Hypnose : vos paupières sont lourdes…

Ce dossier équivaut à l’épisode 456 de Podcast Science !

I. HYPNOSE : EXPÉRIENCE SUBJECTIVE

Le monde des oreilles à mes pieds

Bien. Installez-vous confortablement. Parce qu’en cet épisode on va voyager. Dans notre propre corps et notre propre esprit. De notre tête à nos pieds. Prenez une position confortable. Assise, allongée ou debout en train de repasser. Peu importe. Dans tous les cas vous n’avez plus le choix. Vous avez commencé l’épisode et vous allez suivre ma voix. Ça va être tranquille. Je ne vais pas à proprement parler, vous hypnotiser. Je n’y suis même pas formé. Vous pouvez garder votre activité à côté. Surtout si vous conduisez, ne faites pas les fifous et restez concentrés. Bien sûr, l’idéal est que vous ne fassiez rien à côté. Que vous vous concentriez seulement sur moi, en train de parler, le contenu de cet épisode et vous-même en train de l’écouter.

Avant d’expliquer des choses, de vous donner des astuces ou d’expérimenter, j’aimerais d’abord que nous tous (poditeurs, membres de l’équipe et auditeurs en live) commencions d’abord par scanner sa position physique dans laquelle nous sommes actuellement. Est-ce la meilleure position ? Si vous ne savez pas, vous pouvez en essayer d’autres. Pour que la position de votre corps soit la plus optimisée possible et que seuls les muscles nécessaires soient utilisés. Pensez à votre dos. J’espère qu’il n’est pas trop voûté. Pensez à vos jambes. Allez-y faites vraiment l’effort de ressentir vos jambes, déplacez votre attention sur vos propres jambes. Ne sont-elles pas trop contractées ? Détendez-les. Et votre mâchoire alors ? Bordel, desserrez-la ! Relaxez-moi toute cette partie basse de votre visage. Oui, oui. Relâchez votre mâchoire quitte à ce qu’elle tombe un peu plus bas. Là. Ça va mieux déjà.. non ?

« vos paupières sont LOUUURDES… »
« c’est toi, le lourd ouais… »

L’hypnose ce n’est pas ce que vous croyez

Rien que ça. Rien que cette simple expérience de se focaliser sur d’autres parties de son corps est un début de relaxation. Un départ vers une transe.. un état hypnotique ou un état modifié de conscience.. Et oui, en effet. Pas la peine de se mettre dans un état absurde et caricatural.

L’hypnose, ou quoique ce soit qui s’en approche, c’est quelque chose de naturel. Non seulement tout le monde peut y accéder ; mais encore mieux, tout le monde l’a déjà expérimenté ! Je dirais même que chacun de nous l’expérimentons quotidiennement. Oui, oui. Du coup, si vous ne le saviez pas, bah c’est tous les jours que vous faites un peu d’hypnose.

La plupart du temps, les personnes qui veulent le faire comprendre au grand public, utilisent l’expérience subjective du conducteur. Lorsqu’on est littéralement en mode pilote automatique quand on parcourt un trajet quotidien. L’habitude prend le dessus et nos pensées partent ailleurs. Quand on reprend nos esprits, on se rend alors compte que : « mince, truc de dingue… j’suis bientôt arrivé chez moi ! » Bah ça, c’est un état hypnotique.

Quelques caractéristiques principales d’une transe hypnotique

Personnellement, je n’aime pas trop cet exemple parce que ça ne parle pas à tout le monde. Une autre illustration serait le fait d’être complètement absorbé par l’histoire d’un livre, d’une série ou d’un film… au point d’en perdre totalement la notion du temps. D’être littéralement ailleurs. D’être absorbé par l’histoire. D’être absorbé. C’est une des dimensions principales de l’hypnose : l’ABSORPTION. Où on est complètement focalisé, happé, par ce qui dévore toute notre attention.

L’hypnose c’est exactement ça : c’est focaliser son attention sur quelques chose de précis au point d’en oublier les choses autour de nous. Une forte focalisation au point que, lorsqu’on reprend nos esprits en se détachant du film dans lequel on n’était totalement absorbé par exemple, on ressente une certaine confusion, une certaine dissociation, du genre : « ah oui c’est vrai je suis dans une salle de cinéma avec un corps. Un corps qui a faim d’ailleurs, il faut que je pense à manger un truc après le film. » Une DISSOCIATION (incapacité à se remettre dans son corps), entre d’un côté ce sur quoi notre attention est focalisée, et de l’autre tous nos ressentis corporels et de l’environnement extérieur actuel. La dissociation est le deuxième élément principal de l’hypnose. Comme si on était divisé en deux ouais, si on veut, sans que ce soit pathologique évidemment, car tout le monde l’expérimente ! Si vous m’écoutez très vaguement tout en partant dans vos pensées et dans la Lune, c’est déjà un état dissocié.

Absorption et Dissociation, comme si vous plongiez littéralement dans un monde ailleurs, dans un bon bouquin ou l’univers d’un film. Ça, donc, c’est déjà un état hypnotique. Oui car, encore une fois, l’hypnose ce n’est pas un état caricatural comme on voit à la télé. Ce qu’on nous met sous les yeux c’est du spectaculaire, sans aucun objectif à part nous divertir et nous faire rigoler. On doit différencier deux grandes facettes de l’hypnose. D’une part, l’hypnose thérapeutique voire médicale avec un objectif derrière. Et de l’autre, l’hypnose de spectacle pour simplement divertir. Malgré cette distinction quelle que soit l’hypnose – sur scène, pendant un film ou durant une thérapie – on est toujours conscient de notre état. Même si on part très loin au point de perdre la notion du temps et de notre environnement. Donc. Je répète, car c’est une notion dont quelqu’un qui n’a jamais expérimenté ne peut pas deviner : au moment présent, en état de transe, on est toujours conscient de ce qui se passe.

Utiliser les bons mots : bien communiquer

Ainsi, l’hypnose, ce n’est pas non plus un état magique où on chante tout nu sur un nuage avec les petits oiseaux à nos pieds. Quoique… en théorie ce soit possible de nous y visualiser. N’est-ce pas ? Être tout nu dans les nuages… rien que d’avoir prononcer la phrase vous vous y êtes imaginés ou pas ? Et si je vous dis de ne pas penser à un éléphant rose, je parie que vous y pensez ?

Un hypnotiseur, hypnologue ou hypnothérapeute – peu importe le nom – il sait où il va et utilise ce genre de petites techniques à l’éléphant rose. Pour vous guider. Et seulement pour vous guider. Il n’est pas là à donner des directives autoritaires comme au XIXème siècle. Car, j’insiste, vous restez toujours conscient de votre état et de ce qui se passe. Vous restez toujours maître de votre comportement. Maître de la façon dont vous vous comportez mais bon… un peu moins de ce que vous pensez, comme ici avec nos éléphants roses. De fait, avec des jeux de langage en utilisant des phrases simples, affirmatives et au présent, on peut facilement induire, proposer ou manipuler ce que vous pensez. C’est l’idée de la troisième caractéristique de l’hypnose : la SUGGESTIBILITÉ, le fait de pouvoir imposer des suggestions.

