets et à laquelle ils prétendent ne pas avoir accès. L’un des points qui sera le plus reproché aux behavioristes est qu’ils ne tenaient que très peu compte de la variabilité inter-individuelle : le profil unique, propre à chaque individu. Nous y reviendrons !

Le petit Albert appris à avoir peur des rongeurs et lapins car on associait un bruit effrayant de marteau dès qu’il voyait un animal

Citer tous les contributeurs à ce courant de pensée serait trop fastidieux. On peut cependant évoquer Edward Thorndike et sa « loi de l’effet », John Broadus Watson, donc, et son expérience sur « le petit Albert », un jeune enfant que l’on a conditionné à avoir peur des rats et des lapins en associant un bruit effrayant à la présence des animaux, ou encore Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) qui est resté dans les mémoires, comme étant l’une des têtes de file du mouvement.

Skinner est un psychologue américain. On lui doit, entre autres, l’invention des fameuses « boîtes de Skinner » qui permettent d’étudier le conditionnement opérant. Ces boîtes, surtout utilisées avec des rats et des pigeons comme modèles

Burrhus Skinner et ses pigeons

expérimentaux étaient souvent assez simplement conçues. L’animal se retrouvait donc isolé dans cette boîte, munie d’un levier, le plus souvent. Il devait apprendre à activer ce levier pour obtenir une récompense. On parle de renforcement positif : l’animal va avoir tendance à reproduire plus vite et plus souvent l’action puisqu’il est récompensé. D’autres variantes ont existé, où l’animal était puni, soit en étant confronté à un stimulus désagréable (comme une décharge électrique), soit en supprimant l’accès à la récompense. On parle ici de renforcement négatif : très rapidement l’animal apprend à associer l’action à ses conséquences et stoppe son comportement. On parle ici de conditionnement opérant ou conditionnement instrumental.

 

Fonctionnement d’une boite de Skinner. L’animal actionne un bouton poussoir pour obtenir de la nourriture. En cas de mauvaise réponse, une lumière rouge s’allume et l’animal soit, reçoit un choc électrique soit est privé d’accès au dispositif et donc à une potentielle récompense pendant un court instant.
“Prêt à appuyer sur des leviers pour de la nourriture”. Les rats de labo aussi cherchent du boulot

Les plus grands opposants des behavioristes sont les objectivistes, représentés par les Trois Mousquetaires superstars de l’éthologie : Karl von Frisch (1886-1982), Nicolaas Tinbergen (1907-1988) et Konrad Lorenz (1903-1989). Tous trois ont obtenu un prix Nobel pour leurs travaux en 1973 et ont ainsi contribué à faire connaître l’éthologie aux yeux du grand public. Ils sont donc, encore aujourd’hui, cités comme des pionniers et leurs noms restent connus des amateurs.

Les trois fondateurs du courant objectivistes et les seuls éthologues à avoir jamais reçu un prix Nobel pour leurs travaux

Von Frisch s’est surtout illustré par ses travaux sur la danse des abeilles, Tinbergen sur les comportements d’agression, avec notamment ses fameuses expériences sur les leurres, et Lorenz a été très médiatisé lors de ses expériences sur l’empreinte chez les oies grises. L’empreinte est un mécanisme qui apparaît chez certains animaux (les oiseaux nidifuges, qui quittent le nid très tôt pour suivre leurs parents, mais aussi certains mammifères comme les moutons par exemple) et qui fait que le jeune animal va suivre et identifier comme son référent le premier être mobile qu’il verra à la naissance. Bien qu’ils aient chacun travaillé sur des thématiques différentes, tous trois se sont fait connaître par leurs nombreux ouvrages, mais aussi, par leurs thèses objectivistes.

Konrad Lorenz et ses oies, près de la station de l’actuel Institut Max Planck d’Ornithologie à Seewisen, en Bavière. Les jeunes oiseaux “imprégnés” suivent le chercheur partout comme si c’était leur mère.

Contrairement aux behavioristes qui étudient le plus souvent l’animal en condition artificielle de labo, ils prônaient, quant à eux, l’observation de l’animal dans son milieu naturel. Lorenz et Tinbergen mettent en place des éthogrammes, des grilles d’analyse qui permettent de recenser tous les comportements d’un animal. Très intéressés par les comportements de parade amoureuse et d’agressivité, ils en viennent à déduire que tous les animaux d’une espèce expriment des comportements stéréotypés, toujours identiques, qui seraient innés. Ils redéfinissent la notion de caractère inné comme une suite d’attitudes ou de mouvement stéréotypes caractéristiques qui une fois déclenchés par un stimulus quelconque s’exécutent jusqu’à la fin, même si, en cours de route, ils ont perdu toute utilité. On parle alors de « réactions à vide », comme lorsque les mouches mutantes, nées sans ailes, exécutent les mêmes mouvements de nettoyage des ailes que leurs congénères normalement constituées. Ces comportements sont des mécanismes génétiquement prédéterminés. Les objectivistes ne sont pas contre la notion d’apprentissage, mais pour eux, cet apprentissage n’est possible que si certains innés sont préalablement mis en place pour se réaliser. Lorenz était aussi farouchement opposé à la domestication qu’il accusait de dénaturer et débiliter l’animal.

