La baleine grise

 

Je voudrais d’abord dédier ce podcast aux biologistes Steven Swartz et Mari-Lou Jones. Sans eux, on peut facilement penser que les baleines grises auraient disparues du Pacifique. Et comme elles sont en voie d’extinction dans la mer de Corée, exit la baleine grise de la planète terre. J’ai rencontré Steve par chance à Baja, quand j’y jouais à la touriste.

Ce podcast est totalement inspiré du livre que Steve a écrit :”Lagoon time”.
Alors, voyons d’abord un peu ce que l’on connaît de la baleine grise d’un point de vue zoologique, et ensuite je vous raconterai cette merveilleuse histoire qui finit bien.

I- Zoologie de la baleine grise

Les baleines grises étaient jadis surnommées « poissons du diable » car lorsque les baleiniers tuaient un jeune afin d’attirer les adultes pour les harponner, les femelles très protectrices envers leurs petits attaquaient et renversaient les embarcations de façon très violentes.

La baleine grise fait environ 15 m de long et pèse 20 à 37 tonnes. Elle est dépourvue de dents, mais a des fanons faits de kératine qui lui servent à filtrer les coquillages et les crustacés qu’elle trouve en aspirant la vase au fond de la mer. La baleine grise a une peau claire souvent argentée, elle est aussi reconnaissable à son corps souvent recouvert de balanes et bernacles, animaux parasitaires qui se fixent sur leur peau.

On trouve la baleine grise dans les océans arctiques et pacifiques, depuis le Japon jusqu’au Mexique.

Elle possède de toutes petites nageoires, ce qui ne l’empêche pas d’effectuer les plus longues migrations : elle parcoure facilement 6 à 10 000 km pour joindre la mer de Béring à la Basse-Californie et le Mexique (avec un record de 22 000 km détenu par Varvara : Varvava)

Pour rappel, le diamètre de la terre c’est environ 12700 km.
Elles nage jusqu’à 15km/heure et peut plonger à des profondeurs de 120 m.

L’été, pour se nourrir, la baleine grise se rend même dans l’océan glacial Arctique au-delà du détroit de Béring, se nourrissant abondamment de planctons (bactéries, algues, larves, protozoaires…), krill (petits crustacés), œufs de poissons, …qu’elle filtre à l’aide de ses fanons. Elle plonge aussi parfois jusqu’au sol et fouille les sédiments et la vase qu’elles aspire et filtre.
Tous les automnes, les baleines grises quittent la région du Bering et la mer de Chukchi

Ainsi, dès que les jours raccourcissent et que le froid s’intensifie, elle entame un long périple risqué vers le sud, une longue migration de 3 mois à travers le Pacifique vers la Basse-Californie et le Mexique.

Elles migrent d’environ 6000 km ou plus le long de la côte pacifique des US, et arrivent à partir du mois de décembre dans les eaux chaudes des lagons mexicains. Ce sont les femelles en gestation qui arrivent les premières, ensuite les mâles et enfin les jeunes femelles. Toutes les baleines s’y retrouvent, pour la saison des amours, pour s’accoupler, ou pour donner naissance aux bébés qui ont été conçus l’année précédente. C’est à la mi février que le nombre de baleines est maximum.
Certaines vont donc donner naissance à leur bébé et commencer leur éducation, ou bien, les jeunes femelles sont candidates pour l’accouplement.

Au cours des parades amoureuses, les mâles cherchent à séduire les femelle en se frottant contre leur corps. Plusieurs mâles s’affairent autour d’une femelle, chacun espérant être l’heureux élu. Puis, progressivement, la plupart d’entre eux abandonnent la partie et il n’en reste que deux en compétition. Les combats violents ne sont pas de mise chez les baleines. Et puis, le dernier délaissé, apparemment sans rancune, n’hésite pas à aider les deux partenaires à se stabiliser dans l’eau pour l’accouplement..

Au printemps, les baleines regagnent le nord. Les femelles en gestation, ou celles qui viennent de donner naissance à leur bébé partent en dernier.

