Le bleu du ciel, ici bas et sous d’autres cieux

Ceci est un dossier de Johan, présenté à l’occasion de notre émission PS 443: le bleu

Papa, pourquoi le ciel est bleu?” est sans doute une des premières questions de physique que beaucoup d’enfants posent. D’ailleurs si vous avez des enfants en bas âge, préparez vous, ça va venir un jour. Du coup à ce moment, vous avez le choix, 

  • l’évitement : “demande à ta mère, elle a fait S au bac”
  • Le trollage pur et simple : “c’est comme ça par convention, ça a été voté à l’ONU en 1982, avant il était vert mais ça rendait les gens malades alors on l’a repeint en bleu.” (technique adoptée par le père de Calvin et Hobbes)
  • Ou alors vous écoutez cette chronique. 

Pas de soucis, jeunes parents débordés, aujourd’hui on révise, et lorsque la question fatidique arrivera, vous n’aurez qu’à sortir la craie et le tableau et à réciter les équations ! 

Déjà, avant de venir à la physique, en fait c’est loin d’être aussi évident que ça que le ciel est bleu en fait. A la fin du 19e siècle, William Gladstone est un ancien premier ministre britannique, absolument fasciné par l’auteur grec Homère. Vers la fin de sa vie politique, il se dit qu’il va écrire un pavé de 3 volumes sur lui pour occuper sa retraite. Bon je vais pas vous mentir je l’ai pas lu. Mais à l’intérieur il remarque que les couleurs sont bizarres. On parle de la mer avec une couleur de vin foncé. oînops póntos (οἶνοψ πόντος) en grec.

Ulysse se moquant de Polyphème, William Turner, exposé à la  National Gallery

Et pas qu’une fois, cette épithète est utilisée cinq fois dans l’Iliade et douze fois dans l’Odyssée pour parler de la mer, souvent pour décrire une mer durant la tempête. Des générations d’hellénistes se sont étripés sur la question, avec des hypothèses comme le fait que l’eau du Péloponnèse étant très alcaline, il est possible que le vin grec soit légèrement bleuté, ou alors que Mer de Vin peut vouloir dire que la mer est comme “ivre”, donc agitée. Quoi qu’il en soit notre Gladstone commence à recenser les couleurs de l’oeuvre d’Homer et il remarque en fait que le bleu est quasiment absent. Le mot kyanós (κυανός), dont il est attesté qu’à un moment de l’évolution de la langue il désignait cette couleur apparaît rarement, mais on pense que pour Homère, il signifiait sans doute “sombre” car il était utilisé pour décrire les sourcils de Zeus par exemple. Et il n’y a pas que la mer et les sourcils de Zeus, mais les moutons du cyclope de l’odyssée sont violets, le miel est vert, le sang est noir et, en exclusivité, pour les grecs anciens, le ciel était parfois…  couleur de bronze. 

Gladstone, qui était meilleur politicien que biologiste, en déduit que les grecs de l’époque avaient des yeux différents des nôtres en gros qu’ils étaient daltoniens. Et que notre capacité à discerner le bleu est un entraînement progressif de notre oeil à travers les générations. Une évolution aussi radicale en 3000 ans, ça parait un peu beaucoup mais ça a beaucoup intrigué les scientifiques aussi, car le monde que décrit Homère à l’air tout bizarre comme un tableau de l’époque fauviste.

André Derain, L’Estaque, route tournante, 1906, Museum of Fine Arts Houston

Et la réponse vient sans doute plus des linguistes que des biologistes. Ainsi les russes ont deux mots pour parler du ciel s’il est sombre comme avant la nuit голубой – goluboy) que l’ont traduit par bleu foncé et синий – siniy) parler du ciel clair, que l’on traduit par bleu foncé. Pour les français on pourrait dire bleu dans les deux cas, mais cela ferait sans doute sourire un russe, car la fait d’avoir deux mots, créer une case différente dans le cerveau. Un peu comme si je vous disait que le sang était couleur saumon ou que la couleur des cheveux d’un roux est vermillon. Ce sont des couleurs proches et on comprendra sans doute ce que vous voulez dire mais comme dans le rouge on a plein de subtilité pour en parler, en utiliser une pas tout a fait exact peut vous faire vaguement tiquer. 

Et du coup retour au bleu, vous voyez tout de suite la pauvreté de notre langage en français, car on utilise le même mot bleu pour parler du ciel et de la mer ce qui est tout de même absurde vous en conviendrez et ce qui ferait sans doute halluciner Homer. 

Les grecques quant à eux avaient peut être une séparation des couleurs qui étaient beaucoup plus basés sur l’intensité de la couleur (foncé ou clair) que sur le pigment. Et donc il faut comprendre Homer comme le ciel est “brillant comme un objet de bronze poli” et la mer est “sombre comme le vin”. 

On s’aperçoit que même si toutes les ethnies modernes ont des yeux quasiment identiques, ils classent les couleurs différemment. Et ce classement différent permet à vrai dire différentes ethnies d’être plus ou moins sensible à des variations de couleur. Ainsi une étude de 2006 a montré que les russophones étaient plus rapides que les anglophones à distinguer des variations entre du bleu clair et du bleu foncé. Et donc notre Gladstone n’avait pas tout à fait tort, notre vocabulaire influence la façon dont nous percevons les couleurs du monde, pourtant avec des yeux identiques. 