« Conscientiser l’inconscient »

Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de cette très simple illustration de vous nu dans le ciel avec des éléphants roses, c’est que : le cerveau et notre corps ne connaissent pas la négativité. Dans le sens qu’une phrase soit négative. Si je vous dis de NE PAS clignez des yeux, pendant un cours instant vous aller y penser ; et conscientiser le phénomène où vos paupières se ferment normalement inconsciemment. Tous ces genres d’événements où on focalise consciemment des petites choses normalement banales ou inconscientes, à tendance à nous rendre confus. Tel un éléphant rose dans le ciel.

Et un état de confusion, c’est déjà le début d’une induction pour entrer en hypnose. Encore une énième fois, je le répète, l’état hypnotique n’est pas quelque chose qui est hors du commun ou hors de portée. C’est un état dont on a très certainement déjà tous expérimentés. Du coup, si je vous fais une petite expérience pratique là tout de suite, difficile de vous croire sur parole si vous êtes réellement en train d’expérimenter ou bien en train de simuler. Peut-être que vous-mêmes vous ne savez pas ce qu’est le vivre et l’expérimenter.

Figure 1 : Casque EEG avec ici beaucoup d’électrodes

Électro-encéphalogramme (EEG)

Pour le vérifier, l’idéal serait de trouver un appareil pour objectivement le mesurer. On peut le faire en vous plaçant à tous sur la tête des petites électrodes pour enregistrer votre activité cérébrale. Ce dispositif s’appelle un EEG. Un électro-encéphalogramme. On vous en a déjà parlé Eléa et moi dans la roue libre autour du sommeil en l’épisode 448. C’est un casque d’électrode qu’on pose sur la tête. Et il est notamment utile pour distinguer votre attention, votre vigilance, et voir si vous dormez ou si vous êtes éveillé.

L’EEG n’apporte que très peu au niveau de la compréhension du fonctionnement cognitif. Il permet juste de mesurer des niveaux d’éveil, en prenant en compte les remous de la surface de l’océan de neurones. Et tous ces remous électriques sont différents en fonction si on est endormi ou éveillé.

En bref, l’EEG permet d’objectiver par une mesure son niveau d’éveil. Et ce serait utile pour savoir si vous êtes en transe hypnotique. Car oui l’hypnose, et de manière plus générale la transe, c’est en gros une modification consciente de son niveau d’éveil (Figure 6). Ce n’est ni du sommeil, ni de l’éveil mais quelque chose de mixte entre les deux. Du coup, pour bien comprendre ce qu’est l’hypnose, je dois vous parler d’éveil et de sommeil. Pour les passer en revue, je vais donc faire un décompte de 3. Comme pour vous hypnotiser. Au bout de 3 vous allez vous sentir bien, calme et reposé. Vous êtes prêts ?

Figure 2 : rapide extrapolation de la vieille loi de Yerkes-Dodson.

II. LES NIVEAUX D’ÉVEIL

A. L’éveil

3 : Hyper-vigilance ou hyper-excitation émotionnelle

Je commence alors mon décompte : TROIS. Vous êtes en état d’excitation intense. Au quotidien, ce stade d’hyper-excitation on l’expérimente surtout en fin de journée (Figure 2). Quand on est dans le rouge. Quand on a les nerfs à vifs. Quand la colère peut monter à n’importe quel instant pour engueuler la moindre personne dans la rue. Ou que vous êtes au bord des larmes tellement vous n’en pouvez plus.

Ça peut aussi être un moment d’euphorie intense ou un état de panique immense, où la vague émotionnelle vous emporte sur son passage. Et, en parlant de vague, on peut tout de suite reprendre notre analogie de l’océan. En état d’excitation émotionnelle vous êtes littéralement submergé par les événements. C’est la tempête. Vous buvez la tasse et subissez le mouvement généré par les événements.

2 : Éveil attentif

DEUX… En ce deuxième niveau, finie la tempête. Vous êtes attentif à ce que je suis en train de dire. C’est l’état d’éveil le plus commun. L’océan cérébral est calme avec des petites vaguelettes très courtes mais très nombreuses partout sur la surface de l’eau. Ces petites vaguelettes désynchronisées, comme si on tapotait tous sur l’eau, à l’EEG on appelle ça le rythme β (béta). Un rythme oscillatoire autour de 60 Hz.

1 : Éveil diffus (souvent décrit les yeux fermés)

TROIS, DEUX, UN… Mon décompte est bientôt terminé. Vous commencez alors à mettre du vôtre en vous disant : « Bon, c’est peut-être débile mais tant qu’à faire je vais essayer de me calmer. » Vous devriez alors ressentir une chute de votre éveil. On appelle cet état, l’éveil diffus. Comme si au lieu d’être attentif à ce que je dis mot à mot, vous écoutiez vaguement la mélodie de ma voix. Parfois vous êtes dans la Lune. Vous vous laissez divaguer par vos pensées. Elles vont et viennent. Pourquoi m’écouter finalement ? Pourquoi ne pas juste être là, faire acte de présence, sans y prêter attention ? Et plusieurs parties de votre corps semblent être d’accord. Tout comme plusieurs neurones ; comme si des petites groupes commençaient à faire une ola électrique pour ne rien faire. C’est le début de la grève des neurones. Ils font la manif et défilent par petits groupes électriques.

Sur notre analogie de l’océan, ça se résume par des vagues davantage synchronisées et plus intenses, c’est-à-dire plus haute en amplitude. Comme si, tous ensemble, on essayait de tapoter l’eau de manière synchroniser pour faire de plus grosses vagues au rythme de 10 Hz, de 10 vagues par secondes. À l’EEG, ce rythme électrique on l’appelle le rythme α (alpha). Et il s’estompe dès qu’on reprend nos esprits et qu’on revient sur Terre genre : « Oh ouais il disait quoi déjà ? »

Figure 3 : illustration simplifiée (sans échelle) des différents EEG en fonction de notre niveau d’éveil. Il suffit de reprendre notre analogie des vagues sur l’océan. Juste que, là, ce sont les vagues électriques que produisent nos neurones. Comme s’ils faisaient une ola. Et plus ils sont nombreux à être synchronisés, plus la vague de la ola est énorme.
0 : Endormissement

TROIS (état d’excitation), DEUX (éveil attentif), UN (éveil diffus), ZÉRO vous commencez à vous endormir. En tapotant sur l’eau, on arrive tous ensemble petit à petit à se synchroniser pour faire des grosses vagues par moment. Mais c’est pas encore ça, ça ne tient pas sur la durée. Ces grosses vagues ponctuelles c’est le rythme θ (thêta). Il reste occasionnel et se mélange avec d’autres rythmes. C’est comme si on avait tous du mal à se synchroniser pour faire les plus grosses vagues possibles. Comme un orchestre qui est en train de s’accorder. Au début on est tous désaccordés, mais plus ça va, plus l’orchestre joue de manière synchrone une seule et belle même note.