On l’aura donc compris, la reproduction est un long cycle, les femelles ne mettent au monde qu’un bébé à la fois (comme la majorité des mammifères marins) et à plusieurs années d’intervalles.
La gestation est de 330 à 360 jours. Le poids du bébé est de 500 kg et il a une taille de 4-5 m à sa naissance.

II- Histoire du lagon San Ignacio et de Steve et Mari-Lou

La baleine grise a presque été exterminée par les baleiniers à la fin du XIXe siècle. Ses migrations le long de la côte l’ont rendue particulièrement vulnérable lorsque la chasse à la baleine a commencé. Et elle est encore sérieusement menacée. La population mondiale est aujourd’hui estimée entre 15 000 et 25 000 individus.

Heureusement, elle jouit aujourd’hui d’une protection quasi-totale du côté nord-américain de l’océan et les Russes autorisent moins de 200 prises par année par les chasseurs indigènes du nord.

Sa population effectue un retour en force et elle constitue désormais une grande attraction touristique. Et ça, on le doit en grande partie à Steve et Mari Lou….

L’histoire commence en 1976. Nous sommes à La Jola, CA. Steve est étudiant, employé par la San Diego Society for Natural History. Cette organisation s’intéresse entre autre aux baleines grises. Il y a là des experts, qui ont commencé à documenter la lente remontée en nombre des baleines depuis les années 50s. Hors, la rumeur est que le gouvernement mexicain veut se remettre à la chasse à la baleine grise. De plus, il parait que les touristes américains dérangent les baleines au moment de la saison des naissances. Une expédition est rapidement mise sur pied pour aller voir sur place ce qu’il en est, menée par Steve et sa copine Mari Lou.

A l’époque, il n’existe même pas une carte géographique précise de l’endroit, et les chercheurs donnent à Steve une carte faite à la main basée sur une expédition de 1874! Steve et Mari Lou se préparent, apprennent à se servir d’un compas et les voilà engagés dans cette aventure qui à ce jour dure toujours…

Ils arrivent donc au lagon San Ignacio au Mexique (voir carte ci dessous) pendant l’hiver 1977 et commencent leur mission d’observation, des baleines, de leur nombre, de leur comportement, etc…

 

 

Leur premier rapport à la Marine Mammal Commission comportait des recommandations pour des observations sur le plus terme. Et ce nouveau projet connu un vif succès auprès d’organisations publiques et privées . Ils obtinrent beaucoup d’aide logistique pour continuer leurs recherches. Le gouvernement mexicain leur octroya les permis nécessaires, les pêcheurs locaux les accueillirent avec bienveillance, quand ils revinrent l’année suivante, en 1978, les prenant d’abord pour de gentils touristes. Mari Lou et Steve étaient déjà amoureux de l’endroit, loin des villes, très peu peuplé, entouré de déserts, avec un accès limité par des pistes poussiéreuses (encore aujourd’hui d’ailleurs). La région contient pourtant des peintures datant de 500 à 13oo avant JC, et on peut imaginer que les baleines y vivaient déjà elles-aussi.

Quand Steve and Mari Lou y sont arrivés en 1977, il fallait environ 4 h pour se rendre à la petite ville de San Ignacio, en faisant attention de bien rester dans les ornières des pistes, ne pas dévier pour se retrouver dans un mélange de boue et de sel. Le lagon fait environ
160km2. La végétation, c’était et c’est toujours un désert, avec petits buissons et grands cactus. Il y avait des oies sauvages des hérons, des tortues d’eau et des Aigle Osprey, des coyotes, des lézards et des petites communautés de pêcheurs, et un ancien site appelé “La Freidera”, où les baleiniers dépeçaient les baleines pour en récolter l’huile.

