Dossier : Etes vous assez paresseux pour devenir riches ?

Ceci est le dossier associé à l’épisode #ps358. Vous pouvez l’écouter ici. 

Au cours du mois de septembre, j’ai découvert la méthode pour devenir riche. Elle n’était pas cachée, elle n’était pas inaccessible, elle était simplement décrite dans un livre au nom évocateur : “Millionaire Expat: How To Build Wealth Living Overseas”.

En toute franchise, ce n’est pas sans un certain cynisme que j’ai ouvert ce livre. En fait j’ai voulu en avoir le coeur net, après voir vu toutes ces vidéos ou un trentenaire nous promet depuis une maison luxueuse de nous expliquer comment il a réussi à faire fortune à raison de quelques heures de travail par an… après avoir parcouru nombre de forum qui partageaient ce livre pour devenir millionnaire qui a changé leur vie…

Et si mon mépris était la plus belle illustration de mon illusion à me croire supérieur? Et si cette méthode merveilleuse existait vraiment?

Alors ce matin de septembre, j’ouvrais les pages de ce livre et un mois plus tard je naviguais sur ces sites que je haïssais jadis, les sites d’investissements et autres placements boursiers.

## La méthode miracle

Je ne suis pas un expert en trading et ne voudrait en rien influencer nos auditeurs alors je vais seulement vous donner les grandes lignes de cette méthode miracle. Libre à vous d’aller lire le livre en référence pour en savoir plus.

Ce livre parle d’un investissement bien particulier : celui que l’on fait durant plusieurs décennies pour finalement, à la retraite, avoir un revenu qui nous permet d’avoir le train de vie de retraité qu’on espère.

Cette méthode c’est le “couch potato”. Il s’agit de se constituer un portefeuille qui contient a moitié des bons du trésor, une sorte de prêt qu’on fait à un Etat, ça a le bon goût de ne pas perdre de la valeur même si ça n’en prend pas tellement vu que les Etats, en tout cas la plupart, sont des trucs assez stables maintenant… Comme ça, si vous prenez votre retraite en pleine crise financière vous aurez quand même encore de l’argent de côté pour manger.

L’autre moitié est constituée d’un “tracker”, c’est une sorte de pot pourri d’actions qui représentent toutes les entreprises du monde. Imaginez que vous preniez une part de toutes les entreprises cotées dans le monde, c’est en gros ce que vous avez avec un tracker. Ce pot pourri va même être conçu pour suivre au mieux l’économie mondiale qui, en tout cas sur l’échelle d’une décennies, n’a cesse d’augmenter.

Tout ce que vous avez à faire, c’est régulièrement mettre de l’argent sur ce portefeuille (comme vous en mettez sur le livret A pour épargner) et une fois par an vous prenez une petite heure pour rééquilibrer votre couch potato de manière à revenir sur le fameux moitié-moitié.

Enfin, le plus important, les 8760 heures restantes dans l’année vous ne faites rien du tout, vous ne touchez surtout pas à votre investissement. Si vous faites ça pendant les quelques décennies qui vous restent a travailler, vous arriverez à être millionnaire pour profiter de vos derniers jours.

En fait, non content de vous proposer une manière de devenir riche à raison de 1h par an a s’occuper de ses placements, l’auteur défend que c’est une des méthodes de placement les plus rentables qui existe sur les marchés boursiers, qu’elle bat la plupart des placements élaborés par les experts du secteur.

## Effet placebo

En médecine, pour tester un médicament, on se compare à l’effet placebo, c’est à dire à ne prendre aucun traitement. Les trackers, comme ils parviennent à suivre le marché, nous donnent une opportunité de mesurer un effet placebo financier : comparer à ne rien faire. C’est d’autant plus marqué que l’efficacité de ces trackers s’explique par un aspect souvent sous-estimé : l’importance des frais. Quand on boursicote, on paye à chaque transaction et on paye un gestionnaire. Avec la stratégie couch potato : plus de gestionnaire, le nombre de transactions devient très limité (quelques unes par an) et les frais peuvent être très bas (de très loin les plus faibles sur ce genre d’investissements). En fait, en mesurant sur les dernières décennies, l’auteur montre que cette stratégie consistant à pratiquement oublier qu’on investit sur le long terme bat 90% des professionnels!