Même chose durant l’endormissement, de ce qu’on observe à l’EEG. Plus ça va, plus les grosses vagues du rythme θ bien accordées et synchronisées s’installent au profit du rythme α. C’est déjà le début du sommeil léger. L’endormissement, c’est la fameuse phase entre veille et sommeil où vous voyez votre ami·e en train de piquer du nez. Et si vous réveillez la personne elle vous dit certaine d’elle : « zzZzzZ… hein ? Ah non ! Je dors pas ! »

B. Le sommeil

-1 : Sommeil léger

Une fois endormi nous passons donc d’un état d’éveil à un état de sommeil. Jusque là je ne vous apprends rien. Bienvenue dans les profondeurs, à l’étage MOINS UN. Après quelques minutes d’endormissement, le rythme θ de 5 grosses vagues par secondes est enfin installé sur la durée. On dort. C’est un état qui n’est pas très loin de la surface et de l’éveil. Un bruit qui nous alerte, et paf, ça nous réveille. Ainsi notre cerveau ne dort pas totalement et est toujours réceptif à un cri, une alarme ou un appel.

Quand on dort, l’activité électrique cérébrale observée par l’EEG n’est donc pas plat. Sinon ce serait la mort cérébrale à vrai dire. Durant le sommeil, l’océan n’est pas calme. Au contraire, ça bouge bien là-dedans. Il y a des grosses vagues synchronisées. Des grosses ondes lentes. Tel l’océan qui s’échoue sur les côtes à coup de vagues synchronisées. Imaginez-vous sur la plage. Détendu, reposé… Assis ou allongé… En train de contempler les vagues s’échouer. Le bruit régulier… des vagues est reposant, calme… à en être hypnotisé… Telles de grandes et lentes inspirations et expirations (système parasympathique;))… qui s’amplifient au fur à mesure que notre sommeil soit profond...

-2 : Sommeil profond

Bienvenue au dernier sous-sol, au niveau MOINS DEUX. Plus profond tu meurs… enfin, plutôt, tu es dans le coma. À ce niveau les vagues du rythme θ prennent des amplitudes énormes au rythme de 2 ou 3 par secondes. On l’appelle le rythme δ (delta). La physiologie du corps est diminuée. Sa température. Le fonctionnement des organes. Mais aussi notre propre conscience.

L’une des méthodes pour évaluer la profondeur du sommeil est de générer un bip sonore à l’oreille du dormeur. (Une méthode horrible, il faut l’avouer. Se faire réveiller à n’importe quel moment, on sait tous que c’est loin d’être agréable.) Si une faible intensité sonore suffit pour le réveiller, c’est qu’il n’était pas dans un sommeil très profond. Si par contre il faut une corne de brume, une vuvuzela et des trompettes pour le réveiller, ça veut dire que bon… notre dormeur en écrasait sévère au sommeil du plus profond.

0 : Sommeil paradoxal

Pour faire simple, mis bout à bout sur une nuit complète, le sommeil profond occupe 25 % de notre temps. Et le sommeil léger occupe 50 % de notre sommeil total. 25 + 50, ça ne fait pas 100 %. Il reste encore un dernier état de sommeil qui occupe environ les 25 % restant. C’est un état où on est endormi mais avec un électroencéphalogramme comme si on était éveillé. On y mesure le fameux rythme β où on tapote tous sur l’eau 60 petites vagues par seconde de manière chaotique. Genre tu dors toujours, mais pas ton cerveau. Le cerveau, lui, est en plein éveil comme s’il était concentré sur quelque chose. C’est le fameux dit « sommeil paradoxal ». Paradoxal parce que : tu dors, mais pas ton cerveau. Et si vous vous réveillez à ce moment là, la plupart du temps on est déçu en se disant : « Mais pourquoi ? J’étais en plein scénario de western dans l’espace pour défendre nos amis les plantes des vampires suceurs de chlorophylles ! »

0 : Sommeil paradoxal, rêves & pathologies

Ce serait en effet majoritairement durant le sommeil paradoxal que l’on rêverait. Comme si notre cerveau simulait sa petite vie tranquillou sans nous. Au point d’activer les aires sensorielles et les aires motrices cérébrales ! Genre mon cerveau peut activer les fonctions motrices pour sprinter un 100 mètres tout en nageant, il n’y a pas de problème. Mais, tout ça, sans activer les muscles de mon corps. Car mon corps est en mode bloqué. On appelle ça l’atonie musculaire. Bah oui. Vous imaginez ? Si votre corps se mettait à bouger alors que vous êtes complètement déconnecté de la réalité ?

D’ailleurs, si c’est le cas, si la motricité de notre corps est débloquée pendant le sommeil paradoxal, ça ne s’appelle pas du somnambulisme. On appellerait ça plus un trouble comportemental en sommeil paradoxal. Une pathologie très rare. Le somnambulisme, quant à lui, est une parasomnie bien plus commune – notamment chez les enfants – et se déroule durant le sommeil lent, avec les ondes lentes et les grosses vagues donc ; pas pendant le sommeil paradoxal où durant ce stade, on est en atonie musculaire.

Toutefois, pour être plus précis, en réalité, pas toute la motricité n’est bloquée. On a toujours les yeux qui bougent par de rapides mouvements (en anglais le sommeil paradoxal est appelé REM pour Rapide Eye Movement et le sommeil lent SWS pour Slow-Wave Sleep). C’est d’ailleurs un très bel indicateur du sommeil paradoxal. Alors que nos yeux ne bougent pas pendant le sommeil lent, durant le sommeil paradoxal c’est la boîte de nuit sous nos paupières.

Autre que l’insomnie, on catégorise des parasomnies ou hypersomnies. Exemples :
narcolepsie : hypersomnie où à tout moment on bascule en sommeil paradoxal
paralysie du sommeil : corps est immobile mais on est conscient et réveillé
somniloquie : on parle en dormant (qui peut survenir n’importe quand)

C. Cycle du sommeil

Hypnogramme : organisation temporelle du sommeil

Voilà. Le décompte est terminé. On a fait le tour de tous les niveaux d’éveil et de sommeil : hyper-excitation, éveil attentif, éveil diffus, l’endormissement et le sommeil léger, le sommeil profond avec les ondes lentes et le sommeil paradoxal. L’état hypnotique est tout aussi naturel que ces niveaux d’éveil. Ils peuvent partir, revenir, s’enchaîner ou faire des boucles entre eux. Et plus particulièrement, durant le sommeil, où il y a l’idée d’un cycle. Un cycle qui dure en moyenne entre 90 et 110 minutes et se reproduit 4 à 5 fois au cours de la nuit. Le tout peut-être dessiné sur une feuille, où plus le sommeil est profond plus on descend en profondeur. On appelle ça un hypnogramme.

