Mais où est donc ma Mémoire ?

Un dossier écrit de l’épisode 458 de Podcast Science !

Non pas une mais DES mémoires

Mémoire : un mot qui est devenu passe-partout

La mémoire c’est quoi ? C’est le fait de maintenir une information dans le temps et de pouvoir l’utiliser plus tard. Nos outils électroniques ont donc une mémoire. Car ils sauvegardent des informations. On parle de mémoire vive, mémoire flash, mémoire morte ou mémoire de masse. La mémoire en informatique, on pourrait s’y attarder. Mais on va se limiter à l’utiliser comme analogie pour comprendre la mémoire au niveau de la psychologie ; en essayant petit à petit de s’en détacher pour s’approcher de la réalité.

On pourrait également parler d’une mémoire collective et historique, où l’humain sauvegarde et raconte son passé. Ou encore d’une mémoire culturelle et familiale, où les parents transmettent comptines, secrets de famille et façons de voir le monde à leurs enfants. Une mémoire à l’échelle sociale et culturelle dont on n’évoquera pas. Je ne parlerai pas non plus de la mémoire à l’échelle biologique où l’information génétique est plus ou moins mémorisée au fur et à mesure des générations. Certains parlent aussi de mémoire immunologique, à l’échelle moléculaire. Bref. Nous, aujourd’hui, nous allons nous intéresser à l’échelle psychologique de notre mémoire, coincée entre le biologique et le social. C’est-à-dire notre propre mémoire individuelle, liée à nos connaissances, nos souvenirs, nos habitudes et nos automatismes.

Étymologie : de la Mémoire aux domaines d’apprentissage

Étymologiquement, tous les termes autour de mémoire et amnésie proviennent de la déesse grecque Mnémosyne, divinité de la mémoire donc. Et, comme beaucoup d’histoire mythologiques avec une femme à l’époque, Zeus est passé par là, en donnant 9 filles à la déesse. Ce sont les 9 Muses toutes liées à un domaine d’apprentissage. On essaye de les mémoriser ensemble ?

  • Clio : la glorieuse historienne (globe, livre écrit, trompette)
  • Uranie : la céleste scientifique (carte, rose bleue)
    • Polymnie : l’harmonieuse chanteuse de la rhétorique (poésie lyrique, penseuse)
    • Terpsichore : la théâtrale danseuse (mère des envoûtantes sirènes, lyre)
    • Euterpe : la plaisante musicienne (flûte, musique)
  • Thalie : la comique (lierre, masque comique, air jovial)
  • Melpomène : la tragique chanteuse (corne, masque tragédie, air grave)
    • Érato : la simple et romantique littéraire (cithare, roses)
    • Calliope : la grande héroïne poétesse (couronne de fleur, air imposant)
Figure 1 : Fresque des 9 Muses

Mémoire : objet de la psychologie cognitive

La mémoire est l’objet de la psychologie cognitive ; discipline de la psychologie qui s’intéresse à la cognition, c’est-à-dire tout ce qu’il y est lié aux connaissances et les processus mentaux autour. Et parmi tous ces processus mentaux, on a notamment la perception, l’attention ou la mémoire qui sont trois grands objets d’étude de base de la psychologie cognitive. Des processus qu’on sépare, mais qui s’entre-croisent et s’influencent entre eux. Par exemple, sans perception ni attention, il est difficile de mémoriser quelque chose. Cette organisation des processus telles des boîtes bien séparées est typique d’une certaine manière d’étudier la cognition ou la psyché humaine : c’est une description par une approche computationnelle.

Computation, c’est-à-dire un calcul, une opération ou plus grossièrement un algorithme qu’on pourrait coder comme dans un ordinateur. Car cette approche computationnelle reprend l’analogie que la cognition humaine soit similaire au fonctionnement d’un ordinateur. Avec des boîtes et des programmes bien séparés donc, entre la perception, l’attention et la mémoire par exemple. Mais aussi en sein de la mémoire. La psychologie cognitive différencie plusieurs mémoires différentes les unes des autres. Et ainsi de suite, au sein de toutes ces mémoires on peut détailler de boîte en boîte, de processus en processus, la cognition et la psyché humaine…

Alors quand quelqu’un vous dit « J’ai perdu la mémoire », vous pouvez lui répondre : « Laquelle ? » Même chose si quelqu’un vous dit qu’il a une mémoire de poisson rouge ou une mémoire d’éléphant. De quelle mémoire parles-tu ? De la mémoire sémantique, explicite ou implicite ? De la mémoire procédurale ? De la mémoire épisodique ?

Mémoire du Passé et mémoire du Présent

Mémoire à court terme Vs Mémoire à long terme

Figure 2 : les différentes « boîtes » mémoires selon l’approche computationnelle de la psychologie cognitive – courant dominant consensuel des neurosciences actuelles

Avant de citer toutes les mémoires une par une, on va y aller tout doucement. Boîte par boîte, de deux en deux. Vous allez voir, c’est très simple. D’abord on peut séparer une « mémoire du passé », d’une « mémoire du présent ». Ma dite « mémoire du passé » est celle qui retient les informations avec le temps. Par analogie, elle équivaut à une bibliothèque ou un disque dur. C’est ce qu’on se représente dans la vie courante quand on parle de mémoire. En terme scientifique on l’appelle mémoire à long terme.

Quant à ma dite « mémoire du présent », c’est celle qui retient l’information – juste là – sur l’instant pour pouvoir l’utiliser au présent. Concrètement, par exemple, pour lire une phrase je suis obligé de me souvenir des mots de la phrase pour en comprendre le sens. Par analogie, elle équivaut à un post-it ou un bloc-note avec lequel on va partout. Et par analogie de l’informatique, au lieu du disque dur, on parle alors de mémoire vive. En psychologie comme en informatique, on l’appelle mémoire à court terme.

