La chercheuse et le trou noir

Dossier présenté par Johan à partie de 16 min 44s dans l’épisode #373 de Podcast Science : Voit-on des trous noir quand Dieu fait un U avec sa langue ? Bonne écoute !

Il était une fois une chercheuse très brillante appelée Katie Bouman qui avait fait sa thèse en utilisant un télescope pour faire une image d’un trou noir. Elle avait d’ailleurs fait une conférence TEDx sur le sujet en 2016, que je vous conseille. C’est une image un peu difficile parce que c’est très petit et très loin. La taille du trou noir choisi était 40 micro-arcsecond d’angles dans le ciel. Comme elle le dit dans sa conférence TED : c’est comme chercher à observer une orange sur la Lune, c’est très très petit.

Pour cela, une grande équipe de 200 astrophysiciens se sont mis à travailler ensemble pour réaliser un vieux rêve de l’astronomie : réussir à faire observer ensemble des télescopes tout autour de la Terre en utilisant une technique appelée interférométrie. Alors attention, on ne parle pas de télescopes avec des miroirs et des lentilles ici, car il n’est pas possible de faire de l’interférométrie à cette distance avec des télescopes optiques. On parles de télescopes en ondes radios plus proches des antennes satellites pour la télé, ou plus précisément des grosses antennes du film Contact. Avec ce regroupement de télescopes, le Event Horizon Telescope, situés tout autour de la Terre, Chili, Antarctique, Mexique, Espagne, Hawaii, Arizona, il est possible de prendre des images exactement au même moment, puis de ramener les Téra-octets de données ainsi créés en quelques secondes, par avion, jusqu’aux État-Unis et en Allemagne où l’on peut les combiner a posteriori sur des super-calculateurs.

Location des télescopes du Event Horizon Telescope

Si on ne doit retenir qu’une seule chose de l’interférométrie, c’est qu’elle ne prend pas des images directement, mais elle permet d’obtenir des informations sur tout ce qui à une certaine taille sur un objet (pour être plus technique, vous obtenez des informations uniquement à certains endroit du plan de Fourier de l’image, voir épisode de NicoTupe : Podcast-science #116, sur la transformée de Fourier). Et la résolution maximum que vous pouvez atteindre sur le ciel est inversement proportionnelle à la distance entre les plus éloignés des télescopes du réseau. Donc là en l’occurrence, chercheuse et son équipe ont réussi artificiellement à créer une image dont la résolution maximale est comparable à celle qu’aurait un télescope dont la taille serait environ le rayon de la Terre. Ce projet un peu fou de faire un télescope à l’échelle de la Terre avait germé depuis les années 90 et a commencé en 2009, en ajoutant des télescopes totalement indépendants petit à petit, et en les faisant travailler ensemble jusqu’à regrouper environ 200 chercheurs sur plus de 60 instituts à travers le monde. Bref un très bel exemple de collaboration internationale. Et les résultats, la première reconstitution d’une image d’un trou noir ont donc été annoncé dans une conférence de presse à cette échelle, avec annonce simultanée à Washington, Brussels, Tokyo, Santiago, Shanghai et Taipei.

Katie Bouman avait rejoint la collaboration dès le début de sa thèse en 2011, et elle avait travaillé spécifiquement sur certains algorithmes de traitement pour regrouper les données de tous les télescopes et ainsi obtenir les premières images du trou noir. Et quelqu’un a pris une image d’elle au moment où elle découvrait pour la première fois cette image et elle a un regard émerveillé, les mains devant la bouche pour masquer son émotion, bref une belle photo, très représentative de l’émerveillement des chercheurs de cette équipe, immensément heureux et heureuses de finalement voir tant d’années de travail aboutir.