En 1977, Antonio Camacho y habitait avec sa famille, et vivait de la pêche dans le lagon. Alternant entre mérous et autres poissons, langoustes, coquilles St jacques, etc… Une pêche qui hélas, doucement mais sûrement, appauvrissait le lagon, comme en témoignait les carapaces vides de tortues géantes délaissées sur les bords de mer. Quand j’y suis allée en février 2017, j’étais atterrée et triste de voir les immenses champs et hautes piles de coquilles Saint Jacques vides. Elles ont quasi disparues, les pêcheurs commencent tout juste à en revoir quelques rares petits spécimens au fond des eaux.

Mais revenons à Mari Lou et Steve. L’équipe choisit l’endroit idéal pour observer les passages des baleines, construit une tour d’observation de 5m de haut, facile à démonter et transporter dans le coffre d’une voiture. Et à partir de ce moment , l’observation des baleines a vraiment commencé: combien de baleines entrent et sortent du lagon, à quel moment, ce qu’elles font, comment elles se comportent entre elles… Jusqu’à 500 baleines par jour ont pu être dénombrées (jusqu’à 450 individus) . Ils mettent au point une étude systématique de dénombrement des baleines dans le lagon, de décembre à avril. Ils ont quadrillé le lagon selon des lignes imaginaires, ce qui n’était pas facile à utiliser d’un point pratique parce que les bords du lagon sont pauvres en repères visuels et qu’à l’époque il n’y avait pas de GPS pour se repérer et peu de repères visuels.

L’équipe entreprit aussi de créer enfin une carte précise du lagon, la dernière datant de 1907, y compris le relief sous- marin. Les pêcheurs locaux indiquaient les noms et l’histoire des endroits clés.

Les observateurs prenaient des photos. Depuis 1970 environ, un catalogue de photos avait été commencé et quelle bonne idée car les baleines ont des marques sur leur corps qui leur sont uniques : variation de pigmentation, taches, cicatrices, écorchures, etc… Mari Lou et Steve ont créé leur catalogue et ainsi répertorié 500 baleines selon leurs aspects et ont ainsi pu les retrouver et les suivre année après année, en leur donnant évidemment un prénom. Ils ont pu suivre les lieux de visites de certaines baleines depuis 1978, ils ont pu constater que certaines baleines revenaient toujours dans le même lagon San Ignacio, alors que d’autres visitaient d’autres lagons dans la région de Baja.

Si on a bien suivi, on aura compris que les femelles donnent naissance à un petit environ 1 fois tous les deux ans et qu’ainsi une fois tous les deux ans, elles sont dans le lagon pour rencontrer un partenaire. Cela veut donc dire qu’il y a toujours environ deux fois plus de mâles disponibles que de femelles. La stratégie des baleines mâles est le partage. Pas de lutte pour s’accaparer la jolie femelle, c’est la partouze. Ainsi, en janvier et février, le lagon devient le théâtre des amours effrénés de dizaines d’individus en rut, avec des remous d’eau, des queues énormes (dans les deux sens du terme) s’élèvent dans les airs, des nageoires, des corps lourds et puissants qui se propulsent à la surface de l’eau. Parfois une baleine probablement femelle s’échappe avec quelques mâles à sa suite, le tout pour reprendre un corps à corps un peu plus loin.

Les derniers arrivants au lagon vont parfois croiser les premiers qui en partent, au printemps. Les premières baleines qui repartent vers le nord sont celles qui sont en gestation. Les dernières baleines qui repartent en Mars- Avril vers le nord sont les nouvelles maman, dont les petits viennent de naître. Probablement ceux-ci ont besoin de grandir un peu avant de quitter le confort du lagon. Les petits semblent plein d’énergie par rapport à leur maman, et ils sont aussi bien curieux. Au grand délice des touristes qui viennent les voir. Ils viennent près des barques, regardent les gens dans les yeux, donnent de l’épaule aux embarcations, se laissent caresser, voire embrasser, le tout sous l’oeil de la maman qui n’est jamais bien loin. Ils jouent aussi entre eux, et avec les mamans. Pendant longtemps la baleine grise était considérée comme un mammifère plutôt solitaire, mais Steve et Mari Lou ont bien montré le contraire. Ils pensent aussi que la baleine grise communique bien avec ses pairs, mais on ne sait pas encore comment. Ils se trouve qu’elles répondent aux moteurs des zodiacs aussi. Quand ils sont éteints, les baleines s’en vont. Si le pilote du bateau donne des coup d’accélérateur, la baleine répond en activant son jet d’eau. En fait, en 1977, les baleines n’étaient pas très amicales. Mais Mari Lou et Steve, en revenant tous les ans, en étant parmi elles si régulièrement sans les massacrer, ont réussi à créer une relation amicale et joueuse, à mettre les baleines en confiance. Et c’est pour cela que maintenant les touristes dans le lagon peuvent venir admirer et se retrouver parmis les baleines de si près.