En économie comportementale, on parle de dépendance à la référence. Pour évaluer sa performance, une personne va les comparer à une référence et considérer qu’il a gagné quand il est au delà de cette référence. Or, quand les frais de transactions et du gestionnaire sont payés depuis longtemps, la seule référence est la performance de l’action achetée par rapport au marché. Mais pour vraiment battre le placebo qu’est le couch potato il faut non seulement battre le marché mais le battre en dépassant les frais et la paye du gestionnaire ce qui explique cette sous-performance des professionnels du secteur.

Malgré tout, il est logique de penser que les spéculateurs professionnels savent ce qu’ils font et sont capable de prévoir le marché dans une certaines mesure.  Comme nos amis professionnels aiment les chiffres, on a chaque année un classement des meilleurs fonds. Et il se trouve que si l’on regarde d’une année a l’autre, en moyenne, seuls 9% des fonds dans le top 100 d’une année le sont encore l’année suivante. Les professionnels peuvent gagner mais ils semblent avoir du mal à reproduire l’essai… Et si vous vous lancez dans la spéculation, c’est bien ces professionnels qui passent leur journées à optimiser leurs stratégies que vous tentez de battre, bon courage!

## Où est l’arnaque ?

Arrivé à ce stade, vous devez avoir la même sensation que j’ai eu en lisant le livre : où est l’arnaque? Du point de vue investissement, je suis bien incompétent pour répondre et il faut dire que l’auteur passe un temps fou à contrecarrer les choses qui peuvent nous venir en tête : Il prouve qu’investir de cette manière à l’aube des précédentes crises financières restait aussi une bonne affaire, que changer de plan à chaque changement de tarif de notre prestataire n’est pas une bonne idée, etc…

Par contre en supposant que cette méthode si simple était aussi efficace, pourquoi donc des traders professionnels continuent-ils d’utiliser d’autres méthodes et de faire des “paris” pour gagner de l’argent?

Et ce n’est pas faute d’avoir prévenu que jouer régulièrement avec la bourse était particulièrement inefficace. En 2014 un article du Business Insider rapporte qu’une banque de fonds d’investissement (là ou vous pouvez acheter et vendre donc) a comparé l’efficacité de ses clients. Les meilleurs rentabilités étaient obtenues par les clients qui avaient oublié qu’ils avaient un compte et qui donc n’y avaient pas touché!

En 2012, le journal The Observer a proposé à trois groupes de choisir la meilleure stratégie d’investissement sur un an : des traders professionnels, un groupe d’enfant et un chat. Le chat a gagné haut la main suivi par les professionnels puis les enfants au coude a coude. Et tout ce beau petit monde n’a pas réussi a battre le marché moyen.

Le marché moyen c’est justement ce que suivent nos trackers, donc faire du trading autrement c’est essayer de battre le marché moyen, d’être plus intelligent que la moyenne. En fait si chaque spéculateur se considérait comme aussi intelligent que la moyenne, il n’y aurait pas de spéculation : personne n’accepterait d’acheter quelque chose qu’un autre spéculateur accepterait de vendre. Si cette autre personne le vend, c’est qu’il pense qu’il ne vaut plus sa valeur, donc je me fais avoir, donc je ne dois pas acheter…

Heureusement comme le montrent les sondages que l’on a fait pour préparer cet épisode,  la majorité des gens se considèrent plus intelligents que les autres, la spéculation a donc de beaux jours devant elle.

 

 

 

 

 

 

Ce biais est connu sous le nom de l’effet Dunning-Kruger, publié dans une étude de 1999 sous le doux nom “Unskilled and Unaware of It: How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self-Assessments”. C’est exactement cet effet qui m’a donné envie de vous parler de ça aujourd’hui : mon avis est que si on ne suit pas le couch potato c’est qu’on n’est même pas assez intelligent pour essayer d’être aussi intelligent que la moyenne sur plusieurs décennies, on ne va pas pouvoir se retenir d’essayer d’être plus malin que les autres, d’optimiser le système.