Première distinction entre deux mémoires donc. On différencie :

  • la mémoire à court terme (le bloc-note, la mémoire vive – mémoire du présent),
  • de la mémoire à long terme (la bibliothèque, le disque dur – mémoire du passé).

Exemple : Tâche de Rappel Libre

Pour les mettre, en évidence et vous faire ressentir que ce n’est pas la même chose, on peut faire un petit jeu ensemble. Je vais vous dire une liste de mots. Et le but est juste de les mémoriser pour les restituer, peu importe l’ordre. Prêt·e ? Lumière Jardin Fiole Plume Dentier Koala Papier Abricot Regard Foule. Une liste de 10 mots choisis arbitrairement que je vais donc, maintenant, vous demander de restituer peu importe l’ordre.

Statistiquement, l’humain restitue davantage les premiers mots (Lumière Jardin Fiole) et les derniers mots de la liste (Abricot Regard Foule). En neurosciences, on l’explique par une distinction entre une mémoire à long terme qui a retenu les premiers mots – on parle d’effet de primauté – et une mémoire à court terme qui retient toujours les derniers en tête – on parle d’effet de récence.

Donc, pour la blague, si vous revenez d’une soirée et que vous vous souvenez que du début et de la fin, bah… vous pourriez en conclure que vous vous êtes sûrement bien amusé et bien relaxé car votre cerveau ne s’est pas foulé à retenir le moindre truc de ce qui s’est passé.

Figure 3 : Taux de Rappel en Tâche de Rappel Libre

Mémoire à court terme : empan limité

Mais pour autant. Même si on est le plus sobre et le plus concentré possible. Peut-on retenir les moindres détails de toute une soirée ? Dit autrement. Quelle est la taille de la mémoire à long terme ? Pourrait-on tout et n’importe quoi mémoriser ? Bah ça, concernant la taille de la bibliothèque, on n’en sait rien. En revanche, ce qu’on peut savoir c’est la taille de la mémoire à court terme, car on ne se balade pas avec toute une bibliothèque dans les proches. On se limite à un petit bloc-note ou un post-it. Selon vous, combien d’éléments peut retenir la mémoire à court terme ?

La réponse est 7 (Ehrlich, 1972). Ça peut être légèrement plus ou légèrement moins, mais en moyenne, l’humain peut retenir 7 choses en mémoire à court terme. Et peu importe la longueur ou la taille de ces choses, tant qu’elles prennent une seule place, un seul espace mémoriel sur les 7. (En psychologie on parle de « chunk ».) La mémoire à court terme, c’est 7 post-it. Et dessus on peut y mettre n’importe quoi. Même des trucs aussi compliqués qu’une photo d’une partie d’échecs, tant que ça a du sens pour la personne. Tant que ça a du sens pour la personne. Qu’est-ce que je veux dire par là ?

Je veux dire par là que, sur un seul post-it, on peut tout à fait retenir une syllabe, comme un mot, une phrase ou un discours logique. Tant que ça a du sens pour la personne, l’élément ne prendrait la place que d’un seul post-it sur les 7 en mémoire à court terme. Des exemples pour l’illustrer ?

Mémoire et mnémotechnie

Nouveau petit jeu. Essayez de retenir les mot suivants : car ; mais ; donc ; or ; et ; ; ni. Vous avez reconnu les 7 conjonctions de coordinations. Chaque mot pris isolément prend la place d’un post-it en mémoire à court terme. En revanche, si on rassemble les 3 mots or, ni, car en un seul mot Ornicar ; là, au lieu de prendre la place de trois post-it, ça ne prend plus qu’un post-it ! Tant que ça a du sens pour la personne. Même chose, si vous rassemblez tout en un seul élément, ça ne prendra plus qu’un seul post-it en mémoire à court terme : c’est le cas pour la phrase « Mais où et donc Ornicar ? »

C’est ce qu’on appelle un moyen mnémotechnique : donner du sens à plusieurs éléments isolés pour les regrouper et mieux les mémoriser. Car la signification, les associations ou faire des liens même loufoques, tout ça est la grande porte d’entrée vers la mémoire à long terme. Autre exemple, vous rappelez-vous des 9 muses, filles de Mnémosyne citées en début de ce dossier ? J’imagine que non. La phrase mnémotechnique utilisée par les étudiants serait : Clame, Eugène, ta mélodie, terrible air polonais, ouragan calculé. Bon. Une peu alambiqué comme moyen mnémotechnique, il faut l’avouer. Une partie du début de chaque mot fait référence à une muse. De « clame » pour Clio à « calculé » pour Calliope (Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie, Calliope). Vous aussi vous connaissez des moyens mnémotechniques de ce genre ? N’hésitez pas à partager !

Du verbal mais aussi du visuo-spatial : des images !

Dessin d’un auditeur au live

Là on s’est focalisé à mémoriser des phrases. Donc, du verbal. Mais on peut faire ce même genre de petit jeu avec des images. Du visuo-spatial. Au lieu de retenir séparément plusieurs mots et d’en faire une phrase, vous pouvez tout à fait en faire une image logique ou très imaginaire et personnelle. Par exemple, si vous deviez retenir les mots suivants, trois, violet, course, 34, chien, espagnol ; on peut en faire une image d’un chien de course violet à trois pattes qui parle espagnol et portant le dossard numéro 34.

Une technique qui fonctionne très bien, je le répète, tant que ça a du sens pour la personne.
La clé pour mémoriser c’est faire des liens : catégoriser, assembler, lier, associer !

