Médusantes méduses

Dossier présenté par Irène dans l’épisode #359 de Podcast Science.

Pourquoi la méduse ce soir?  Je ne sais pas, c’est mon inconscient qui me l’a dit.  Je n’ai pas de meilleure explication. Mais je trouve ces animaux fascinants, beaux et je suis toujours triste de les voir en captivité.

Historique

Les méduses sont apparues sur Terre il y a environ 650 millions d’années .

C’est Carl von Linné, le célèbre botaniste suédois, qui, en 1746, décrit ces animaux en forme de cloche autour de laquelle s’agitent plusieurs tentacules serpentiformes et fait le rapprochement avec Méduse, l’une des trois sœurs Gorgones de la mythologie grecque,  souvent représentée avec un visage très rond, entouré de cheveux hérissés de serpents. Le nom de l’animal méduse était né.

La méduse du mythe, par le Caravage

En 1800, le zoologiste français Georges Cuvier donne le nom Rhizostoma à une méduse « qui a la bouche en forme de racines » et François Péron publie en 1810 une classification complète qui ne sera pas exploitée avant 1889.  Sa nomenclature, faisant référence à tous les personnages ayant participé au mythe de la méduse, est finalement comprise et adoptée définitivement. On lui doit ainsi des noms comme Chrysaora, Geryonia, Cassiopea… dédiés à Chrysaor, Géryon, Cassiopée…

L’analogie avec les Gorgones porte aussi sur l’habitat, notre naturaliste François Péron pensant que la disparition saisonnière des méduses est liée à leur migration dans les ténèbres abyssales où se réfugient les trois Gorgones.

Quid du nom anglais ? le terme anglais de jellyfish (littéralement « poisson-gelée ») semblant à mon sens fort bizarre. Et bien c’est  René-Antoine Ferchault de Réaumur (appelé par convenance Réaumur) Réaumur (physicien et naturaliste français. Jeune scientifique admis à l’Académie des sciences en 1708 grâce à un mémoire de géométrie) qui étudie la Rhizostoma bleue sur les côtes de La Rochelle l’appelle « gelée de mer » en 1710,  pour désigner l’ensemble des méduses et l’expression gélification des océans.

Description générale

Ni vertébré à squelette, ni crustacé à carapace, ni mollusque à coquille, la méduse est simplement formée d’un tissu mou tapissé de muscles circulaires striés au niveau de l’ombrelle et de muscles radiaux au niveau des tentacules. Les muscles circulaires sont très puissants et lui permettent de se propulser. En ce qui concerne les tentacules, souvent en multiple de quatre, ils sont extrêmement contractiles et peuvent s’étirer jusqu’à dix fois le diamètre de l’ombrelle.  Notons quand même que certaines méduses n’ont pas de tentacules.

Seules de rares espèces (comme Craspedacusta sowerbyi) vivent en eau douce. La plupart sont entraînées par les courants marins, faisant partie du zooplancton, à l’exception des méduses du genre Cassiopea qui se tiennent posées sur le fond, l’ombrelle retournée.

Leur corps est grosso modo composé de 95 à 98 % d’eau et de 2 à 5 % de matières sèches (contre 63 % d’eau pour le corps humain).  Le corps mou des méduses est constitué d’une substance gélatineuse qui contient, outre ses 98 % d’eau, du collagène (similaire au collagène humain), des cellules totipotentes indifférenciées qui se transforment pour reconstituer un tissu lésé.

Cyanea capillata (photoAlexander Semenov)

Leur masse gélatineuse a une densité d’eau voisine de celle de l’eau de mer, ce qui explique que la majorité des méduses se maintiennent en équilibre dans la couche d’eau superficielle de la zone littorale, bien que certaines se rencontrent à plus de 1 500 m de profondeur.

La plus grande méduse connue est Cyanea capillata : son ombrelle a un diamètre de 50 cm à 2,50 m qui héberge souvent de jeunes poissons à l’abri de ses 800 fins tentacules pouvant mesurer 40 m de long.

La durée de vie d’une méduse est au plus de trois ou six mois.

Le terme méduse est un nom vernaculaire désignant les formes libres mobiles des individus appartenant au groupe des cnidaires et qui s’opposent donc aux formes polypes, sessiles, ie. définitivement fixés sur un support.

Cycles sexué et asexué

Les méduses sont des cnidairesMais ces cnidaires  ont deux formes de corps à travers leur cycle de vie – le stade de polypes et la phase de méduse. Dans la phase de polypes, ils se présentent sous la forme d’une tige sessile avec leur bouche et leur tentacule vers le haut. À ce stade, ils attrapent des aliments qui passent. La deuxième étape de la structure du corps des méduses est plus populaire. Au cours de cette étape, ils ont un corps en forme de parapluie appelé la cloche.

Donc le terme « méduse » s’applique généralement au stade pélagique (mobile donc)  de nombreux cnidaires, qui pour des raisons essentiellement de convergence évolutive ont développé une forme de cloche contractile, avec une bouche en position inféro-centrale, entourée de bras servant à capturer la nourriture.