Au fur et à mesure des années, ils ont pu étudier en parallèle les populations des baleines et le comportement des touristes. Je veux dire, mesurer l’impacte du tourisme dans le lagon. Et de fait, Mari Lou et Steve ont pu constater que les baleines revenaient année après année malgré les touristes, et le nombre de baleines amicales et curieuses augmentait. Il faut dire aussi que le tourisme s’est développé avec l’aide des pêcheurs locaux, dont certains sont devenus des guides, le tout de manière bien encadrée. En 1990, un plan d’éco-tourisme a été mis en place, avec notamment un nombre limité de bateaux permis chaque jour à un moment donné dans le lagon. Des campements on va dire rustiques, pas d’hôtel (voir photo ce -dessous).

Pas de toilettes chimiques, pas de magasins, pas de routes, énergie solaire et éolienne uniquement, …. Et ça marche. Les baleines sont là, elles reviennent tous les ans, elles s’accommodent bien de ces petites embarcations colorées, avec ces petits mammifères sur deux pattes qui s’agitent en couinant de joie, et qui viennent distraire leur rejetons…
Steve and Mari Lou ont aussi contribué à déterminer de quoi se nourrissent les baleines en hivers, dans le lagon. Apparemment, la question était sans réponse jusqu’à leur études. Ils commencèrent par draguer le lagon avec des boîtes de café en aluminium, pour étudier la composition des fonds. Ce n’était pas facile, les moyens limités, la visibilité souvent mauvaise, ce qui n’est pas confortable avec les requins rodant souvent dans le coin. Mari Lou devint le héros et peut–être l’inspiration de certaines filles de pêcheurs du coin, pour qui conduire un zodiac, plonger avec bouteilles et être une scientifique relevait de la fiction pour une femme. Certaines sont en effet devenues biologistes, spécialistes des études de la mer.
Une autre découverte que Mari Lou et Steve ont faite est que les baleines aiment surfer. Il est vrai que je ne me suis jamais posé la question auparavant, mais la découverte, la vision de ces baleines qui s’amusent à surfer dans les vagues, cela a dû être quelque chose. Elles se positionnent bien comme des surfers, et agitent leur nageoires caudales pour prendre de la vitesse et surfer sur le dos de la vague, comme un dauphin…

Entre 1977 et 1982, le nombre de baleines grises dans le Pacifique Nord Est a régulièrement augmenté de 3 à 4 % par an. En 1987, 26 000 baleines ont été dénombrées. En 1994, la baleine grise fut rayée de la liste des espèces en danger. Et puis, en 1998, l’imprévu arriva. La population des baleines mâles et femelles fut décimée. Depuis l’Alaska jusqu’au Mexique on pouvait trouver des individus décharnés et échoués sur les côtes. En 2000, 20% des individus avaient disparu. Il fallut quelque années pour comprendre le problème, qui se ramenait à un problème alimentaire dû notamment au changement climatique, avec le réchauffement des eaux de l’océan Arctique. Evidemment les premiers individus atteints étaient les femelles enceintes. Mari Lou a pu calculer que la durée de gestation des femelles avait augmenté. Elles donnaient maintenant naissance à un bébé tous les 3 ou 4 ans, au lieu de tous les deux ans. Ce n’est que vers 2011 que Steve et Mari Lou purent enfin constater une nette amélioration de la santé des baleines grises.
(notamment grâce à leur collection de photos, et en les comparant année après année) .