À l’époque où nous n’avions pas internet ou des outils pour sauvegarder des trucs, il fallait bien utiliser notre mémoire pour pouvoir mémoriser. Côté verbal, on utilisait alors les comptines, poèmes et chansons par exemple. Et côté visuo-spatial, on utilisait les représentations mentales des pièces d’une maison, l’espace d’un damier ou des personnifications. Des techniques encore utilisées aujourd’hui pour surprendre et en faire tout un one-man-show (les mentalistes, illusionnistes, etc.).

Se représenter visuellement les 9 Muses

Par exemple, pour se rappeler plus facilement des spécificités des 9 muses, on peut se les représenter avec leurs symboles de manière exagérée, en plus de les catégoriser en petit groupe. Nous avons deux muses scientifiques. L’une est Clio déesse de l’Histoire et l’autre est Uranie déesse de l’astronomie, mathématique et plus généralement des sciences. Clio je me la représente alors par plusieurs Renault Clio, des plus anciennes au plus récentes pour rajouter le fait que ce soit la déesse de l’histoire. Ses attributs sont un livre écrit et une trompette. Donc on peut imaginer que toutes ces Clio soient tirées d’une photo d’un livre ouvert. Et sur le volant des Clio, il y a chaque fois une trompette de dessiner pour signifier le klaxon.

Quant à Uranie, je me la représente comme la planète bleue Uranus où sa surface est mappée comme une carte GIGN et sur laquelle est piqué un compas. Même chose pour les autres muses. Pour les deux muses poétesses, Érato est cupidon dénudé en train d’écrire une rose à la main et Calliope est un calme mais imposant cyclope tout droit sorti d’un film épique. Pour les deux muses du théâtre, Thalie est une muse taquine dansant et jouant avec du lierre. Et Melpomène est la muse tragique qui fait la gueule qui traîne des pieds, qui se « mal promène », pour se rapprocher phonologiquement de son nom Melpomène.

Il nous reste à représenter les trois muses musicales. Polymnie est une chorale polyphonique à elle seule, dont les éléments sont habillés en blanc, prêts à annoncer un serment en hurlant une même note harmonieuse. Terpsichore, lyre à la main, répète à ciel ouvert sa dance de manière théâtrale. Les deux pieds bien ancrés dans la terre, sa danse faisant union entre la psyché et le corps de Terpsichore. Enfin, je représente Euterpe comme une jeune fille réplique identique de Terpsichore, sauf qu’elle court partout et qu’elle joue de la flûte. Donc quand je veux l’appeler je doute qui appeler en disant : « euh.. Terp’ ? » Terp étant le début de Terpsichore. Et au moins je sais d’avance que les deux muses sont assez proche dans leur signification car toutes deux liées à la musique. Même des associations aussi tirées par les cheveux que ça, ça fonctionne. N’hésitez pas à utiliser votre imagination !

Figure 4 : On essaie d’apprendre les 9 muses par des associations ?

Méthode des lieux

Alors certes ça peut paraître un peu longuet à mettre en place. Mais c’est étonnamment très efficace. Le plus difficile est de se rappeler consciemment en allant chercher l’information. Quand on ne sait pas où chercher c’est compliqué. L’idéal est alors de positionner toutes ces représentations dans un lieu imaginé précis. Cette technique visuo-spatiale populaire est appelée Méthode des lieux. Connue au moins depuis l’époque des romains (A.Lieury, La mémoire humaine au fil de l’histoire, futurasciences.com), elle est surtout utile pour se rappeler d’une liste dans l’ordre, en utilisant l’espace de son habitation, où divers magasins dans une rue… Peu importe. Tant que ce sont, pour vous, des lieux connus. Dans une habitation par exemple, vous avez d’abord le hall d’entrée, puis peut-être une chambre, une cuisine et une salle-de-bain. Lorsque vous visitez ces lieux mentalement, l’idéal est de toujours garder le même ordre. Et puis dans ces pièces, vous y ajouter les éléments à mémoriser.

Par exemple, en entrant chez moi, je vois sur une petite étagère un livre ouvert avec une photo de plusieurs modèles de Clio dont une trompette dessinée sur chacun des volants. Et à côté, je vois un petit globe d’Uranus d’une surface dessinée en carte GIGN et sur lequel est piqué un compas. Les deux représentants les muses scientifiques que sont Clio et Uranie. Et on peut faire ça dans chaque lieu d’une pièce, la table, la chaise, la casserole, un lit, peu importe !

Dans la chambre je vois assis sur le lit, bien calé, un imposant cyclope en train de lire de la poésie. Sur son épaule, un petit Cupidon dénudé lit avec lui. Tous deux représentent Calliope et Érato déesses de la poésie. La première étant imposante ou héroïque et la seconde étant romantique voire érotique. Dans la cuisine, je vois deux sœurs opposées. L’une taquine et souriante dansant avec du lierre terrestre dans les main pour le cuisiner. L’autre, une spatule en bois dans les main pour chanter dedans l’air triste, la tête baissée, en faisant la gueule. Elle traîne des pieds par terre, elle se « mal promène ». Ce sont Thalie et Melpomène.

Enfin, dans le salon, où sur l’écran de télé est affichée une photo d’une chorale polyphonique prête à sortir un grand discours, il y a deux sœurs qui sont presque un copier-coller. La plus grande danse pieds nus les pieds plein de terre. Sa danse unissant corps et esprit. C’est Terpsichore. La plus petite court partout une flûte dans le bec. C’est Euterp. Et est affichée sur l’écran Polymnie déesse des grand discours.

Rappel : une modèle computationnel de boîtes délimitées et passives !