Cela va se traduire par des biais qui sont bien connus des spécialistes du marketing ou du jeu vidéo et qui ont été, plus récemment, observés dans le cadre d’expérience scientifiques.

## La peur de perdre

Le premier de ces biais est que la peur de perdre nous fait prendre des risques. Par exemple, qu’est-ce que vous préférez :

– perdre avec certitude 100€
– perdre 200€ ou 0€ en tirant à pile ou face

La majorité des gens préfèrent la deuxième option.

Et pour un gain, est-ce que vous préférez :

– gagner avec certitude 100€
– gagner 200€ ou 0€ en tirant à pile ou face

Cette fois-ci, la majorité des gens préfèrent le gain certain. Dans le cas d’une perte on est prêt à prendre plus de risque!

En 1979, Kahneman et Tversky ont mis en évidence cette asymétrie entre le gain et la perte et ont établi qu’il était environ deux fois plus douloureux de perdre que de gagner. 

Une proposition d’interprétation est d’imaginer que d’un point de vue évolutif, une perte (ne pas manger) peut causer la mort alors qu’un gain se limite éventuellement à apporter plus de confort. Comme toujours avec ce genre d’interprétation, il n’est pas évident de conclure et la discussion est toujours ouverte.

Bien que découverte récemment, cette aversion au risque est utilisée depuis longtemps dans le jeu vidéo. Par exemple dans la plupart des jeux Mario, une vie va être accessible en faisant quelques mouvements complexes et risques. Rares sont les joueurs qui ne tentent pas de l’attraper quitte à avoir à recommencer tout le niveau, la peur de ne pas obtenir ce champignon vert nous fait faire n’importe quoi.

Cette peur de perdre peut aller très loin et nous pousser à prendre toujours plus de risques pour ne surtout pas aller vers la perte absolue, la banqueroute. Par exemple, imaginons que j’ai acheté des bitcoins à ses sommets de 2017, à 20k$ le bitcoin. Maintenant, en décembre 2018, la célèbre cryptomonaie est autour des 3000$. A ce stade je peux tout arrêter et vendre mes Bitcoin en me disant que j’ai joué et j’ai perdu. Ou alors je peux faire ce qui est fait plus classiquement à savoir continuer a acheter des Bictoin pour faire baisser la valeur moyenne a laquelle j’ai acheté mes bitcoin en espoir d’une hausse future. C’est ce qu’on appelle en économie les “coûts irrécupérables” et selon l’économie comportementale, ils sont expliqués par l’aversion à la perte (Note : on peut aussi avoir une stratégie très long terme de hausse du bitcoin, je parle ici du cas où on pariait sur un bitcoin plus haut que 20k€ en décembre 2018. Par contre, ce pari sur la valeur long terme du bitcoin à long terme consiste de nouveau à essayer de battre le marché).

En jeux vidéo, cet effet est largement utilisé. La manière la plus classique de le rencontrer sont les systèmes de niveaux ou de constructions d’une ville : vous avez passé des centaines d’heures à jouer a World Of Warcraft, à tuer des sangliers pour atteindre le niveau 100 et d’un point de vue rationnel vous voyez que vous “perdez” votre temps, vous connaissez le jeu par coeur. Mais tout arrêter avant le niveau maximum serait accepter d’avoir “perdu” tout ce temps pour arriver niveau 100, donc vous continuez. C’est aussi ce qui est utilisé dans tous ces jeux gratuits où vous construisez une ville comme Farmville ou dans les jeux où vous collectionnez des choses comme Pokémon Go. Après avoir collectionné tous les Pokémon, quitter le jeu c’est accepter la perte de votre animalerie de compagnie que vous avez durement constitué.

Alors, même en sachant qu’à terme la stratégie du couch potato est la meilleure, si une crise financière se déclenche et que le marché mondial chute de 80%, vous vendez ou vous cherchez à être plus malin que le marché moyen?

## La victoire immédiate

Même si le marché atteint des sommets nous ne sommes pas à l’abri de faire n’importe quoi. Une célèbre expérience consiste à mettre devant les yeux d’un enfant un chamallow et de lui dire que s’il patiente 15 minutes sans le manger il en aura un deuxième. De merveilleuses vidéos sur youtube montrent ces enfants en train de se torturer pour finalement craquer.