En 1982, Mari Lou et Steve avaient passé 6 saisons à étudier les baleines dans le lagon San Ignacio. Ils retournèrent tous les deux à la fac pour finir leur doctorat. Mais le lagon et les baleines étaient bien présents dans leur vie et leur esprit. Une réserve fut créée en 1988 pour protéger le site. Les pêcheurs locaux commencèrent à transitionner leurs activités vers l’éco- tourisme, pour aller voir les baleines dans le lagon. Mais ce n’est qu’en 2000 que ces petites entreprises commencèrent à être profitables , quand elles créèrent une association pour harmoniser non seulement les prix, mais les services et aussi développer une stratégie globale d’exploitation des ressources du lagon. Heureusement ce fût un plan basé sur l’écologie avant tout: temps limité d’observation des baleines, nombre limité de bateaux, zone limitée. Les 2 tiers du lagon ne sont accessibles qu’aux baleines, scientifiques et pêcheurs (pêcheurs qui ne peuvent utiliser de filets lorsque les baleines y sont). Même les rémunérations des pêcheurs furent déterminées. Il y a 30 ans, la plupart des touristes qui allaient au lagon venait de San Diego en Californie et représentaient quelques douzaines de bateaux chaque hiver. Aujourd’hui une multitude de visiteurs viennent tous les hivers voir les baleines, visiter aussi la mangrove autour du lagon, visiter les grottes avec pétroglyphes (dessin symbolique gravé sur de la pierre), faire du kayak, etc… Et le nombre de baleines qui arrivent tous les hivers va croissant…

Et pourtant, le désastre a bien failli arriver, et non pas à cause des touristes. En 1994, un pêcheur local , Pachico Mayoral, entendu parler d’un projet mis en pied par la société Exportadora del Sal (ESSA) avec l’aide de Mitsubishi Corporation pour construire un site de production de sel dans le lagon, selon la technique d’évaporation. Comme on peut en trouver par exemple en Camargue, ou aux bords de l’étang de Berre, près de Marseille. Pachico habitait dans une petite maison fort modeste, sur la côte est du lagon. Avec les années, il s’était lié avec les scientifiques et toutes les organisations qui travaillaient à étudier et protéger le lagon. Sa connaissance du coin était indispensable pour eux. C’est Pachico qui fournit les plans du projet d’exploitation du sel et c’est comme cela qu’une bataille de 5 ans s’est engagée entre les protecteurs du lagon et ceux qui voulaient le sel. ESSA avait un support financier énorme, grâce à Mitsubishi mais aussi grâce à l’appui du gouvernement mexicain. De fait, ce dernier possédait 51% des parts d’ESSA. Le projet se proposait d’utiliser des milliers d’hectares au nord du lagon pour fabriquer des bassins peu profonds pour que le vent et le soleil puissent en évaporer l’eau. L’eau de la mer, des millions de litres tous les jours, serait amenée par pompes depuis le lagon. Et l’évaporation produirait outre le sel de vastes quantités de déchets toxiques dû à l’accumulation de métaux lourds. Une fois récolté, le sel devait être transporté jusqu’au bout d’une longue digue construite à cet effet, et des bateaux viendraient embarquer le précieux cristal. Inutile de s’étaler sur les nuisances directes sur les baleines, de la destruction d’une énorme partie du lagon, de la pollution, du bruit, de l’arrivée de toute une population de gens dont la préservation du site étaient le moindre de leur soucis. Le gouvernement mexicain était bien ennuyé lorsque les opposants au projet se sont faits entendre. Certes Mexico voulait préserver ce site écologique, mais l’apport économique était conséquent. En janvier 1995, un groupe d’activistes écologistes, mené par un écrivain mexicain (Homero Aridjis) commença à faire vraiment du bruit, et alerta les médias et la communauté scientifique, y compris aux US. Je vous passe les détails de la bataille entre ESSA et le défenseurs du lagon. En 1995, Steve fut appelé à siéger dans un comité d’experts pour établir les risques pour le lagon et dialoguer avec le gouvernement. Pendant ce temps, un groupe de défense avec des organisations locales et internationales se mit en place (Coalition to Save Laguna San Ignacio), et mit les débats sur la place publique, expliquant les risques écologiques liés au projet. Ils organisèrent des visites du lagon, appelèrent à l’aide des stars du show biz, et finalement invitèrent des membres du gouvernement à venir passer une journée au lagon.
Y compris le président Zedillo, qui vînt mater les baleines. Et ça a marché. Le 2 mars 2000, après 5 ans de bataille, président Zedillo, de retour du lagon, déclare immédiatement le site intouchable. Le sanctuaire des baleines fut ainsi sauvé. Et oh bonheur, au passage un autre lagon mexicain fut lui aussi déclaré site protégé pour les baleines (lagon Ojo de Liebre). Non seulement les baleines furent sauvées, mais le site entier, les poissons, les oiseaux, les pêcheurs locaux. Notez hélas que d’autres lagons qui accueillaient les baleines et leur bébés n’ont pas survécu, comme le lagon Guerrero Negro, victime lui du commerce du sel…