Ça va vous êtes toujours là ? Je ne vous ai pas perdu dans les limbes de mon esprit ? Par ces méthodes visuelles, on est arrivé loin d’une simple liste de mot à mémoriser de manière isolée. Au sein de la mémoire à court terme, on peut donc déjà différencier d’autres processus plus dynamiques dont l’un verbal et l’autre visuo-spatial sur les images. Cette distinction entre mémoire à long terme et mémoire à court terme reste en effet un modèle computationnel très simpliste qui remonte aux années 60 (modèle d’Atkinson et Shiffrin, 1968). Aujourd’hui, on ne parle plus de mémoire à court terme, telle une boîte passive, mais de mémoire de travail qui inclut ces différents processus, entre d’un côté une boîte verbale pour les mots et concepts abstraits et de l’autre une boîte visuo-spatiale pour les dessins et représentations concrètes.

Mémoire de travail : lieu d’apprentissage

Le très populaire modèle de Baddeley et Hitch (1974 puis 2000)

La mémoire de travail est un concept aujourd’hui répandu et consensuel en psychologie, tiré du modèle de Baddeley et Hitch (1974). Le modèle plus simple est composé de trois boîtes. Une verbale, une visuo-spatiale, et une troisième boîte qui gère les deux. Dans les termes scientifiques, la boîte verbale, utilisée pour des post-it avec des mots donc, est appelée boucle phonologique. La boîte visuo-spatiale, utilisée pour les post-it d’images, est appelée calepin visuo-spatial. Et la boîte qui gère les deux est appelée administrateur central, notamment liée à l’attention, la concentration, la planification.

Je ne vais pas m’attarder à vous faire un cours barbant dessus. Juste retenez qu’il y a plusieurs boîtes et qu’en neuropsychologie on arrive, avec plusieurs tests neuropsychologiques, à grossièrement évaluer la performance de chaque boîte chez les individus. En plus de ça, on a déjà de bonnes idées sur où est-ce que ça trouverait dans le cerveau. Ou en tout cas, on a une idée des différents réseaux neuronaux qui participeraient pour chaque boîte. Corrélats neurologiques :

  • Boucle phonologique : aire de Wernicke, de Broca, motrice et axones du faisceau arqué.
  • Calepin visuo-spatiale : aires pariétales (voire les aires visuelles occipitales également)
  • Administrateur central : cortex préfrontal (dorsolatéral, fonctions exécutives, attention)
Figure 5 : Schéma simplifié du modèle de Mémoire de Travail de Baddeley et Hitch (1974). Pour aller plus loin, les Effets ou Bais cognitifs liés à la présence de la boucle phonologique sont : effet de similarité visuelle ou auditive (poison ; poisson) ; effet longueur du mot (plus le mot est court plus il est facile à retenir) ; effet de catégorisation ; et plus difficile avec suppression articulatoire…

Si vous voulez un peu faire un nouveau petit jeu pour illustrer comment en neuropsychologie on évalue la mémoire de travail. Je vais juste vous demandez de rappeler une liste de chiffre après l’avoir entendue/lue une seule fois : 1, 6, 9, 5, 4. Puis en suite même chose, sauf que vous me rappelez les chiffre à l’envers, c’est-à-dire du dernier au premier chiffre : 3, 5, 7, 8, 2. Là c’est déjà plus difficile. On est obligé de garder en mémoire la liste entière pour se la rappeler à l’envers. Hé bah cette mémoire de maintien, c’est la mémoire de travail.

Porte d’entrée à mémoriser

Plus généralement, la mémoire de travail est la porte d’entrée pour ancrer des connaissances et souvenirs sur la durée. Elle est la mémoire du présent qui encode sur la mémoire du passé. Ou dit encore autrement, elle est un tas de feuilles de post-it dont on essaie de faire entrer dans la bibliothèque. Pour que ça marche on a plusieurs solutions. Soit on force l’entrée des post-it dans la bibliothèque par répétition. Genre si je veux apprendre que Melpomène est la déesse de la Tragédie et du Chant, je me répète constamment : « Melpomène est la déesse de la Tragédie et du Chant ». Comme si on apprenait pas cœur une leçon. D’ailleurs, plus ces répétitions sont espacées dans le temps, plus l’inscription à long terme dans le mémoire-bibliothèque est efficace. Donc quand, un enseignant vous dit ou vous disait qu’il est plus efficace de réviser sa leçon petit à petit et pas tout d’un coup juste avant les examens bah… ce n’est pas un mythe.

Donc, pour bien enregistrer en mémoire à long terme, soit on force l’entrée par répétition. Soit on essaie d’établir des liens avec ce qu’on sait déjà dans notre bibliothèque. Comme on l’a un peu fait visuellement avec les 9 muses par exemple. Outre la répétition, l’association d’idées est la grande clé de la porte d’entrée ! Ça permet de concrétiser les choses et pas que ce soit un truc par cœur isolé qui ne soit associé avec rien. Donc si vous voulez apprendre un tout nouveau domaine, prenez des analogies avec le domaine dont vous connaissez déjà. Si vous apprenez le basket et que vous connaissez le foot, utilisez vos connaissances en football pour calquer les nouvelles connaissances en basket-ball. Si vous apprenez la psychologie, prenez des exemples personnels pour apprendre les concepts abstraits. Si vous apprenez la biologie avec Taupo a.k.a. Pierre Kerner, souvenez-vous de la dernière blague associée à la connaissance qu’il vous transmet. Faites des liens, des interactions, des associations, des couples, des pairs, des catégories… C’est la grande clé de la mémoire. Et pas besoin que ce soit logique. Ça peut tout aussi être des liens bizarres. Tel un chien violet à trois pattes qui parle espagnol.