Un petit caveat ici, cet exemple des couleurs est l’un des cas expérimentalement validés de l’hypothèse de Sapir-Whorf, qui que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage. Cependant, cette hypothèse reste largement discuté dans d’autres domaines, et et je ne suis pas assez spécialiste pour juger de l’état de la controverse.

Mais revenons en à nos équation de physique. Pourquoi le ciel est bleu ? Il faut ici parler de diffusion. La diffusion est le phénomène par lequel un rayonnement, comme la lumière, ou le son, est dévié dans diverses directions par une interaction avec d’autres objets. Ici on parle de la lumière du soleil et l’objet, ce sont les molécules de l’atmosphère. 

Cette diffusion peut faire changer de direction l’onde qui arrive sur cet objet. La direction peut être comprise comme l’angle entre la source de la lumière, l’endroit ou elle est diffusée, et notre œil. Si vous regardez un point du ciel, il faut construire le triangle dans notre tête entre le soleil, l’atome de l’atmosphère, et notre œil. 

Mais souvent la diffusion est chromatique, c’est à -dire qu’elle va dévier de manière différente les différentes longueurs d’onde, c’est à dire, les différentes couleurs qui lui arrivent dessus. Je rappelle que le soleil contient toutes les couleurs visibles par notre œil. Mais toutes les couleurs ne sont pas déviées de la même façon. Si vous regardez loin du soleil, ce que vous voyez en fait c’est la lumière qui est la plus déviée par l’atmosphère, car l’angle soleil-molécule-oeil est très grand. Si vous regardez à l’horizon avec le soleil dans le dos, on peut même avoir des angles supérieurs à 90 degrés, comme si la lumière du soleil “repartait” dans l’autre sens. 

Or les longueurs d’ondes les plus déviées sont les plus courtes, le bleu et le violet, alors que les plus grandes sont beaucoup moins déviées et sont observables uniquement dans les régions proches du soleil. C’est pour ça que le soleil est jaune en journée, c’est le blanc du soleil mais ou vous avez enlevé le bleu. Le jaune du soleil, c’est le blanc de notre étoile moins le bleu du ciel. 

Et au couché du soleil ? Et bien dans ce cas, la diffusion augmente encore car, la quantité d’atmosphère traversée est plus importante. Et différence importante, vous regardez exactement dans la direction du soleil, du coup l’angle soleil molécules oeil diminue énormément. A ce point les rayons bleus et jaune sont déviés à des angles plus importants, au dessus de votre tête, et il ne reste que le rouge, qui teinte donc le ciel et le soleil. 

Bon c’était rapide parce que toutes les chaînes blog ou podcast de vulgarisation physique du monde ont déjà traité cette question avec leur sauce et je vous encourage à aller les voir pour apprendre les infinies raffinement de cette question. Mais moi je suis astronome et n’en déplaise aux géologues, la Terre est la plus chiante des planètes. On recommence.

Papa, est ce que le ciel de toutes les planètes est bleu ?”. AH. En voilà une question qu’elle est plus intéressante.

La science fiction s’est intéressée au problème et j’ai trouvé 2 séries étudiant la question du ciel violet. La première c’est l’épisode 11 de la saison 3 de sliders. Une série que les gens de mon âge se rappellent avec émotion ! Alors j’ai eu du mal mais j’ai réussi à le retrouver et bon, c’est fauché, ça joue ma et c’est nanardesque au possible, ça aurait certainement dû rester dans un passé idéalisé.

La planète au ciel violet de la série Sliders

Bon sliders, c’est l’histoire d’une équipe de 4 personnes qui ont inventé le voyage interdimensionnel et à chaque épisode ils sont pour une période donnée dans une terre dans une dimension parallèle toujours presque pareille que la Terre parce que ya pas de budget mais toujours un peu différente. Mais effectivement à un moment ils débarquent sur une planète remplie de robots avec un ciel violet. Et le robot beau gosse se retrouve sur un balcon pour chopper la meuf de l’équipe en lui parlant du ciel… violet. Bon, l’explication qu’il donne est que les atomes de son atmosphère à lui sont plus petits. Bon c’est faux parce qu’en fait ce qui fait la diffraction de Rayleigh dans ce cas, c’est en fait la vibration des deux atomes de la molécule de diazote et de dioxygène qui crée la diffusion, pas la taille des atomes. Quand bien même il serait possible de trouver un autre gaz qui serait plus diffusant, ce qui ferait que le bleu serait à son tour diffusée et qu’il ne resterait plus que le violet, le problème c’est que du coup l’atmosphère de cette planète ne serait sans doute plus respirable. C’est un problème de taille pour une série au budget aussi limité qui devrait donc investir dans de coûteux costumes de cosmonautes. 

La planète violette de Stargate Universe.