Dans un cycle, chaque niveau du sommeil n’est cependant pas représenté de manière régulière et équilibrée. Si on partageait leurs proportions sur un camembert, chacun ne prendrait pas des morceaux égaux. Plus complexe encore, les proportions varient en fonction du nombre de cycles précédés et en fonction de l’âge. Ce que je veux souligner là, c’est juste que le sommeil n’est pas un bloc complet unique où on fait dodo. Ça évolue avec le temps. Au sein même d’une nuit, le sorte de cycle irrégulier alterne entre un sommeil lent – celui avec des ondes lentes et les grosses vagues lentes – et un sommeil paradoxal où le cerveau fait des bonds comme s’il était éveillé. Dès fois il y a même des réveils ponctuels. Et tout ça donc, parmi les cycles du sommeil.

Figure 4 : exemple d’un hypnogramme illustrant les cycles du sommeil.

Ça veut dire que durant la nuit où l’on pense dormir d’un bloc et qu’on appelle le sommeil, pour le cerveau, lui, il ne dort pas tout le temps. 1) Dès fois il fait sa vie tout seul dans son coin alors qu’on est toujours en plein sommeil paradoxal. 2) Et dès fois on est carrément éveillé de manière ponctuelle. Et c’est tout à fait normal. Certains neurobiologistes (e.g., Jean-Pol Tassin) affirment même que se réveiller 10 fois par nuit est de la qualité d’un bon dormeur. Tout le monde se réveille durant la nuit. Même toi, même vous, même moi. Mais vous, vous vous en souvenez de ces micro-réveils ? Moi, la plupart du temps non, en tout cas.

Ça veut dire que, du coup, on peut être éveillé sans être conscient de l’être. Comme ces moments de réveils durant la nuit : notre niveau d’éveil est éveillé, mais notre niveau de conscience est endormi. Et inversement, on peut être endormi tout en étant conscient de l’être. C’est un peu le cas pour l’hypnose par exemple. Si on mesure l’activité électrique cérébrale de surface de quelqu’un hypnotisé, c’est comme s’il était endormi – donc on observe des ondes alpha voire les amples et lentes ondes thêta du sommeil profond – mais tout en étant conscient ! Pour mieux comprendre le phénomène on doit donc introduire une nouvelle variable, une nouvelle caractéristique de notre état : le niveau de conscience.

EEG Vs Niveau d’éveil : reprises des analogies

Je recommence mes analogies des niveaux d’éveil en intégrant petit à petit cette nouvelle variable qu’est le niveau de conscience. Pourquoi j’insiste sur ce point ? Parce que c’est ma transition pour vous parler d’hypnose et mieux vous définir ce que c’est. On va reprendre toutes nos analogies autour de l’océan. Ok ? On y va ? Allez, c’est parti.

Détendez-vous. Et imaginez la scène. Imaginez une étendue d’eau illimitée. C’est l’océan. Vous voyez la surface de l’eau du dessus. Comme si vous étiez en vision d’hélicoptère. Du ciel, vous observez cet océan qui représente bah… vous-même. Votre état actuel qu’il soit neuronal ou émotionnel. Peu importe, c’est une représentation de votre état interne. De là haut, en hélicoptère, vous êtes l’observateur extérieur de vous-même. Par analogie c’est l’EEG qui scanne la surface de l’océan. Un océan de micro-vaguelettes chaotiques, c’est que vous êtes en état d’éveil. Un océan faisant de grosses vagues synchronisées, c’est que vous êtes en état de sommeil lent.

Ça, c’est pour mesurer de l’extérieur. La première analogie avec l’EEG donc. Mais si l’océan représente votre propre état interne, vous n’êtes pas un hélicoptère extérieur au phénomène. Vous êtes l’océan lui-même. Vous baignez dedans. Une deuxième analogie pour représenter les niveaux d’éveil est l’analogie des profondeurs… du baigneur que vous êtes parmi l’océan. À la surface de l’océan, vous êtes éveillé. Et plus vous coulez, plus vous vous endormez en profondeur. Le sommeil profond serait alors bah… en profondeur de l’océan.

III. LES NIVEAUX DE CONSCIENCE

A. Linéarité entre niveau de conscience et niveau d’éveil ?

Niveau de conscience : analogie d’un halo de lumière

On va une dernière fois compléter cette analogie en rajoutant la nouvelle dimension, la nouvelle variable, pour vous faire comprendre le niveau de conscience et en quoi est elle est différente du niveau d’éveil. Donc en plus du niveau d’éveil qu’on a détaillé jusque là, j’y ajoute une nouvelle variable, c’est le niveau de conscience. Cette nouvelle dimension à prendre en compte, c’est si nous, en tant que plongeur, avons notre lampe frontale allumée. Plus notre lampe frontale éclaire l’océan, plus nous sommes conscients de ce qui se passe devant.

Figure 5 : l’échelle de Glasgow évalue la « gravité » du niveau de coma. Un score en dessous 8 est un coma profond. Au dessus de 13 c’est un coma léger.

Autrement dit, ce qui est éclairé est ce dont on est conscient, et tout ce qui n’est pas éclairé est tout ce dont on est inconscient. Comme les phares d’une voiture en pleine nuit. On ne voit que devant soi. Le reste on en n’a aucune idée.

Niveau de conscience = 0 ?

Pour quitter l’analogie et translater ça dans le monde réel, avoir un niveau de conscience nul – c’est-à-dire être totalement inconscient avec notre lampe frontale éteinte – ça équivaut au sommeil profond. Lorsque vous êtes tout au fond de l’eau dans le noir et que l’océan vous berce de ses ondes lentes. Quand notre niveau d’éveil est aussi au plus bas. Plus profond encore on n’est pas mort mais on n’est dans le coma.

Mode par défaut

Encore une fois, même à un niveau de conscience et un niveau d’éveil au plus bas, les signaux cérébraux ne sont pas tout plat. Sinon c’est mort cérébral. Au repos, le cerveau est toujours actif et même davantage dans certaines régions cérébrales par rapport à si on était actif. En gros, c’est comme si en éteignant votre télévision, le bouton veille de votre écran s’allumait. Ce réseau neuronal est justement appelé le mode par défaut. C’est le fameux bouton veille où on s’isole de notre environnement pour se centrer sur une sorte d’introspection. (cf. figure 6 en y ajoutant le lobe temporal interne (hippocampe, mémoire) et autres régions sous-corticales : insb.cnrs.fr, 2019 ; Bastin, 2018, http://dx.doi.org/10.3917/rne.103.0232)

Hé bien pour tous les états proches du coma où on ne sait pas trop si la personne est consciente, vérifier l’activité de ces zones cérébrales permet de trancher si la personne retrouvera un bon niveau de conscience à la sortie du coma. (Silva et al. (2015) Disruption of posteromedial large-scale neural communication predicts recovery from coma : https://doi.org/10.1212/WNL.0000000000002196 ; Présentation orale de L. Naccache (2017) Réanimation & Altération de la conscience : https://youtu.be/TnYOh5Vha1k)