Ce que propose le couch potato ici est similaire, en éloignant dans le temps la récompense… Imaginez que vous aviez placé 100k€, et 5 ans plus tard ils valent 200k€ avec la promesse si vous n’y touchez pas qu’il vaudront dans 20 ans 10M€. Vous vous dites probablement que c’est une époque unique et qu’une telle opportunité ne se représentera pas, alors comme l’écrasante majorité des professionnels, vous y perdrez à long terme. Le pire ici est que la meilleure option est tout sauf satisfaisante : ne rien faire.

Là encore, les jeux videos, spécialistes pour nous convaincre de faire des choses qui ne servent fondamentalement à rien, ne sont pas en reste. Dans Angry Birds ou Candy Crush et dans la plupart des free-to-play, on vous propose de payer pour tout de suite avoir votre récompense ou d’attendre parfois une centaine d’heures avant de l’avoir gratuitement. Nombre sont les joueurs pour lesquels c’est sans hésitation qu’ils mettent la main au portefeuille, le plus ironique là dedans est qu’ils payent pour jouer moins.

## Et finalement on a toujours bien fait

Enfin, non seulement on a des tentations bien connues par les scientifique pour ne pas rester calmement sur notre canapé à ne rien faire mais en plus, on est câblé pour considérer qu’on a eu raison de le faire.

La dissonance cognitive est une sensation déplaisante dans laquelle on se trouve quand on est en présence de deux idées contradictoire comme :

– je suis quelqu’un d’intelligent
– au lieu de suivre ma stratégie d’investissement miracle j’ai essayé de faire le malin et j’ai tout perdu.

Et notre cerveau n’étant pas à l’aise avec notre dissonance va nous aider à nous justifier, par différents moyens :

– Je ne ferai plus ce type d’erreur
– J’ai bien le droit d’avoir du libre arbitre parfois, je ne suis pas une machine
– Je mettrai plus de côté le mois prochain
– Ca va remonter, j’en suis sûr

Cette capacité à se raconter des histoires pour expliquer certaines de nos croyances est épatante et peut parfois amener a des récits complets, totalement inventés. Par exemple dans “Mistakes were made (but not by me)”, l’auteur nous raconte l’histoire de sa collègue Carol qui se souvient avec émotion des soirs où son père lui lisait un livre et qu’ils avaient des fou-rires ensemble. Suite à ces nuits de bonheur, ce livre est devenu son livre favori. Mais il y a quelques années, elle a réalisé que le dit livre était sorti un an après la mort de son père…

## Mais les professionnels dans tout ça

Alors, que nous nous fassions avoir par nos biais et que ça nous empêche de suivre une simple stratégie d’investissement est envisageable, mais que des professionnels du secteurs ne s’en sortent pas mieux reste étonnant…

Alors certes, la stratégie d’investissement couch potato est plus efficace que ce que proposent 90% des professionnels… mais est-ce que pour autant cela veut dire que nos amis traders ne s’en sortent pas bien?

Quand vous vous faites aider par un professionnel pour placer votre argent, celui va prendre sa part du gâteau sur les transactions (achat et vente) et pas vraiment sur le gain que vous faites. Pire encore, aucune entreprise n’a un horizon de rentabilité à 30 ans (le nombre d’années avant votre retraite) mais tout au plus 1 ou 2 ans.

Or le couch potato ne nécessite non seulement que quelques transactions par an, mais surtout, se passe bien de l’aide d’un spécialiste, une fois en place. Donc les professionnels qui aident a placer votre argent n’ont aucun intérêt à vous orienter vers un couch potato, ce serait signer leur arrêt de mort.

## Conclusion

Pour conclure, avec ma faible connaissance en finance je n’ai pas su dire si cette couch potato strategy est vraiment aussi extraordinaire qu’elle en a l’air. En revanche, cette balade autour d’études des comportement me fait douter qu’il soit très aisé de la suivre.

Résultat : je suis ne suis pas convaincu d’être suffisamment intelligent pour être aussi intelligent que la moyenne !

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