Psychologie : plutôt team Rouge ou team Bleue ?

Ceci est un dossier de Cléora, présenté à l’occasion de notre émission PS 443 : le bleu

Côté sciences humaines, quand on me parle de la couleur Bleue, rien ne m’est venu en tête. J’ai alors cherché parmi le domaine dont je suis le plus à l’aise : la psychologie. Du coup, pour commencer, petite question pour vous faire participer, à quoi vous fait penser la couleur bleue ? Un mot, une émotion, un ressenti, peu importe, à quoi ça vous fait penser ?

Parenthèse genrée

Avant de commencer, une petite parenthèse sur l’association entre bleu pour les garçons et rose pour les filles, si vous y pensez. Je n’en parlerai pas ici, pour le garder pour un potentiel épisode sur le rose. En fait, il semblerait que, contrairement au rose qui est fortement lié à la distinction de genre, le bleu serait, si on peut le dire, “agenré” (Janauskaite, 2018). Le bleu est une des couleurs préférées des personnes quelle que soit le genre. Si vous voulez, le bleu sert d’étiquette sociale pour stéréotypiquement catégoriser le masculin, mais elle n’est pas intériorisée par les personnes comme un grand marqueur de distinction de genre. Encore une fois, contrairement au rose. Et tout ça à contextualiser parmi notre époque et notre culture.

L’association d’idées

Bleu pour calme. Bleu pour océan. Bleu pour ciel. Voilà.

Tout ça se sont nos préjugés ou plus précisément nos associations personnelles sur la couleur en elle-même (Mehta & Zhu (2009). Une association, en psychologie, c’est le fait de lier deux représentations ensemble. C’est quand on dit « ah oui, ce truc là, moi ça me fait penser à… quelque chose… » Ce lien est diffère en fonction des individus. Selon son histoire personnelle, par exemple si petit j’ai été attaqué par une poule, aujourd’hui, par association dès que je vois une poule je perçois une menace, je ressens de l’anxiété. Une association est différente aussi selon nos connaissances et notre culture. Si je vous dis 1515 et que vous pensez du tac au tac à Marignan c’est déjà une association. Autre exemple classique, si mon héros de film préféré fume et lui donne l’air badass et cool, hé bien c’est un début d’association entre cigarette et l’effet d’être cool qui était fortement utilisée par l’industrie du tabac (association qui fonctionne encore aujourd’hui).

Mais là on parle de la couleur Bleue.
Est-ce que chaque individu a des associations différentes avec cette couleur, ou peut-on tirer des associations communes à l’humanité ? Autrement dit, dès qu’on perçoit la couleur bleue, est-ce qu’on pense et réagit tous de la même façon ?

Pour le tester, on peut le faire de manière très simple. On place des personnes devant un écran affichant une couleur bleue. Et puis on leur demande ce qu’ils ressentent. Simple, non ? Bon. Par contre, pour éviter qu’il y ait des milliers de réponses trop diverses et difficilement comparables entre-elles, on va leur donner seulement 3 choix à noter sur une échelle de 1 à 5. La première réponse est le sentiment de contrôle de la situation. La deuxième réponse est la stimulation ressentie, en gros si la couleur m’excite ou m’endort. Et la troisième réponse est si je l’évalue comme agréable ou désagréable.

Un message d’erreur anxieux sur un fond bleu : sûrement un hasard pour apaiser les plus nerveux.

Je vois un écran bleu, et alors ?

C’est ce qu’ont fait Walid Briki & Olivier Hue (2016) en comparant les ressentis de 154 francophones après avoir passé 10 secondes devant un écran d’une couleur unie. Ont été testées les couleurs bleu, rouge, vert et un stimulus neutre qui sera ici un écran blanc. Ce qu’ils tirent de leurs résultats, c’est que la couleur rouge est jugée bien à part des autres. En face d’un écran rouge, les participants évaluent une stimulation et un sentiment de contrôle supérieurs par rapport aux autres couleurs. Dommage, c’est pas la couleur qui nous intéresse aujourd’hui. Quant au bleu, elle est jugée comme légèrement stimulante, genre on ne s’ennuie pas devant, et davantage agréable que le rouge ou un écran blanc.

Ainsi, de ce qu’on en tire de cette petite étude pour la couleur bleue, c’est qu’elle serait davantage associée à quelque chose d’agréable, au plaisir. C’est déjà un pas. Notre premier pas vers le champs de la psychologie étudiant les effets qu’engendrent les couleurs sur notre cognition, c’est-à-dire notre manière de réfléchir et de percevoir le monde qui nous entoure. Et, juste pour l’anecdote, c’était pas gagné. Parce qu’entre les multiples blogs pseudo-scientifiques de chromatothérapie, reiki, luminothérapie, de la pseudo-psychologie des couleurs et même des articles scientifiques qui se basent sur un article rétracté pour données frauduleuses j’étais loin d’y arriver.

