Le comportement animal : une approche interdisciplinaire

Dossier réalisé par Sarah Jeannin pour l’épisode 466 de Podcast Science !

Parcours & Présentation

Je m’appelle Sarah Jeannin, je suis psychologue clinicienne et Docteure en éthologie, je partage mes activités entre la direction d’un centre de formation qui s’appelle Animal University, dédié aux activités en lien avec les animaux de compagnie, des consultations de comportement que je mène en binôme avec un vétérinaire à Neuilly sur Seine, des enseignements de neurosciences à l’université Paris Nanterre et l’encadrement de recherches d’étudiants en Master.

J’ai fait un Master de Psychologie clinique ; j’ai découvert l’éthologie tardivement, au cours de ma licence. Ce domaine m’a d’emblée passionnée, du coup j’ai réalisé plusieurs stages en France et en Angleterre pour en apprendre davantage, et j’ai finalement décidé de poursuivre sur un doctorat. J’ai réalisé mes recherches qui portaient sur la communication Homme-Chien à l’ENVA (Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort), sous la codirection du Pr Caroline Gilbert qui dirige actuellement les consultations de médecine vétérinaire du comportement au CHUVA. Caroline m’a proposé d’assister à ces consultations en parallèle de mes recherches. Là, j’ai fait la connaissance des docteurs vétérinaires : Emmanuelle Titeux et Thierry Bedossa, tous deux consultants en comportement. 

En quoi consiste les consultations de comportement ?

Les propriétaires de chien ou de chat nous consultent lorsque leur animal présente des comportements qui les gênent et qu’ils sont à la recherche d’une solution. Depuis peu certains consultent pour s’assurer que leur animal est bien dans ses pattes et pour avoir des pistes d’enrichissements de son environnement.

Quels sont les motifs de consultations les plus récurrents ?

Pour les chiens, ça va être des comportements agressifs envers l’humain ou envers des congénères ; des destructions/vocalisations en l’absence des propriétaires ; des éliminations inappropriés (ex : un chien qui fait ses besoins dans la maison etc.) ; un chien terrifié en ville ; un chien qui fugue ; des stéréotypies (ex : un chien qui se lèche compulsivement les pattes, cherche à attraper sa queue etc.). Pour les chats, idem, des comportements agressifs envers l’humain (ex : attaque des jambes), des éliminations en dehors du bac à litière, des états anxieux, des stéréotypies (léchage fréquent et intensif) etc.

Quelles sont les principales causes ?

De très nombreux paramètres peuvent expliquer l’apparition de comportements gênants : le fait que nos animaux soient captifs, la promiscuité imposée, le fait qu’ils aient rarement le choix que ce soit pour se nourrir, interagir, se reproduire etc. et la frustration que cela peut engendrer. Une communication ou plus largement une relation qui n’est pas optimale avec les propriétaires, une hypostimulation générale ou au contraire hyperstimulation, un environnement physique inadapté aux besoins de l’animal, un mode de vie qui ne lui convient pas etc. Les manières d’y remédier sont du coup, là aussi, très variables. Chaque cas est unique !

Point de départ de la réflexion interdisciplinaire

Ces consultations m’ont permis de prendre conscience de la complexité de notre relation à l’animal. J’ai vu des animaux chéris, incompris, maltraités, chouchoutés ; des animaux considérés comme des membres de la famille et d’autres assimilés à des biens. Ces entretiens sont l’occasion d’une véritable catharsis pour les propriétaires. Il y a une grande diversité et surtout intensité émotionnelle au cours de ces consultations : des manifestations émotionnelles mêlant colère, frustration, tristesse, désespoir, honte, culpabilité, découragement/épuisement mais aussi : joie, soulagement, excitation…, des sentiments souvent ambivalents. J’ai vite compris à l’époque que même si l’animal était le sujet de la consultation, il était indispensable de prendre en compte les attentes et les besoins des propriétaires dans la prise en charge, qu’il fallait considérer non seulement les tentatives d’adaptation de l’animal à l’humain, mais aussi de l’humain à l’animal.