La chercheuse émerveillée a partagé cette photo avec ses amis sur facebook s’est donc retrouvée propulsée par la magie des réseaux sociaux sur le devant de la scène médiatique, et dès le lendemain de la publication de la photo de notre astrophysicienne et de l’image du trou noir, elle avait le droit à un article dans le Time titré élogieusement “Voici Katie Bouman, une femme qui a aidé à produire la première image d’un trou noir” qui décrivait l’importance de son travail dans la collaboration : “Le projet a associé des experts de toutes sortes de domaines scientifiques, depuis la physique jusqu’aux mathématiques, et [la] vision [de Katie] était celle d’une informaticienne, qui a insisté sur l’importance de faire des tests sur des données synthétiques pour être sure que les méthodes qu’ils utilisaient pour produire l’image gardaient bien les biais humains en dehors de l’équation”.

Première simulation numérique d’un trou noir entouré d’un disque de gaz, effectuée par Jean Pierre Luminet en 1979 (Voir Podcast Science 211 pour son interview sur les trous noirs).

Le problème c’est que l’inculture scientifique dans les journaux a fait que beaucoup de journalistes ont déformé cette information virale, passant petit à petit de “la femme derrière la photo du trou noir” quelques heures plus tard, puis dans le Telegraph britannique “La fantastique femme de 29 ans qui a dévoilé au monde le trou noir !” puis “Katie Bouman, la femme qui a transformé notre vision des trous noirs”, “la femme à l’origine de la photo du trou noir” et enfin ce titre dans Madmoizelle “Katie Bouman et Margaret Hamilton, deux scientifiques à avoir marqué l’histoire”. Et dans le public forcément ce message erroné est passé et quand Florence Porcel, poste sur les réseaux sociaux “la première photographie d’un trou noir”, l’un des premiers commentaires lui fait remarquer que “partager cette information, c’est cool. Créditer la chercheuse qui a permis d’obtenir cette image serait encore plus cool. Merci pour elle !”.

Un commentaire sur facebook pour montrer que l’idée que K. Bouman avait réalisé à elle seule la découverte s’était répandu rapidement (ce n’est absolument la faute de cette personne, plutôt celle des journalistes qui lui ont donnée cette impression).

Bon les chercheurs de ce que j’ai vu la plupart ça les a fait un peu rire de voir que les médias généralistes créditer une post-doctorante pour le travail de 15 ans de recherche d’une collaboration internationale, et ça montre qu’on a encore du boulot pour montrer aux gens que la recherche, c’est lent, c’est des petits pas par plein d’anonymes qui apportent leur petit gravier à un gros tas de cailloux. Mais que c’est pas très vendeur en comparaison de l’image du chercheur ou de la chercheuse révolutionnant la science à lui/elle seule. D’ailleurs, notre astrophysicienne est la première à s’en étonner et met en avant sur les réseaux sociaux “Ce n’est pas un algorithme ou une personne qui a créé cette image, elle a nécessité le talent incroyable d’une équipe de scientifiques du monde entier et des années de travail acharné pour développer l’instrument, le traitement des données, les méthodes d’imagerie et les techniques d’analyse nécessaires pour réaliser cet exploit apparemment impossible”.