Troubles spécifiques des apprentissages

Bon dit comme ça, ça paraît simple. Mais pour certaines personnes, c’est une difficulté au point qu’elle soit handicapante. Ces personnes sont dites atteintes de troubles spécifiques des apprentissages. On les appelle aussi vulgairement les « Dys ». Mais si. Vous savez, les dyslexiques, dysphasiques, dyspraxiques etc. Bon. Hé bien, les concernant, un trouble spécifique des apprentissage est un dysfonctionnement cognitif, une altération des processus du traitement de l’information et plus particulièrement au niveau de la mémoire de travail. Dit autrement, si on devait trouver un nom au dysfonctionnement de la mémoire de travail ce serait les troubles « Dys », les troubles spécifiques des apprentissages. Genre la boîte verbale et la boîte visuo-spatiale se coordonnent mal avec l’administrateur central. On peut alors avoir des difficultés dans la lecture et l’orthographe, dans le calcul, dans le schéma corporel ou la motricité fine. En clair, tout ce qui touche à l’apprentissage.

Figure 6 : spectre des troubles spécifiques des apprentissages

Et là on pourrait se dire : « mais ils n’apprennent rien alors ? Genre ils n’encodent rien en mémoire ? Ils n’ont aucun souvenir aussi ? » Alors. C’est un peu plus compliqué que ça. Là on parle d’apprentissage qui nécessite de l’attention. C’est-à-dire d’être concentré sur quelque chose pour apprendre un pattern, un mouvement, une lecture. En étant attentif aux nouveaux éléments on créé des liens avec ce qu’on sait déjà, et on répète ce nouveau pattern pour l’apprendre. Répétition et la création de liens ou d’associations d’idées sont deux clés pour la porte d’entrée. Ça on l’a vu. Mais ce ne sont pas les seules clés disponibles.

Rôle de la Mémoire

La motivation et la curiosité sont aussi d’autres clés essentielles pour booster l’envie d’apprendre et de mémoriser. Quant à la grosse vague d’une forte intensité émotionnelle, avec elle pas besoin de clé. Elle défonce la porte d’entrée de la bibliothèque quitte même à tout chambouler et faire ressortir des vieux dossiers. C’est le cas lors d’événements traumatiques, ou juste des événements émotionnellement marquants, comme rencontrer son premier amour, réussir la première fois à traverser Paris en voiture ou bien avoir traversé une période aux portes de la mort (Tyng et al. , 2017, https://doi.org/10.3389/fpsyg.2017.01454).

Figure 7 : L’analogie d’un cerveau-mémoire-bibliothèque = boule de cristal pour prédire l’avenir

En résumé, les grandes clés de la mémoire sont :
la répétition, l’association d’idées et la motivation.
Voire éventuellement les émotions mais ça,
c’est déjà davantage dépendant du contexte.

Mais pourquoi apprendre des trucs ? Pourquoi se souvenir d’événements traumatisants ? Pourquoi a-t-on même une mémoire ? À quoi ça sert ? Je veux dire que… moi j’aimerais bien revoir indéfiniment une série que j’ai adoré. Redécouvrir encore et encore le goût du chocolat. Ou réapprendre à connaître une personne géniale. Pourquoi on stocke des choses en mémoire ? Pour être plus efficace ? Oui. Pour être plus rapide dans nos décisions ? Oui. Pour automatiser des choses redondantes ? Oui. En clair, c’est pour notre survie et nous faciliter la vie. En fait, la mémoire des choses passées nous sert à prédire l’avenir. Ouais… mon cerveau… votre cerveau, notre cerveau est une gigantesque mémoire, une boule de cristal pour pouvoir lire l’avenir…

Par exemple, si petit j’ai été attaqué par un chien violet, ça s’est fortement marqué en mémoire. Aujourd’hui j’ai alors peur des chiens et les choses violettes me mettent mal à l’aise. Car mon cerveau, ma mémoire, ma boule de cristal me dit qu’il y ait de grande chose que ce soit un danger. En gros, ici, l’exemple est la création d’une phobie.

Oubli et Consolidation

De la mémoire à court terme aux mémoires à long terme

Jusque là on a parlé de la mémoire du présent, c’est-à-dire la mémoire de travail qui s’apparente à une mémoire vive. Elle nous sert à encoder en mémoire des choses mais aussi à retrouver dans notre bibliothèque des choses. Encodage et Restitution des données passent par la mémoire de travail. Peuvent perturber ce mécanisme quand on a un trouble spécifique des apprentissages, un trouble attentionnel, un trouble de l’humeur telle une dépression ou qu’on soit sous l’influence d’une substance, de l’alcool ou de médicaments.

Encore une fois, la mémoire de travail est l’entrée pour pouvoir encoder en mémoire sur la durée. De nos post-it, on doit tout remettre dans l’ordre et consolider tout ça en bibliothèque, c’est-à-dire en mémoire à long terme. Et ça, c’est le rôle du sommeil. Ouais car on a vu qu’on pouvait s’y forcer par répétition en insistant dessus. Mais le processus naturel qui écrit en bibliothèque serait bel et bien le sommeil.

La nuit porte conseil.