Tinbergen, quant à lui, s’est fait connaître par ses expérimentations avec la méthode « des leurres ». Il montra que certains stimuli précis étaient à l’origine des comportements. Par exemple, il observa que chez l’épinoche, un petit poisson au ventre rouge, c’est bien ce signal coloré, plus que l’aspect du poisson qui va déclencher les comportements agressifs entre mâles.

Illustrations des leurres utilisés par Tinbergen. En haut, une réplique réaliste d’épinoche (sans le ventre coloré en rouge, caractéristique des mâles pendant les amours), qui ne déclenche aucune réaction chez les animaux observateurs. Et en bas, plusieurs leurres grossiers, mais rouges, qui déclenchent une réaction immédiate d’agressivité chez les poissons mâles.

Il présenta à un poisson des répliques fidèles d’épinoche (sans couleur rouge) et d’autres, qui s’apparentaient plus à des carrés (pas du tout proches d’une quelconque forme de poisson), avec du rouge, et c’est ce dernier leurre qui déclenchait la réaction agressive. Même chose chez les goélands, où c’est bien le point rouge sur les becs des parents qui motive le poussin à ouvrir le bec pour être nourri, plutôt qu’une tête empaillée réaliste ressemblant aux vrais oiseaux. Un bâton décoré de 3 bandes rouges les fait même davantage réagir  qu’une tête naturelle de goéland : on parle alors de stimulus supranormal.

Leurres utilisés auprès de jeunes goélands pour étudier leur réactions, qui vise à picorer le bec des parents pour être nourri. Les modèles réalistes à gauche, déclenchent des réactions importantes. Ceux à droite, sont moins réalistes. On présente à l’oisillon une tête, sans bec, qui ne provoque que peu de réaction, pas de tête mais un bec, qui déclenche une réaction des poussins, mais c’est au final, un bâton marqué à 3 endroits d’un point rouge qui déclenche le plus de réaction chez le jeune. On parle donc de stimulus supranormal: la réaction observée est supérieure à celle vue en milieu naturelle.

Tinbergen est aussi toujours emblématique pour tout élève d’éthologie, puisqu’il est à l’origine de ce que l’on appelle à présent, les 4 questions de Tinbergen, qu’il publia en 1963 dans son ouvrage On aims and methods of ethology  que l’on utilise pour analyser et décomposer un comportement. Elles se présentent ainsi :

  1. Cause (ou cause proximale) : quelle est la cause à l’origine de ce comportement ? Quel est son déclencheur. Par exemple, dans le cas du chant des oiseaux, c’est la vue d’une femelle ou le fait d’entendre chanter un mâle concurrent qui déclencherait ce chant (on parle ici de facteurs externes). Une autre cause, c’est la présence d’un noyau neuronal spécialisé dans le chant, qui est donc ici un facteur interne.
  2. Fonction (ou cause ultime). Quelle est la fonction de ce comportement ? A quoi sert-il ? Dans le cas du chant des oiseaux, toujours, il s’agit de trouver une partenaire et de défendre son territoire.
  3. Ontogénèse. Comment un comportement apparaît-il au cours de la vie de l’individu ? Là aussi, pour notre exemple du chant, selon les espèces, le jeune oiseau s’entraine à chanter en imitant un tuteur, sur lequel il calque son chant.
  4. Phylogénèse. Comment un comportement apparaît-il au cours de l’évolution, au fil du temps et des adaptations ? Dans ce cas, nous sommes souvent limités aux suppositions. Mais, comme l’expliquait Lorenz, on retrouve des comportements proches chez des espèces différentes, comme par exemple le comportement de parade nuptiales de plusieurs canards (de haut en bas : 1 le canard colvert ,2 le canard chipeau et 3 la sarcelle d’hiver). On peut donc faire l’hypothèse que ce comportement de cour existait chez une espèce ancestrale disparue, qui était commune à ces trois espèces.
Comparaison de parades nuptiales de 3 espèces de canards: 1)le canard colvert , 2) le canard chipeau et 3) la sarcelle d’hiver. On observe de nettes similarités. Source: Mark Ridley, 1995. Animal Behavior. An introduction to behavioral mechanisms, development, and ecology. Second edition. Blackwell Scientific Publications, Boston, 288 p.