Des motivations opposées : Rouge Vs Bleu

Découvrons alors ensemble ce champ d’étude de la psychologie cognitive sur les couleurs. Elle compare très souvent le bleu avec le rouge (Ilie et al., 2008 ; Kren, 2015 ; Briki & Hue, 2016 ; article de Jamie Madigan, 2015), en oubliant d’ailleurs dès fois une condition neutre comme un écran blanc, mais ça c’est ma p’tite critique méthodologique. Bref. Du coup, je suis un peu obligé de parler du rouge aussi. Cette comparaison bleu versus rouge n’est pas anodine. Certes sur le spectre de la lumière visible, physiquement, bleu et rouge sont aux extrémités du spectre. Mais en plus, psychologiquement, dans nos propres associations et représentations des couleurs, au fur et à mesure de la recherche scientifique sur le sujet, les chercheurs commencent à établir un consensus sur une opposition motivationnelle (e.g., Recours & Briki, 2015 ; Mehta & Zhu (2009).

Alors qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire que les couleurs Bleue et Rouge engendreraient des motivations opposées. La motivation, en psychologie, c’est en gros cette sorte d’énergie qui nous pousse à agir ou penser d’une certaine manière. Donc en connaissant cette définition, ça veut dire que la simple perception d’une couleur nous pousserait à penser ou agir de manière différente. [Couleurs affectent : motivation, cognition, émotion, jugement social, physiologie, performance.. (Recours & Briki, 2015)]

On a alors d’un côté la perception de Rouge qui est corrélée à ce qu’on appelle une motivation d’évitement (avoidance motivation). Le rouge et l’évitement, quand on y pense, ça semble logique. Tout ce qui est alerte, danger et même les panneaux de signalisation, il y a du rouge. Et de l’autre côté on a la perception de Bleu qui est corrélée à une motivation d’approche (approach motivation), c’est-à-dire quelque chose d’accueillant, de calme, que l’on souhaite explorer. L’opposé de l’évitement quoi (Singh, 2006 ; Yu, 2020).

Source de l’image : ce site.

Si ce n’est pas assez clair, avec des mots simples, percevoir du rouge c’est ressentir de l’anxiété, c’est-à-dire une motivation à vouloir éviter, à faire attention aux choses, à être plus vigilant. Et à l’inverse, percevoir du bleu c’est ressentir une confiance en soi, c’est-à-dire une motivation à être attiré, à s’approcher, à explorer ou s’aventurer.

Applications concrètes ?

Pour que ce soit plus concret, je vais vous poser une question. En sachant cela, que percevoir du rouge engendrerait de l’anxiété et du bleu de la confiance en soi, quand vous vous mettez à jouer dans une équipe sportive ou dans un jeu vidéo par exemple, si vous voulez gagner, vous choisissez l’équipe rouge ou l’équipe bleue ?

En compétition, mieux vaut être Rouge que Bleu (Ilie et al., 2008 ; Kren, 2015 ; Briki & Hue, 2016 ; article de Jamie Madigan, 2015). Bah oui, si je suis Rouge, mes adversaires verront la couleur anxieuse et moi je verrais mes adversaires bleus de la couleur qui donne confiance en soi ! Par exemple, sur 1 347 matchs de FPS compétitifs – les FPS sont les jeux de tirs à la première personne – 55 % des gagnants étaient de l’équipe rouge. Ça veut dire que dès le début, si vous jouez en tant qu’équipe rouge, vous avez 5 % plus de chance de gagner ! Et ce n’est pas qu’un petit effet isolé, c’est très significatif (p < 0,0001) et on retrouve ces effets dans d’autres sports compétitifs.

Donc. Récapitulons. Revenons à la couleur bleue. Ce qu’on sait jusque là, c’est qu’elle est associée à l’agréable et à une motivation d’approche qu’on pourrait vulgariser à la confiance en soi. Si on prend ça comme une base scientifique acquise, est-ce que du coup on peut aller plus loin ? Genre par exemple.. améliorer nos performances cognitives ou manipuler la perception des gens d’une pub en changeant simplement la couleur ? Hé bien, la réponse est oui…

Le Bleu créatif ?!

Après moult articles peu intéressants à vous raconter, je suis finalement tombé sur un papier, très court, très simple mais ô combien dense et plutôt solide avec un total de plus de 600 participants. Ce papier nord-américain, de Mehta et Zhu (2009), s’intitule : Bleu ou Rouge ? Exploration de l’effet de la couleur sur les performances cognitives.

Après avoir confirmés dans une première étude ce qu’on vient d’évoquer, que la perception de couleur bleue soit associée au système motivationnel d’approche, les auteurs sont allés plus loin en proposant aux participants diverses tâches cognitives demandant soient des compétences créatives, soient des compétences plus analytiques, descriptives et détaillées. En tâche analytique on a par exemple mémoriser une liste de 36 mots. Et parmi les tâches créatives, on a le petit jeu de trouver un mot qui relie un ensemble de 3 mots (The Remote Associates Test). Si vous voulez jouer, un exemple d’item : si je vous dis étagère / lire / fin, quel est le mot qui les relie ?