Le rôle du Sommeil dans l’oubli et la consolidation

Outre le repos physiologique, un des grands rôles du sommeil est de passer le cerveau au karcher. Ça va, vous avez l’image ? Durant la nuit, non seulement le liquide céphalo-rachidien nettoie davantage le cerveau de ces déchets, mais en plus le cerveau lui-même se sépare des synapses inutiles et se réorganise de manière plus ordonnée. Les synapses ce sont les prolongements des axones qui sont les câbles pour connecter tout le monde. Et bah, durant la nuit, le cerveau recâble un peu tout ça. Dit autrement, le cerveau se met à neuf pour la prochaine journée. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le cerveau est donc plus actif… la nuit… pendant le sommeil…

Le fait que le sommeil soit important pour la mémorisation a été testé mainte et mainte fois. Pour la consolidation en mémoire donc. Mais aussi pour l’oubli ! Juste pour prendre l’exemple d’une expérience parmi d’autres, celle de Draganich et Erdal (Draganich et Erdal, 2014, https://doi.org/10.1037/a0035546 ; Rauchs et al., 2011 ; Chaîne Youtube BrainWhy) a testé sur plus de 150 étudiants quel est l’effet d’une nuit blanche par rapport au sommeil sur une série de mots dont on demandait à chaque mot de retenir ou oublier. On avait alors deux groupes. Le premier dormait normalement. L’autre a vécu une nuit blanche après la tâche cognitive. Le lendemain on a demandé de restituer les mots qu’ils avaient appris. Mais le plus intéressant, c’est qu’après 3 jours de vie quotidienne normale, les deux groupes se souviennent des mots à retenir ! La seule différence c’est que ceux qui ont fait une nuit blanche se souviennent aussi des mots à oublier.

Autrement dit le sommeil sert à consolider
les connaissances utiles, mais surtout oublier les inutiles !

Elagage des neurones

Ainsi, grossièrement, durant l’éveil le cerveau renforce certaines synapses. Et durant le sommeil, le cerveau réorganise et élimine des synapses indésirables. (Hypothèse de Tononi : homéostasie synaptique ; Gilestro, Tononi et Cirelli, 2009, https://doi.org/10.1126/science.1166673). L’oubli est donc très concret à l’échelle de la cellule et de la biologie du cerveau. C’est de ça que veut parler le neuroscientifique argentin Rodrigo Quian Quiroga quand il a écrit un bouquin sur La Machine à Oubli. Le cerveau mémorise des choses, certes. Mais est aussi fait pour oublier. Et ce, que ce soit au niveau psychologique ou cellulaire au niveau des neurones donc.

Intérêt d’oublier

Pourquoi on oublie ? Car si on se souvient de tout, on peut difficilement généraliser les événements. C’est la principale explication. On revient toujours vers une psychologie évolutionniste. C’est pour notre survie qu’on oublie des détails en généralisant les souvenirs. Par exemple, si j’ai été attaqué par un chien violet quand j’étais petit, à l’avenir je ne vais pas avoir peur de cet exactement même chien violet à trois pattes, en été avec le soleil trois-quart face, et quand je portais mon t-shirt bleu et mes chaussettes rouges. Le cerveau ne vas pas retenir le souvenir comme un souvenir unique avec tous ses détails. Ce n’est pas le but de la mémoire. Le rôle de la mémoire est de généraliser pour mieux prédire l’avenir. Le cerveau généralisera alors l’événement à : chien = danger. Et potentiellement : violet = danger également. Encore une fois, c’est pour maximiser les chances de survie.

Les mémoires sont des conjonctions de coordination

Figure 8 : schématisation du concept d’engramme, d’un réseau d’une petite population de neurones

La mémoire n’est donc pas un simple disque dur, comme on pourrait le vulgariser. La mémoire change sans arrêt, oubli, reconsolide, créé des nouvelles connexions. Les synapses ne sont jamais exactement les mêmes jour après jour. C’est organique quoi ! Et pas tout dur, solide immuable et informatique. On sort d’une approche computationnelle de la cognition par des boîtes immuables ; pour arriver à une approche connexionniste de la cognition, où tout processus cognitif est un réseau de neurones, plus ou moins parsemé dans le cerveau, et qui s’adapte en fonction des contraintes imposées.

Par exemple, la mémoire à court terme n’est pas qu’une seule boîte passive ; mais une mémoire de travail en plusieurs processus dynamiques qui s’entrecroisent entre une boucle phonologique qui relie aire de Wernicke et aire de Broca par le faisceau arqué (ce sont des zones cérébrales), un calepin visuo-spatial plus sur les aires pariétales et visuelles et un administrateur central côté cortex préfrontal. Et tout ça relié comme un réseau bordélique qui formerait une unité qu’on appelle la mémoire de travail.

Le cerveau, c’est davantage une ville vivante dont les rues changent, se ferment, se dévient ou deviennent des boulevards, avec des adresses plus au moins reliées avec l’extérieur. On a même d’énormes campus quasi-autonomes, comme des petites villes dans la ville. N’oublions jamais qu’un neurone est là et sera toujours là sauf maladie. Et ce sont les synapses, c’est-à-dire les extensions des câbles, qu’il peut modifier à foison. Un neurone peut se connecter facile à des dizaines de milliers d’autres !

La toile d’araignée neuronale

Et c’est la même chose quand on mémorise quelque chose en mémoire à long terme. On ne créé pas de neurones. Non. On créé de nouvelles connexions. La mémoire – comme de nombreuses choses en psychologie – est une question de réseau neuronal pas une question de quantité de neurones. C’est pour ça que j’ai appelé mon dossier « Mais où est donc ma mémoire ? » La mémoire c’est pas un lieu où on entasse des choses. Non. La mémoire ce sont des conjonctions de coordinations, des « Mais où est donc Ornicar ? », entre plusieurs neurones.

Et ces réseaux de neurones comme des traces mémoriels, des traces mnésiques neuronales, on appelle ça un engramme. Ça peut être très étendu dans le cerveau comme très localisé à une petite population de neurone comme l’a proposé une étude du même neuroscientifique argentin Rodrigo Quian Quiroga. Il a montré que seuls quelques rares neurones semblaient être spécifique à l’évocation de Jennifer Aniston (2005, https://doi.org/10.1038/nature03687). Tous ces engrammes, c’est-à-dire toutes ces traces mnésiques neuronales sont donc l’échelle cellulaire de notre mémoire à long terme, de notre bibliothèque.