Figure 6 : Anatomiquement, les grandes aires du cortex cérébral qui participent au circuit neuronal du mode par défaut sont le préfrontal médian, une zone juste derrière le milieu de notre front ; ainsi que le précuneus et le cortex cingulaire postérieur, qui sont deux zones pariétales encore une fois au milieu de notre tête, derrière nos deux oreilles. J’ai ajouté les flèches juste pour insister sur le fait que ce soit un réseau, avec des connexions et des boucles entre toutes ces zones. De même les petites couleurs sont rajoutées par moi-même juste pour faciliter la lecture. Une imagerie ne colorie pas à ce point là 🙂

B. Niveau d’éveil Vs Niveau de conscience

Une approche belge

Ce que je vous décris là ne sort pas de nulle part (universalis.fr). Cette distinction entre niveau de conscience et niveau d’éveil est notamment développée par les équipes de chercheurs belges de l’université de Liège autour du neurologue Steven Laureys et de la médecin anesthésiste Marie-Elisabeth Faymonville. La plupart du temps, niveau d’éveil et niveau de conscience semblent aller de pair de manière linéaire : c’est-à-dire que si l’un est en allumé, l’autre aussi. Et si l’un s’éteint l’autre aussi (la diagonale du coma à l’éveil en Figure 7). Malgré tout, certains états sortent de cette linéarité où niveau d’éveil et niveau de conscience ne semblent pas se superposer, comme lors de l’hypnose. C’est pourquoi, on devrait peut-être les séparer pour mieux comprendre et expliquer le phénomène.

Figure 7 : Le Niveau conscience en fonction du Niveau d’éveil. J’ai repris et traduit les schémastirés des travaux de Steven Laureys et notamment partagés par Audrey Vanhaudenhuyse.
1) Niveau d’éveil élevé et niveau de conscience faible

Ces états qui sortent de cette linéarité où niveau d’éveil et niveau de conscience ne semblent pas se superposer, il y en a deux, telles deux variables qu’on peut combiner. Première situation, on peut être inconscient alors que notre corps est tout à fait éveillé. Donc : Niveau de conscience = MIN mais niveau d’éveil = MAX. C’est le cas notamment des personnes en état végétatif (= syndrome d’éveil non répondant : toujours éveillé donc mais sans aucune relation avec l’environnement avec maintien des fonctions automatiques et du cycle veille/sommeil) et des personnes en état de conscience minimal. Ce sont deux faibles niveaux de conscience mais avec un niveau d’éveil élevé (Kondziella, 2015). En gros le corps est là éveillé, mais le regard semble perdu dans le vide…

Ainsi, on peut être moins conscient tout en étant éveillé. Pensez à nos micro-réveils pendant le sommeil. Ça se passe quasiment chaque nuit, et pourtant on n’en est totalement inconscient. Et à l’extrême on a par exemple le somnambulisme. Le corps est là, il bouge tout seul, mais il y a personne dedans pour en être conscient. Genre tout son propre corps fait sa petite vie tout seul sans qu’on en soit aux commandes. Tout ça, ce sont des exemples qui appuient cette théorie des deux variables bien séparées entre :

  • d’un côté un niveau d’éveil biologique du système nerveux prêt à réagir à un stimulus
  • et de l’autre un niveau de conscience, si on est conscient d’être là en se représentant clairement ce qui se passe autour ou au sein de nous.
Parenthèse : deux niveaux retrouvés dans beaucoup d’approches
– mon corps perçoit les pixels et des patterns et ma conscience perçoit l’image
– conscience d’accès et conscience phénoménale (Chalmers, Dehaene, Husserl etc.)
– conscience sensorielle et conscience de soi (qu’on peut retrouver plus en biologie
– réseau exécutif attentionnel (long) et réseau mode par défaut (court) (neuropsycho)
– conscience externe et conscience interne (Vanhaudenhuysea, Laureysa et Faymonville)
– conscience critique et conscience hypnotique (que certains appellent inconscient)
– conscience ordinaire et conscience virtuelle (Claude Virot, approche vulgarisée)
– pour les plus spirituels : conscience out-brain (l’observateur / conscience phénoménologique) et entité biologique liée au corps (l’acteur / les pensées, sensorialités..)
Figure 8 : autre illustration d’imagerie cérébrale (IRM) entre le réseau du mode par défaut = niveau de conscience (en bleu, qui équivaut à la conscience de soi, à l’introspection, à la conscience interne) et le mode exécutif attentionnel = niveau d’éveil (en rouge, éventuellement à la conscience externe)
2) Niveau d’éveil faible et niveau de conscience élevée

Seconde situation, on peut être conscient alors que notre corps dort encore. Être conscient de dormir. Si on veut c’est l’opposé du somnambule. Donc : Niveau de conscience = MAX et Niveau d’éveil = MIN. C’est le cas dans de nombreuses expériences subjectives qu’on regroupe sous la vague expression d’états modifiés de conscience : la méditation, l’hypnose, les rêves lucides, les transes chamaniques, les expériences de morts imminentes, dans un certains un sens les hallucinations aussi, les expériences psychédéliques sous l’influence d’une substance, l’extase, l’orgasme et sûrement d’autres expériences mystiques et subjectives dont j’ignore l’existence…

Et là enfin, on a mieux défini dans quel état on est lors d’états modifiés de conscience :
on s’endort, voire même on dort, mais on est toujours
pleinement conscient de ce qui se passe.

IV. L’HYPNOSE : SCIENTIFIQUEMENT

A. L’Hypnose parmi les niveaux d’éveil et de conscience

Dormir consciemment

Et sous hypnose c’est vraiment ce qu’on observe objectivement. Une fois hypnotisé l’EEG – l’électroencéphalogramme qui mesure l’océan électrique à la surface de notre crâne – dessine des ondes α en transe légère. Pour rappel cela équivaut à l’éveil diffus, où nos pensées partent ailleurs et que nous sommes dans la Lune, c’est-à-dire quand on est détendu et relaxé. C’est un état de rêverie mais toujours éveillé. Et si on approfondit la transe, c’est-à-dire en endormant notre niveau d’éveil, on reste alors conscient mais avec un corps endormi et un cerveau qui produit des ondes lentes, des ondes θ indicatrices d’un sommeil profond.

L’état hypnotique serait donc bien équivalent à être endormi mais tout en étant conscient. Même pour le définir, le Larousse sépare le niveau de conscience du niveau d’éveil. Selon le Larousse.fr l’hypnose est un
« état de conscience particulier, entre la veille et le sommeil […] »

Plusieurs types d’hypnose : de l’illusionnisme aux faits scientifiques établis

Comme rapidement évoqué au début, on différencie plusieurs types d’hypnose. L’hypnose pour se divertir, tel l’hypnose de spectacle, et l’hypnose médicale et thérapeutique qui ont pour objectif le bien-être de la personne. On appelle hypnose médicale, l’hypnose pour gérer les moments stressants en milieu hospitalier, pour anesthésier sous hypnose une partie du corps ou simplement diriger l’attention de la personne vers quelque chose d’autre que la douleur. Une hypnose pratiquée par les anesthésistes notamment.