Création du binôme vétérinaire comportementaliste / éthologue-psychologue

Au CHUVA, nous avons commencé à échanger avec le Dr Bedossa après chaque séance : « qu’en as-tu pensé ? », « à ton avis pourquoi elle a eu cette réaction ? », « quelles émotions as-tu perçu chez lui/elle, chez son chien/chat ? » etc. C’est ainsi que de ces échanges entre vétérinaire-comportementaliste et psychologue-éthologue, notre réflexion a mûri. Thierry m’a confié se sentir démuni lorsque des problématiques humaines constituaient la toile de fond du motif de consultation. En 2016, il m’a proposée de mener les consultations de comportement en binôme à sa clinique de Neuilly afin de développer une approche interdisciplinaire, avec d’un côté le vétérinaire comportementaliste et de l’autre l’éthologue-psychologue, qui lui paraissait plus complète et qualitative pour les patients.

Je suis assez stupéfaite je dois dire (et je déplore) que les vétérinaires n’aient pas (ou peu) de formation en psychologie ou en communication humaine dans leur cursus alors qu’ils sont en contact permanent avec les propriétaires, qu’ils travaillent dans le domaine du soin et proposent une relation d’aide. C’est également le cas de la majorité des comportementalistes. Le vétérinaire comportementaliste est expert du comportement animal ; on le consulte pour solutionner une problématique liée à l’animal. Mais comment fait-il lorsque le problème ne vient pas directement de l’animal mais de la relation avec le propriétaire par exemple ? C’est tout le système qui est ébranlé dans ce cas, et c’est dans ce type de situation que l’intervention d’une psychologue est importante.

Thierry Bedossa (vétérinaire/comportementaliste) réel binôme
de Sarah Jeannin ( psychologue/éthologue)

Déroulement de la consultation

Comment se fait la répartition des rôles (vétérinaire/psychologue-éthologue) durant la consultation ? Je commence par un entretien libre que je mène avec le(s) propriétaire(s) sur l’histoire de l’animal et le motif de consultation. Je fais une synthèse des infos recueillies à Thierry qui nous rejoint dans un second temps. Avant toute chose, ce dernier s’assure de l’absence d’une affection organique associée ; la démarche de médecine interne est primordiale. 

Nous explorons conjointement le tempérament de l’animal, ses états émotionnels, mais aussi ceux des propriétaires, via une observation fine de leurs comportements et au travers de tests factuels et de mises en situation. Les chiens et les chats de Thierry, très entrainés depuis leur plus jeune âge, sont des assistants hors pair dans ce cadre !

Les observations en direct nous permettent de distinguer le factuel du relaté : le relaté c’est ce que les personnes nous racontent par rapport à ce qu’on observe réellement. Pour reprendre l’expression du Pr Bertrand Deputte : « pas de blablas, des datas ! ». Une fois les facteurs intrinsèques et extrinsèques à l’origine des comportements gênants mis en évidence, nous proposons un ensemble de recommandations aux propriétaires sous la forme d’un compte rendu écrit. 

Nous travaillons étroitement avec des éducateurs canins, des promeneurs professionnels, dont certains font également de la pension (familiale), des comportementalistes félins, des entraineurs experts dans les techniques de modification des comportements, basés sur le renforcement positif. 

La thérapie comportementale implique des changements d’habitudes, d’attitudes, des aménagements physiques, des investissements personnels et financiers qui représentent parfois des bouleversements importants dans la vie des propriétaires et il est essentiel qu’ils se sentent soutenus et accompagnés dans cette démarche. Leur motivation dans le soin est un atout indispensable pour garantir l’efficacité des solutions proposées. C’est pourquoi nous proposons un suivi par correspondance, et un nouveau rendez-vous pour faire le point un à six mois plus tard.

Les apports de l’éthologie

La relation que l’on construit avec un chien ou un chat et la manière dont on se comporte avec lui varient selon la représentation qu’on se fait de l’animal. Cette représentation est façonnée par de nombreux facteurs (éducation, milieu social et culturel, expériences personnelles…). En consultation, les représentations des propriétaires vont avoir une influence sur la manière dont ils perçoivent les comportements de leur animal, la manière dont ils reçoivent nos explications et sur la mise en place de nos recommandations. 