Figure 9 : Coupe frontale du cerveau d’un primate – localisation de l’hippocampe
(
rotation 3D ici pour mieux le localiser)

L’Hippocampe : zone cérébral essentielle à la mémoire

Reprenons justement notre analogie des post-it et de la bibliothèque ; et revenons sur le rôle du sommeil dans la consolidation des mémoires. Le sommeil a donc le rôle de reprendre tous les post-it de la journée pour les réorganiser et les intégrer parmi les livres de la bibliothèque. En clair, c’est un peu l’accueil, le vigile ou le péage à l’entrée de la bibliothèque qui se met à faire son boulot pour trier tout ça. Et ce fameux péage est la fonction d’une zone très particulière du cerveau : l’hippocampe. Endroit totalement nécessaire et essentiel à la mémoire. C’est une partie du cortex cérébral – du lobe temporal pour être plus précis – au centre du cerveau qui s’enroule comme un hippocampe.

Si vous voulez localiser l’hippocampe, j’ai deux images à vous partager. La première c’est celle d’un champignon de Paris quand on le coupe sur la longueur. En haut, les extrémités du chapeau du champignon s’enroule en escargot vers l’intérieur, vers le pied du champignon. Hé bah les hippocampes gauche et droite chez l’humain sont à cet endroit là. La seconde image est celle des jumelles faites avec nos propres mains. Allez-y, imitez des jumelles devant vos yeux en faisant deux ronds avec vos deux mains. Normalement vous joignez votre pouce avec les autres doigts de la même main de telle sorte que ça fasse un rond. Hé bah… si le cerveau était vos mains avec d’un côté l’hémisphère droit et de l’autre l’hémisphère gauche, l’hippocampe serait l’ongle de votre pouce.

Ondes lentes : Théorie cognitive du sommeil

Selon cette théorie cognitive du sommeil – qui commence à avoir quelques données causales dans son sac (Boyce et al., 2016, https://doi.org/10.1126/science.aad5252) – l’hippocampe serait le vigile des post-it pour les intégrer dans la bibliothèque. Bon je reste au conditionnel, car la majorité des preuves viennent des souris, pas chez l’humain.

Ainsi, durant le sommeil, l’hippocampe ferait revivre ces post-it. Ouais littéralement. L’hippocampe reprend chaque souvenir et appuie sur le bouton « replay ». Une répétition cette fois-ci inconsciente donc, pour consolider ou oublier. En effet, s’ils sont intéressants à garder en bibliothèque, alors l’hippocampe va littéralement écrire, encoder et consolider le souvenir dans les zones les plus spécialisées du cortex cérébral (Figure 9 : Hypothèse de Born).

Par exemple, si le post-it est une image, ce sont les aires visuelles qui sauvegarderont la majorité du souvenir. Si cette image représente plusieurs versions historiques d’une Renault Clio, le souvenir sera associé à ce qu’on sait déjà d’une Clio. De plus, comme l’image à un sens sémantique, une trace mnésique sera aussi certainement retrouvée du côté du lobe temporal. En gros, l’hippocampe c’est google map des souvenirs et mémoires. Il connaît bien chaque rayons et catégories de la bibliothèque.

Figure 10 : la consolidation en mémoire lors du sommeil lent
source du schéma : https://doi.org/10.1684/nrp.2013.0283

Plus précisément, ce serait durant le sommeil profond avec les ondes cérébrales très amples et lentes que cette généralisation et consolidation en mémoire se ferait (e.g., Mathieu Landry, neuroscientifique spécialiste de l’hypnose médicale). Si cela ne vous parle pas, je vous renvoie à mon dernier dossier autour du sommeil et de l’hypnose en épisode 456. En revanche, pendant le sommeil paradoxal autre chose se passe. Il y a bien une mémorisation consolidée mais d’un autre registre. Du registre moteur. On aurait alors deux mémoires à long terme à dissocier. L’une spécifique à la motricité, consolidée pendant le sommeil paradoxal, et l’autre spécifique à la cognition, consolidée pendant le sommeil lent.

Les Mémoires à long terme

Mémoire déclarative (explicite) Vs Mémoire non-déclarative (implicite, procédurale)

Hé bien c’est ce qu’on différencie réellement en psychologie cognitive. Avec d’un côté une mémoire qu’on peut se représenter mentalement voire mettre des mots dessus, on l’appelle explicite ou déclarative ; et de l’autre une mémoire qu’on ne peut pas se représenter mentalement car c’est une mémoire motrice, de comportements, d’habitudes et d’automatismes. Une mémoire implicite dite procédurale (cf. Figure 2 ; Cohen et Squire, 1980 ; Graf et Schacter, 1985).

Bon ça commence à faire beaucoup de termes peut-être trop compliqués. Reprenons. On différencie plusieurs mémoires. Une mémoire de travail qui équivaut à une mémoire vive et une mémoire à long terme qui équivaut au disque dur. Et parmi la mémoire à long terme, on en différencie plusieurs. Une mémoire-disque-dur motrice et une mémoire-disque-dur cognitive. On appelle la première, mémoire procédurale et la seconde mémoire déclarative.

Mémoire procédurale : la plus ancrée en nous

La mémoire procédurale, la mémoire de la motricité et des habitudes donc, est la plus solide et ancrée en nous. Simple exemple, quand vous faites du vélo, vous ne pensez plus à quels muscles il faut contracter pour avancer et tenir en équilibre. C’est devenu automatique pour la vie. Pareil pour marcher, tenir un objet ou lever les bras en l’air. C’est tellement ancré en nous que c’est la mémoire la plus résistante à des pathologies. Sauf pour une maladie génétique très spécifique qu’est la démence d’Huntington.