Toutes ces tâches cognitives ont été réalisées sur un fond neutre, un fond rouge ou un fond bleu. Et ce que l’article en tire comme conclusion, c’est que la couleur bleue avantage les tâches créatives en produisant des réponses de meilleures qualités, c’est-à-dire plus diversifiées tout en faisant moins d’erreur, par rapport au fond neutre ou au fond rouge. En revanche, les performances cognitives sont moins bonnes lors d’une tâche analytique comparée au fond rouge.

Concrètement, qu’est-ce que ce résultat veut dire ? Il signifierait que si vous êtes en manque d’imagination ou que vous devez être le plus créatif en jouant au petit bac pour trouver les mots les plus originaux, hé bah il vaut mieux que votre feuille ou l’ambiance de la pièce soit bleue plutôt que rouge. Le bleu favorise les associations d’idées plus complexes, le bleu favorise la créativité. On retrouve la même chose sur les messages persuasifs des publicités. Plus la publicité est créative ou artistique plus elle est évaluée comme pertinente sur un fond bleu (Mehta & Zhu, 2009).

La conclusion inconsciente

Mais du coup, comment ça se fait ? Pourquoi le bleu favoriserait des tâches cognitives liées à la créativité ? C’est de la magie ? C’est un fait, c’est naturel, on est né comme ça ? Alors. D’abord, ce n’est pas parce que je perçois de la couleur bleue que ça y est je deviens subitement créatif en mode superman. Ce n’est pas une conséquence directe, ce n’est pas une causalité directe. Il y a tout un tas de petits processus cognitifs qui entrent en jeu entre les deux.

Et tous ces processus cognitifs sont inconscients. Ça, ça a été rapidement testé sur une 60aine de participants (Mehta & Zhu, 2009). Cette fois-ci on leur demande de choisir eux-mêmes quelle couleur de fond d’écran améliorerait leurs performances durant une tâche créative ou une tâche descriptive et analytique. Alors qu’on s’attendait à ce que ce soit un fond bleu pour la tâche créative et rouge pour la tâche descriptive, bien plus de la moitié des participants choisissent (66% créative / 74% analytique) à chaque fois le bleu quelle que soit le type de tâche. Ça veut dire que malgré des observations réelles de performances différentes en fonction de fond coloré, les participants, eux, durant la tâche, ne ressentent pas spécialement de différence. C’est la définition même d’un processus inconscient. Les différences de performances sont bien mesurées mais ce n’est pas conscient pour l’individu.

Le but de la psychologie cognitive est justement de déceler tous ces processus cognitifs inconscients pour grossièrement récréer le circuit que fait l’information entre la perception et l’action. Ici, si on essayait globalement de prédire le chemin que fait l’information, d’abord on perçoit la couleur bleue avec nos yeux. Cette information est traitée à l’arrière de notre cerveau, parmi le cortex visuel. Viennent ensuite les associations d’idées. Vous savez ce dont on a parlé au tout début de cette petite chronique ? Les associations de la couleur bleue sont par exemple, l’océan, le ciel, la paix, la tranquillité, l’ouverture… (Singh, 2006 ; Yu, 2020) Toutes ces associations déclencheraient un système motivationnel d’approche. C’est-à-dire un sentiment d’apaisement et de confiance en soi qui permet d’engendrer des comportements d’exploration ou d’aventure par exemple. Et c’est cet état, cette motivation d’approche, qui causerait de meilleures performances cognitives lors de tâches créatives.

Bon tout ça reste spéculatif et extrapolé en restant au conditionnel car, à ma connaissance, pas de chemin causal a été démontré, seulement des corrélations. Mais c’est pour vous partager comment moi j’ai compris les choses à travers cette petite exploration de ce champ d’étude autour de la couleur bleue. Pour terminer, si on devait retenir qu’une seule chose de cette petite chronique, c’est que ce n’est pas la couleur en elle-même qui influence nos performances cognitives. Ce sont, selon cette théorie explicative, les associations qu’on a en tête avec cette couleur. Des associations qui ne sont pas innées mais bien sûr apprises avec le temps et ancrées en mémoire dans notre petit cerveau. Des associations et représentations qui, d’ailleurs en ce qui concerne la couleur bleue, semblent être communes à de nombreux individus et de nombreuses cultures (Yu, 2020 ; Singh, 2006).

En résumé… Si ce n’est pas assez clair et coloré :

En résumé, au niveau psychologique, percevoir du bleu est associé à la sérénité. L’étendue du ciel bleu et des océans doivent aider à cette association d’idée. Une sérénité, donc, qui nous met à l’aise, au point de tester des trucs ou se sentir capable de partir à l’aventure et d’explorer. Ce qu’on appelle la motivation d’approche. Et cet état d’esprit avantage de meilleures performances cognitives durant des activités créatives. Ainsi, durant un brainstorming à la recherche de nouvelles idées, habillez-vous tous en bleu pour schtroumpfer sur la vague de la créativité !

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