Bien souvent les propriétaires sont peu ou mal informés sur leur animal : ils ignorent les besoins et les modes de communication de l’espèce, ses capacités cognitives et sensorielles ; ils ignorent la sélection artificielle exercée pendant des siècles sur les races de chiens et de chats actuelles, les tendances comportementales qui persistent malgré tout parce qu’inscrites dans leur patrimoine génétique ; ils ne connaissent pas les besoins, les préférences et les capacités spécifiques de leur animal en tant qu’individu. Par conséquent, ils ont recours à leurs projections pour interpréter les intentions ou les motivations que leur animal exprime à travers ses comportements. Ces inférences sont généralement erronées parce qu’elles sont inspirées de leur vision anthropocentrée de la situation. Leur manque de connaissances les rend incapables de se mettre à la place de l’animal et d’adopter son « point de vue ».

Exemple : « mon chat a fait pipi sur le canapé pour se venger car je l’ai laissé seul ». Il n’y a aucune garantie que cette hypothèse soit juste, il est bien plus probable que le chat ait uriné car il était anxieux, irrité, ou encore stimulé par les odeurs sur le canapé, ou parce que le canapé est propre comparé à sa litière ! etc. C’est ce qu’on appelle le principe de parcimonie. De plus, le canapé n’a absolument pas la même valeur pour lui que pour nous ! Nous n’avons ni les mêmes capacités perceptives, ni les mêmes représentations. Et le problème, ce sont les conséquences qui découlent de ces erreurs d’interprétation : on va punir le chat dans cet exemple ; ce qui va certainement renforcer son anxiété, ou son irritabilité. Cela risque de dégrader la relation avec l’animal. 

C’est typiquement aussi le cas avec les chiens qui grognent : les humains ne supportent pas qu’un chien grogne car cela à une connotation négative ; dans nos représentations cela est synonyme d’agression. Or, c’est un signal de communication. Comme le fait de dire « arrête » dans notre langage verbal, lorsqu’on ne veut pas être sollicité, touché ou embrassé. Encore une fois nous n’avons pas le même langage, le chien exprime qu’il ne veut pas (être approché, être touché, être sollicité…) ou qu’il veut qu’un comportement cesse (qu’on arrête de le caresser, de lui parler, de le toucher…) par le grognement. Si vous le réprimandez chaque fois qu’il grogne, il va rapidement apprendre à ne plus grogner et lorsqu’il voudra faire cesser une interaction qui ne lui plait pas, il mordra directement. Si je veux faire cesser une étreinte, je vais dire « arrête », si cela n’est pas efficace, je repousserai physiquement la personne ou je lui collerai une gifle (selon le contexte !). C’est la même chose.

D’autre part, les recherches sur les animaux de compagnie, en éthologie et en médecine vétérinaire, se développent de manière exponentielle depuis ces 30 dernières années (voir références), en particulier les études sur la cognition canine (et plus récemment féline). Les données de la littérature scientifique sur les capacités perceptives du chien et du chat nous aident à mieux comprendre et appréhender leurs réactions. En effet, ces derniers peuvent réagir d’une manière qui nous semble surprenante parce qu’ils ont vu, senti, entendu quelque chose, que nous n’avons pas perçue. 

De même, connaître les étapes du développement des fonctions sensorielles de son animal et plus largement, de ses capacités physiques et cognitives, est indispensable pour respecter son rythme d’apprentissage, savoir à quel âge on peut attendre ceci ou cela de lui, connaître ses limites et les respecter (exemple : on ne peut pas exiger d’un chiot de huit semaines d’être propre, bien souvent il n’a pas encore le contrôle de ses sphincters). 