B. Hypnose Médicale

Hypno-sédation : l’hypnose permet de réguler stress et douleur

Certains appellent ça l’hypno-sédation (Cuvillon, 2019). L’objectif est très simple : diminuer en intensité la propre perception de la douleur de la personne, en l’invitant à ne plus se focaliser dessus mais à voyager ailleurs et diluer cette douleur parmi ses autres sensations physiques et émotionnelles (Les bienfaits de l’hypnose sur France Culture avec Julien Betbeze – psychiatre responsable pédagogique de l’Institut Milton Erickson).

Ainsi, à travers l’hypnose, on ne lutte pas contre la douleur. On tend à l’accepter et se dire qu’elle est là mais on s’en fou. En énonçant cela comme ça, « facile à dire mais difficile à faire » pourrait-on se dire. Et pourtant c’est vraiment le principe. L’hypnothérapeute invite la personne à se perdre dans son imaginaire, vers un endroit où il se sent en sécurité pour contrer l’anxiété. On peut aussi inviter la personne à se projeter dans le futur. Que fera-t-elle une fois la chirurgie passée ? Que fera-t-elle une fois la douleur diminuée ? Ça permet aussi de rompre fasse au fatalisme d’une douleur insoutenable, et proposer l’espoir qu’on puisse la surpasser.

La régulation du stress et de la douleur est l’élément le plus scientifiquement établi de ce que peut apporter l’hypnose. Grâce à elle, on peut tout à fait diminuer une douleur au point qu’elle soit perdue au milieu d’autres sensations, quitte même à l’oublier si on est complètement absorbé par un film, une histoire ou l’imagination que propose l’hypnothérapeute. À l’inverse, on peut accentuer une douleur voire même en créer une imaginaire, telle une hallucination ! Que l’hypnose puisse créer ou atténuer une douleur, même chroniques, c’est aujourd’hui solide et difficile à remettre en question (Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose (2015) par l’INSERM (article)).

Solidité scientifique

Les effets de l’hypnose sont aujourd’hui difficiles à remettre en question sur plusieurs niveaux. Au niveau subjectif, ce que rapporte les personnes hypnotisées (e.g., travaux de Pierre Rainville) ; au niveau neuronal – où tout le réseau de la douleur est éteint dont le cortex cingulaire antérieur totalement déconnecté (Audrey Vanhaudenhuys, Le point sur l’hypnose et les neurosciences en 2020) – ; et au niveau physiologique où en état de transe c’est le système nerveux parasympathique qui est dominant. C’est la partie du système nerveux qui apaise le corps avec par exemple une baisse du rythme respiratoire et du rythme cardiaque, ou une plus forte salivation et on a tendance à davantage déglutir (cf. Figure 9 et 10) (Cuvillon, 2019).

Ainsi, si vous doutiez encore que l’hypnose ne soit qu’illusion ou de la simple imagerie mentale et de l’imagination. Hé bien détrompez-vous. Sous hypnose on ne pense pas seulement les situations, on les vit davantage au plus profond de notre corps. Ça fait un certain temps qu’on sait que l’hypnose est bien un état de conscience unique et indépendant. Depuis plus d’un siècle à vrai dire, depuis les travaux de l’époque de Pierre Janet (e.g., L’automatisme psychologique, 1889). Aujourd’hui, donc, on objective bien un réseau neuronal, des expressions physiologiques et une expérience subjective à part du sommeil et de l’éveil.

Bulle-parenthèse pour aller plus loin en neuropsychologie : L’état hypnotique met le corps en mode veille au point de l’endormir et de ne plus avoir conscience des stimuli extérieurs. Mais tout en ayant toujours une conscience de soi. Encore une fois, un niveau d’éveil minimal et un niveau de conscience maximal. Neurologiquement, l’hypnose équivaut au réseau neuronal du mode par défaut avec une connectivité différente : la partie pariétale et la partie frontale sont toutes deux comme un peu isolées « sur-connectées » avec elle-même. La partie frontale est davantage liée (on parle de corrélations) aux suggestions (moins d’esprit critique, de libre arbitre, d’attention, de contrôle exécutif, de stratégie mentale) alors que la partie pariétale est liée à la représentation de soi (dont le précuneus : « une région hyperconnectée qui joue un rôle de chef d’orchestre de la conscience de soi » (Cuvillon, 2019), l’imagerie mentale et le fait de se sentir acteur de nos actes)

Figure 9 et 10 : pour illustrer les effets d’un système parasympathique dominant.
L’Hypnose ne guérit pas

Ainsi, l’hypnose a bel et bien un effet positif sur les douleurs aiguës, chroniques et les troubles de l’humeur : stress, anxiété, dépression… Et pas qu’un peu, jusqu’à 79 % d’amélioration (méta-analyse de Valentine et al. (2019) https://doi.org/10.1080/00207144.2019.1613863). De plus, dans le cadre d’anesthésie, l’hypnose permet de réduire la quantité de médicaments ingérés. Mieux encore, les risques liés à l’hypnose sont très limités car non invasifs et sans effets secondaires. En bref, une simple formation sur les mots et suggestions à dire dans une relation avec un patient – durant une relation thérapeutique – est déjà bénéfique (dans le monde de la santé ou parle d’alliance thérapeutique : l’hypnose thérapeutique, l’hypnose “de conversation”).

Mais ! Parce que là on se concentre sur les aspects positifs de l’hypnose… Mais ! Ce n’est pas une méthode miracle non plus. L’hypnose ne guérit pas. Elle permet de diminuer la quantité de médicaments et de modifier la perception de la douleur, mais jamais l’hypnose ne guérit. L’hypnose accompagne. Et c’est tout. En tout cas, à l’heure actuelle des données scientifiques sur l’intérêt de la pratique. Alors quand on parle d’hypnothérapie, cela m’embête. Car qui dit thérapie dit soin, où l’idée de vouloir guérir. C’est pourquoi les institutions les plus prudentes, au lieu de parler d’hypnothérapie, préfèrent parler d’hypnose d’accompagnement.

C. Hypnose d’Accompagnement

L’Hypnose ne guérit pas x2

Par exemple, il n’y a pour l’instant peu de raison scientifique de croire que l’hypnothérapie puisse guérir les addictions (Cuvillon, 2019) ou tout ce qui est changement de comportements habituels sur le long terme. Ce que pourtant mettent en avant les hypnothérapeutes cliniciens en pratique, comme le fait d’arrêter de fumer. Je ne dis pas que cela puisse être possible. Je dis juste qu’en l’état actuel de la recherche scientifique, on ne peut pas le dire que ce soit réellement le cas (Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose (2015) par l’INSERM (article de presse)) ; que ce soit, dit grossièrement, prouvé scientifiquement.