Pelagia noctiluca (photo Alexander Semenov)

Autrement dit,  la méduse est une étape de vie mobile (pour l’essentiel des espèces) à l’opposé d’une étape de vie statique (on dit aussi sessile) pour le polype. Les autres étapes du cycle de vie, ce sont bien sûr les gamètes, et les  larves . À noter qu’il y a des espèces de méduses qui ne forment pas de polypes et des espèces de polypes qui ne forment jamais de méduses.

Pour des genres comme Clytia, mâles et femelles libèrent spermatozoïdes et ovules dans l’eau qui vont alors fusionner pour former un œuf. Celui-ci va ensuite libérer une larve qui va tomber au fond de l’eau, se fixer sur des rochers ou tout autre support et se transformer en une tige : le polype. Les polypes sont aussi le plus souvent sexués, il peut exister ainsi des colonies de mâles et de femelles, mais chaque colonie se reproduit également par multiplication asexuée et finit par donner, toujours par bourgeonnement, une hydroméduse qui va se détacher. Certaines méduses peuvent bourgeonner, d’autres méduses sur le rebord de l’ombrelle mais la majorité de la reproduction asexuée est effectuée à partir du polype.   Ce dernier produit de jeunes méduses par strobilation.

Au moment de la reproduction sexuée, les méduses deviennent de véritables « gonades flottantes .  Elles libèrent dans la colonne d’eau les gamètes (spermatozoïdes pour les méduses mâles, ovules pour les femelles) qui se dispersent dans l’océan et fécondent les ovules : la fécondation est externe

En dispersant les œufs, elles contribuent à la colonisation de nouvelles aires géographiques. Le développement embryonnaire est marqué par différents stades et aboutit à la formation des larves qui donneront ensuite les polypes. Les polypes tapissent alors le fond de l’océan. Ces polypes se développent différemment en fonction de l’espèce. Certains ne peuvent se développer qu’après un demi-siècle. Plus généralement, il faut qu’un changement important intervienne (ex: changement de température, d’oxygène,) pour leur permettre de libérer les méduses . Une fois la reproduction assurée, les méduses meurent.

Il y a des variantes, par exemple:

Pour des méduses comme Pelagia, seuls les spermatozoïdes sont libérés dans l’eau. Les femelles les récupèrent et pondent alors des œufs fécondés. Aurelia a encore développé un système différent : les œufs fécondés migrent dans des poches incubatrices situées au niveau des bras oraux, et c’est alors des larves qui sont pondues.

Et les exubérances des méduses ne s’arrêtent pas là : un cas d’hermaphrodisme a été décrit chez Chrysaora, tandis que le cycle de vie de certains hydraires ne passe jamais par le stade de méduse. On parle alors de phase de régression de la méduse.

Chrysaora fuscescens

Les stades de développement d’une méduse. Développement et fixation de la larve (stade 1 à 4) ; développement du polype  (stades 5 à 10) ;  strobile (stade 11) ; ephyra (stade 12) ; jeune méduse (stade 13) ; méduse adulte (stade 14).

Voilà, maintenant vous savez ce qu’est une méduse.  Voyons quelques autres traits intéressants de l’animal.

Organes

Pas de poumons ni de sang, mais un système de respiration basé sur les échanges gazeux à travers la peau. Les méduses ont une ébauche de cerveau avec des cellules nerveuses en lien avec des organes des sens. Les méduses utilisent leur «filet nerveux» pour détecter le contact d’un autre organisme.

Elles possèdent sur la marge de l’ombrelle des zones de concentrations d’organes récepteurs, les rhopalies (Une rhopalie est une zone de concentration d’organes récepteurs) dans lesquelles certaines cellules s’organisent autour

  • d’ocelles (ocelle est une simple tache oculaire généralement distribuée aléatoirement sur le corps. Tout comme chez les insectes, ces organes sont également photosensibles),
  • d’yeux camérulaires : ces yeux possèdent une chambre de photorécepteurs souvent remplie d’un liquide (adaptation à l’indice de réfraction du milieu extérieur). Les humains en ont aussi et c’est ça qui est surprenant, c’est un exemple de convergence évolutive,
  • de statocystes, qui captent les changements d’orientation grâce à un système de cellules ciliées, récepteurs sensibles à l’équilibre pour s’orienter dans l’eau,
  • de fossette olfactive

La méduse utilise sa rhopalie et son système nerveux pour identifier la lumière et l’odeur. Les larves portent des cellules ciliées photoréceptrices, ce qui leur permet de se diriger par phototaxie.

Pouvoir urticant

Les tentacules d’une méduse sont un mécanisme de défense important. Chaque tentacule est recouvert de cellules piquantes, connues sous le nom de cnidocytes.  la méduse a un pouvoir urticant qui lui vaut sa place dans l’embranchement des Cnidaires, du grec « knidé » qui veut dire ortie. Les cellules urticantes sont régulièrement réparties sur l’ectoderme des tentacules ou groupées en bouton, en anneau ou en ligne. Elles sont vitales pour la méduse puisqu’elles constituent son arme de pêche… à la traîne ! mais aussi un moyen de défense efficace pour contrer l’absence de carapace.