Enfin, ces avancées scientifiques ont permis de changer le regard porté sur les animaux de compagnie et de les concevoir comme des êtres sentients, aux besoins et aux préférences particulières. En tant que professionnels, nous avons le devoir de nous tenir informés et de transmettre ces connaissances aux propriétaires. L’intérêt de notre binôme vétérinaire/éthologue-psychologue est de pouvoir formuler des conseils et des recommandations qui reposent à la fois sur notre expérience clinique et sur les travaux de recherche en éthologie, en médecine vétérinaire et en sciences humaines.

Le clinicien a un rôle pédagogique essentiel. La grande majorité des problématiques rencontrées reposent toutes ou en partie sur un manque de connaissances des propriétaires quant à leur l’animal (l’espèce, la race, l’individu) et notre responsabilité en tant que professionnel est de les informer. Ce travail implique de continuellement mettre à jour nos connaissances au travers de formations, de congrès et de la littérature scientifique.

Une vision systémique : « Le tout est plus que la somme des parties »

Le cadre et la démarche de nos consultations de comportement sont très similaires à ceux des thérapies systémiques ou de la pédopsychiatrie, parce que les problématiques pour lesquelles les propriétaires nous consultent ont non seulement un impact sur la sphère familiale, mais elles sont inhérentes à ce système. 

Le déroulement de la consultation est donc très proche d’une séance de thérapie systémique. Nous demandons dans la mesure du possible à ce que tous les membres de la famille, animaux y compris, soient présents. Dans un 1er temps j’instaure un cadre bienveillant, non-jugeant, en proposant une écoute empathique qui me permets d’établir une relation de confiance. En plus du contenu du discours, je prends en compte le message non verbal, corporel. Cet entretien préalable me permet d’analyser les rapports des membres du foyer entre eux, d’avoir une idée de leurs tempéraments, de leurs états émotionnels, cognitifs, de leurs représentations et de leurs connaissances de l’animal, de leur investissement affectif ; Cela me permet de repérer les tensions éventuelles au sein de la famille, les divergences de points de vue sur l’animal et sur ses comportements ; Il m’arrive de demander à m’entretenir avec chacun des membres du foyer individuellement, en particulier quand j’ai l’impression qu’il demeure des non-dits. Cet entretien préalable est l’occasion pour les propriétaires d’exprimer leurs émotions, souvent contenues voire refoulées au quotidien, auprès de professionnels qui comprennent leur détresse, leurs craintes, leur colère, leur ambivalence et qui ne les jugent pas. 

Apports de la psychologie

La consultation est une mise en relation entre un patient (ou des patients) et un clinicien ayant chacun leur histoire, leur personnalité, leurs mécanismes de défense et leurs systèmes de représentations. Des compétences en psychologie sont essentielles pour poser un cadre sécurisant et clair afin de créer un climat de confiance ; alors l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire la collaboration entre le clinicien et le patient pour atteindre un objectif, peut se mettre en place, la communication devient efficace et le propriétaire va être engagé et coopérant.

La raison pour laquelle les propriétaires consultent s’inscrit parfois dans une problématique plus large que le comportement gênant de leur animal, par exemple lorsqu’ils ont des difficultés affectives, économiques ou des problèmes de santé. Pas étonnant car les données de la littérature scientifique montrent que les personnes qui traversent des bouleversements de vie (déménagement, maladie, deuil, séparation etc.) ont tendance à adopter un animal de compagnie (Cain 1985, Allen 1995). Probablement parce que les animaux de compagnie offrent du réconfort, de l’affection et un sentiment de sécurité lorsqu’on se sent vulnérable, seul et déprimé (Vitulli 2006 ; Beck & Madresh, 2008). Ces derniers sont perçus comme un soutien social et émotionnel (Walsh 2009). 