Malgré tout, les pratiques cliniques de l’hypnose sont si développées qu’elles s’étalent sur plusieurs domaines et s’extrapolent à d’autres troubles et maladies. Une pratique toutefois variée au point qu’on en sépare plusieurs types. Grossièrement, en deux grandes approches, on différencie par exemple l’hypnose directe – telle l’hypnose elmanienne de Dave Elman qui est typique du XIXème où le thérapeute donne presque des ordres en imposant des suggestions, de l’hypnose indirecte ou métaphorique – telle l’hypnose ericksonienne depuis Milton Erickson – qui est plus humaniste et basée sur les ressources et l’imaginaire de la personne. (D’autres types d’hypnose davantage New Age et basées sur les croyances existent : l’hypnose spirituelle affirmant que l’humain a une âme qui a eu des vies antérieures, l’hypnose alchimique avec le guides intérieur, l’enfant intérieur, etc.)

Dans l’hypnose pratiquée actuellement, il y a donc une idée qu’on puisse trouver la solution en nous-mêmes, tout seul comme un grand. Que la solution vient de nous. De nos propres ressources. De nos propres compétences. Une telle pratique peut donc rapidement basculer vers la pseudo-sciences et le charlatanisme. D’autant plus que le titre d’hypnothérapeute n’est pas protégé et n’importe qui peut s’en réclamer.

Autres intérêts de l’hypnose

Alors pourquoi on en parle de plus en plus de l’hypnose, si elle ne sert qu’aux troubles de l’humeur et alléger certaines douleurs ? Ce qui est déjà très bien en soi. Parce que l’hypnose provoque une transe. Un état modifié de conscience. Donc au-delà des effets bénéfiques que peuvent apporter la pratique, elle peut également être tout simplement ludique. Juste pour l’expérience.

Bah oui. Si on veut expérimenter un état de trans… Quitte à choisir l’hypnose plutôt que l’alcool, la drogue ou autres substances… D’autant plus que c’est un état rencontré quotidiennement, comme expliqué en tout début de ce dossier. Et qu’on peut carrément soi-même, tout seul, l’enclencher. On appelle ça l’auto-hypnose.

Certaines communautés plus jeunes appellent ça le shifting.

Pour terminer j’aimerais alors vous inviter à suivre une petite séance d’hypnose, ou en tout cas vous faire ressentir les étapes que les praticiens théorisent pour que vous puissiez reproduire cela vous-même. Tout seul. En auto-hypnose donc. Car oui, même si souvent un hypnotiseur est toujours bon pour vous accompagner, c’est toujours vous et seulement vous-mêmes qui acceptez de partir en transe. On se laisse volontairement partir en transe (François Roustang). Et n’oubliez pas ! Quel que soit le niveau de profondeur de votre trans, vous êtes toujours conscient de votre présence. Si ce n’est pas le cas, c’est que vous êtes en train de vous vous endormir, tout simplement.

Figure 11 : le pendule, une caricature pas si débile que ça

D. Les étapes d’une transe hypnotique

1) Induction : rituels et inducteurs par dissociation et/ou absorption

La première étape est d’induire la transe hypnotique. Induire c’est-à-dire l’amorcer juste en installant la situation pour. Au début c’est assez long. Comme si on commençait à faire du vélo. Mais plus on est expérimenté, plus on connaît la meilleure technique, la meilleure horaire, ambiance ou position qui fonctionne sur nous, pour arriver en transe en quelques secondes. Je ne vais pas faire une liste de toutes les techniques d’induction possibles et imaginables ou détailler explicitement ce qu’on peut faire à chaque étape. Je vous invite juste à découvrir de manière scolaire.

Lors d’une induction, on cherche à endormir notre corps, c’est-à-dire mettre notre niveau d’éveil au plus bas, tout en gardant un niveau de conscience le plus élevé possible. Encore une fois, l’hypnose c’est dormir mais tout en étant conscient.

Une des techniques les plus répandues est le fait de fixer du regard un point fixe ou cyclique. Donc la caricature de suivre des yeux un pendule, bah ça vient un peu de là. Actuellement, comme on est plutôt sur un média sonore, je vais vous inviter à suivre le rythme d’un tambour (vidéos ci-dessus).

Nous allons suivre un décompte de 10 pour descendre à 0.
DIX. Focalisez-vous dessus. Soyez absorbés par le rythme.
Un rythme régulier donc. Rien de très intéressant mais il est là, à faire vibrer vos tympans. Peu varié, on pourrait presque dire que c’est chiant. Heureusement que c’est assez doux et à un rythme plaisant. NEUF. À lui-même, si je vous le laisse pendant quelques minutes, je suis sûr que vous pourriez vous endormir d’ennui. Bah c’est un peu l’idée. On cherche endormir notre corps par un ronronnement toujours présent et un peu chiant sur lequel on se focalise intensément. Déjà, rien que de l’évoquer. Vous vous sentez sûrement de plus en plus détendu et relaxé. Presque, peut-être, ennuyé.
HUIT. Le plus dur, finalement.
C’est de ne pas s’endormir, et de rester conscient.

[… je vous laisse expérimenter cela en fin d’émission de l’épisode 456 ! 🙂 … ]

TROIS. Concentrez-vous sur votre respiration. Se focaliser sur une composante physiologique, provoque également un état hypnotique. En être conscient et la contrôler pour que sa respiration soit de plus en plus ample en gonflant le ventre. Et on inspire. Et on expire… Calmement.

DEUX. À vrai dire, et juste à titre d’information, l’inverse est également vrai. On pourrait induire un état de transe en augmentant consciemment et exagérément son rythme de respiration (telle la respiration holotropique de Stanislav Grof). Et même, carrément sans respirer du tout. En effet, faire de l’apnée serait équivalent à être en état modifié de conscience (Que sait aujourd’hui la science des effets de l’apnée sur le physique et le mental ? LeMonde.Fr (Mai 2021)).

UN. Vous voici déjà profondément ancré. Dans une trans bientôt entrée. Il y a des images, des sensations, des spasmes ou des pensées qui s’imposent que vous aimeriez ignorez ? Laissez-les juste défiler. Le long d’une rivière, au grès du vent où un clic d’une diapo, comme vous voulez.

ZÉRO. Bienvenue en état de trans.Et comme je vous l’avais dit en ce début de dossier,
Quand on y est… c’est rarement spectaculaire au point d’en perdre pied.
C’est seulement une fois l’expérience terminée qu’on se rend compte du chemin expérimenté.

2) Une fois en transe : lieux des suggestions

Jusque là, la science a des données. Ce n’est qu’ensuite qu’il devient plus difficile d’objectiver car tout est question d’expérience subjective. Une fois cette phase d’induction terminée, comment être certain d’expérimenter subjectivement en état modifié de conscience, un état de transe ? Déjà si vous vous focalisez à être détendu et relaxé, il n’y a rien de mal à passer un temps à penser à soi-même. Passer du temps pour soi.

Si vous voulez vraiment des signes, d’être en état de transe, il y en a plusieurs qui peuvent vous l’indiquer. Personnellement physiologiquement, déjà, je déglutie beaucoup plus, mon corps est relâché, et j’ai les yeux qui bougent tout seul en mode mouvement rapide comme en sommeil paradoxal. Ma respiration peut éventuellement s’accélérer faisant sa vie tout seul de son côté.