De la représentation mentale et de l’intelligence de l’animal : l’émergence des cognitivistes

Pour finir, un autre courant vit le jour en parallèle de celui des behavioristes : celui des cognitivistes. Ces chercheurs, comme Edward Tolman (1886-1959) étaient behavioristes et étudiaient les apprentissages avec une vision mécanistique. Mais leurs observations leur firent parfois revoir leur jugement. Tolman s’est notamment illustré sur ses travaux sur l’orientation (apprentissage spatial) chez le rat. Il mettait les animaux dans un labyrinthe et observait leur vitesse d’apprentissage. Il testait deux groupes : un, dont les animaux étaient entrainés à trouver la sortie (avec une récompense alimentaire) et un groupe contrôle, qui était laissé libre d’explorer le labyrinthe à son rythme, et sans récompense. Si le 1er groupe, entrainé, apprend à aller de plus en plus vite au fil des essais (ce qui va dans le sens de la théorie d’essai-erreur des behavioristes), le 2e groupe, non récompensé progresse peu. En revanche, ces animaux du 2e groupe, vont être testés une fois avec une récompense, et là, leurs résultats vont être aussi bons que ceux du groupe 1, entrainés pendant 7 jours ! Tolman conclue donc, que de par leur exploration, les rats se sont créés une représentation mentale du labyrinthe (une carte cognitive). Et cela, ébranlera la théorie behavioriste.

Résultats de l’expérience de Tolman. Le groupe 1 trouve rapidement la sortie en étant récompensé. Le groupe 2 en revanche stagne, jusqu’au jour 7, où les animaux sont récompensés, et trouvent la sortie très rapidement. Malgré leurs résultats plus lents, les animaux du groupe 2 ce sont aussi bien constitués une carte mentale du labyrinthe

Une autre observation marquante est celle réalisée par Wolfgang Köhler (1887-1967). En 1917, il observa un phénomène de résolution de problème, d’apprentissage « soudain », sans essais-erreurs, chez un groupe de chimpanzés captifs à Tenerife. Il avait suspendu hors d’atteinte des bananes (miam !) ainsi que des objets au sol permettant de les atteindre si les animaux les combinaient (bâton, caisse, etc…). Après quelques essais, les animaux semblaient découvrir subitement la solution, en réorganisant les différents éléments à leur disposition. Ce qui sous-entend qu’un processus mental, invisible est à l’œuvre chez l’animal et qu’il recombine en pensée aussi, les éléments du problème. Il donna le nom d « insight » à ce comportement, qui allait à l’encontre de l’apprentissage très codifié prôné jusqu’alors. Par ces découvertes, Köhler révéla les processus mentaux, internes aux animaux, qui sous-tendent aussi parfois certains comportements.

Les chimpanzés de la station de Tenerife (dont le fameux singe appelé Sultan), empilent des boites les unes sur les autres pour avoir accès à la banane suspendue au plafond.

La fin des conflits ?

Lorenz le disait déjà de son temps: opposer l’inné à l’acquis n’a aucun sens, tant ces deux approches sont complémentaires ! (Aimez-vous donc les uns les autres, bon sang de bois !) D’autres chercheurs comme Robert Aubrey Hinde (1923-2016) tentent de réconcilier ces différents sujets d’étude et de tenir compte des nombreux facteurs qui peuvent être à l’origine de comportements : systèmes hormonaux, processus d’apprentissage, spécificité des espèces, et des individus au sein de chaque espèce. Avec les travaux de Thomas Hunt Morgan (1866-1945) sur la génétique, la découverte de la structure en double hélice, la génétique a déchainé les passions et de nombreux axes d’investigation découlèrent de ces innovations.

De plus en plus, on s’intéresse aussi à l’individu : sa personnalité, son vécu, voire même son ressenti. L’animal comme être sensible doué d’émotions, voire de morale et d’empathie prend peu à peu le pas sur les conceptions anciennes d’animal-machine. Une nouvelle époque pleine de promesses s’ouvre alors sur de nouvelles thématiques et de nouveaux modèles animaux, et ce, dès le milieu des années 70.

Et il y aura de quoi faire. Mais ça, ce sera pour un prochain épisode !

L’empreinte de Konrad Lorenz qui tourne mal…vu par le caricaturiste américain Gary Larson

 

Quelques sources en vidéos :

  • Conditionnement opérant et boîtes de Skinner : https://www.youtube.com/watch?v=I_ctJqjlrHA
  • Les 4 questions de Tinbergen brillamment expliquées et illustrées par mon collègue Mathieu Amy: https://linx.revues.org/499
  • L’expérience du “Petit Albert” de Watson https://www.youtube.com/watch?v=FMnhyGozLyE
  • L’insight à l’œuvre chez les chimpanzés de Köhler  https://www.youtube.com/watch?v=FwDhYUlbxiQ
  • Konrad Lorenz répond à des interviews en français (like a boss) : archives INRA
    • http://www.ina.fr/video/I05189680
    • http://www.ina.fr/video/I06251856

 

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