Chironex fleckeri, une des espèces de Cubozoa les plus meurtrières.

Les méduses sont généralement des prédatrices, elles paralysent leurs proies grâce à leurs cnidocytesLes méduses piquent leur proie en utilisant leurs tentacules extensibles qui portent par millions des nématocystes groupés en batteries urticantes qui injectent du venin en provoquant de multiples micro-piqûres. Certaines méduses appartenant à la classe des Cubozoa peuvent être mortelles pour l’homme.

Alimentation

La méduse est un animal carnivore. La majorité des espèces se nourrissent de micro-plancton piégé par leurs tentacules. Elles  se supplémentent en sucres grâce à des algues symbiotiques qui vivent dans ces bras.  Certaines méduses se renversent, l’ombrelle tournée vers le haut, et attendent que le plancton qui chute vers le fond tombe dans leur cavité buccale.

Les proies les plus volumineuses (poissons par ex) sont piégées par les tentacules rétractiles qui acheminent la nourriture vers la cavité buccale. La bouche reliée à des canaux radiaires se déversent dans un canal circulaire marginal, faisant le tour de l’ombrelle. Les produits de la digestion circulent des canaux radiaires jusqu’au canal marginal puis, le courant s’inverse et les produits d’excrétion sont ramenés vers la bouche par où ils sont expulsés, sous forme de pelotes de mucus. elles ont un système digestif incomplet et utilisent donc le même orifice pour la consommation d’aliments et l’expulsion des déchets.

En cas de nourriture abondante, elles peuvent manger jusqu’à la moitié de leur poids en une journée, mais elles peuvent aussi jeûner, et même manger leurs propres gonades pour survivre en cas de disette prolongée.

Dans leur stratégie optimale de recherche de la nourriture, les méduses pratiquent aussi bien la chasse passive que la chasse à l’affût. Ces stratégies diffèrent selon la taille et la forme de l’ombrelle, le nombre, la taille et la disposition des tentacules. Des méduses utilisent la bioluminescence pour faciliter la prédation sur des proies, telle la méduse Aequorea victoria et sa protéine fluorescente verte (GFP).

Aequorea victoria

Déplacement

Les battements continus de l’ombrelle contractile permettent aux méduses de flotter et de se propulser. Les contractions des myofibrilles formant une nappe sous-ombrellaire accentuent la convexité de l’ombrelle et provoquent l’éjection d’eau. Le retour à la position de repos est passif et est dû à l’élasticité de la mésoglée. Lorsque les méduses se dirigent activement vers le fond, elle se retournent, de telle façon que l’éjection d’eau vers le haut assure la propulsion vers le bas. L’intensité du déplacement est liée à la puissance de la contraction de la sous-ombrelle et au degré d’occlusion du velum. Les vitesses obtenues par ce jet-propulsion varient généralement entre 5 et 15 cm par seconde.

Et puis pour finir, une méduse bien spéciale

Turritopsis Nutricula est une espèce de méduse originaire de la mer des Caraïbes. Au milieu des années 1990, après quelques années de recherches, elle fut à l’origine d’une véritable onde de choc dans le monde scientifique. La raison ? Turritopsis Nutricula est réputée pour être  immortelle.

Turritopsis nutricula

Fait a priori unique dans le règne animal, les adultes de cette espèce peuvent renouveler leurs cellules et revenir au stade juvénile. Imaginez une poule capable de redevenir un oeuf, un papillon capable de redevenir une chenille, un septuagénaire capable de redevenir un foetus : c’est la faculté exceptionnelle dont dispose cette méduse, qui mesure à peine 5 mm à l’âge adulte.

Lorsque l’environnement se dégrade, certaines méduses se fabriquent des kystes dans lesquels les tissus se désorganisent puis, lorsque les conditions environnementales s’améliorent, les kystes s’ouvrent et en l’espace d’une journée, on retrouve ces méduses qui ont régénéré leurs cellules. Turritopsis parvient ainsi à passer du stade de méduse à polype, la rendant potentiellement immortelle (uniquement biologiquement)

Il est déjà connu que la meilleure façon de pousser une Turritopsis Nutricula à se régénérer est de la stresser. Par exemple, en cas de blessure, le processus s’enclenche aussitôt et en quelques jours à peine, la méduse retourne à son stade juvénile et commence une nouvelle vie. Le même résultat sera obtenu si elle est confrontée au vieillissement naturel. Au Japon, une étude a ainsi enregistré une dizaine de cycles entre 2009 et 2011, indiquant un phénomène potentiellement infini.

Enfin, pour plus d’infos beaucoup plus marrantes, je vous conseille la page du site web de Taupo (Strange Stuff And Funky Things): http://ssaft.com/Blog/dotclear/?post/2016/11/18/Medusantes-Collabs

Les magnifiques photos de méduses du biologiste marin Alexander Semenov, spécialisé dans les invertébrés : https://www.flickr.com/people/a_semenov/

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