Or, d’autres études ont mis en évidence qu’il existe une contagion émotionnelle entre les animaux de compagnie et leurs propriétaires. Par exemple, si un propriétaire est stressé, cela altérera les performances de son chien  lors d’une tâche cognitive comparé à un chien dont l’humain est détendu (Sümegi, Z., Oláh, K. & Topál, J. 2014). Ce qui signifie que l’état psychologique (négatif) du propriétaire peut altérer la qualité de vie de son animal (Sundman, et al. 2019, Meyer, I. & Forkman, B. 2014, Schöberl et al.  2017). Nous constatons également de manière empirique que les chiens sont sensibles aux changements physiques et psychologiques induits par la prise de drogues (alcool), cannabis…), ainsi qu’aux variations neurochimiques induites par les psychotropes (anxiolytique, antidépresseurs…). J’ai déjà vu des chiens devenir agressifs vis-à-vis d’humains en état d’ébriété, ou sous traitement médicamenteux. De la même façon, certaines maladies neurodégénératives entrainent des changements subtils et progressifs, des micro-signaux (légers tremblements, démarche mal assurée, mouvements maladroits, changements de voix, ralentissement psychomoteur, changements d’humeurs etc.) que l’entourage ne perçoit pas tout de suite, mais auxquels les animaux sont sensibles et réagissent. 

Il est essentiel de considérer l’intrusivité de certains adultes et enfants, leurs propres états mentaux et émotionnels, leurs fonctionnements relationnels, leur(s) pathologie(s) dans la prise en charge comportementale. Or, le vétérinaire ne se sent souvent pas légitime pour aborder des problématiques d’ordre personnel ou de recommander un suivi psychothérapeutique alors que c’est parfois nécessaire pour le bien-être de l’humain et par conséquent de son animal. À ce sujet, nous travaillons en étroite collaboration avec des psychothérapeutes.

Attention cependant à ne pas associer systématiquement le comportement gênant de l’animal à un dysfonctionnement chez le propriétaire. Le tempérament de l’animal, ses conditions de développement, les séquelles de mauvais traitements antécédents peuvent représenter un challenge pour les plus sains des propriétaires !

Enfin, il est aussi important de pouvoir être capable d’identifier et de contrôler ses réactions ; Cette prise de conscience de nos émotions, de nos projections, et la manière de les gérer, est une compétence qui s’apprend et qui se travaille.

Exemples de cas cliniques : 

Cas n°1 : motif de consultation : dermite de léchage chez un chat ; l’animal n’a plus de poils sur l’abdomen. 

Le propriétaire nous explique que son chat réclame de sortir constamment. Même s’il a conscience du besoin légitime de son animal, sa peur est la plus forte. Il nous confie : « s’il lui arrivait malheur je ne me le pardonnerai pas ». En « dépliant » sa peur, nous comprenons que ce chat était celui de son père qui est maintenant décédé. Ainsi, le chat est le symbole du lien affectif du fils à son père : si le chat meurt, le lien est rompu. Le chat à la fonction d’objet transitionnel, sa perte serait dramatique pour cette personne fragilisée par la séparation. Nous voyons dans ce cas, comment l’éclairage psychologique peut être important pour un propriétaire : sans faire de la psychothérapie, ce n’est ni le lieu ni l’objectif de la consultation, un « simple » recul sur la situation peut lui faire prendre conscience de la nature de son mal être, de sa souffrance qui est vécue et portée par l’animal qui parle symboliquement dans ce cas précis : de l’angoisse de la séparation et de la mort. Le discours du psychologue opère déjà une séparation en faisant apparaître l’animal pour ce qu’il est : un être-vivant avec des besoins. Si l’origine (la cause) de la dermite est simple, la résolution du problème demande de la subtilité, de l’empathie, de l’échange et de la patience. C’est ce que nous nous efforçons de développer au sein de nos consultations.

Cas n°2 : Motif de consultation : agressivité interspécifique chez un chien, dirigée vers certains membres du foyer.