Mon avis perso, c’est qu’au final, il y a moins d’un cinquième de femmes dans l’équipe qui a fait la publication de l’image et c’est sans doute ça le vrai problème. Donc si ça doit tomber un peu arbitrairement sur quelqu’un, mieux vaut que ça tombe sur la jeune chercheuse brillante qui a effectivement bossé sur le sujet depuis quasiment 10 ans, plutôt que sur l’arriviste mâle qui s’approprie le boulot des autres. Par exemple quand les Bogdanovs ont publié un livre sur les résultats du satellite Planck et qui font le tour des plateaux télés pour en parler alors qu’ils ne font pas partie de l’équipe de Planck, qu’ils n’ont jamais travaillé sur les données, pour la simple raison qu’elles n’étaient pas public au moment de la sortie du livre… Mais certaines personnes ne l’entendent pas de cette oreille et commencent rapidement à s’offusquer qu’une chercheuse, une femme de surcroît, s’approprie une gloire qu’elle ne mérite pas. Ils épluchent le code de l’instrument et découvre qu’un chercheur de l’équipe a même écrit plus de lignes qu’elle ! Victimes d’attaques misogynes, alors que cela aurait qui aurait du être un chouette moment de sa vie qui clôt des années de travail, elle se retrouve, seulement quelques heures plus tard, à devoir couper son téléphone et sa boite mail pour éviter de recevoir des insultes… Alors qu’elle n’était pas sur Twitter, plusieurs compte à son nom sont apparus sur cette plateforme pour la calomnier. Bizarrement, très actifs lorsque l’on attribue le travail d’une équipe à une femme, qui n’a rien demandé dans cette histoire, on n’entend nettement moins ces personnes quand un homme s’approprie de manière très volontaire le travail d’une de ces collègues, comme l’histoire des science en est remplie…

Le radio-télescope ALMA dans le désert d’Atacama dans le nord du Chili a fait parti de ceux qui ont observé le trou noir au sein de la collaboration Event Horizon Telescope (il s’agit là aussi d’un interféromètre, à l’échelle d’un désert).

Bref, la morale de cette histoire c’est que malheureusement les journaux généralistes ont toujours du mal à traiter d’actualité scientifique car ils ne comprennent pas bien comment elle fonctionne. Mais malheureusement la seconde morale de cette histoire c’est que la recherche est toujours aussi difficile pour les jeunes chercheuses. Katie Bouman a obtenu l’année dernière un poste de professeure assistante à l’université Caltech, l’une des meilleures universités des États-Unis en science. On lui souhaite plein de réussite et qu’elle ne garde au final pas un trop mauvais souvenir de cette histoire.

Katie Bouman devant une partie des disques durs contenant les données de la première image du trou noir.

Petite anecdote de fin : pourquoi on n’envoie pas les donnés par internet et plutôt par avion ? Vous vous rappeler quand vous étiez petit et que vos copains vous donnez des CD gravés à la récrés avec de la musique ou des films, parce que vous les envoyer par internet avec une connexion 56k aurait nécessité toute la nuit de téléchargement et vos parents vous auraient tué pour avoir éclaté la facture de téléphone ? Bah c’est le même principe, vieux comme internet :

Quelles que soient la vitesse de connexion et la distance entre l’émetteur et le receveur, il y a toujours une quantité de données limite à partir de laquelle il devient moins long d’envoyer les donnés par la poste que par internet.

Il y a un mot pour ça: le sneakernet ou internet basket (comme les chaussures). Bien sur cette limite augmente de plus en plus avec nos vitesses de connexions, mais les données des télescopes aussi, et d’ailleurs un peu plus vite. Pour l’image du trou noir, les 7 télescopes de la collaboration ont produit 40 PetaOctets de données en 18h, c’est à dire plus de 8 Go de données par seconde et par observatoire, ce qui représentait au total une demi tonne de disques durs. Pour donner une idée, votre disque dur de votre ordinateur se remplirait intégralement en moins de 2 minutes à ce rythme. Un site internet a calculé la bande passante équivalente de ramener les données (600 To) du télescope de Hawai jusqu’à Boston par avion (~14h en comptant la voiture), et on parle de 14 GigaOctets par seconde en pratique, soit beaucoup plus rapide que n’importe quelle connexion internet accessible dans le commerce. Et donc s’envoyer des caisses de disques durs par Fedex ne va pas s’arrêter de si tôt en astronomie ! XKcD a fait un WhatIf sur la question du Fedex Internet.

Publications du trou noir, de 1 à 6. Comme il est coutume dans ce genre de collaboration, les auteurs sont classés par ordre alphabétique de Kazu Akiyama (postdoc Japonais) à Lucy Ziurys, Professeur d’astronomie en Arizona :

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