Une autre série qui envisage la planète violette, c’est le 11e épisode de la saison 1 de la série Stargate Universe. Alors ce n’est pas la série Stargate SG1 de la même époque qui elle se regarde encore très bien, et que les astronomes adorent et dont ils vantent la vraisemblance scientifique en astronomie. Stargate Universe est nettement moins bien mais pour toi public je ne recule devant aucun nanar !  A un moment l’équipage débarque sur une planète habitable mais totalement violette. 

La raison donnée est ici scientifiquement un peu plus valide mais me paraît tout aussi fausse. Enfin je crois ou alors j’ai pas compris. L’un des personnages de l’équipe explique que l’étoile est sans doute une naine rouge, c’est-à -dire une étoile beaucoup plus petite et froide que notre soleil. Les naines rouges sont les planètes les plus fréquentes dans votre galaxie. Pour notre soleil, le maximum de luminosité de notre soleil est en plein milieu de notre spectre de vision dans le vert, avec un spectre relativement plat dans le visible, Mais le maximum de luminosité d’une naine rouge est… loin dans l’infrarouge. Du coup le pic de longueurs d’ondes dans ce ciel sur une planète de ce type serait translaté loin dans l’infrarouge, et il y aurait beaucoup de rouge, un peu moins de vert et quasiment plus de bleu ni de violet arrivant sur ces planètes. Du coup, meilleure idée que dans sliders, mais il aurait fallu je crois utiliser une géante bleue comme planète pour créer cet effet. 

Montage de 7 images prises par le rover martien Curiosity au même endroit pendant qu’une tempête de poussière se lève. Réalisé par @thomas_appere (JPL/NASA)

Bon et Mars alors ? Mars, on introduit une complexité supplémentaire, qui est que la majorité de la diffusion n’est pas due aux atomes de l’atmosphère mais aux particules de poussière qui sont en permanence dans l’atmosphère. Et là c’est différent. En effet, ces particules sont d’une taille autour du micron soit relativement proche de la longueur d’onde de la lumière visible, alors que les atomes et les molécules de l’atmosphère sont 100 fois plus petits. Pour ces grosses particules, la théorie de Rayleigh ne s’applique plus, on doit utiliser la théorie de Mie qui est une généralisation en de Rayleigh. Quelle couleur a donc le ciel d’une planète saturée en petites particules microscopiques. Et bien vous le savez sans doute si vous habitez dans le sud de la France, car en Février 2021, une tempête dans le Sahara a ramené du sable dans le sud de la France, qui a engendré des ciels rouges orangés. Alexa en Californie a sans doute pu le voir cet été lorsque d’énormes incendies ont rempli le ciel de cendres et je l’ai moins observé en Chine, dans la ville ultra-polluée de Xian. Dans la fiction, je vous conseille la scène à Las Vegas dans le génial et magnifique Blade Runner 2049 de Villeneuve. C’est sans doute l’ambiance en permanence sur Mars, des ciels rouges orangés, dont la couleur varie en fonction de la quantité de poussières dans l’atmosphère. Je mets dans la chatroom un montage fait par l’astrophotographe Thomas Appéré de 6 photos du même endroit prise par Curiosity durant une semaine pendant une tempête et qui montre l’atmosphère devenir de plus en plus rouge. Le problème des particules de la taille de la longueur d’onde c’est que leur diffusion est nettement plus compliquée. En effet, d’autres paramètres deviennent alors importants dans la diffusion : la forme des particules, ou leur composition peuvent avoir une influence. On doit alors utiliser des théories encore plus compliquées que celle de Mie pour la diffusion pour modéliser plus finement ces aspects et il est difficile de faire des généralités comme sur Terre et beaucoup de ces subtilités ne sont pas comprises. Je vous laisse avec un papier de spécialistes écrit dans la revue Applied Optics au chouette nom : Blue Moon and Martian Sunset. Car oui, de quelle couleur sont les couchés de Soleil sur Mars ? Et bien ils sont tous bleus. 

Un couché de soleil sur Mars (JPL/NASA)

Je vous fait deux tous petites recommendations pour conclure cette épisode, c’est le podcast Colors de Radiolab. C’est en anglais, mais c’est l’un des meilleurs épisodes du génial podcast radiolab:  https://www.wnycstudios.org/podcasts/radiolab/episodes/211119-colors

Et je vous conseille aussi Thomas Appéré, c’est un photographe amateur qui rend en couleur des photos de Mars à partir des photos brutes des rovers martiens. Le tout bénévolement. Son twitter (@thomas_appere) pour suivre ces images de Mars, et son flickr pour les images: 

Ingenuity is on Mars ! - Perseverance, sol 43

Vin-mer noire :  https://fr.qaz.wiki/wiki/Wine-dark_sea_(Homer)

Et les soucis de traduction d’Homère:

L’article sur les russophones qui distinguent mieux le bleu : https://www.pnas.org/content/104/19/7780

et un papier de vulgarisation en anglais sur la question:  https://www.newscientist.com/article/dn11759-russian-speakers-get-the-blues/?ignored=irrelevant#.VPZtubOUdV8

L’étude Blue Moon and Martian Sunsets, publié dans Applied Optics

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