Nous recevons un jeune homme, accompagné de son chien Berger Malinois. Le chien appartient au père de ce jeune homme, qui est agent de sécurité d’un gymnase. Le chien porte un collier étrangleur et craint visiblement la main de son humain. Lorsque nous demandons au propriétaire s’il lui arrive de punir son chien, celui-ci nous dit que son père lui donne parfois des coups de ceinture lorsqu’il n’obéit pas. Nous lui expliquons que le fait d’infliger des violences physiques à un chien est de la maltraitance, et celui-ci réagit à ce terme avec virulence en répliquant qu’il a lui-même été élevé ainsi, qu’il n’est pas traumatisé, qu’il n’en « est pas mort ». Ce qui se passe ici, c’est qu’en qualifiant le père du jeune homme de maltraitant, nous bouleversons la représentation que ce dernier a de son père, « sévère, mais juste », « aimant ». Avec le recul, je pense qu’il aurait été plus approprié de demander au jeune homme : « Avez-vous, vous-même, été élevé de cette façon ? Comment l’avez-vous vécu ? ». C’est-à-dire commencer par explorer son point de vue ; Notre représentation de la maltraitance n’est pas forcément la même que la sienne. Même quand cela tombe sous le sens, mais il faut se méfier des évidences. La difficulté dans cet exemple est d’obtenir l’adhésion du propriétaire pour instaurer un changement d’attitudes vis-à-vis du chien, ce qui implique, là encore, un travail sur les représentations (éducation, violence, maltraitance), et sans juger la personne.

Comment psychologie et éthologie sont-elles imbriquées ?

L’éthologie et la psychologie ont à mon sens en commun l’observation fine de l’individu, la différence majeure est qu’en psychologie nous pouvons échanger verbalement avec le sujet, celui-ci peut exprimer ses états émotionnels, ses intentions, ses motivations, alors que dans le cas d’une espèce différente de la nôtre, nous faisons des inférences sur ces états à partir de manifestations comportementales. Mais l’humain s’exprime également à travers un langage non-verbal, un mode de communication qu’on a tendance par ailleurs à négliger et qui à mon sens « parle » plus justement (de manière plus authentique) que les mots. 

Enfin, dans ma pratique clinique en comportement, ces deux casquettes sont indispensables : mes compétences en éthologie me permettre d’observer et d’interpréter au mieux le comportement de l’animal et mes connaissances en psychologie m’aide à saisir les attentes, les besoins et les états émotionnels de l’humain qui accompagne l’animal. Cela nous permet, à mon associé et moi-même, de trouver un compromis dans nos recommandations, qui réponde à la fois aux besoins de l’animal et à ceux de son propriétaire.

C’est une approche holistique ; nous travaillons à la frontière entre les sciences éthologique, psychologique, vétérinaire, sociologique et l’Ethique.

Conclusion sur notre travail en binôme

Le binôme vétérinaire / psychologue en médecine vétérinaire du comportement permet d’instaurer un espace de parole libre pour les propriétaires, qui sont souvent impuissants face à un comportement qu’ils n’arrivent pas à interpréter et qui génère un sentiment de culpabilité, d’agressivité voire de découragement. Nous offrons une écoute empathique et bienveillante, où les attentes et le vécu émotionnel de l’animal et des propriétaires sont pris en compte. Nous souhaitons dans cette démarche, aider les propriétaires à passer de la culpabilité à la responsabilité et à retrouver une relation harmonieuse et responsable avec leur animal.

Controverse sur les comportements gênants 

Il existe deux grands courants de pensées chez les vétérinaires spécialisés en médecine du comportement : la zoopsychiatrie et la thérapie comportementale ; Ces deux « écoles » diffèrent dans leurs analyses et interprétations des comportements indésirables des animaux de compagnie et dans la prise en charge proposée.

  1. La zoopsychiatrie

Inspirés de la psychiatrie humaine et du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (DSM), les zoopsychiatres appréhendent les comportements indésirables comme des « maladies comportementales » et utilisent une démarche médicale qui inclue la prescription de médicaments, généralement en 1ère intention, « pour tenter de normaliser la réponse comportementale et faciliter ensuite la thérapie [comportementale] ».

  1.  L’approche comportementale 

C’est l’approche que nous adoptons. De notre point de vue, il est réducteur d’assimiler des comportements indésirables à des manifestations de troubles psychiatriques. Ces manifestations comportementales sont la plupart du temps des tentatives d’adaptation plus ou moins efficaces à un environnement physique et/ou relationnel qui n’est pas favorable à l’animal ou qui ont pour origine une défaillance dans les apprentissages au cours du développement de l’animal (manque ou mauvaise familiarisation et socialisation). La majorité de nos patients s’améliorent sensiblement, et sans l’aide de molécules, avec du temps et de nombreux ajustements lorsqu’ils se retrouvent dans un environnement physique, social, relationnel qui leur correspond.