Le 2 mars 2010, anniversaire des 10 ans de la bataille gagnée, une grande célébration fut organisée au lagon. Nombreux furent les amoureux du lagon à s’y retrouver pour célébrer la victoire, depuis les habitants du lagon, qui vivaient là depuis des générations mais aussi les organisations internationales de protection de la nature. Or il se trouve que, aussi incroyable que cela puisse paraître, de très nombreux enfants locaux, les enfants des pêcheurs, n’avaient jamais embarqué sur un bateau pour aller voir les baleines. Les compagnies d’éco-tourisme organisèrent une virée juste pour eux. Ils sont allés les chercher en bus et les ont emmenés sur l’eau, une centaine de gamins avec leur instituteurs. Belle image que cette nouvelle génération prête à vivre en harmonie avec le lagon.

En 1996, Mari Lou and Steve retournèrent au lagon pour mener des nouvelles recherches et obtenir de nouvelles données depuis qu’ils avaient quitté le lagon en 1982. Ce fut le même Pachico qui les aidèrent sur place. Les techniques avaientdéjà bien sur changé, le GPS était d’une grande aide pour quadriller le lagon. A leur grand soulagement, ils constatèrent que le lagon était bien conservé, faune et flore inclus et les communautés locales vivaient de l’éco tourisme. Mais il n’existait pas de programme d’étude et de surveillance du lagon à long terme. Alors, Mari Lou and Steve créèrent un programme scientifique (le LSIEP), un réseau interdisciplinaire et universitaire, entre les US et le mexique, avec des sociétés de protection de la nature locaux. Depuis, les recherches scientifiques vont bon train, nombreux chercheurs et étudiants viennent régulièrement au lagon, dans un petit labo de recherche, et un site internet permet de coordonner les données  (laboratoire). Les écoles locales viennent aussi étudier le lagon. Les enfants de Pachico sont devenus des chercheurs en études océanographiques (enfin, certains). Et L’un d’entre eux fut notre guide quand je suis allée faire la touriste en février (Ranulfo).
Aujourd’hui, le plus grand danger pour les baleines grises ce sont les filets de pêche.

III-  Epilogue

Ce week end je suis allée faire un footing au bord de la plage et j’ai vu une baleine grise. Ce n’était pas la première fois, mais j’ai eu la gorge serrée. Et si j’avais caressé cette baleine quelques mois plus tôt au mexique? Maintenant je connais son périple, je l’imagine avec son bébé, en route vers les mers froides du grand nord, je sais ce qu’elle risque, et je l’admire et j’ai peur pour elle. Cette nouvelle connection avec un animal que l’on croise normalement si rarement dans nos vies m’a fait encore une fois regretter cette ignorance qui nous déshumanise.

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