Comme l’expérience d’une transe est totalement subjective, chacun ressentira chaque chose à sa façon en fonction aussi de ce qu’il imagine ce qu’est être en transe. La plupart du temps, c’est comme si on ressentait le monde différemment. Peut-être de manière plus objective. Ou peut-être trop objective au point que notre corps nous semble étranger – on parle de dépersonnalisation – ou que la réalité et ce qui nous autour nous semble irréel – on parle alors de déréalisation.

Si tout ce que je viens d’évoquer ne vous parle pas, ne vous convainc pas, comparez cet état hypnotique à celui de l’endormissement. Quand on s’endort on est dans le brouillard, avec un corps assoupi mais une conscience toujours là un peu allumée, au point que ça donne des sensations bizarres comme le fait d’avoir l’impression de tomber dans le vide, tomber du lit ou des escaliers.

Nous sommes davantage isolés de l’environnement extérieur. Avec une perte de sensations physiques et émotionnelles. Dès fois elles sont si diminuées qu’on peut en créer nous-mêmes, telle une hallucination, avec une petite phrase suggérée. Car c’est un lieu où l’esprit critique est endormi et où la suggestion de choses plus ou moins surréalistes peuvent être imaginées, réalisées voire profondément ancrées en nous, en notre inconscient, au point qu’une fois éveillé cette suggestion fasse partie de vous et de votre personnalité. C’est en tout cas ce qu’affirme tout hypnothérapeute.

– Imaginez un chien de course violet. D’un pelage très doux. Il porte le dossard 34. Et il parle espagnol. En ce moment, il est train de courir. Vous remarquez alors que ce chien à trois pattes. Et pour autant, il rivalise avec les meilleurs chiens de course. Voilà un exemple d’une petite suggestion un peu imaginaire.
– Vous pouvez aussi par exemple vous suggérer une situation réelle idéale à venir. Par exemple vous sentir plein d’énergie, confiant lors d’une réunion ou en phase d’une certaine personne. Peu importe. Imaginez-vous de vivre, ressentir, voir, entendre, ce changement, cette affirmation voire carrément avoir une idée des étapes à réaliser pour y parvenir. Imaginez que vous êtes en train de le faire. Puis imaginez-vous dans le futur avec ce changement opéré. Ne vous limitez pas à la simple pensée. Incarnez-le. Ressentez le poids, la texture, la chaleur, les odeurs, les efforts demandés aux muscles, votre position du corps et toute autre sensation physique. Et rien que de le suggérer si fort serait déjà un pas pour réellement y parvenir.
– Jusque là ce sont des suggestions positives. Mais, si la suggestion vient de l’extérieur d’un thérapeute quelconque, comme on est fortement ouverts aux suggestions, une personne mal intentionnée pourrait vous faire ancrer des faux souvenirs (Cuvillon, 2019) parmi vos souvenirs d’enfance. C’est le seul risque d’une transe hypnotique. De mélanger imaginaire, suggestion et la vie réelle de votre propre passé.

3) Ré-association : le réveil

Puis, après votre petit trip imaginaire lors de votre transe hypnotique, il est temps de se réveiller. En clinique, il est assez commun de compter jusqu’à 10. Et à 10 vous êtes pleinement éveillé, en pleine forme. On y va ? 1, 2, 3… nous irons aux bois. Vous commencez à sortir de votre transe hypnotique avec un corps totalement détendu et relâché. Votre attention n’est plus focalisée sur quelconque suggestion. Elle virevolte ici et là. 4, 5… Peut-être que des fourmillements arrivent dans quelques-uns de vos muscles ou vos pieds. Le corps se réveille. 6, 7… En hypnose, le réveil après un transe, on appelle ça une réassociation. (https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/les-bienfaits-de-lhypnose-therapeutique avec Julien Betbeze – psychiatre responsable pédagogique de l’Institut Milton Erickson) Réassocier c’est-à-dire retrouver à la fois son niveau de conscience et son niveau d’éveil tous les deux éveillés. Ou dit plus mystiquement, retrouver une union entre la conscience de soi et nos perceptions corporelles. De retrouver toutes nos capacités.

8… Vous portez davantage attention à votre environnement. Êtes-vous assis, debout ou allongé ? Hormis ma voix, entendez-vous les oiseaux chanter ? Un moteur ronronner ? Ou bien un ventilateur souffler ? 9… Vous réveillez vos muscles en bougeant vos mains et poignets. Peut-être même que vous aimeriez contracter une jambe ou un pied. C’est le réveil tel un chat ou un chien qui s’étire de partout pour se recentrer. 10… Bienvenue de retour à la réalité. Au monde réel, bien ancré. Et c’est ici que je vais clore mon dossier. J’espère vous avoir appris des choses, quelques idées, si ce n’est au moins vous avoir fait voyager.

Quelques sources et liens francophones :

– Neurophysiologie de l’Hypnose (Vanhaudenhuysea, Laureysa et Faymonville, 2014) https://doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.006
Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose (2015) par l’INSERM (article de presse)
– Dossier de lecerveau.mcgill.ca autour de : chronobiologie, sommeil et neuropsychologie
– Les premières explorations de : Pierre Janet (1889) L’automatisme psychologique
– Julien Betbeze, psychiatre, sur France Culture sur l’hypnose médicale (analgésie)
De l’importance des oscillations cérébrales lentes durant le sommeil profond (15 Juin 2015)
– L’hypnothérapie Pour les nuls par Bryant & Mabbutt (2007) : très vulgarisé par contre
– Conférence d’Audrey Vanhaudenhuys : Le point sur l’hypnose et les neurosciences en 2020.
Dormir pour nettoyer et réinitialiser le cerveau (4 Novembre 2013)
– Suite de vidéos et formations de l’Arche-hypnose.com
– Claire vidéo YouTube de l’hypnothérapeute Adrien Garnier autour du concept de dissociation du point de vue de l’hypnose et d’un hypnothérapeute clinicien donc
– Science Étonnante (David Louapre) Pourquoi dort-ont ? (https://youtu.be/iM8cya6RcuU)
– Éventuellement la petite série de vidéos de Drop of Curiosity dans un format différent
– Saif Farooqi (2017) Hisoire de l’Hypnose http://www.historyofpsychology.net/2017/06/hypnosis-origins-development-and.html
– Éventuellement l’article Le cerveau dans tous ses états (2016) R.Sanders sur sciencesetavenir.fr
– TER francophone très sympathique (Confiant, Duffau et Laine): http://uf-mi.u-bordeaux.fr/ter-2017/Confiant-Duffau-Laine/index.php
– Suite de vidéos sur l’Histoire de l’Hypnose par Philippe Aïm : Compsy ; https://www.youtube.com/watch?v=rX-b1EYammg&list=PLr7zIXWfb622ah-l5JpkC1oN4VG7h2P8O

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