Les symptômes (comportements gênants) « parlent » des manques et des besoins spécifiques de l’individu. C’est une sorte de lanceur d’alerte, qui ne se taira que lorsque son message aura été entendu. C’est ce qui doit nous interpeller et conduire à un changement (comme la fièvre nous renseigne sur la présence d’une infection). Faire taire le symptôme gênant ne fait pas disparaitre la cause. 

Lorsqu’on tente des modifications de son environnement physique et relationnel (aménagements, enrichissements), c’est justement la disparition spontanée, ou au contraire le renforcement du symptôme, qui nous guide. Aussi il me parait impossible d’apprécier l’effet des changements environnementaux si on se prive des réactions naturelles de l’animal, parce qu’il est médicamenté.

Et puis les molécules ne sont pas neutres ; C’est de mon point de vue un moyen relativement invasif, qui touche à l’intégrité physique de l’animal car les molécules agissent sur l’ensemble de ses processus cognitifs. Néanmoins, nous présentons toutes les solutions possibles aux propriétaires, y compris le recourt aux molécules psychotropes en leur expliquant les avantages et les inconvénients des différentes alternatives, à partir de nos expériences cliniques et surtout de ce que nous dit la science à ce sujet. Les propriétaires sont ainsi en mesure de faire un choix responsable et éclairé. Il peut arriver que nous prescrivions des molécules, en particulier si les modifications environnementales sont limitées voire impossibles et que le propriétaire s’oppose au placement, ou si c’est le choix du propriétaire, mais très rarement en première intention, plus souvent en dernière.

Exemples de résolution de problèmes dans le cas d’un chat et d’un chien 

1er cas : des altercations entre deux chats du même foyer, n’ayant pas la possibilité de sortir. Ici, un travail sur les aménagements intérieurs de l’appartement a permis de faire littéralement disparaitre les altercations : 1) la mise en place de plateformes en hauteur, vissées au mur, permettant au plus jeune des deux chats de s’isoler et d’être tranquille, sans avoir impérativement à croiser le chat aîné du foyer, 2) des cachettes au sol, dans des boites en carton type boîte à chapeau avec une petite ouverture pour s’y glisser, pour que le plus vieux puisse lui aussi se réfugier au calme.

2e cas : J’avais été très touchée par une propriétaire dont le chat ne supportait plus d’être enfermé (il se léchait compulsivement l’abdomen jusqu’au sang), qui avait suivi scrupuleusement nos recommandations qui n’étaient pas évidentes à mettre en place : apprendre au chat à monter dans un panier que la propriétaire faisait descendre par la fenêtre dans la cour intérieure avec une corde, et le faire remonter ensuite en hissant le panier. Cela demandait un vrai investissement. La propriétaire nous a envoyé deux semaines plus tard une vidéo du processus mis en application, et on voyait son chat profiter pleinement de cet espace extérieur, chassait les insectes etc. A noter que la copropriété de son immeuble n’acceptait pas un dispositif d’escalier en colimaçon permettant au chat de rejoindre la cour par la fenêtre de l’appartement. Ce qui est une alternative plus commode.

3e cas : un chien qui n’avait pas été convenablement socialisé au cours de ses premiers mois de développement à l’élevage et qui avait très peur de ses congénères, ce qui pouvait le conduire à les agresser. Nous avons fait appel ici, et comme très souvent, à des éducateurs-promeneurs professionnels et expérimentés, travaillant avec un groupe de chiens extrêmement bien entrainés et sociaux pour des balades collectives en forêt : cette immersion de notre patient auprès d’autres chiens parfaitement entrainés, respectueux de ses états émotionnels, dans un cadre stimulant et sécurisé, lui a permis de faire de nouveaux apprentissages, des apprentissages sociaux, et de diminuer progressivement sa crainte vis-à-vis des autres chiens (il a fallu plusieurs semaines), et donc les agressions liées.

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