La démence par définition c’est une maladie neurodégénérative où on perd des neurones. La démence la plus connue est la maladie d’Alzheimer qui est une démence généralisée à tout le cerveau. Et même si c’est une démence généralisée, c’est la mémoire procédurale qui est la dernière touchée.

Figure 11 : quand la maladie d’Alzheimer se voit.

Des mémoires différentes. Des lieux anatomiques différents.

En fait, la mémoire motrice – dite mémoire procédurale – et mémoire cognitive – dite mémoire déclarative – n’ont pas les mêmes réseaux de neurones, ni les mêmes structures cérébrales impliquées. Vous vous rappelez de l’hippocampe : la structure au milieu du cerveau qui se recroqueville comme le chapeau d’un champignon de Paris ? L’hippocampe est une structure typique de la mémoire déclarative. Alors que pour la mémoire procédurale c’est le striatum voire le cervelet. Le striatum est une autre structure à l’intérieur du cerveau – dite sous-corticale – mais qui n’est pas du néo-cortex cérébral. En fait, au milieu du cortex il y a plein d’attroupements de neurones qui formeraient presque des organes à eux seuls. La striatum est une grosse structure au dessus de l’hippocampe qui fait partie de ces dits ganglions de la bases (rotation 3D par ici pour le localiser !).

Autrement dit, la mémoire procédurale fait partie des plus anciennes régions cérébrales à l’échelle de l’évolution de l’espèce. Alors que la mémoire déclarative, comme l’hippocampe est sur le néocortex, qui est quelque chose de plus récent déjà.

Figure 12 : Dans « Le monde de Némo » Dory souffre d’amnésie antérograde.
Genre si elle n’a pas d’hippocampe dans son cerveau ça ne m’étonnerait pas.

Donc si on dérègle le striatum, on a des troubles moteurs. Et si on dérègle l’hippocampe on a des troubles de la mémoire. Et l’hippocampe est déjà bien plus vulnérable que le striatum. La maladie d’Alzheimer commence à dégénérer au niveau de l’hippocampe. Pareil, le syndrome de Korsakoff causé par l’alcool, c’est l’hippocampe qui est touché. Et quand l’hippocampe est malade, on a du mal à encoder. C’est-à-dire qu’on a du mal à se créer de nouveaux souvenirs. On appelle ça une amnésie antérograde. Si ça ne vous parle pas, pensez au poisson bleu Dory dans « Le monde de Némo ». Dory ne se souvient même pas de quoi elle disait juste avant. Bah, ça, c’est une amnésie antérograde totale. Genre… Dory a toujours l’impression de vivre pour la première fois un événement.

Mémoire épisodique Vs Mémoire sémantique

Récapitulons. On a une mémoire de travail et une mémoire à long terme. Parmi cette mémoire à long terme on a une mémoire motrice et une mémoire cognitive. Et enfin, dernière distinction de deux boîtes, parmi la mémoire cognitive – dite mémoire déclarative – on différencie mémoire épisodique et mémoire sémantique (Endel Tulving, 1972).

La mémoire épisodique est la mémoire des événements contextualisés avec des émotions. C’est ce qu’on appelle vulgairement un souvenir du passé. La madeleine de Proust. La première fois que vous avez brillé en société. Le pire moment de votre vie dont vous avez honte. Le premier amour ou ce que vous avez fait la veille. C’est une mémoire subjective centrée sur soi et ses émotions. Alors que la mémoire sémantique est une mémoire objective et décontextualisée. C’est la mémoire des définitions des mots et des concepts abstraits.

Ainsi si je vous demande qu’est-ce qui est jaune, presque en forme de ballon de rugby,
et qui est acide ? Je suis un agrume. Je suis un fruit. Je suis ? Je suis ?
Hé bien ce genre de question fait travailler la mémoire sémantique.

Si on devait reprendre notre analogie de la bibliothèque on aurait alors trois parties. Une salle de sport avec des programmes automatiques sur la motricité. Et une énorme salle très légèrement divisée en deux. Avec à l’entrée des actualités, des souvenirs colorés et émotionnels en rapport avec la mémoire épisodique. Et tout le reste étant des livres bien classés et rangés dans des rayons de connaissances. C’est la mémoire sémantique.

Figure 13 : Modèle MNESIS (Chemin de la mémoire, 2008) d’Eustache et Desgranges
qui résume un peu tous les processus mémoriels connus en psychologie cognitive.

Un continuum de mémoires

Après, encore une fois, comprendre les mémoires comme des boîtes immuables reste un modèle simpliste. On l’a vu avec la mémoire de travail, ou les réseaux de neurones qui changent jour après jour. Là, c’est pareil pour les mémoires à long terme. En fait, mémoire épisodique et mémoire sémantique sont davantage un continuum. Chaque souvenir contextualisé et subjectif de la mémoire épisodique tend à être généralisé et décontextualisé pour entrer en mémoire sémantique. Ainsi on ne sait plus s’il faisait beau, si c’était le mois de Mai, le mois de Novembre ou bien un Lundi comme nous chante Jean-Jacques Goldman. On ne se souvient que du fait de manière décontextualisée : « Souviens-toi / Était-ce mai, novembre, ici ou là ? / Était-ce un lundi ? / Je ne me souviens que d’un mur immense / Mais nous étions ensemble, ensemble nous l’avons franchi »

Ainsi comment s’appelle l’une des 9 Muses
qui est la Déesse du Chant et de la Tragédie ?
Est-ce encoder en mémoire à long terme ?

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